42 cm Gamma Mörser

Le 42 cm Gamma-Gerät est un obusier de siège allemand, développé entre 1906 et 1910. Produit à dix exemplaires, il a été utilisé pendant la Première Guerre mondiale, notamment lors des sièges de Maubeuge, d’Anvers et de Verdun, ainsi que pendant la Seconde Guerre mondiale, contre la ligne Maginot et les forteresses de Liège et Sébastopol. Privilégiant la puissance de feu par rapport à la mobilité, l’utilisation des Gamma-Gerät posa de nombreux problèmes logistiques qui mitigèrent son efficacité et lui firent souvent préférer le M-Gerät, ou Grosse Bertha.

42 cm kurze Marinekanone 12
Gamma-Gerät

Gamma-Gerät vue de côté
Caractéristiques de service
Type obusier lourd de siège
Service 1911-1918
1939-1942
Utilisateurs Empire allemand
 Reich allemand
Conflits Première Guerre mondiale
Seconde Guerre mondiale
Production
Concepteur Krupp AG
Artillerie-Prüfungskommission (APK)
Année de conception 1906-1910
Constructeur Krupp AG
Production 1910-1918
Exemplaires produits 10
Caractéristiques générales
Poids du canon et de l'affût 150 tonnes
Longueur du canon seul 6,7 mètres
Longueur en calibre L/16
Longueur du canon et de l'affût 13,5 mètres
Hauteur du canon et de l'affût 4,25 mètres
Support Affût fixe sur fondations
Calibre 420 mm
Cadence de tir 8 coups/heure
Vitesse initiale 440 m/s
Portée maximale 14 200 m
Munitions Lggr. 930/440, M-Granate
Alimentation manuelle
Hausse 43° à 66°
Azimut 23° de chaque côté
Servants 120

Historique

Contexte

Dans la deuxième moitié du XIXe siècle, l’artillerie et les fortifications entrèrent dans une phase d’évolution rapide, causée par les progrès technologiques. D’un côté, les pièces d’artillerie purent bénéficier de la généralisation du canon rayé, du chargement par la culasse, ainsi que des systèmes d’absorption de recul. Les munitions connurent également des évolutions considérables, avec l’invention de la poudre sans fumée et l’amélioration des fusées à retard. De l’autre côté et en réponse, les fortifications abandonnèrent le principe des grands forts au profit de ceintures fortifiées comprenant de nombreux petits ouvrages, tandis qu’au niveau architectural les maçonneries et les terrasses laissèrent place au béton armé et aux coupoles blindées[1].

Les Allemands délaissèrent cependant l’artillerie lourde après leur victoire lors de la guerre de 1870, lui préférant l’artillerie de campagne, et se contentèrent de conserver leurs anciens obusiers de 15 cm et de 21 cm. Ils réalisèrent toutefois à la fin des années 1880 que ces armes n’étaient plus en mesure de lutter contre les nouveaux forts français, belges et russes, ce qui plaçait l’Allemagne en danger d’être encerclée par une ceinture hermétique[2]. L’Artillerie-Prüfungskommission (APK), organisme supervisant le développement et la production de l’artillerie pour l’armée allemande, fut alors chargée de développer une gamme de pièces d’artillerie de siège, tâche pour laquelle un partenariat fut établi avec l’entreprise d’armement Krupp. Cette association donna naissance au 30,5 cm Beta-Gerät en 1893, mais celui-ci se révéla rapidement trop peu puissant et les Allemands se tournèrent alors vers les calibres supérieurs à 40 cm[3].

Développement et production

L’APK et Krupp commencèrent à développer le 42 cm kurze Marinekanone 12, dit Gamma-Gerät en 1906[4]. L’entreprise livra un premier prototype en , mais celui-ci fut refusé en raison de son échec au test de perforation de blindage : alors que la spécification stipulait que les obus devaient être en mesure de traverser une plaque d’acier de trente centimètres d’épaisseur, ils ne parvinrent qu’à la fracturer, sans pouvoir passer au travers. Ce défaut pu néanmoins être rapidement corrigé et le canon passa avec succès les tests en [5].

