A Scene from Undine, Daniel Maclise (1843).

Le regard désigne au sens propre le mouvement ou la direction des yeux vers un objet et, par métaphore, la capacité intellectuelle d'un individu à appréhender une situation.

Littérature

Marie d'Agoult

Nélida rouvrit les yeux, et, recouvrant tout à coup ses esprits, elle s'arracha des bras de Guermann qui n'essaya pas de la retenir, tant le regard qu'elle lui jeta commandait le respect
  • Nélida (1866), Marie d'Agoult, éd. Calmann-Lévy, 2010  (ISBN 978-2-7021-4127-4), partie Troisième partie, chap. XIV, p. 183

André Breton

Je songe à celle que Picasso a peinte il y a trente ans, dont d'innombrables répliques se croisent à Santa Cruz d'un trottoir à l'autre, en toilettes sombres, à ce regard ardent qui se dérobe pour se ranimer sans cesse ailleurs comme un feu courant sur la neige. La pierre incandescente de l'inconscient sexuel, départicularisée au possible, tenue à l'abri de toute idée de possession immédiate, se reconstitue à cette profondeur comme à nulle autre.
  • L'Amour fou, André Breton, éd. Gallimard, 1976  (ISBN 978-2070367238), p. 99 (voir la fiche de référence de l'œuvre)
Mieux vaudrait pour elles éviter la curiosité des lèvres, si elles succombent à la tentation des ponts jetés sur les regards (je vais les tracer).
  • Poisson soluble (1924), André Breton, éd. Gallimard, coll. « Poésie », 1996  (ISBN 2-07-032917-8), partie 18, p. 77
Ses regards étaient des serpentins verts et bleus au milieu desquels, mais continuellement brisé, spiralait même un serpentin blanc, comme une faveur spéciale qui m'eû été réservée.
  • Poisson soluble (1924), André Breton, éd. Gallimard, coll. « Poésie », 1996  (ISBN 2-07-032917-8), partie 18, p. 79
Nous prîmes congé de lui le matin, d'un simple regard qui signifiait à la fois que nous n'appartenions plus à la vie et que, si nous revenions jamais de notre nouvel état, ce serait à la façon des sourciers pour toucher le ciel de notre baguette de foudre.
  • Poisson soluble (1924), André Breton, éd. Gallimard, coll. « Poésie », 1996  (ISBN 2-07-032917-8), partie 26, p. 101

Pierre Choderlos de Laclos

Voulez-vous donner plus de tendresse à vos regards ? Exercez la sensibilité de votre âme. Voulez-vous accroître leur vivacité ? Cultivez votre esprit, augmentez le nombre de vos idées ; en vain la nature vous aura accordé de beaux yeux, si votre âme est froide, si votre esprit est vide, votre regard sera nul et muet.
  • Traité sur l'éducation des femmes précédé (1903), Pierre Choderlos de Laclos, éd. Pocket, coll. « Agora », 2009  (ISBN 978-2-266-18855-5), partie Des femmes et de leur éducation, chap. XII. De la parure, p. 103

Robert Desnos

Louise Lame et Corsaire Sanglot considérèrent avec respect, eux qui n’avaient que peu de choses à respecter en raison de leur valeur morale, ces reliefs d’une aventure qui aurait pu être la leur. Puis, après une lutte de regards, ils se déshabillèrent.
  • La liberté ou l'amour ! (1927), Robert Desnos, éd. Gallimard, coll. « L'Imaginaire », 1962  (ISBN 978-2-07-027695-0), III. Tout ce qu'on voit est d'or, p. 27

Renée Dunan

Ly, obstinée en des regards possessifs ;

Idèle, affaissée comme une favorite et portant une inquiétude en ses yeux glauques ;

Kate, trop mince et garçonnière, avec un col courbe et des pupilles traînantes
  • La Culotte en jersey de soi (1923), Renée Dunan, éd. Le Cercle Poche, 2011  (ISBN 978-2-84714-152-8), p. 17

Paul Éluard

Comme le jour dépend de l'innocence
Le monde entier dépend de tes yeux purs
Et tout mon sang coule dans leurs regards.

