Paul-Claude Racamier, né en 1924 dans le Doubs, mort en 1996, fut un médecin psychiatre et psychanalyste français.

Citations propres à l'auteur

Les Schizophrènes, 1980

Préambule et divertimento

Autant savons-nous que le schizophrène combat le réel et l'objet à coups de hache et de laser, autant, plus que quiconque au monde, je soutiens que le schizophrène combat pour le réel, pour l'objet, pour la pensée et pour le Je. C'est pourquoi d'ailleurs il nous en apprend tellement à ce sujet. Il y a bien sûr un enseignement universel à tirer de l'expérience psychanalytique avec les schizophrènes. Autant qu'ils le sachent : ce n'est pas seulement pour eux que l'excursion schizophrénienne m'intéresse, et peut-être l'aurais-je trouvée trop ardue, n'était ce qu'elle nous apprend sur la psyché tout entière.
  • Les Schizophrènes (1980), Paul-Claude Racamier, éd. Payot & Rivages, coll. « Petite bibliothèque Payot », 2001  (ISBN 978-2-228-89427-2), partie Préambule et divertimento, Souvenir 58-78, p. 13

[...] l'idée du moi est, à mes yeux, l'héritière du conflit que j'appelle originaireconflit entre la préservation narcissique autarcique et l'aspiration objectale antinarcissique. De même que le surmoi est l'héritier du complexe d'Œdipe, pourvu que celui-ci ait été abordé et résolu, de même l'idée du moi est héritière du conflit originaire, si celui-ci a été abordé et résolu.
Là où je veux en venir avec l'idée du moi, c'est à montrer qu'elle constitue l'axe discret sur lequel se rencontrent et se différencient l'image de l'autre et l'image de soi. L'idée du moi fera que jamais ces deux images ne pourront tout à fait ni s'écarteler ni se confondre. Elle demeurera comme un support discret mais essentiel du sens de la réalité psychique de l'objet et de soi-même. Or, c'est cette idée du moi, ce sens du moi, cette image de l'humain, qui se trouve désinvestie à l'origine des éruptions psychotiques et à la base des organisations schizophréniques.

  • Les Schizophrènes (1980), Paul-Claude Racamier, éd. Payot & Rivages, coll. « Petite bibliothèque Payot », 2001  (ISBN 978-2-228-89427-2), partie Préambule et divertimento, A parte, p. 15
Suspendu dans un temps sans durée, le schizophrène n'a point d'histoire. Ni la sienne ne compte, ni celle de la race et de la culture.
  • Les Schizophrènes (1980), Paul-Claude Racamier, éd. Payot & Rivages, coll. « Petite bibliothèque Payot », 2001  (ISBN 978-2-228-89427-2), partie Préambule et divertimento, Bref, p. 19
[...] l'essentiel est pour [le schizophrène] question d'appartenance, et d'une appartenance toujours douteuse.
  • Les Schizophrènes (1980), Paul-Claude Racamier, éd. Payot & Rivages, coll. « Petite bibliothèque Payot », 2001  (ISBN 978-2-228-89427-2), partie Préambule et divertimento, Florence et Sienne, p. 21

Femme phallique aux serpents érigés, Méduse est une anti-mère, avec ses écailles pour ne rien sentir, ses mains pour ne rien tenir, ses dents pour déchirer, un amant fugitif, ces enfants qu'elle ne laisse pas naîtrecar s'ils naissaient ils ne seraient plus tout à fait sa chose, et révéleraient qu'elle est femme ; pour qu'ils viennent au jour, il faudra lui trancher la tête, et pour qu'ils vivent, qu'elles meure. Et ce regard : au contraire d'un regard où l'enfant peut se regarder et se voir ; d'un regard qui embrasse l'enfant comme une totalité ; d'un regard où l'on entre et par où l'enfant peut faire entrer ses émois ; d'un regard, enfin, qui admire, c'est un regard adverse, un regard dardé, un regard qui pénètre, attaque, aveugle, fige et pétrifie : le regard de la disqualification, qui mortifie la vie psychique. Regard, au demeurant, qui louche, et dont les traits, tout de même que ceux du paradoxe, se croisent mais ne s'opposent pas plus qu'ils ne se conjuguent.
Et la chevelure : au-delà de sa phallicité, cette chevelure pourrait bien symboliser le monde des paradoxes ; car non seulement sont érigés les serpents dont elle est faite, mais inextricablement emmêlés. S'ils sont portés par la tête, c'est certes par déplacement vers le haut, c'est aussi pour porter le combat sur le terrain mental, choisi par l'agression paradoxale. D'ailleurs, la chevelure de Méduse avait été ainsi transformée, par Athéna, en punition pour avoir voulu rivaliser avec la déesse : l'usurpation mentale n'aurait-elle pas été le méfait de Méduse ?

