Archéologie du genre

L'archéologie du genre (Gender archaeology) est une méthode d'étude des sociétés du passé qui examine, par le biais de leur culture matérielle, la construction sociale des identités genrées et des relations humaines entre les sexes. Elle s'inscrit dans le champ disciplinaire plus vaste de l'anthropologie féministe.

Tombe de la princesse de Vix, cas emblématique étudié par l'archéologie du genre.

Théorie

L'archéologie du genre en elle-même se fonde sur deux aspects : la critique du déterminisme biologique et l’analyse des rapports de pouvoir entre les sexes.

Le premier aspect fait référence à l'idée que, même si presque tous les individus possèdent dès la naissance un sexe biologique (généralement de sexe masculin ou féminin, mais aussi intersexes), il n'y a rien de naturel dans le genre, qui est, en fait, une construction sociale variable selon les cultures et les périodes.

Quant au second aspect, l’analyse des rapports de pouvoir entre les sexes, il est exploré dans le cadre de recherches sur les différentes formes de pouvoir et d'autorité préservées dans les vestiges matériels et humains, même si elles ne sont pas toujours immédiatement apparentes et sont souvent ouvertes à l'interprétation. Les archéologues qui travaillent sur ces thèmes centrent également leur attention sur les relations entre les détenteurs du pouvoir et des groupes sociaux (familiaux mais également de classes, âges et religions différentes).

L'archéologue Bruce Trigger a noté que l'archéologie du genre se distingue des autres variantes de la discipline qui se sont développées en parallèle à la même période (vers 1980), telle que l'archéologie de la classe ouvrière ou l'archéologie publique, parce « qu'au lieu de simplement représenter un autre objet de la recherche, l'archéologie du genre s'est imposée comme une partie nécessaire et intégrante à toutes les autres archéologies ».1

Histoire

Dans le prolongement des mouvements féministes dits de la 2e vague, l'archéologie du genre s'est développée au début des années 1980 au sein de la communauté archéologique anglophone. Margaret Conkey et Janet D. Spector (1984) sont considérées comme les premières dans le monde anglophone à appliquer les approches, idées et théories féministes à la théorie et la pratique archéologiques[1],[2]. Cependant, dans les pays scandinaves, et plus précisément la Norvège, des archéologues telles que Liv Helga Dommasnes avaient déjà commencé au début des années 1970 à étudier les relations entre les sexes à la fois au sein de la (pré)histoire et de la profession elle-même[3]. Cela aboutit alors en 1979 à la mise en place d'un workshop intitulé « Were they all men ? » organisé par la Norwegian Archaeological Association et à la création d'un journal pour les études féministes et de genre en archéologie « K. A. N. Kvinner je Arkeologi i Norge » [trad. Les femmes dans l'archéologie en Norvège] qui a publié des articles à partir de 1985 jusqu'en 2005[4],[5].

Critique

Certains archéologues ont ouvertement critiqué l'archéologie du genre. L'un d'eux est Paul Bahn (en) qui, en 1992, publie un communiqué déclarant que :

« La dernière épidémie — qui a une grande ressemblance avec les bons vieux jours de la Archéologie processuelle (au départ une raquette pour les garçons) — est l'archéologie du genre, qui est en fait une archéologie féministe (une nouvelle raquette pour les filles). Oui, les gens, nos sœurs ont pris les choses en mains… Pas un mois ne se passe sans une autre conférence sur « l'archéologie du genre », qui se tiendra quelque part, avec une foule de femmes archéologues (plus quelques courageux ou des hommes à la mode qui aspirent au politiquement correct). Certains de ses objectifs sont louables, mais le train ne devrait pas être autorisé à rouler trop loin, comme ce fut le cas pour la nouvelle archéologie, avant que le manque de vêtements des impératrices ne soit souligné par d'allègres cyniques[6]. »

L'archéologie du genre et l'approche interculturelle

Il a été postulé que le genre résulte d'un processus social, alors que le sexe est biologiquement déterminé et statique (Claassen 1992 ; Gilchrist 1991 ; Nelson 1997).

Pour certains archéologues cependant, le sexe n'est pas « la base sur laquelle la culture élabore le genre » (Morris 1995, p. 568-569). En 1992, Claassen indique (p. 4) que « des biais ont été identifiés parmi les méthodes utilisées dans l'identification du sexe des squelettes... Quand un sexe est assigné a postériori à un squelette de sexe inconnu, c'est un acte culturel », démontrant ainsi que la pratique archéologique en elle-même est soumise à des biais culturels.

Ces postulats théoriques rendent dès lors inappropriées les méthodes anthropologiques de détermination du sexe des restes humains employées jusqu'alors en Occident étant donné que dans les études interculturelles, les anthropologues n'utilisent pas, d'un pays à l'autre, les mêmes caractéristiques physiques pour déterminer le sexe d'une personne.

Cette approche, induisant que le sexe n'est pas un concept applicable à l'ensemble des cultures (« cross-cultural concept ») mais est en général culturellement assigné, a été par la suite ébranlée par l'application à grande échelle de l'analyse ADN de restes humains. Cela étant, les conclusions tirées de ces travaux effectués par les archéologues occidentaux seraient néanmoins biaisées par leurs influences culturelles et conceptions du sexe, de la biologie et de l'ADN.

Les archéologues utilisent à présent des types de données plus variés et intègrent dans leurs analyses et interprétations d'autres aspects de la collecte des données que celles qu'ils n'employaient pas auparavant, dans l'espoir que l'analyse de la culture matérielle et les études ethnographiques des sociétés passées fourniront une image plus claire du/des rôle(s) que le genre a joué/joue au sein de ces sociétés. Par exemple, les études de genre ont souvent analysé les sociétés à travers le prisme de l'opposition mâle/femelle (Gilchrist 1991 ; Leick 2003). Cependant, de récents travaux sur le terrain ont remis en question cette dichotomie masculin-féminin en élargissant les catégories pour inclure un troisième ou quatrième genre dans certaines sociétés non-occidentales (Herdt 1994 ; Hollimon 1997). D'autres études sur la culture matérielle élargissent également à présent leur domaine de recherche en y incluant les objets, les activités et l'organisation spatiale dans le paysage (Nelson 1997).

Notes et références

  1. Is the archaeology of gender necessarily a feminist archaeology?
  2. Hays-Gilpin, 2000:92.
  3. Marie Louise Stig Sørensen, Gender Archaeology, Cambridge, Polity Press,
  4. Pamela L. Geller, « Identity and Difference:Complicating Gender in Archaeology », Annu. Rev. Anthropol., vol. 38, , p. 65–81
  5. Ericka Engelstad, « Gender, feminism, and sexuality in archaeological studies », International encyclopedia of the social & behavioral sciences, , p. 6002–6006
  6. Bahn 1992. p. 321.

Bibliographie

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  • Trigger B. G., 2007. History of Archaeological Thought, 2e édition, New-York : Cambridge University Press.
  • Wright, R.P., 1996. Gender and Archaeology. Philadelphia: University of Pennsylvania Press.

Voir aussi

Articles connexes

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