Malgré de fortes réserves d’une partie du commandement allemand en raison de la très faible mobilité de la pièce, et après de vifs échanges avec Krupp concernant le financement du développement, l’APK passa commande d’un premier exemplaire en 1910, puis d’un second en 1911. Deux furent encore commandés en et un dernier en juillet de la même année[5]. Cinq autres exemplaires furent produits pendant la guerre, ainsi que dix-huit tubes de rechange[6]. La conception de toutes les pièces était identique, mais certaines, notamment celles de la batterie « Hauptmann Becker », furent modifiées sur le terrain afin de les doter d’une casemate blindée, destinée à protéger les servants contre d’éventuels tirs de contre-batterie[7],[8].

Organisation

L’artillerie de siège était organisée différemment de l’artillerie de campagne. En effet, avant le déclenchement des hostilités, les batteries auxquelles elles étaient rattachées n’existaient que sur le papier et les équipages s’entraînaient individuellement et non en tant qu’unité. Ce n’est qu’au moment où l’ordre de mobilisation était émis que les batteries était réellement formées. Elles étaient alors assignées par l’Oberste Heeresleitung à une armée, sous forme d’unité indépendante, puis les armées elles-mêmes les assignaient à un corps d’armée[9].

Les batteries comprenant des Gamma-Gerät ou des M-Gerät étaient désignées par le terme KMK, pour kurze Marinekanone canon court de marine »), suivi d’un chiffre. Deux batteries de Gamma-Gerät furent formées au début de la guerre, KMK 1 et KMK 2, chacune comprenant deux pièces. Une nouvelle batterie, KMK 4, fut formée dès , mais celle-ci ne disposait que d’un seul canon. Il fallut attendre ensuite 1916 pour que trois nouvelles batteries soient crées au début de l’été : KMK 8, KMK 9 et KMK 11, les deux dernières ne comptant qu’un seul tube alors que la première en disposait de deux[10],[11].

Histoire opérationnelle

Coupole blindée du fort de Wavre-Sainte-Catherine détruite par un obus de 42 centimètre.

Les débuts du Gamma-Gerät, en , furent décevants : l’une des deux batteries, KMK 1, qui aurait dû participer au siège de Namur, ne put arriver sur place du fait des dommages subis par le réseau ferré[6], l’autre, KMK 2, qui participait à l’attaque sur le Fort Manonviller, fut contrainte de cesser le feu en raison de problèmes mécaniques après avoir tiré seulement cent cinquante-huit obus[12].

La batterie KMK 2 fut ensuite utilisée au siège de Maubeuge, contre les forts Leveau, Héronfontaine et Cerfontaine ; de conception ancienne en maçonnerie, ceux-ci ne résistèrent que quelques heures avant de se rendre ou d’être abandonnés. La batterie se déplaça ensuite à Anvers contre le fort Wavre-Sainte-Catherine, qui se rendit le après seulement deux jours de bombardement, pendant lesquels un obus pénétra notamment une coupole d’artillerie blindée de 30 cm d’épaisseur avant d’exploser à l’intérieur. Les tirs se concentrèrent ensuite sur le fort de Koningshooikt, dont la reddition fut presque immédiate[13],[14].

Au début de l’année 1915, KMK 1 fut envoyée sur le front de l’est, en Pologne, contre la forteresse d’Osowiec, où les canons arrivèrent le . L’artillerie de siège se révéla toutefois inefficace en raison de l’absence d’observateurs, l’obligeant à tirer à l’aveugle[15]. Les Gamma-Gerät participèrent plus tard au siège des forts de Kaunas, en Lituanie et ils furent également présent lors de la traversée du Danube, au début du mois d’, pendant laquelle KMK 1 endommagea le château de Smederevo[16].