  • Les Schizophrènes (1980), Paul-Claude Racamier, éd. Payot & Rivages, coll. « Petite bibliothèque Payot », 2001  (ISBN 978-2-228-89427-2), partie Préambule et divertimento, Persée en paradoxie, p. 30

Persée part chez la Gorgone. Encore lui faut-il savoir le chemin. Sur le conseil d'Athéna il s'en alla demander l'adresse des Gorgones à leurs trois autres sœurs, les Grées. Et dès lors apparaît le thème du regard, car pour obtenir ces renseignements, Persée dérobe aux vieilles Grées l'unique œil qu'elles se partagaient à elles trois.
Persée ne part pas non plus sans armes : des Nymphes il reçoit le casque d'Hadès, qui rend invisible ; d'Hermès il reçoit des sandales ailées et une serpe ; d'Athéna enfin il reçoit un bouclier de peau poli comme un miroir, et un conseil : celui de ne regarder Méduse que dans ce miroir.
Après un vol sans histoire, Persée trouva enfin Méduse. Il la voit dans le miroir qui réfléchit — qui réfléchit : au lieu de se laisser piéger par les paradoxes médusants, Persée réfléchit sur le paradoxe, utilisant à cet effet l'instrument confié par la déesse de l'intelligence. Dès cet instant-là, Méduse est perdue, son pouvoir est annulé : la voilà qui dort. Alors il lui coupe le cou.

  • Les Schizophrènes (1980), Paul-Claude Racamier, éd. Payot & Rivages, coll. « Petite bibliothèque Payot », 2001  (ISBN 978-2-228-89427-2), partie Préambule et divertimento, Persée en paradoxie, p. 33

Une fois la tête de Méduse tranchée, une fois tranché le paradoxe, deux flots de sang jaillirent du cou de la Gorgone. Deux flots : la dissolution du paradoxe libère les courants pulsionnels associés qui fondent l'ambivalence. Persée recueille ces deux flots de sang, dont l'un, senestre, était un poison mortel, et l'autre au contraire guérissait les malades et ressuscitait les morts.
D'entre ces flots conjoints naquirent Pégase et Chrysaor, les enfants que portait Méduse et qu'elle n'avait pas laissé naître. Chrysaor, qui devait plus tard engendrer un monstre à trois têtes, vient au jour armé d'une épée d'or. Pégase avec ses ailes comme Éros, et Chrysaor avec son épée; ainsi se personnifient les représentations libidinales et agressives. Ces représentations, l'écheveau du paradoxe les enfermait, la dissolution du paradoxe les remet en circulation.

  • Les Schizophrènes (1980), Paul-Claude Racamier, éd. Payot & Rivages, coll. « Petite bibliothèque Payot », 2001  (ISBN 978-2-228-89427-2), partie Préambule et divertimento, Persée en paradoxie, p. 33
Il faut se demander pourquoi [Persée] tue Méduse, alors que du moment où il avait réfléchi (sur) le paradoxe, elle était perdue — n'avait-elle pas en effet les yeux fermés ? Certes Athéna voulait sa tête, elle l'aura. Mais il faut voir à ce geste un autre motif : Persée à son tour entendait bien s'emparer du pouvoir paradoxal. [...] quand, au péril de sa vie psychique, on a réussi à se rendre maître d'une arme pareille, peut-on résister à la tentation de s'en servir ? Qui le gêne, Persée va lui tendre la tête à paradoxes, et le pétrifier.
  • Les Schizophrènes (1980), Paul-Claude Racamier, éd. Payot & Rivages, coll. « Petite bibliothèque Payot », 2001  (ISBN 978-2-228-89427-2), partie Préambule et divertimento, Persée en paradoxie, p. 35
[...] lancés comme nous sommes dans les méandres des paradoxes, irons-nous en voyage au sud de l'Italie, à Élée, aujourd'hui Velia, dans un paysage merveilleusement virgilien d'oliviers et de lauriers-roses, jadis fréquenté par Énée un des premiers armateurs grecs à la recherche d'un siège social en Italie entre le cap Palinuro où il perdit son pilote, et le cap Leucosie, où il rejoignit une starlette, ou une nymphe, qui l'attendait dans une vaste propriété aujourd'hui privée ? A Élée nous retrouverions Parménide, qui aimait l'éternité, et surtout Zénon, champion des apories et des paradoxes, Zénon qui avait installé une fabrique de flèches n'atteignant jamais leur cible mobile, et qui organisait des courses entre lièvres et tortues, que nul ne gagnait jamais. Faut-il être fou, faut-il être schizophrène pour assurer qu'on peut arrêter le temps avec sa tête ! Alors, schizo, Zénon ? Freud disait à peu près que les philosophies sont les délires des bien-portants et vous vous rappelez que j'ai pris soin de distinguer la folie de la psychose. Irons-nous cependant penser que, dirigée ainsi qu'elle l'était par des gens comme Parménide et Zénon, Élée était une cité folle ? Eh bien pas du tout. Je me suis laissé dire que nulle part aux temps antiques la démocratie n'a mieux réussi qu'à Élée ce qui donne à penser que mieux vaut penser les paradoxes, mieux vaut certes les penser, que les semer comme peaux de bananes sous les semelles de ses congénères, comme il en est qui aiment à le faire.
  • Les Schizophrènes (1980), Paul-Claude Racamier, éd. Payot & Rivages, coll. « Petite bibliothèque Payot », 2001  (ISBN 978-2-228-89427-2), partie Préambule et divertimento, A Élée, p. 36

