Youenn Drezen

Yves Le Drézen, né le à Pont-l'Abbé et mort le 15[1] ou [2] à Lorient, dit Youenn Drezen de son patronyme breton, alias Corentin Cariou ou encore Tin Gariou, est un journaliste et écrivain populaire de langue bretonne[3] ; il fut aussi un militant du Parti national breton.

Origine

Il est né dans une famille modeste. Entre 1906 et 1911, il fréquente l'école Saint-Gabriel à Pont-l'Abbé[4]. Son père décède en 1911, laissant huit enfants à élever par sa jeune veuve. Remarqué par les pères missionnaires de Picpus, il part pour leur séminaire de Hondarribia au Pays basque espagnol. Il y rencontre Jakez Riou et Jakez Kerrien et, tout en menant des études théologiques, littéraires et scientifiques, ces exilés redécouvrent la langue bretonne et entrevoient la possibilité d’en épurer les formes pour en faire une langue littéraire. Persuadé de n'avoir pas la vocation missionnaire, Drezen revient en Bretagne en 1917 (ultérieurement, sa nouvelle Sizhun ar Breur Arturo évoquera de façon romancée son renoncement à la vocation). Il rencontre, à l'occasion de son service militaire à Rennes, les jeunes responsables de l'Unvaniezh Yaouankiz Breiz, Maurice (Morvan) Marchal (19 ans), Jean (Yann) Bricler (15 ans), Olivier Mordrelle alias Olier Mordrel (18 ans), Arsène Gefflot (17 ans), qui venaient, dans leur petit bulletin Breiz Atao.

Journaliste

Sa carrière de journaliste débute en 1924, il entre à la rédaction brestoise de l'hebdomadaire bilingue Le Courrier du Finistère. En 1931, il passe à la presse quotidienne en rejoignant la rédaction de Vannes de l'Ouest-Journal. Parallèlement, il donne des traductions et des textes littéraires à Gwalarn, l'emblématique revue littéraire bretonnante[5] créée en 1925 par Roparz Hemon. Dans les années trente il signe des articles dans Breiz Atao, organe du PNB, dans La Bretagne Fédérale. Démobilisé en 1940, il écrit des chroniques littéraires ou politiques[6] dans le journal du parti national breton L'Heure Bretonne, dans La Bretagne et dans Arvor. Il crée plusieurs pièces radiophoniques comiques pour la radio bretonnante "Roazon Breiz". Après la guerre, il tient un café à Nantes. Il revient au journalisme en 1961 à Lorient au quotidien La Liberté du Morbihan. Retraité en 1964, il décède le . Il repose au cimetière de Pont-l'Abbé.

Écrivain

En , il traduit en breton des œuvres de l'Antiquité grecque, dont deux pièces d'Eschyle, Prométhée enchaîné et Les Perses, aussi bien que des œuvres contemporaines (Synge). Il mène de front sa carrière d'écrivain original : une œuvre féconde et variée mêlant poèmes, romans, nouvelles et pièces de théâtre dont la grande particularité est d'avoir été entièrement écrite en breton. Certains romans ont fait l'objet d'une traduction (par son compatriote Pierre Jakez Hélias entre autres). Il est l’un des meilleurs écrivains en breton, car il a su mêler la vigueur de son parler de Pont-l'Abbé à une recherche de la perfection littéraire, parfois par l'utilisation de l’euphonie. À la recherche d'un art total, il s'est attaché à faire illustrer ses œuvres par des artistes contemporains (René-Yves Creston, Xavier Haas), ce qui l'amène à adhérer à l'association artistique des Seiz Breur. Il donne des traductions de l’espagnol (Ar vuhez a zo un huñvre de Calderón, du grec ancien (Eschyle) et des poèmes, dont Nozvez arkus e beg an enezenn ((fr): Nuit de veille à la pointe de l'île) écrit en mémoire de Jakez Riou en 1938 et réécrit en 1960 (Al Liamm, 151).

Youenn Drezen a aussi traduit, depuis le français, l'anglais ou l'allemand, des livres pour les enfants, publiés par la maison éditrice de Gwalarn, distribués gratuitement dans les écoles aux enfants ayant participé à des concours de rédaction en langue bretonne. Par exemple des œuvres de Beatrix Potter, ou Priñsezig an dour, écrite et illustré par G. H. Rotman.

Seconde Guerre mondiale

La Seconde Guerre Mondiale ne ralentit pas ses activités. Il publie régulièrement des articles, certains ouvertement indépendantistes et anti-français, dans L'Heure bretonne, organe du Parti national breton (Youenn Drezen, kelaouenner), ainsi que dans Stur (dirigé par Mordrel), Galv (dirigé par Hervé Le Helloco) et La Bretagne de Yann Fouéré. En 1941, il publie son roman breton, Itron Varia Garmez, qui raconte la vie des pauvres gens de Pont-l'Abbé durant la Grande Dépression, ainsi que l'arrivée du Front populaire en 1936.

