Littérature

Roman

Joseph Conrad, Le nègre du Narcisse, 1897

– Est-ce le charme de l'impossible ? Ou bien ces êtres qui existent en marge de la vie sont-ils touchés par ses contes comme par la révélation énigmatique d'un univers resplendissant qui existe en deçà de cette frontière de crasse et de faim, de misère et de débauche — qui de tous côtés descend jusqu'aux rives de l'océan incorruptible et se trouve être le seul aspect qu'ils voient de la terre qui les environne, ces éternels prisonniers de la mer. Mystère !
  • Le nègre du Narcisse (1913), Joseph Conrad (trad. Robert d'Humières), éd. Gallimard, coll. « L'imaginaire », 2007  (ISBN 978-2-07-025041-7), p. 20
Mais en vérité, ils avaient été des hommes qui connaissaient la peine, les privations, la violence, la débauche — mais ne connaissaient point la peur et n'éprouvaient aucun élan de méchanceté en leur cœur. Des hommes difficiles à diriger, mais faciles à inspirer, des hommes sans voix — mais suffisamment virils pour mépriser dans leur cœur les voix sentimentales qui se lamentaient sur la dureté de leur destin. C'était un destin et c'était le leur ; cette capacité de le supporter leur semblait le privilège des élus ! Leur génération vivait muette et indispensable, sans connaître les douceurs de l'affection ou le refuge du foyer — et mourait libre de la sombre menace d'une tombe froide. Ils étaient les éternels enfants de la mer mystérieuse. Leurs successeurs sont les fils adultes d'une terre insatisfaite. Ils sont moins dépravés mais moins innocents ; moins irrévérencieux mais peut-être aussi moins croyants ; et s'ils ont appris à parler, ils ont aussi appris à gémir.
  • Le nègre du Narcisse (1913), Joseph Conrad (trad. Robert d'Humières), éd. Gallimard, coll. « L'imaginaire », 2007  (ISBN 978-2-07-025041-7), p. 36
Mais les autres étaient solides et muets ; ils étaient effacés, courbés et endurants comme des caryatides de pierre qui dans la nuit soutiennent les galeries illuminées d'un édifice éclatant et splendide. Ils ne sont plus maintenant — et c'est sans importance. La mer et la terre sont infidèles à leurs fils : une vérité, une foi, une génération d'hommes passent et c'est l'oubli et c'est sans importance ! Sauf peut-être pour les rares êtres qui croyaient à cette vérité, professaient cette foi ou aimaient ces hommes.
  • Le nègre du Narcisse (1913), Joseph Conrad (trad. Robert d'Humières), éd. Gallimard, coll. « L'imaginaire », 2007  (ISBN 978-2-07-025041-7), p. 36

James Joyce, Ulysse, 1922

Une vie terrible aussi celle des marins. Les grosses brutes de paquebots qui prennent le large et barbotent dans la nuit et beuglent comme des veaux marins. Faugh a ballagh. Arrière, bougre de nom de dieu ! D'autres dans des coquilles de noix, avec un bout de voile comme un mouchoir de poche, dansant comme des bouchons sur l'eau, quand les vents soufflent en tempête. Et mariés qui plus est. Quelquefois pendant des années on ne sait pas où, à l'autre bout du monde.
  • Ulysse (1922), James Joyce (trad. Auguste Morel), éd. Gallimard, coll. « Folio », 1957  (ISBN 2-07-040018-2), p. 588
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