Les paradoxes des schizophrènes

Il est essentiel de garder à l'esprit, conforme aux propositions freudiennes essentielles, une distinction clinique simple entre la psychose à l'état natif et la psychose en état d'organisation. L'état natif, cliniquement primordial, nous le décrirons comme un processus paranoïde ; il n'est jamais durable ; il est pétri d'angoisse ; le moi s'y trouve à vif et mis à nu ; les investissements se liquidifient : on pourrait par image parler de psychose liquide (après la blanche et la froide, voici donc la psychose liquide). Tout autre est l'organisation de long cours, aménagée soit pour éviter ces éclipses bouleversantes, comme maintes personnalités en marge de la psychose (et différentes des cas limites étudiés par Bergeret, 1970, 1976), soit encore, comme les schizophrénies, à partir de ces expériences.
  • Les Schizophrènes (1980), Paul-Claude Racamier, éd. Payot & Rivages, coll. « Petite bibliothèque Payot », 2001  (ISBN 978-2-228-89427-2), partie Les paradoxes des schizophrènes, chap. 1. Premier coup d'œil et panorama, Où l'on balance entre la catastrophe et l'aménagement, p. 53
Tout en réduisant la seconde topique à une plus simple expression, la dépression ne la liquéfie pas comme fait l'accès psychotique, où l'appareil de la psyché semble revenir à l'état de magma originel, en vertu d'une régression structurale qui de toutes les régressions est la plus massive. E. Jacobson estime même qu'en submergeant l'organisation topique de la psyché, cette régression, que j'appelle structurale et qui est déstructurante, ramène les investissements à leur état originel d'indistinction, tant pour leur direction (autre et soi) que pour leur qualité (amour et agressivité). Il y aurait donc au départ d'une psychose aiguë une régression pulsionnelle totale, qui ramènerait le Ça au-delà de toute ambivalence.
  • Les Schizophrènes (1980), Paul-Claude Racamier, éd. Payot & Rivages, coll. « Petite bibliothèque Payot », 2001  (ISBN 978-2-228-89427-2), partie Les paradoxes des schizophrènes, chap. 2. De plusieurs constantes psychotiques, Où l'on oppose l'anticonflictualité des schizophrènes à l'intraconflictualité des névroses, p. 63
Entre ces deux accès psychopathologiques, la psychose aiguë et la dépression mélancolique, une différence apparaît évidente : on dirait que dans l'une la psyché fait explosion, et que dans la seconde elle implose (Racamier, 1969) ; dans l'une en effet l'extrajection prévaudra, et dans l'autre l'introjection.
  • Les Schizophrènes (1980), Paul-Claude Racamier, éd. Payot & Rivages, coll. « Petite bibliothèque Payot », 2001  (ISBN 978-2-228-89427-2), partie Les paradoxes des schizophrènes, chap. 2. De plusieurs constantes psychotiques, Où l'on oppose l'anticonflictualité des schizophrènes à l'intraconflictualité des névroses, p. 63
De même qu'il n'y a pas de névrose sans échec du refoulement, il n'y a pas de psychose sans échec du déni ; que le déni « réussisse », et c'est la perversion (Freud, 1927).
  • Les Schizophrènes (1980), Paul-Claude Racamier, éd. Payot & Rivages, coll. « Petite bibliothèque Payot », 2001  (ISBN 978-2-228-89427-2), partie Les paradoxes des schizophrènes, chap. 2. De plusieurs constantes psychotiques, Où l'on oppose l'anticonflictualité des schizophrènes à l'intraconflictualité des névroses, p. 66
On s'attachera dans ce rapport à montrer que la schizophrénie s'organise de manière aléatoire le long du trajet qui va de la psychose aiguë à la perversion narcissique.
  • Les Schizophrènes (1980), Paul-Claude Racamier, éd. Payot & Rivages, coll. « Petite bibliothèque Payot », 2001  (ISBN 978-2-228-89427-2), partie Les paradoxes des schizophrènes, chap. 2. De plusieurs constantes psychotiques, Où l'on oppose l'anticonflictualité des schizophrènes à l'intraconflictualité des névroses, p. 66

Les schizophrènes ont un besoin absolu de concret. Plus vif est le désaveu qu'ils font de leur réalité — psychique de l'existence même de cette réalité intérieure propre — et plus grand leur appétit de concrétude.
Vivre la schizophrénie consiste à bien à vivre hors de soi.