Le , il écrit par exemple dans L'Heure bretonne, sous le pseudonyme de Tin Cariou, à l'occasion d'un congrès de militants du Parti national breton tenu à Quimper : « Je suis sorti de cette réunion avec la conviction que l'avenir breton appartient au PNB »[7].

Peu après, il est pigiste à Radio Rennes Bretagne, écrit des pièces radiophoniques de facture traditionnelle et y prononce des causeries. En 1943, il dirige le journal bilingue Arvor, dont il fait le premier hebdomadaire entièrement en breton. Il y publie des textes contre les Alliés (ces derniers motivés par les 2 300 victimes des bombardements de sur Nantes). Sa causerie du paraît dans le no 104 d'Arvor le [8].

De nombreux textes racistes et antisémites de Youenn Drezen publiés dans la presse collaborationniste bretonne ont été traduits par Françoise Morvan et publiés dans son essai Le Monde comme si (Actes Sud, 2002, réédition en collection Babel). Elle rappelle que Youenn Drezen, l’un des premiers militants du groupe nationaliste Breiz Atao, n’a fait qu’accompagner la dérive pronazie des membres de Breiz Atao et que ces textes sont inspirés par une idéologie non seulement antisémite mais antifrançaise et antirépublicaine que Drezen n’a pas reniée après guerre. Ces textes peuvent être lus sur le site du Groupe Information Bretagne (article « Le racisme et l’antisémitisme de Youenn Drezen »)  [9].

Il est inquiété à la Libération[10]: arrêté le , il est interné au camp Margueritte de Rennes. Libéré le , son dossier étant classé sans suite, il fait cependant l'objet d'une interdiction de séjour en Bretagne d'un an[11]. Il est alors soutenu par René-Yves Creston et Marcel Cachin[12].

Après la guerre

Drezen réside ensuite à Nantes où il tient le Café des Halles, 2 rue du Pont de l'Arche-sèche (c'est l'adresse qu'il mentionne dans le "prière d'insérer" de Youenn vras hag e leue[Quoi ?]), sans cesser de collaborer à Al Liamm, la revue continuatrice de Gwalarn. Pour les débuts de la revue, il compose un court et élégant récit autobiographique, Sizhun ar breur Arturo, par lequel il entend, d'une part, redire aux milieux anticléricaux que le breton et la religion ne sont pas inséparables et, d'autre part, remettre à l'esprit des catholiques que, face aux lois de 1901 et 1905, l'Église elle-même n'avait reculé ni devant certaines formes de résistance violente, ni devant la poursuite à l'étranger d'activités interdites en France. Il se montre un catholique fervent et très traditionaliste mais refusant de rompre avec le pape. Sa culture catholique est intense et vaste ainsi que ses connaissances linguistiques mais il n'ose pas remettre en question certains choix de Roparz Hemon dont il suggère qu'ils sont peut-être erronés, sans insister du tout car comme lui il méprise le "trefoedaj brito-roman" = le patois brito-roman parlé par le Peuple[réf. nécessaire]. Puis, il se consacre à l'écriture du roman de sa jeunesse pauvre en Pays Bigouden : Skol Louarn Veig Trebern (1972-1973). Pour Francis Favereau, ce récit des aventures extrascolaires d'un enfant de huit ans, à la Tom Sawyer, dans l'univers besogneux, mais pittoresque de Pont-l'Abbé d'avant 1914, est son chef-d'œuvre d'après-guerre. Youenn Drezen meurt à Lorient en 1972, laissant un fils portant le même prénom que lui.

La polémique survenue en 2020 à Pont-l'Abbé

La rue Youenn-Drezen de Pont-l'Abbé a été débaptisée en 2020 en raison de ses engagements dans le nationalisme breton pendant l'Occupation, inscrits "dans la tradition antisémite des milieux nationalistes"[13]. Le fils de Youenn Drezen a protesté, parlant d'une "campagne de dénigrement". La rue a été renommée "rue Arnaud-Beltrame"[14].

