Zhang Sizhi

Zhang Sizhi (张思之), né le à Zhengzhou, est la figure tutélaire des avocats chinois. Sa ténacité à acclimater le métier de défenseur en terre chinoise, longtemps ignorée du grand public, est désormais reconnue. Son histoire et celle de ses combats pour la liberté se confondent avec celle de la Chine et de sa quête de modernité politique au XXe siècle : Zhang Sizhi s’est engagé à plus de soixante ans pour défendre les libertés individuelles dans les prétoires après les manifestations de la place Tian'anmen en 1989, comme il avait rejoint l’armée nationale à seize ans pour délivrer son pays de l’occupation étrangère lors de la seconde guerre sino-japonaise (1937-1945).

Biographie

Un avocat de la première génération

Zhang Sizhi, après avoir quitté l'armée, reprend ses études à Xi'an en 1946 dans un établissement de missionnaires. À l'époque, il souhaite devenir diplomate.

L’Empire chinois ne connaissait que les « maîtres des plaintes », autrement appelés « gredins de chicane », dont l’art consistait à rédiger les plaintes des particuliers adressées au tribunal. Suspectés de jeter la discorde pour en tirer profit, ces experts juridiques privés faisaient l’objet d’une telle réprobation morale qu’ils furent interdits sous la dernière dynastie, celles des Qing[2]. La profession d’avocat apparaît dans les concessions sous l’influence occidentale à la fin du XIXe siècle. Elle s’enracine peu à peu dans les grandes villes ; la greffe prend surtout à Shanghai[3].

Le préjugé marxiste à l’encontre des avocats, soupçonnés de défendre les intérêts de la seule bourgeoisie, renforcé par la prévention traditionnelle à l’égard des « maîtres des plaintes » explique l’évolution chaotique de cette profession en Chine populaire. L’expérimentation lancée en 1954 avec la constitution de bureaux de conseils juridiques sur le modèle soviétique est brève : les avocats sont, pour la plupart, envoyés en camp de rééducation par le travail après la campagne des Cent fleurs en 1957[4]. Zhang Sizhi est le premier condamné à Pékin. Il passe quinze ans à effectuer de pénibles travaux physiques dans la grande périphérie de Pékin. Il vit en camp de travail le Grand Bond en avant et sa terrible famine, les brutalités politiques de la Révolution culturelle.

Le défenseur de la Bande des Quatre

Zhang Sizhi (au centre) et son équipe au banc de la défense lors du procès de la Bande des Quatre et des généraux de Lin Biao de l'hiver 1980-1981.

La profession d’avocat est rétablie en 1980, peu après l’arrivée au pouvoir de Deng Xiaoping. Désormais, le droit est au fondement du nouveau projet national, le développement économique et la stabilité politique et sociale, dont le régime post-maoïste tire sa légitimité. La Chine manque de juristes : Zhang Sizhi, sur ordre du Parti, redevient avocat à 52 ans. Il accepte d’assurer la défense de la Bande des Quatre (la veuve Mao et ses affidés) et de la « clique Lin Biao » (le successeur désigné du Grand Timonier soudainement tombé en disgrâce et mort dans des circonstances mystérieuses en 1971). C’est se faire l’avocat du diable : la Bande des quatre, considérée seule responsable des dix ans de chaos de la Révolution culturelle, est haïe par tout le peuple chinois. Zhang Sizhi s’acquitte de cette tâche délicate, que tant d’autres ont déclinée, avec énergie. Pour lui, tout prévenu, y compris la veuve de Mao qu’il abhorre, a le droit d’être défendu par un avocat[5].

Pour son rôle dans ce procès, il acquiert la réputation sulfureuse « d’avocaillon pourri de la Bande des quatre ». Peu lui importe, sa conception de la défense, il la porte en tant que professeur d’université à l’université centrale de télé-enseignement (1984) et l’université des sciences politiques (1987), puis en tant que directeur de revue (1988). Son manuel La profession d’avocat, Théorie et pratique (中国律师制度与律师实务), publié en 1985, ainsi que la revue professionnelle Avocats chinois (中国律师), qu’il a créée, constituent des références incontournables pour des générations de jeunes avocats.

Les grands procès politiques des années 1990

En Chine, la profession d’avocat, entachée du soupçon de faire le jeu du crime contre le peuple, dispose de droits et d’une autonomie limités par le pouvoir politique[6]. Peu importe à Zhang Sizhi qui ose, le premier, plaider non coupable pour les accusés politiques au début des années 1990. « Si le rôle de l’avocat est réduit dans le système judiciaire chinois à celui d’une potiche », aime-t-il à dire, « autant ficher dans cette potiche un bouquet de roses blanches aux tiges couvertes de minuscules épines bien acérées[7]. »

Maître Zhang Sizhi rend visite à la journaliste Gao Yu lors de sa libération anticipée en février 1999. Malgré ses efforts, elle avait été condamnée fin 1994 pour « divulgation de secrets d'État ».