  • Les Schizophrènes (1980), Paul-Claude Racamier, éd. Payot & Rivages, coll. « Petite bibliothèque Payot », 2001  (ISBN 978-2-228-89427-2), partie Les paradoxes des schizophrènes, chap. 2. De plusieurs constantes psychotiques, Où l'on oppose l'anticonflictualité des schizophrènes à l'intraconflictualité des névroses, p. 68

Si nous venons plus près de la phénoménologie, ce sera pour décrire les expériences psychotiques, au sens d'expériences vécues, consistant dans un vécu d'évanouissement du Je, de syncope ou de lipothymie du sentiment du moi, se traduisant par une impression, non dépourvue d'angoisse, d'étrangeté indicible, de vacillation, de chute ou d'éclipse, et de confusion ou tout au contraire de contact extrême et cru : une ultra-dépersonnalisation momentanée, c'est-à-dire une dépersonnation, au sens où je l'entendais naguère (Racamier, 1963). A l'origine de ces expériences : une modification massive et soudaine du régime général des investissements ; un désinvestissement d'objets, dira-t-on à la suite de Freud ; plus précisément, les investissements retournent momentanément à leur « liquidité » originelle.
Ces expériences psychotiques, je ne puis pas seul à prétendre qu'elles peuvent survenir et qu'elles survienent dans toute existence, et non pas seulement dans celle des psychotiques, mais, normalement, fugitives et ponctuelles, maîtrisées après coup, enkystées comme des corps étrangers, et sitôt oubliées, même lorsqu'elles sont reprises par le moi pour se mettre au service de l'expérience créatrice ; ne faut-il pas en effet perdre une seconde le sens du monde, pour lui en donner un nouveau ? [...] ces expériences psychotiques « normales », maîtrisées, voire exploitées par le moi, sont à distinguer des expériences psychotiques des psychotiques, lesquelles sont plus extensives et moins maîtrisables, et en viennent à corroder le moi, dont elles traduisent aussi la foncière incertitude.

  • Les Schizophrènes (1980), Paul-Claude Racamier, éd. Payot & Rivages, coll. « Petite bibliothèque Payot », 2001  (ISBN 978-2-228-89427-2), partie Les paradoxes des schizophrènes, chap. 3. De la folie dans la schizophrénie, Où l'on voit que la folie n'est pas encore psychose, p. 73

Les paradoxes des schizophrènes

La procréation est bien au centre des fantasmes des schizophrènes : c'est la procréation non seulement de l'objet, mais d'eux-mêmes. Leur fantasme est peut-être moins primitif, mais certainement plus fou que celui d'une procréation avant les sexes, puisqu'il est d'être le créateur de toutes choses et d'eux-mêmes.
  • Les Schizophrènes (1980), Paul-Claude Racamier, éd. Payot & Rivages, coll. « Petite bibliothèque Payot », 2001  (ISBN 978-2-228-89427-2), partie Les paradoxes des schizophrènes, chap. 4. Omnipotence inanitaire omnipotence créatrice, Où l'on voit le travail du vide éviter la perte du réel, p. 98
Je suis pleinement d'accord avec F. Pasche (1965-1969, 1971) pour estimer que le conflit fondamental des psychotiques se rapporte au conflit originaire entre le narcissisme et l'antinarcissisme. L'antinarcissisme, Pasche nous le montre à l'œuvre : il est cette force qui très tôt tire le sujet hors de soi, lui soutire sa substance et l'arrache à sa chair en l'aspirant vers l'objet — s'opposant au narcissisme qui, s'il était pur, ne poursuivrait qu'unité totale, intégrité absolue et, comme un œuf, parfaite autarcie.
  • Les Schizophrènes (1980), Paul-Claude Racamier, éd. Payot & Rivages, coll. « Petite bibliothèque Payot », 2001  (ISBN 978-2-228-89427-2), partie Les paradoxes des schizophrènes, chap. 5. De deux ou trois réalités, Où l'on voit le schizophrène aux prises avec l'impossible choix entre son monde et son Moi, p. 99

Développement précoce, conduisant à la découverte harmonieuse et corrélative de l'Autre et du Je, et à leur installation structurante et conjuguée dans la psyché, résulte évidemment de l'intrication des pulsions narcissiques et antinarcissiques [...]. Non seulement on sait aujourd'hui que le narcissisme poursuit son propre développement (Grunberger, 1971 Kohut, 1971), sous l'influence des stades libidinaux et au contact de l'objet, mais on sait aussi que les investissements narcissiques et objectaux sont intriqués dès l'origine comme ils le sont plus tard et dans la cure (cf. J. Cosnier, 1970), si bien qu'il n'est pas d'investissement de soi qui ne « rapporte » à l'objet, ni d'investissement d'objet ou du monde qui ne rapporte au moi (ou soi, ou self) sa prime narcissique (cf. Racamier, 1963).
La rupture de cette alliance est à l'origine des psychoses.

