Statue d'Étienne de La Boétie, place de la Grande Rigaudie, à Sarlat-la-Canéda

Étienne de La Boétie est un écrivain et poète français (1er novembre 1530, Sarlat — 18 août 1563, Germignan). Catholique et conseiller au Parlement de Bordeaux, il est chargé par Michel de L'Hospital d'intervenir dans les négociations pour retrouver la paix alors que les guerres de religion faisaient rage.

Il est notamment connu comme l'auteur du Discours de la servitude volontaire.

Discours de la servitude volontaire, 1576

Soyez résolus de ne servir plus, et vous voilà libres.
  • Citation choisie pour le 22 novembre 2016.


Il y a trois sortes de tyrans : les uns ont le royaume par élection du peuple, les autres par la force des armes, les autres par succession de leur race. (...) Ainsi, pour en dire la vérité, je vois bien qu’il y a entre eux quelque différence, mais de choix, je n’y en vois point ; et étant les moyens de venir aux règnes divers, toujours la façon de régner est quasi semblable : les élus, comme s’ils avaient pris des taureaux à dompter, ainsi les traitent-ils ; les conquérants en font comme de leur proie ; les successeurs pensent d’en faire ainsi que de leurs naturels esclaves.
Mais certes tous les hommes, tant qu’ils ont quelque chose d’homme, devant qu’ils se laissent assujétir, il faut l’un des deux, qu’ils soient contraints ou déçus(...).
L’on ne peut pas nier que la nature n’ait en nous bonne part, pour nous tirer là où elle veut et nous faire dire bien ou mal nés ; mais si faut il confesser qu’elle a en nous moins de pouvoir que la coutume : pour ce que le naturel, pour bon qu’il soit, se perd s’il n’est entretenu ; et la nourriture nous fait toujours de sa façon, comment que ce soit, malgré la nature.
Disons donc ainsi, qu’à l’homme toutes choses lui sont comme naturelles, à quoi il se nourrit et accoutume ; mais cela seulement lui est naïf, à quoi la nature simple et non altérée l’appelle : ainsi la première raison de la servitude volontaire, c’est la coutume.
Toutefois, voyant ces gens-là, qui nacquetent [servent. Le naquet est, au jeu de paume, le valet qui sert les joueurs] le tyran pour faire leurs besognes de sa tyrannie et de la servitude du peuple, il me prend souvent ébahissement de leur méchanceté, et quelquefois pitié de leur sottise : car, à dire vrai, qu’est-ce autre chose de s’approcher du tyran que se tirer plus arrière de sa liberté, et par manière de dire serrer à deux mains et embrasser la servitude ?
Mais [les proches serviteurs du tyran] veulent servir pour avoir des biens : comme s'ils pouvaient rien gagner qui fût à eux, puisqu'ils ne peuvent pas dire de soi qu'ils soient à eux-mêmes ; et comme si aucun pouvait avoir rien de propre sous un tyran, ils veulent faire que les biens soient à eux et ne se souviennent pas que ce sont eux qui lui donnent la force pour ôter tout à tous, et ne laisser rien qu'on puisse dire à personne.
Il n’est pas croyable comme le peuple, dès lors qu’il est assujetti, tombe si soudain en un tel et si profond oubli de la franchise, qu’il n’est pas possible qu’il se réveille pour la ravoir, servant si franchement et tant volontiers qu’on dirait, à le voir, qu’il a non pas perdu sa liberté, mais gagné sa servitude.

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