Algérianisme
L’algérianisme est un mouvement intellectuel et culturel né en Algérie, dans la première moitié du XXe siècle.
Contexte et nom du mouvement
Algérie et contexte du mouvement
Le terme « algérianisme » est dérivé du nom « Algérie », lequel provient du nom d'Alger, issu du catalan Aldjère[1].
Le nom de l'Algérie évolue de la manière suivante : Régence d'Alger (1516-1830), « Possessions françaises du Nord de l'Afrique » (1830-1839), puis « Algérie » (à partir du , par décret du roi Louis-Philippe).
Entre 1860 et 1900, le solde migratoire de l'Algérie reste élevé, du fait du maintien des migrations européennes. Un enjeu de l'algérianisme est la manière dont ces nouveaux habitants se nomment et se considèrent.
Algériens
Le vocable « algérien » découle du nom Algérie. Non reconnu par les autorités pendant ses premiers emplois, il devient rapidement un terme d'usage. Les français arrivés en Algérie se désignent ainsi par conscience identitaire.[réf. nécessaire] Sans en avoir conscience, ils préfigurent ainsi la réflexion de l'algérianisme sur l'identité algérienne.
Le terme d'Algérien, sans connotation politique, témoigne de sentiments personnels.[réf. nécessaire] Le territoire est à la fois ressenti comme neuf et comme ancien du fait de son histoire. Le thème de la nouveauté du peuple algérien est présent dans l'algérianisme. Le terme "algérien" traduit l'assimilation des Espagnols, Italiens (Siciliens et Sardes), Maltais, Grecs et Levantins. Les israélites (ayant le statut de dhimmi) vivent en Algérie depuis plusieurs siècles. En 1870, ils deviennent citoyens français par le décret Crémieux. Les indigènes ne sont alors pas nommés « Algérien »[réf. nécessaire].
Entre le XIXe et le XXe siècles, le progrès social, technique, scientifique, artistique et humain français profite à certains algériens.[réf. nécessaire] Des infrastructures sont construites[2]. Des médecins[3] et des enseignants[4] exercent en Algérie. Des archéologues et explorateurs (terme d'époque) arrivent également.
Algérianistes et origine du mouvement
L'Algérie possède un patrimoine antique[5],[6], tout en étant considérée comme ville nouvelle.
Les origines du mouvement remontent aux années 1900. La première occurrence de l'adjectif dérivé « algérianiste » date de 1911, dans Les Algérianistes[7], écrit par l'algérois Robert Arnaud, né en 1873 d'une famille de colons. Son premier roman « algérien » intitulé Les Colons, publié en 1907, peut être considéré comme précurseur du mouvement. Ce livre reflète la conception de l'auteur, progressiste et tournée vers l'avenir.
Ce roman est préfacé par Marius Ary-Leblond. « C’est le premier essai de la constitution d’une mentalité algérienne, consciente de sa composition, volontaire, et raffinée »[8] en est une citation. La question de l'identité algérienne et de son indépendance par rapport à l'identité européenne est posée.
Algérianisme et fondation du mouvement
Les écrivains Robert Randau et Jean Pomier font une rencontre amicale. Jean Pomier, né à Toulouse en 1886, emploie le premier le terme « algérianisme » et est considéré comme fondateur du mouvement : il fonde en 1921 l’Association des écrivains algériens ainsi que la revue littéraire Afrique.
En 1921, dans son Anthologie de treize poètes africains ("africains" signifiant ici "algériens"), Robert Randau définit l'algérianisme. Cet écrit peut être considéré comme un manifeste. Le peuple algérien est qualifié de « peuple franco-berbère ». L'influence de la religion diminue alors. Pour Randau et ses amis, ce futur peuple franco-berbère « sera de langue et de civilisation françaises ».
Orientalisme, régionalisme et passéisme dans le mouvement
Question de l'orientalisme
En peinture et surtout en littérature, une nouvelle culture se crée.
Depuis 1830, des écrivains visitent Alger[9], notamment Théophile Gautier (en 1845 et 1862) et Ernest Feydeau l'été 1866. Dans son ouvrage une année dans le Sahel, publié en 1859, Eugène Fromentin évoque Alger ; dans au soleil (1884), Maupassant décrit la ville dans la nouvelle Mohammed-Fripouille qui s'y situe. Il en fait ressortir le charme, faisant dire à un personnage : "Quel pays, mon cher! Comme la vie y est douce! Comme le repos y a quelque chose de particulier, de délicieux! Comme ces nuits-là sont faites pour rêver!".
Alger connaît alors l'esprit orientaliste. Pourtant, cet orientalisme exotique est jugé superficiel par Jean Pomier, qui dénonce la "triade du palmier, de la mouquère et du chameau"[10]. Les algérianistes s'opposent à une vision de l'Algérie stéréotypée produite par des écrivains et des artistes qui n'y vivent pas et qui reprennent des poncifs orientalistes[11].
Question du régionalisme
La progressive "constitution d'une mentalité algérienne" permet l'existence du mouvement en art et littérature. Les Colons paru en 1907, Les Algérianistes en 1911, Cassard le Berbère paru en 1926 et Diko, frère de la côte en 1929 sont perçus comme « romans de la patrie algérienne ».[Par qui ?]. Robert Randau réclame une « autonomie esthétique ». Se fondant sur la réalité d'un « peuple en formation », il écrit que «l’Homme est fonction des horizons qui l’entourent». Administrateur civil, Robert Randau fit l’essentiel de sa carrière en Afrique subsaharienne : il séjourne à Dakar et Tombouctou, ainsi qu’en Mauritanie saharienne. Son œuvre et son action, qui ne se limitent pas à l’Algérie, expliquent son surnom de « Kipling africain ».