  • Les Schizophrènes (1980), Paul-Claude Racamier, éd. Payot & Rivages, coll. « Petite bibliothèque Payot », 2001  (ISBN 978-2-228-89427-2), partie Les paradoxes des schizophrènes, chap. 5. De deux ou trois réalités, Où l'on voit le schizophrène aux prises avec l'impossible choix entre son monde et son Moi, p. 99

Schizogrammes

aimer Prends garde aux schizophrènes qui t'aiment sans te laisser voir qu'ils te haïssent de t'aimer.
  • Les Schizophrènes (1980), Paul-Claude Racamier, éd. Payot & Rivages, coll. « Petite bibliothèque Payot », 2001  (ISBN 978-2-228-89427-2), partie Schizogrammes, p. 187

cathares d'aujourd'hui Si les schizophrènes avaient une religion, ce serait celle des cathares pour qui le monde fut inventé par le Diable.
Est-ce une raison pour les convertir ?

  • Les Schizophrènes (1980), Paul-Claude Racamier, éd. Payot & Rivages, coll. « Petite bibliothèque Payot », 2001  (ISBN 978-2-228-89427-2), partie Schizogrammes, p. 188

décompression Est-ce à régresser qu'on risque le plus ?
Plongeur sous-marin, plongeur psychotique, remonte sans hâte : tu risques ta tête.

  • Les Schizophrènes (1980), Paul-Claude Racamier, éd. Payot & Rivages, coll. « Petite bibliothèque Payot », 2001  (ISBN 978-2-228-89427-2), partie Schizogrammes, p. 191
écriture Écrire intérieurement sa vie, chacun le fait sans cesse, le névrosé le fait en hyéroglyphes, et le psychotique sur un écran qui ne prend pas l'encre.
  • Les Schizophrènes (1980), Paul-Claude Racamier, éd. Payot & Rivages, coll. « Petite bibliothèque Payot », 2001  (ISBN 978-2-228-89427-2), partie Schizogrammes, p. 192
épouvantail Certains schizophrènes, tant ils tiennent la garde pour écarter les oiseaux, font songer à des épouvantails usés. Mais attention, quand la vie, de nouveau timidement, les habite sous les mêmes oripeaux, attention à ne pas manquer cette éclosion fragile. Combien de schizophrènes sont-ils retournés à leur vide, épouvantails maintenant définitifs, parce qu'on n'a pas entendu revenir un murmure de vie ?
  • Les Schizophrènes (1980), Paul-Claude Racamier, éd. Payot & Rivages, coll. « Petite bibliothèque Payot », 2001  (ISBN 978-2-228-89427-2), partie Schizogrammes, p. 192

façon d'aimer, façon de haïr Les schizophrènes ont une façon d'aimer étrangement semblable aux façons de la haine.
On ne compte pas les gens qui s'y sont laissé prendre.

  • Les Schizophrènes (1980), Paul-Claude Racamier, éd. Payot & Rivages, coll. « Petite bibliothèque Payot », 2001  (ISBN 978-2-228-89427-2), partie Schizogrammes, p. 192
fusée Combien de fusées mises à feu pour qu'une parvienne au but, et combien de processus paranoïdes enclenchés pour que l'un d'eux arrive à la schizophrénie.
  • Les Schizophrènes (1980), Paul-Claude Racamier, éd. Payot & Rivages, coll. « Petite bibliothèque Payot », 2001  (ISBN 978-2-228-89427-2), partie Schizogrammes, p. 194
illusion Il ne faudrait quand même pas s'imaginer qu'un débile qui devient schizophrène soit pour autant intelligent.
  • Les Schizophrènes (1980), Paul-Claude Racamier, éd. Payot & Rivages, coll. « Petite bibliothèque Payot », 2001  (ISBN 978-2-228-89427-2), partie Schizogrammes, p. 197

miroirs Miroirs grossissants, miroirs déformants qui supporteraient, à la foire, de s'y voir plus qu'un instant ? Bien souvent pourtant, c'est miroirs que sont les psychotiques ; et dans le miroir qu'ils nous tendent sous le nez, nous faisons une drôle de tête pas belle à voir et qui néanmoins nous ressemble assez.
Miroirs insupportables d'être à la fois si fidèles et si déformants, combien êtes-vous qu'on a brisés ?

