Économie des régimes fascistes

L'économie des régimes fascistes fait référence aux politiques économiques instaurées par les régimes fascistes et par les évolutions économiques des pays dominés par ces régimes.

Benito Mussolini campé sur un tracteur, photo de propagande pour la bataille du blé.

Concept

Poser la question des politiques économiques des régimes fascistes soulève une première question, qui est celle de la singularité des politiques économiques fascistes. L'existence de telles singularités est débattue chez les historiens, les économistes et les politistes[1].

David Lewis Baker, de l'université de Warwick, soutient que le système économique fasciste est bien distinct des systèmes économiques inspirés d'autres idéologies du fait de caractéristiques singulières et inimitables par les autres systèmes[2]. Toutefois, les chercheurs Stanley Payne, Robert Paxton et Zeev Sternhell soulignent que les politiques économiques des régimes fascistes, si elles comportement des ressemblances entre elles, ne forment pas une branche indépendante des politiques économiques, ni encore une école de pensée économique[3],[4],[5].

D'autres chercheurs, tels Feldman et Mason, mettent en lumière une absence de cohérence de la pensée économique fasciste, qui prend des formes différentes et a recours à des canaux économiques divers[6].

Politiques économiques

Interventionnisme

Les régimes fascistes ont eu différentes positions au sujet de l'intervention de l'État dans l'économie.

L'Italie fasciste montre une absence de cohérence et de stabilité idéologique. Benito Mussolini, qui est nommé dans un contexte de tensions sociales et de peur d'une insurrection communiste, s'aligne sur le patronat italien et annonce un retrait complet de la puissance publique de l'économie. Il affirme peu après son arrivée au pouvoir que « le gouvernement [fasciste] assurera la liberté totale à l'entreprise privée et abandonnera toute intervention dans le secteur privé »[7]. Ainsi, de 1922 à 1925, le parti fasciste a une politique économique libérale : le ministre de l'économie, Alberto De Stefani, est un ancien ministre centriste libéral qui met en place une politique de laisser-faire, avec une libéralisation du commerce international et une réduction des impôts sur les plus riches[8]. Ces politiques de privatisation et de libéralisation, nouvelles, ont conduit certains économistes à analyser le néolibéralisme comme ayant des racines fascistes italiennes[9]. Lorsque le patronat exige l'abandon des politiques économiques libérales vers 1925, considérant que le retour à un protectionnisme permettrait de protéger l'Italie de la concurrence internationale grandissante, Mussolini obtempère : il remercie De Stefani en 1925, interdit les grèves, et déploie une politique protectionniste[10]. La rhétorique protectionniste permet d'affirmer, dans une optique propagandiste, la présence de l'Etat au sein de la vie sociale[11]. Malgré l'accroissement de l'intervention publique à la suite de la Grande Dépression, le gouvernement se félicite d'avoir sauvé l'économie sans avoir jamais empiété sur la propriété privée (« En Italie, grâce à l'action du gouvernement fasciste, la propriété privée a non seulement été sauvée, mais aussi renforcée »[7]). Le tournant idéologique en faveur de l'autarcie et d'un sur-protectionnisme a lieu à cette époque, favorisant un interventionnisme plus fort[7].

De manière similaire à l'Italie fasciste, l'Allemagne nazie perpétue dans les premières années du régime les politiques des gouvernements précédents. Hitler nomme au ministère de l’Économie Hjalmar Schacht, un centriste libéral qui, comme beaucoup de ses collègues, s'est converti au keynésianisme. Il met en œuvre une politique de relance budgétaire par la dépense en infrastructure et en commandes publiques.

Privatisations

L'économie fasciste et l'économie nazie sont des économies de privatisations. Les biens publics sont revendus massivement. Les nazis et les fascistes sont à ce titre à contre-courant des régimes républicains-démocratiques[12].

Propriété privée

Le fascisme italien a une attitude ambiguë envers la propriété privée, qui évolue avec le temps. Mussolini se félicite d'avoir sauvé l'économie sans avoir jamais empiété sur la propriété privée après 1929, et de l'avoir en plus renforcée[7], mais vante également en 1934 que les trois quarts de l'économie italienne est « entre les mains de l’État »[7].