Sur le front de l’ouest, KMK 1 fut utilisée en pour détruire le viaduc de Dannemarie, qui servait de ligne d’approvisionnement aux Français, mais l’engagement majeur des Gamma-Gerät fut Verdun, où pas moins de cinq pièces furent mises en batterie. Malgré cette concentration, le résultat du bombardement sur les forts de Douaumont, Vaux, Moulainville et Souville ne fut pas concluant : les obus détruisirent bien les petits ouvrages extérieurs, mais ne parvinrent pas à traverser l’épaisse cuirasse des forts principaux. Plus problématique, des munitions défectueuses endommagèrent trois Gamma-Gerät en explosant prématurément dans les tubes[17]. Par la suite, du fait de l’enlisement du front et de l’absence de cible adaptée, les Gamma-Gerät ne furent plus employés que dans des actions mineures et les difficultés logistiques associées à ces énormes canons firent que certaines batteries furent rééquipées avec des pièces plus légères[18].

À la fin de la guerre, Krupp parvint à dissimuler un Gamma-Gerät, qui fut remis en service au début de la Seconde Guerre mondiale contre la forteresse de Liège et la ligne Maginot. Il fut utilisé plus tard lors du siège de Sébastopol en 1942, en tant qu’unique pièce de la batterie 459 et avec pour cibles l’Ölberg et l’Eisenbahnberg, sur lesquels il tira cent quatre-vingt-huit obus. La pièce fut ensuite envoyée pour participer à l’attaque contre la base navale Kronstadt, mais elle ne fut finalement pas utilisée et repartit pour l’Allemagne où sa trace se perd[19],[20].

Caractéristiques

Transport et emplacement

Le transport de l’arme ne pouvait s’effectuer que par voie ferrée. Afin de faciliter la manutention et la mise en place, la pièce était divisée en sept éléments d’environ vingt-cinq tonnes chacun. Pour les mêmes raisons, les wagons de transport étaient chargés dans un ordre précis, afin de minimiser les manœuvres : le wagon de tête contenait le bois pour les fondations, le deuxième les rails pour le portique, puis le troisième le portique lui-même, venait ensuite les deux parties des fondations en acier, chacune dans un wagon, puis l’embase ; le septième wagon portait l’affût, le huitième le berceau du tube, qui se trouvait lui-même dans le wagon suivant, et enfin venait en dernier la plateforme et l’ascenseur à munition. Il y avait donc pour chaque pièce dix wagons, auxquels il faut encore ajouter ceux nécessaires au transport du personnel, des outils et des munitions. Une batterie typique comme KMK 1 comptant deux pièces, son convoi de transport comptait une quarantaine de wagon, sans compter ceux amenant le matériel destiné à la pose de la voie ferrée permettant d’accéder à l’emplacement[21].

La première étape de l’installation d’une batterie de Gamma-Gerät consistait à sélectionner un emplacement adapté : les positions situées dans une forêt ou derrière une colline étaient privilégiées, afin de rendre leur localisation plus difficile par les observateurs ennemis. Il y avait toutefois plusieurs facteurs limitant les choix possibles : tout d’abord, il fallait rester à proximité relative d’une voie ferrée, les pièces ne pouvant être amenées que par rail ; ensuite, ce type de canon devenant de plus en plus imprécis à mesure que la cible est éloignée, il était nécessaire de rester suffisamment proche de celle-ci[22]. Cette proximité avec la cible présentait toutefois l’inconvénient de mettre les canons à portée de possibles tirs de contre-batterie ; afin d’atténuer le risque de coup au but, les pièces d’une même batterie furent disposées à des distances de plus en plus importantes les unes des autres, parfois jusqu’à un kilomètre[23].