  • Les Schizophrènes (1980), Paul-Claude Racamier, éd. Payot & Rivages, coll. « Petite bibliothèque Payot », 2001  (ISBN 978-2-228-89427-2), partie Schizogrammes, p. 199
muscle Délirer, c'est prendre son cerveau pour un muscle.
  • Les Schizophrènes (1980), Paul-Claude Racamier, éd. Payot & Rivages, coll. « Petite bibliothèque Payot », 2001  (ISBN 978-2-228-89427-2), partie Schizogrammes, p. 200
musique Lorsque la petite musique de l'objet intérieur s'arrête, il se fait un vacarme terrible, qui est le bruit de la psychose.
  • Les Schizophrènes (1980), Paul-Claude Racamier, éd. Payot & Rivages, coll. « Petite bibliothèque Payot », 2001  (ISBN 978-2-228-89427-2), partie Schizogrammes, p. 200

peau Mal dans leur peau : les névrosés. Mais hors de leur peau : les schizophrènes.
They act out, they feel out, they dream out, they think out : ils vivent décidément déportés.

  • Les Schizophrènes (1980), Paul-Claude Racamier, éd. Payot & Rivages, coll. « Petite bibliothèque Payot », 2001  (ISBN 978-2-228-89427-2), partie Schizogrammes, p. 201
penser De penser qu'il pense fait peur au schizophrène autant qu'au névrosé de penser qu'il désire.
  • Les Schizophrènes (1980), Paul-Claude Racamier, éd. Payot & Rivages, coll. « Petite bibliothèque Payot », 2001  (ISBN 978-2-228-89427-2), partie Schizogrammes, p. 202
(vie) privée Une vie privée de fantasmes au lieu d'une vie privée fantasmatique : une vie de psychotique.
  • Les Schizophrènes (1980), Paul-Claude Racamier, éd. Payot & Rivages, coll. « Petite bibliothèque Payot », 2001  (ISBN 978-2-228-89427-2), partie Schizogrammes, p. 202

rêve Qui donc peut avoir des rêves, qui est soi-même un rêve ? Qui est, veut être et doit être, de son objet, le rêve incarné, à la fois déréel et matérialisé ?
Ainsi vont les schizophrènes, bien plutôt rêvés que rêveurs : « dreamed out ».
To dream in or to be dreamed out, that is the question.
D'où l'air qu'ont les schizophrènes d'être des fantômes ambulants, des fragments oniriques, des apparitions.
Ardu d'être le rêve d'autrui, continuellement. Ardu, très ardu — mais fascinant...

  • Les Schizophrènes (1980), Paul-Claude Racamier, éd. Payot & Rivages, coll. « Petite bibliothèque Payot », 2001  (ISBN 978-2-228-89427-2), partie Schizogrammes, p. 203
vulcanologie des schizophrènes Les uns, dévastés comme le Krakatoa ; d'autres actifs mais organisés comme l'Etna ; certains encore assoupis comme le Vésuve ; et d'autres enfin, comme le Mont-Dore, éteints, érodés, mornes. Morts ?...
  • Les Schizophrènes (1980), Paul-Claude Racamier, éd. Payot & Rivages, coll. « Petite bibliothèque Payot », 2001  (ISBN 978-2-228-89427-2), partie Schizogrammes, p. 207

Pensée perverse et décervelage, 1992

Sources et trajets

Le mouvement pervers narcissique se définit essentiellement comme une façon organisée de se défendre de toute douleur et contradiction internes et de les expulser pour les faire couver ailleurs, tout en se survalorisant, tout cela aux dépens d’autrui.
  • Pensée perverse et décervelage, 1992, Sources et trajets Définition, dans , paru Trait pour trait Mouvement de travail et de recherche autour de la psychanalyse, Paul-Claude Racamier.

Mouvement pervers narcissique

La perversion narcissique s’organise : elle sera ce qui empoisonne les autres, sans du tout incommoder celle ou celui qui l’exerce.
Une double opération sera donc menée à bien, qui consiste :
— à expulser hors de soi les conflits ou leurs traces et les douleurs ou les peines, sur le dos et dans la tête des autres, à charge pour eux de les héberger et de les agir ;
— à augmenter la valeur narcissique propre au détriment de l’autre, employé comme ustensile et comme faire-valoir.

  • Pensée perverse et décervelage, 1992, Mouvement pervers narcissique Plaisir manipulatoire, et faire-valoir narcissique, dans , paru Trait pour trait Mouvement de travail et de recherche autour de la psychanalyse, Paul-Claude Racamier.

Je parle au singulier. Il faudrait parler au pluriel. C’est que la perversion narcissique est loin d’être une affaire individuelle : c’est une affaire collective, et à partir du moment où les espaces psychiques sont transgressés, nous savons que tous les débordements sont possibles.
Pareillement, le mouvement pervers est loin d’être une affaire intrapsychique. C’est une affaire hautement interactive. Car il est tellement, ce mouvement, tourné vers autrui, qu’il ne cesse de s’en servir.