  • Capitale de la douleur suivi de L'amour la poésie (1926), Paul Éluard, éd. Gallimard, coll. « Poésie », 1966  (ISBN 978-2-07-030095-2), partie Nouveaux poèmes, La courbe de tes yeux, p. 139

André Pieyre de Mandiargues

Par l'allure et par le maintien elle n'a rien d'une femme galante, mais ses grands yeux marron ont lancé sur Sigismond un regard leste (« furtif », se dit-il qu'aurait dit le pédant cousin)

Guy de Maupassant

Entrez dans les vieux palais de Gênes, vous y verrez une succession de cours d'honneur à galeries et à colonnades et d'escaliers de marbre incroyablement beaux, tous différemment dessinés et conçus par de vrais artistes, pour des hommes au regard instruit et difficile.
  • La Vie errante, Guy de Maupassant, éd. P. Ollendorff, 1890, La Côte italienne, p. 35

Joyce Mansour

L'enfant chassa de son ombre les derniers filaments de nuit et posséda tout à la fois le ciel, la forêt, le village, le soleil, l'insecte qui mordillait son orteil, la flaque d'eau boueuse où s'attardait un cochon (qu'il absorba par osmose hâtivement, en passant) bref, tout ce qui l'entourait, plus l'air à perte de vue, d'un seul regard inflexible.
  • « Dolman le maléfique », Joyce Mansour, La Brèche, nº 1, Octobre 1961, p. 48
De son regard scintillant il perçait les formes rondelettes, souillait les claires tuniques, caressait les plaies et cela aussi longtemps que le supportaient ses nerfs, sans procéder au moindre échange de sang, sans même se soucier de l'ablation de l'hymen, jusqu'à ce que sa victime s'égare totalement, tremble devant lui et se convulse, nue, avide de se laisser dévorer par ces yeux infatigables.
  • « Dolman le maléfique », Joyce Mansour, La Brèche, nº 1, Octobre 1961, p. 48

Renée Vivien

. Ses paupières frémirent avant de se clore sur la volupté de son regard.
  • La Dame à la Louve, Renée Vivien, éd. Alphonse Lemaire, 1904, Blanche comme l'Ecume, p. 207

Virginia Woolf

Ils sont protégés, dit Rhoda, des doigts trop curieux et des yeux inquisiteurs. Avec quelle facilité ils se retournent et regardent ; comme ils prennent des poses énergiques et orgueilleuses ! Quelle vie brille dans les yeux de Jinny ; comme le regard de Susan est farouche, entier, cherchant les insectes dans les racines ! Ils ont les cheveux brillants et lustrés. Leurs yeux luisent comme ceux des bêtes qui suivent dans le feuillage une proie à la trace. Le cercle est détruit. Nous sommes brutalement séparés.
  • Les Vagues (1931), Virginia Woolf (trad. Michel Cusin), éd. Gallimard, 2012  (ISBN 978-2-07-044168-6), p. 190

Psychologie et Psychanalyse

Alberto Eiguer

En règle générale, les pervers souhaitent garder leur emprise sur l'autre. S'ils n'y parviennent pas, ils ont tendance à se replier sur eux-mêmes. C'est le cas des perversions solitaires, celles qui surévaluent la vue et le regard les déviant de leur fonction habituelle, l'exhibitionnisme et le voyeurisme, ou celles qui entretiennent le culte de l'apparence, comme le fétichisme.
  • Psychanalyse du libertin, Alberto Eiguer, éd. Dunod, coll. « Psychismes », 2010  (ISBN 978-2-10-054958-0), partie I. Libertinage, le plaisir et la joie, chap. Les libertins sont-ils des pervers ?, Liens équivoques ?, p. 30

Paul-Claude Racamier

Méduse est une anti-mère, (...) Et ce regard : au contraire d'un regard où l'enfant peut se regarder et se voir ; d'un regard qui embrasse l'enfant comme une totalité ; d'un regard où l'on entre et par où l'enfant peut faire entrer ses émois ; d'un regard, enfin, qui admire, c'est un regard adverse, un regard dardé, un regard qui pénètre, attaque, aveugle, fige et pétrifie : le regard de la disqualification, qui mortifie la vie psychique.
  • Les Schizophrènes (1980), Paul-Claude Racamier, éd. Payot & Rivages, coll. « Petite bibliothèque Payot », 2001, partie Préambule et divertimento, Persée en paradoxie, p. 30 2001 (ISBN 978-2-228-89427-2),

Sociologie. Ethnologie

Nicolas Bouvier

Lorsqu'on a affaire aux Kurdes : ne jamais détourner son regard. Ils ont besoin de ce contact. Le regard c'est leur manière de peser l'interlocuteur et de trouver le joint. En parlant ils ne le quittent pas des yeux et entendent qu’il en fasse autant
  • Mahabad (zone Kurde). Iran.1951
  • Œuvres, Nicolas Bouvier, éd. Gallimard, 2004  (ISBN 9 782070 770946), partie L’usage du monde, p. 230
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