Une fois l’emplacement sélectionné, il fallait aménager une voie ferrée pour pouvoir amener le matériel sur le site, avec plusieurs voies parallèles et embranchement pour permettre de manœuvrer les wagons[21]. Ensuite, après avoir nettoyé si nécessaire la végétation, il fallait préparer les fondations en creusant une fosse de 2,25 m de profondeur, dont les parois étaient renforcées de bois et le fond garni de poutres de 50 cm de large boulonnées ensemble ; l’installation d’un portique de 25 tonnes complétait l’étape de préparation, avant le montage de la pièce à proprement parler. Celui-ci débutait par l’installation des fondations en acier, qui étaient en deux parties et posées sur les poutres au fond de la fosse, sur lesquelles était ensuite boulonnée l’embase, qui recevait le reste du canon, l’ascenseur à munition et la passerelle venant en dernier. Sans compter la pose des voies d’accès, l’installation prenait au moins une journée si toutes les conditions étaient favorables, ce qui arrivait rarement[7].

Munitions

Obus allemand de 42 cm.

Lors des premiers essais, le prototype du Gamma-Gerät utilisa des obus perforants de 1 160 kg. Un nouvel obus, dit Langgranate fut toutefois introduit en 1912. Bien que ne pesant que 930 kg, dont 100 kg d’explosif, il était plus efficace pour traverser le béton et affichait de bonnes performances balistiques avec une vitesse de sortie de bouche de 440 m/s pour une portée maximale d’environ 14,2 km[5]. Peu de temps après, à la fin de l’année 1912, un autre obus, initialement mis au point pour le M-Gerät, fut adopté : le Langgranaten L/3,6, généralement plus simplement appelé M-Granate. Il était encore plus léger, avec un poids total de 800 kg pour 144 kg d’explosif, mais aussi plus efficace pour traverser le béton[24].

Pendant la Seconde Guerre mondiale, le Gamma-Gerät fut doté d’un nouvel obus perforant en béton (42 cm Sprgr Be) pesant 1 003 kilogrammes, propulsé par quatre incréments de poudre, pesant au total 77,8 kilogrammes[25].

Servants

La force nominale d’une batterie KMK comptant deux pièces était de deux cent quarante hommes, dont six officiers, auxquels il faut encore ajouter les troupes du génie nécessaire à l’aménagement de l’emplacement de la batterie ainsi qu’une ou plusieurs sections d’infanterie opérant en tant que détachement de sécurité[9].

Références

  1. Romanych et Rupp 2013, p. 5.
  2. Romanych et Rupp 2013, p. 6.
  3. Romanych et Rupp 2013, p. 7-10.
  4. Romanych et Rupp 2013, p. 11.
  5. Taube 1981, p. 12.
  6. Romanych et Rupp 2013, p. 15.
  7. Romanych et Rupp 2013, p. 14.
  8. Taube 1981, p. 24.
  9. Romanych et Rupp 2013, p. 23.
  10. Ceux-ci furent toutefois remplacés par des Beta-M-Gerät en 1918.
  11. Romanych et Rupp 2013, p. 25.
  12. Romanych et Rupp 2013, p. 31.
  13. Romanych 2013, p. 35.
  14. Taube 1981, p. 22.
  15. Romanych et Rupp 2013, p. 37.
  16. Romanych et Rupp 2013, p. 42.
  17. Romanych et Rupp 2013, p. 44.
  18. Taube 1981, p. 27-28.
  19. Romanych et Rupp 2013, p. 47.
  20. Taube 1981, p. 104, 113, 120.
  21. Romanych et Rupp 2013, p. 12.
  22. Romanych et Rupp 2013, p. 23-24.
  23. Romanych et Rupp 2013, p. 24.
  24. Taube 1981, p. 19-20.
  25. Hogg 1997, p. 109, 112.

Annexes

Bibliographie

  • (en) Ian V. Hogg, German Artillery of World War Two, Londres, Greenhill Books, , 304 p. (ISBN 1-85367-480-X, lire en ligne).
  • (en) M. Romanych et M. Rupp, 42cm "Big Bertha" and German Siege Artillery of World War I, Londres, Osprey Publishing, (ISBN 978-1-78096-017-3).
  • (de) Gerhard Taube, Die schwersten Steilfeuer-Geschütze, 1914-1945 : Geheimwaffen "Dicke Berta" und "Karl", Stuttgart, Motorbuch Verlag, , 157 p. (ISBN 978-3-87943-811-2).

Articles connexes

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