Ashtiname

L'Ashtiname ou Achtinamé [1] est une charte qui aurait été conclue en 625 entre Mahomet et les moines chrétiens du monastère Sainte-Catherine du Sinaï en Égypte et déposée dans leur monastère. Ce serait un Firman attribué à Mahomet[2], appelé aussi « Pacte du prophète Mahomet avec les moines du mont Sinaï ». Son authenticité est incertaine. Plusieurs versions existent, avec des traductions diverses; une version longue a été traduite en latin en 1630. Les documents conservés ou exposés sont considérés comme des faux tardifs postérieurs au IXe siècle.

Monastère Sainte-Catherine du Sinaï

Étymologie

Āshtīnāmeh est un mot persan signifiant « Livre de Paix », utilisé pour un traité ou un contrat.[réf. nécessaire]

Traductions

Une version longue a été trouvée au Monastère du Mont Carmel, elle a été traduite en anglais par Paul Rycaut, ambassadeur de Charles II à Constantinople, puis ce texte anglais a été traduit en français par Pierre Briot (1670). Dans cette traduction, l'Ashtiname est datée du « dernier jour de la lune du quatrième mois, la quatrième année de l'hégire », à Médine, soit du 8 octobre 625.

Une édition de 1630, Testamentum et pactiones initae inter Mohamedem et christianae fidei cultores[3] en avait préalablement publié une traduction en latin, avec en ajout la forme originale en arabe, en un opuscule de 35 pages traduit par Gabriele Sionita. Il représente une alliance conclue entre le prophète Mahomet et les chrétiens du monde. Ce n'est pas une copie de l' Ashtiname.

Des traductions plus contemporaines comme celle en anglais de Muqtedar Khan, Directeur des études Islamiques à l'Université du Delaware[4] ou celle en français publiée au XIXe siècle par le journal égyptien l'Union Islamique[5] sont aujourd'hui connues. Cette dernière a été publiée en 1898 par la Revue des études byzantines.

Ashtiname de Mahomet

Historicité et histoire

"La première mention explicite de cette convention au monastère se trouve chez le voyageur Jean Thenaud qui visite les lieux en 1512"[2]. Les origines de l' Ashtiname ont fait l'objet d'un certain nombre de traditions différentes, mieux connues à travers les récits des voyageurs européens qui ont visité le monastère. Ces auteurs comprennent le chevalier français Greffin Affagart (mort en 1557), l'explorateur français Jean de Thévenot (mort en 1667) et le prélat anglais Richard Peacocke lequel proposa une traduction anglaise du texte. La version présentée actuellement à Sainte-Catherine est une copie du XVIe siècle faite par un sultan ottoman[6]. Ce document est particulièrement mis en avant à l'époque ottomane où il est reconnu par le pouvoir[2].

Depuis le XIXe siècle, plusieurs aspects de l' Ashtiname, notamment la liste des témoins, ont été remis en question par des érudits. Les premiers doutes sur l’authenticité du document apparaissent dans les écrits de Jean-Louis Burckhardt[7] mais la démonstration de la falsification de ce document date de l'étude de Bernhard Moritz[8]. Le texte s'inspire d'une fausse lettre rédigée en 878 par des moines nestoriens du monastère de Dayr Qunna à la demande de convertis, les Banou Makhlad. Cette lettre, adressée aux chrétiens de Najran, est faussement attribuée à Mahomet[9]. Il existe des similitudes avec d'autres documents accordés à d'autres communautés religieuses au Proche-Orient. Son texte a, en effet, été réutilisé et recopié par de nombreux lieux de culte chrétiens en vue de se protéger[2].

Jean-Michel Mouton de l'École Pratique des Hautes-Études, associe ce document au récit de la venue de Mahomet au Monastère Sainte-Catherine, qu'il considère comme une légende élaborée par les moines au IXe siècle[10]. À propos du fonds d'archives de Sainte-Catherine, J.-M. Mouton affirme que « Les plus anciens documents sont théoriquement des décrets de protection du monastère accordés par Mahomet, prophète de l'islam aux moines de Sainte-Catherine. Cependant, ces documents datés de l'an II de l'hégire et où figure l'empreinte de la main du Prophère, sont des faux grossiers, rédigés sans doute dans les derniers siècles du Moyen Âge [...] » [11].

Pour Thierry Bianquis, Jean-Michel Mouton « met en évidence les nombreux anachronismes concernant ce document. L’utilité de documents forgés de cette nature, que l’on trouve ailleurs dans le monde musulman médiéval, vient de ce qu’ils permettent de faire apparaître concrètement un lien permanent de protection d’une part, et de soumission associée au versement d’une rente financière d’autre part, entre une institution indigène non musulmane et le pouvoir officiel musulman régional ou califal. Présenté à des bédouins ne sachant pas lire et totalement incapables de se poser le problème de l’authenticité d’un texte ancien, de son support et de l’écriture mise en œuvre, ce document conserve un pouvoir quasi-magique renforcé par l’empreinte de la « paume de Muḥammad » qu’il portait. »[12]

Interprétation, influence moderne

Pour John Andrew Morrow, l'Ashtiname a été "une source de vie pour les chrétiens et les musulmans depuis plus d’un millénaire et demi". J. A. Morrow est convaincu de l'authenticité d'une décision à son origine. Ne craignant pas la polémique, il affirme qu'il faudrait une combinaison dangereuse d’ignorance et d'arrogance pour qu'un chercheur rejette simplement ce document comme un faux face à son "illustre lignée de transmission"[13]. Il ajoute que c'est un fait indéniable que de nombreuses figures historiques l'ont suivi, et que Napoléon Bonaparte aurait signé de son nom une version du document, montrant qu'il l'approuvait.