Rapport au passé
L'écrivain Louis Bertrand, considéré comme précurseur de l'algérianisme, écrit notamment le Sang des races, Devant l’Islam et la série Pépète. En 1900, il quitte l'Algérie, se rend en France métropolitaine et intègre l'Académie française. Il développe la thèse d'une latinité retrouvée après des siècles obscurs, voyant dans la colonisation moderne une réminiscence d’un passé antique, exaltant « les générations mortes ».
Sans renier le passé romain des « Villes d’or[12] », les algérianistes se préoccupent de l'époque contemporaine.
Ainsi, la question du régionalisme, de l'orientalisme et du passéisme est secondaire dans les œuvres algérianistes.
Écrivains et oeuvres algérianistes
Robert Randau et Jean Pomier comptent parmi les écrivains algérianistes : dans Le Professeur Martin, petit bourgeois d'Alger, il montre la vie quotidienne à Alger. Auguste Robinet, dit Musette, écrit les aventures de Cagayous (qui mettent en scène le petit peuple de Bab el-Oued ; ses personnages parlent le pataouète, mélange de castillan, d'occitan, d'espagnol, d'italien et d'arabe). Lucienne Favre évoque la prostitution dans Madame Ahmed[13]. Randau et Abdelkader Fikri publient en 1933 Les Compagnons du jardin, où un aréopage représentatif débat de questions qui agitent la société algérienne. Louis Lecoq (né à Alger en 1885) et Charles Hagel (né en Algérie en 1882) écrivent ensemble le recueil de nouvelles Broumitche et le Kabyle. Paul Achard, auteur de L’Homme de mer, saga maltaise (1931), Charles Courtin qui écrivit La Brousse qui mangea l’homme (1929), et René Janon avec Hommes de peine et filles de joie (1936) comptent parmi les auteurs algérianistes. Laurent Ropa écrit le chant de la Noria en 1932.
La Seconde Guerre mondiale marque un tournant dans le mouvement, qui s'affaiblit. On peut considérer qu'il a marqué Gabriel Audisio, Albert Camus (Le Malentendu, l'Etranger, et surtout le premier Homme) et Emmanuel Robles. A Stockholm, en recevant son prix Nobel, Camus déclare : « C’est un Français d’Algérie que vous couronnez. » En 1961, Jean Brune publie Cette haine qui ressemble à l'amour.
La guerre de 1954-1962 provoque la fin du mouvement.
Notes et références
- L'appellation « Algérie » provient du nom de la ville d'Alger. Le nom « Alger » dériverait du catalan Aldjère, lui-même tiré de Djezaïr, nom donné par Bologhine ibn Ziri, fils du fondateur de la dynastie berbère des Zirides, lorsqu'il bâtit la ville en 960 sur les ruines de l'ancienne ville au nom romain Icosium, Djaza'ir Beni Mezghe)nna .
- Pierre Goinard, Algérie, l’œuvre française, Paris, Robert Laffont, (ISBN 978-2-221-04209-0, notice BnF no FRBNF34766770), « 12 "Mise en valeur et équipement" ».
- Pierre Goinard, Algérie, l'œuvre française, Paris, Robert Laffont, (ISBN 978-2-221-04209-0, notice BnF no FRBNF34766770), « 13 "La médecine" ».
- Pierre Goinard, Algérie, l’œuvre française, Paris, Robert Laffont, (ISBN 978-2-221-04209-0, notice BnF no FRBNF34766770), « 14 "L’enseignement" ».
- Gilbert Charles-Picard, La Civilisation de l’Afrique romaine, Plon,
- Eugène Albertini, L’Afrique romaine, Imprimerie OFFICIELLE,
- Robert RANDAU, Les Algérianistes, Tchou éditeur, coll. « L’Algérie heureuse », (ISBN 978-2-7107-0195-8).
- Robert RANDAU, Les Colons, Tchou éditeur, coll. « L’Algérie heureuse », (ISBN 978-2-7107-0172-9)
- collectif, Jean-Louis Planche, Jean-Jacques Jordi, Alger 1860-1939 : le modèle ambigu du triomphe collonial, coll. « Mémoires », , 236 p. (ISBN 978-2862608877), p.90, section a)les écrivains-voyageurs à Alger
- collectif, Jean-Louis Planche, Jean-Jacques Jordi, Alger 1860-1939 : le modèle ambigu du triomphe colonial, coll. « Mémoires », , 236 p. (ISBN 978-2862608877), p.94, section b)L'algérianisme
- Lucienne Martini & Jean-François Durand, Romanciers français d'Algérie, 1900-1950, suivi de Robert Randau, Paris/Pondichéry, Kailash, , 394 p. (ISBN 978-2-84268-172-2)
- Louis Bertrand, Les villes d’or, Arthème Fayard & Cie éditeurs, coll. « Le cycle africain »,
- collectif, Jean-Louis Planche, Jean-Jacques Jordi, Alger 1860-1939 : le modèle ambigu du triomphe collonial, coll. « Mémoires », , 236 p. (ISBN 978-2862608877), p. 94
Voir aussi
Bibliographie
- Jo Sohet, L'Algérianisme, éditions de l'atlanthrope, 1991, (ISBN 286442021X)
- Georges Fréris, L’Algérianisme, le mouvement du Méditerranéisme et la suite…, dans les Travaux de la Maison de l'Orient méditerranéen, Méditerranée : Ruptures et Continuités : Actes du colloque tenu à Nicosie les 20-, université Lumière-Lyon 2, université de Chypre, 2003, pp. 43-51
Liens externes
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