  • Pensée perverse et décervelage, 1992, Mouvement pervers narcissique Plaisir manipulatoire, et faire-valoir narcissique, dans , paru Trait pour trait Mouvement de travail et de recherche autour de la psychanalyse, Paul-Claude Racamier.

Son procédé majeur, son arme, devrais-je dire, c’est la disjonction. Il s’agit de disjoindre les personnes, les informations, les pensées : il s’agit toujours de rompre des liens.
La perversion narcissique constitue sans aucun doute le plus grand danger qui soit dans les familles, les groupes, les institutions et les sociétés. Rompre les liens, c’est attaquer l’amour objectal et c’est attaquer l’intelligence même : la peste n’a pas fait pis.

  • Pensée perverse et décervelage, 1992, Mouvement pervers narcissique Question d’immunité, question de liaison, dans , paru Trait pour trait Mouvement de travail et de recherche autour de la psychanalyse, Paul-Claude Racamier.

De la pensée perverse au désordre de pensée

Insensible au psychique, mais très attentive aux réalités sociales, habile, opportuniste, et à ce titre « adaptée », la pensée perverse sera toute tournée vers l’agir, le faire-agir et la manipulation. Insensible aux mouvances relationnelles, elle est toute dans l’emprise exercée sur les autres afin de les utiliser au mieux de ses intérêts narcissiques et matériels. Pour elle, c’est le résultat qui compte. Les fins sont surinvesties au détriment des moyens.
  • Pensée perverse et décervelage, 1992, De la pensée perverse au désordre de pensée, dans , paru Trait pour trait Mouvement de travail et de recherche autour de la psychanalyse, Paul-Claude Racamier.

Noyaux pervers

A moins d’être complices, les victimes de la perversion narcissique sont à plaindre et plus encore à protéger. Les plus exposés au danger, ce sont les schizophrènes [...]. Les schizophrènes, incertains comme ils le sont de leur propre moi, narcissiquement béants, prêts à tout pour plaire et prompts à périr de faux-semblants, sont les proies préférées du narcissisme pervers.
  • Pensée perverse et décervelage, 1992, Noyaux pervers Objet de pervers, dans , paru Trait pour trait Mouvement de travail et de recherche autour de la psychanalyse, Paul-Claude Racamier.
Le noyau s’est installé sans crier gare. Il a fait mine de participer à l’œuvre commune. Agglutinant pour les utiliser ceux qu’il peut narcissiquement séduire, rejetant ceux qu’il ne réussit pas à capturer, le noyau entreprend de contaminer le milieu qu’il parasite.
  • Pensée perverse et décervelage, 1992, Noyaux pervers Le noyau mis en scène, dans , paru Trait pour trait Mouvement de travail et de recherche autour de la psychanalyse, Paul-Claude Racamier.

Noyaux pervers

D'autres spécialistes concernant ses recherches

Alberto Eiguer, Le pervers narcissique et son complice, 1989

P.-C. Racamier (1978) avance que le pervers narcissique est au fond un psychotique sans symptômes et que c'est de la pression de sa psychose latente désorganisatrice qu'il cherche à se débarrasser par l' acting out. La décharge, sur quelqu'un d'autre, de sa psychose (délégation) lui permet de rester « équilibré ». Il est question de « déprédation morale » (P.-C. Racamier, 1987).
  • Le pervers narcissique et son complice, Alberto Eiguer, éd. Dunot, coll. « Psychismes », 1989  (ISBN 2 10 002843 X), partie I. Le Champ de la perversion narcissique, chap. Définition et description générale, p. 5
Dans le chapitre VI du rapport « Les paradoxes des schizophrènes », P.-C. Racamier (1978) conclut par cette phrase (qui est tout un programme) : « Nous nous sommes déjà demandé de quelle perversion la psychose schizophrénique est l'envers, sans doute pouvons-nous désormais répondre à cette question, ancienne comme les premières découvertes de S. Freud : la schizophrénie est l'envers d'une perversion narcissique. »
  • Le pervers narcissique et son complice, Alberto Eiguer, éd. Dunot, coll. « Psychismes », 1989  (ISBN 2 10 002843 X), partie I. Le Champ de la perversion narcissique, chap. Définition et description générale, Séduction narcissique, p. 26
Si la mère « entend [...] inclure l'enfant en elle-même une fois pour toutes, cet enfant narcissiquement séduit doit être comme s'il n'était pas né. Il ne faut pas qu'il opère cette seconde naissance qu'est la naissance psychique ; il ne faut pas qu'il croisse, qu'il pense, qu'il désire, qu'il rêve. Il restera pour la mère un rêve incarné : un fétiche vivant. Mais peut-il encore avoir des rêves, celui qui est un rêve ? Pas plus que de rêver, il devra penser : la séduction narcissique ne tolère ni le désir ni la pensée, qui sont preuves d'insurrection ». Et Racamier ajoute que pour éviter qu'il ne soit, il faut le nourrir sans cesse. Pour éviter qu'il ne désire, il faut désirer à sa place (et présenter cela comme une offre exceptionnelle, ajouterons-nous).
  • Le pervers narcissique et son complice, Alberto Eiguer, éd. Dunot, coll. « Psychismes », 1989  (ISBN 2 10 002843 X), partie I. Le Champ de la perversion narcissique, chap. Définition et description générale, Séduction narcissique, p. 26
Racamier insiste sur la perversion de la pensée dans les familles des schizophrènes, consistant dans une ambiguïté insoutenable, une logique « élastique » qui se plie et se déplie aux contingences externes comme le reflet de ces mêmes inter-relations (pseudo-mutuelles et superficielles), dont les membres de la famille ont une perception contradictoire ou paradoxale. Ils se disent solidaires et unis, alors qu'ils ne le sont pas. La logique paradoxale offre un camouflage parfait à la perversion narcissique [...]. Si par hasard leur véracité est mise en doute par quelqu'un, celui-ci pourrait se voir désigné comme fou.
  • Le pervers narcissique et son complice, Alberto Eiguer, éd. Dunot, coll. « Psychismes », 1989  (ISBN 2 10 002843 X), partie I. Le Champ de la perversion narcissique, chap. Définition et description générale, Séduction narcissique, p. 26