Le nazisme se montre en faveur de la propriété privée, tout en adoptant une position ambiguë. Adolf Hitler affirme en privé, en 1942 : « J'insiste absolument sur la protection de la propriété privée », et ajoute qu'« il faut encourager l'initiative individuelle »[13] ; toutefois, il se montre favorable à l'annulation de la propriété privée dès lors que le gouvernement l'exige[14].

Politique monétaire

Les politiques monétaires fascistes ne semblent pas s'inscrire dans une différence radicale vis-à-vis des politiques monétaires des pays républicains-démocratiques. Lorsque l'inflation frappe l'Italie au milieu des années 1920, Mussolini ordonne une politique monétaire restrictive ; celle-ci fait tomber l'économie de la péninsule dans une situation de déflation[10]. Hitler mène une politique monétaire principalement expansionniste afin de contrecarrer les effets de la déflation qui menace l'Allemagne[15].

Filiation théorique

Les régimes fascistes ont, pour certains, affirmé une filiation théorique avec des penseurs de l'économie. Mussolini se montre alors favorable au keynésianisme, regrettant toutefois que son créateur ait été de gauche[16]. Hitler, de son côté, a dit que « la caractéristique fondamentale de notre théorie économique est que nous n'avons pas de théorie du tout »[17]. Il a insisté pour expliquer que le terme de socialiste dans le nom du parti ne se réfère à aucune théorie socialiste, mais témoigne de la volonté de créer une révolution sociale[18].

Notes et références

  1. Ivan T. Berend, Histoire économique de l'Europe du XXe siècle: Economic Regimes from Laissez-Faire to Globalization, De Boeck Supérieur, (ISBN 978-2-8041-5874-3, lire en ligne)
  2. (en) David Lewis Baker, « The political economy of fascism: Myth or reality, or myth and reality? », New Political Economy, vol. 11, no 2, , p. 227-250 (lire en ligne)
  3. (en) Stanley G. Payne, A History of Fascism : 1914-1945, Taylor & Francis Group, , 613 p. (présentation en ligne)
  4. (en) Robert O. Paxton, The Anatomy of Fascism, New York, Alfred A. Knopf, , 321 p. (présentation en ligne)
  5. (en) Zeev Sternhell, Mario Sznajder et Maia Asheri (trad. David Maisel), The Birth of Fascist Ideology, Princeton, Princeton University Press, , 338 p. (présentation en ligne, lire en ligne)
  6. (en) Daniel Woodley, Fascism and Political Theory, Routlede, (ISBN 978-0-415-47354-5), p. 161
  7. Carl T. Schmidt, "The corporate state in action; Italy under fascism", Oxford University Press, 1939. pp. 115
  8. (en) Germa Bel i Queralt, From Public to Private: Privatization in 1920's Fascist Italy, European University Institute, (lire en ligne)
  9. (en) Andrea Micocci et Flavia Di Mario, The Fascist Nature of Neoliberalism, Routledge, (ISBN 978-1-351-25118-1, lire en ligne)
  10. Adrian Lyttelton (editor), "Liberal and fascist Italy, 1900-1945", Oxford University Press, 2002. pp. 75
  11. (en) Simonetta Falasca-Zamponi, The Aestheticization of Politics a Study of Power in Mussonlini's Fascist Italy, University of California, Berkeley, (lire en ligne)
  12. Germà Bel (13 November 2004). "Against the mainstream: Nazi privatization in 1930s Germany" (PDF). University of Barcelona. IREA. Retrieved 30 March 2014
  13. "Hitler's Secret Conversations." Translated by Norman Cameron and R.H. Stevens. Farrar, Straus and Young, Inc. 1953. p. 294
  14. Richard Allen Epstein, Principles for a Free Society: Reconciling Individual Liberty With the Common Good, De Capo Press 2002, p. 168
  15. (en) John Komlos et Scott McNeil Eddie, Selected Cliometric Studies on German Economic History: Edited by John Komlos and Scott Eddie, Franz Steiner Verlag, (ISBN 978-3-515-06899-4, lire en ligne)
  16. James Strachey Barnes, Universal Aspects of Fascism, Williams and Norgate, London: UK, 1928, pp. 113-114
  17. Hans-Joachim Braun, "The German Economy in the Twentieth Century", Routledge, 1990, p. 78
  18. Konrad Heiden, "A History of National Socialism", vol. 2, New York: NY, Rutledge, 2010, p. 85. First published in 1934

Voir aussi

Articles connexes

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