Pour Muqtedar Khan, un de ses traducteurs contemporains, « Ceux qui cherchent à favoriser la discorde entre musulmans et chrétiens se concentrent sur les problèmes qui divisent et soulignent les zones de conflit. Mais lorsque des ressources telles que la promesse de Mahomet aux chrétiens sont invoquées et mises en évidence, cela crée des ponts. Elle inspire les musulmans à s'élever au-dessus de l'intolérance communautaire et engendre la bonne volonté chez les chrétiens qui pourraient nourrir une peur de l'islam ou des musulmans. »[14]

Notes et références

  1. Égypte: le guide des civilisations égyptiennes, des pharaons à l'Islam; De Hervé Beaumont, p. 593, Éditions Marcus, 2001, https://books.google.ca/books?id=KWMEtj8j19EC&pg=PA593&lpg=PA593&dq=achtinam%C3%A9&source=bl&ots=64xcG31D_3&sig=N92BPY7nlCIYGNZvAlK5pPDSGXA&hl=fr&sa=X&ved=0ahUKEwiWuO2xyqTbAhWOrVkKHacwAc8Q6AEILjAB#v=onepage&q=achtinam%C3%A9&f=false
  2. Jean-Michel MOUTON – Andrei POPESCU-BELIS, La fondation du monastère Sainte-Catherine du Sinaï selon deux documents de sa bibliothèque: codex Arabe 692 et rouleau Arabe 955 , Collectanea Christiana Orientalia 2 (2005), pp. 141-205, voir http://www.uco.es/investiga/grupos/hum380/collectanea/sites/default/files/11.pdf
  3. (la + ar) « Testamentum et pactiones initae inter Mohamedem et christianae fidei cultores » (consulté le )
  4. (en) « Muhammad’s promise to Christians », sur www.onfaith.co/, (consulté le )
  5. L. -H.-D., « Décret de Mahomet relatif aux chrétiens », Échos d'Orient, vol. 1, no 6, , p. 170–171 (DOI 10.3406/rebyz.1898.3123, lire en ligne, consulté le )
  6. « La Sainte Cime » (consulté le )
  7. J.L. Burckhardt, Travels in Syria…, II, pp. 546-547
  8. B. Moritz Beiträge zur Geschichte des Sinai-Klosters im Mittelalter nach arabischen Quellen, Berlin, 1918, pp. 11- 20
  9. Louis Massignon, “La politique islamo-chrétienne des scribes nestoriens de Deir Qunna à la cour de Bagdad au IXe siècle de notre ère”, Opera Minora, Paris, 1969, I, pp. 250-257
  10. « Le Sinaï médiéval, entre christianisme et islam », sur www.clio.fr, (consulté le )
  11. Mouton, Jean-Michel, « Les documents d'archives de l'Orient musulman médiéval », Annuaires de l'École pratique des hautes études, vol. 137, no 20, (lire en ligne, consulté le )
  12. Bianquis, Thierry, « Mouton Jean-Michel, Le Sinaï médiéval. Un espace stratégique de l’islam, Paris, PUF, 2000, 217 p. », Revue des mondes musulmans et de la Méditerranée, nos 107-110, (ISSN 0997-1327, lire en ligne, consulté le )
  13. (en) « L'historicité de l'Alliance du Mont Sinaï », sur johnandrewmorrow.com, (consulté le )
  14. « Muhammad’s promise to Christians », sur www.onfaith.co, (consulté le )

Bibliographie

  • Lafontaine-Dosogne, Jacqueline. "Le Monastère du Sinaï: creuset de culture chrétienne (Xe – XIIIe siècle)." In East and West in the Crusader states. Context – Contacts – Confrontations. Acta of the congress held at Hernen Castle in May 1993", ed. Krijnie Ciggaar, Adelbert Davids, Herman Teule. Vol 1. Louvain: Peeters, 1996. pp. 103–129.
  • Jean-Michel Mouton – Andrei Popescu-Belis, "La fondation du monastère Sainte Catherine du Sinaï selon deux documents de sa bibliothèque: codex Arabe 692 et rouleau Arabe 955", Collectanea Christiana Orientalia 2 (2005), pp. 141-205
  • Ahmed El-Wakil, "The Prophet's Treaty with the Christians of Najran : an Analytical Study to Determine the Authenticity of the Covenant", Journal of Islamic Studies 27:3, 2016, p. 273–354.
  • John Andrew Morrow (Dir), Islam and the People of the Book, Volumes 1-3: Critical Studies on the Covenants of the Prophet, Cambridge Scholars Publishing, 2017, 1782 p., (ISBN 978-1527503199)

Articles connexes

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