Donner vie aux droits inscrits dans la loi, dont l’application est rendue difficile par l’absence d’indépendance de la justice, tel est le combat qu’a porté Zhang Sizhi dans quelques-uns des plus grands procès politiques de l’ère post-maoïste :

  • Wang Juntao (en) en 1991, un intellectuel accusé d’être une « main noire des étudiants »,
  • Bao Tong en 1992, le plus haut officiel du Parti condamné après 1989,
  • Wei Jingsheng en 1995, le plus célèbre dissident de Chine pour avoir réclamé dès 1978 la « cinquième modernisation »,
  • Zheng Enchong (en), avocat shanghaïen accusé de « divulgation de secrets d’État » en 2003.
  • Li Zhi en 2004, un cyberdissident repéré grâce à Yahoo!.

Le porte-parole des avocats

Zhang Sizhi, qui s’est vu décerné le prix des droits de l’homme Petra Kelly en 2008 par la fondation Heinrich Böll, aime à dire : « Pourquoi suis-je le défenseur des dissidents ? Très simple, parce que si chacun est libre d’apprécier untel ou untel, personne n’a le droit de le priver de son droit à la défense. J’ai simplement accompli mon devoir d’avocat[8]. »

La Chine est l’un des rares pays à prévoir une incrimination pénale à l’égard des avocats – falsification de preuve et de témoignages – et à les expulser parfois manu militari du tribunal pour « trouble à l’ordre public ». D’où la stratégie de Zhang Sizhi d’évitement des médias, son refus d’institutionnaliser son combat judiciaire dans un cadre politique pour mieux défendre ses clients. Ne pas se mettre en avant, transformer les questions politiques en questions de droit et le droit en une science, cette méthode vaut à Zhang Sizhi une carrière d’une extraordinaire longévité quand tant d’autres se voient retirer leur licence d’avocat.

Au pouvoir qui justifie la primauté du politique sur le droit au nom des caractéristiques chinoises, Zhang Sizhi répond que « le respect des droits de l’homme est une question de face pour un pays[9]. » À chaque fois qu’il le juge nécessaire, il endosse le rôle d’aiguillon du pouvoir. Ainsi, en 1999, avec le journaliste Dai Huang, il signe une pétition pour obtenir la révision du verdict du procès de Cao Haixin. Ce texte est considéré comme le "J'accuse chinois"[10]. Avec le professeur Jiang Ping (en), il proteste en 2006 contre l'attaque menée contre le supplément hebdomadaire du Quotidien de la jeunesse de Chine (中国青年报),Point de glaciation (冰点). Zhang Sizhi était le deuxième signataire de la Charte 08, publiée par des intellectuels chinois sur le modèle de la Charte 77 de Václav Havel et pour laquelle Liu Xiaobo, prix Nobel de la paix en 2010, a été condamné à onze ans de prison en 2009. En 2011, il prend fait et cause pour l'avocat Li Zhuang, un avocat emprisonné à Chongqing dans le cadre de l'opération "mains propres" lancée par Bo Xilai.

L'influence de Zhang Sizhi sur les nouvelles générations d'avocats a pris de multiples formes depuis les années 1980: les cours qu'il a donnés à l'université et les manuels qu'il en a tirés ; la création de la première revue consacrée à la profession; la formation de jeunes confrères à l'art du procès politique dans les années 1990 et 2000. Ses successeurs, parmi lesquels les avocats Pu Zhiqiang, Xia Lin et Wang Ling, voient en lui le meilleur défenseur de la cause des avocats[11]. Et un héraut, il leur en faut un, car ce métier, inconnu il y a une trentaine d'années, s'exerce toujours dans des conditions difficiles en République populaire de Chine.

Notes et références

  1. Arnaud de la Grange, Zhang Sizhi, la noblesse des causes perdues Octobre 2010
  2. Bourgon Jérôme, « L’émergence d’une communauté de juristes à la fin de l’empire (1840-1930) », in Mireille Delmas-Marty et Pierre-Étienne Will, La Chine et la démocratie, Fayard, Paris, 2007.
  3. Conner Alison W., « Lawyers and the legal profession during the Republican period », in Philip Huang et Katherine bernhardt (eds.), Civil Law in Qing and Republican China, Stanford UP, Stanford, 1994.
  4. Cohen Jerome A., The Criminal Process in the People's Republic of China, 1949-1963: An Introduction, Harvard UP, Cambridge, 1968.
  5. Bout Judith, L'invention de la défense en Chine, Retour sur le procès de la Bande des quatre, in La Vie des idées, le 20 novembre 2012.
  6. Lubman Stanley B., Bird in a Cage : Legal Reform in China after Mao, Stanford UP, Stanford, 1999.
  7. 张思之,后记,《我的辩词与梦想》,月旦出版社, 台北, 1998.
  8. 王鹏, 大律师张思之:我为什么为“异端”辩护?, 《新闻当事人》,vol. 518
  9. 郭宇宽 « 人权是一个国家最大的面子——对话“中国人权律师”张思之, 《南风窗》2004年10月下
  10. http://mypage.zhyww.cn/post/200803/157973.html
  11. 郑荣昌, 张思之的忘年交,《法律与生活》半月刊2010年2月上半月刊

Bibliographie

Liens externes

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