Les rapports entre psychose et perversion narcissique sont étroits. P.-C. Racamier (1978) a insisté sur la présence de pervers narcissiques parmi les proches du psychotique ; nous lui devons également la formule de la perversion narcissique comme revers de la schizophrénie : cette perversion narcissique serait celle d'un autre, de la mère du patient le plus fréquemment.
Cependant le psychotique même agit souvent sur le mode pervers, à la sortie de l'épisode critique notamment.

  • Le pervers narcissique et son complice, Alberto Eiguer, éd. Dunot, coll. « Psychismes », 1989  (ISBN 2 10 002843 X), partie II. Applications à la psychopathologie, chap. Psychose et perversion narcissique, Emprise régressive et emprise fonctionnelle, p. 83

Catherine Azoulay, Processus de la schizophrénie, 2002

Racamier (1992) insiste quant à lui sur la force libidinale du système défensif des psychotiques mais aussi du délire permettant au fonctionnement psychique d'assurer sa survie. Pour cet auteur, dans la schizophrénie, l'activation du fantasme d'auto-engendrement entraîne une sorte d'explosion interne, fulgurante, anéantissante et triomphante et constitue ce qu'il appelle « un évènement psychique blanc : une éblouissante déflagration psychique. Ce qu'on prend pour la catastrophe, c'est exactement cet évènement psychique blanc qui fait le vide et fascine à jamais » (l'évènement psychique blanc n'équivaut pas à la psychose blanche de Donnet et Green, mais on y retrouve cette notion importante d'un court-circuit psychique « follement excitant et terriblement sidérant »).
L'évènement psychique blanc, reprend Racamier, est un cas majeur d'« orgasmes du moi », préludes aux développements délirants. Les hallucinations aussi ont un caractère orgastique.

  • Processus de la schizophrénie (2002), Catherine Azoulay/Catherine Chabert/Jean Gortais/Philippe Jeammet, éd. Dunod, coll. « Psycho Sup », 2002  (ISBN 2-10-004780-9), chap. II « Approche psycho-pathologique et clinique de la schizophrénie (Catherine Azoulay) », 1. Formes et caractéristiques de la schizophrénie, p. 97

Alberto Eiguer, Psychanalyse du libertin, 2010

Racamier observe (1992) que l'attitude de prédation morale est liée au fait que les pervers-narcissiques disposent d'une pensée limitée et qu'il leur faut agir [...]. « D'où le besoin d'incessantes confirmations [...]. »
  • Psychanalyse du libertin, Alberto Eiguer, éd. Dunot, coll. « Psychismes », 2010  (ISBN 978-2-10-054958-0), partie II. Libertinage et prédation, chap. Psychopathologie du prédateur et de sa famille, La naissance du concept de prédation morale, p. 119
Le pervers-narcissique attire sa proie vers soi et la détourne de toute voie qui la conduise vers l'objectalité « et les angoisses et les désirs qui s'y attachent » (Racamier, 1992).
  • Psychanalyse du libertin, Alberto Eiguer, éd. Dunot, coll. « Psychismes », 2010  (ISBN 978-2-10-054958-0), partie II. Libertinage et prédation, chap. Psychopathologie du prédateur et de sa famille, La naissance du concept de prédation morale, p. 123
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