Œuvres

Romans et nouvelles

  • Mintin Glas (Matin vert), nouvelle ; Brest, Gwalarn, 1927.
  • Kan da Gornog, illustré par René-Yves Creston ; Skrid ha Skeudenn, 1932.
  • An Dour en-dro d'an Inizi (L'Eau autour des îles, nouvelle), couverture en trichromie par Xavier de Langlais ; Brest, Gwalarn (no 43), mae 1932, 45 p.
    • réédition : An Dour an-dro d'an Inizi ; Brest, Al Liamm, 1970.
  • Itron Varia Garmez ; La Baule, Skrid ha Skeudenn, 1941. Roman
    • Traduit en français par l'auteur : Notre Dame Bigoudenn, préface de Jean Merrien ; P., Denoël, 1943.[en fait Notre-Dame-des-Carmes]. Ce roman fait une peinture ironique et sans concession de Pont-l'Abbé et de ses habitants.
    • réédition : P., Denoël (collection Relire), 1977, 227 p. (avec préface de Pierre Jakez Hélias).
  • Sizhun ar Breur Arturo (La Semaine du frère Arthur), nouvelle ; Brest, Al Liamm, 1971 et 1990 ; éditions An Alarc'h, 2011.
  • Skol Louarn Veig Trebern (L'École buissonnière du petit Hervé Trebern), roman en trois volumes, préface de P.J. Hélias ; Al Liamm, 1972-1974.
    • traduction en français par l'auteur et Pierre-Jakez Hélias : L'École du Renard ; Paris, éd. Jean Picollec, 1986.

Théâtre

Traductions

  • War varc'h d'ar mor, de J.M. Synge ; Brest, Gwalarn (Levraoueg Gwalarn, 2), 1926, 23 p. (tiré à part de Gwalarn 7).
  • Prinsezig en dour, de G.H. Rotman, trad. en collab. avec R. Hemon ; Brest, Gwalarn, 1927.
  • Prometheus ereet - Ar Bersed, gant Aesc'hulos (Eschyle) ; Brest, Gwalarn, 1928 ; Mouladurioù Hor Yezh, 2000 (illustrations de G. Robin et R.Y. Creston).
  • Per ar c'honikl ; Savet e Saozneg gant Beatrix Potter, lakaet e brezoneg gant Y. Drezen ; Brest, Levriou ar Vugale - Gwalarn (Levraoueg Gwalarn, niv. 11), 1928, 32 p., ill. (imprimé à Saumur sur les presses de l'École émancipée).
  • Nijadenn an Aotrou skanvig, de G.H. Rotman ; Brest, Gwalarn, 1929.
  • An draoñienn hep heol, de J.M. Synge In War-du ar pal, n°. 2, 1938.
  • Lommig, de Xavier Haas (traduit du français) ; Brest, Skridoù Breizh, 1942.
  • L'herbe de la Vierge, de Jakez Riou ; nouvelles traduites du breton ; Nantes, Aux Portes du large, 1947 (comporte une importante préface de Drezen).

Chroniques

  • Youenn Drezen, kelaouenner (Chroniques de L'Heure bretonne) ; éd. Hor Yezh, 1990.

Notes et références

  1. Drezen, Youenn (1899-1972), « BnF Catalogue général », sur catalogue.bnf.fr (consulté le )
  2. Lukian Raoul, Geriadur ar skrivagnerien ha yezhourien, p.219
  3. Il portait témoignage du dedans, ayant pu s'identifier, à force de sympathie et d'observation, au petit peuple des faubourgs de Pont-L'Abbé, la fière, la frondeuse, l'irréductible capitale du Pays bigouden. Il était de ce peuple et s'est gardé de jamais en sortir malgré une existence aux multiples avatars et une étonnante culture, préface de P.J. Hélias à Notre-Dame Bigoudenn, 1977
  4. Robert Baud, Les cent ans d'un établissement scolaire bigouden l'école Saint-Gabriel-Notre-Dame des Carmes, 1894-1994, Édition : Pont-L'Abbé : Saint-Gabriel-Notre-Dame des Carmes , 1995, p. 246.
  5. Les colonnes de Gwalarn sont ouvertes à toutes les plumes sans distinction de parti. L'adhésion à Gwalarn n'implique pas l'adhésion au nationalisme breton. La littérature peut être mise au service de la politique, mais elle n'en dépend pas essentiellement. Il y aura place dans notre revue littéraire pour l'idée bretonne ; il y aura place pour un art libre vis-à-vis de toute doctrine. Nous concevons aussi qu'on puisse le faire par pur sentiment esthétique. Manifeste de Gwalarn, 1925
  6. Francis Favereau (trad. du breton), Anthologie de la littérature bretonne du XXe siècle., Morlaix, Skol Vreizh, , 576 p. (ISBN 2-911447-94-8), p. 380-405
  7. L'Heure bretonne no 79 du .
  8. Georges Cadiou, L'Hermine et la croix gammée : le mouvement breton et la collaboration, Éditions Apogée, , 383 p., p. 235.
  9. « Le racisme et l’antisémitisme de Youenn Drezen | GRIB : Groupe Information Bretagne » (consulté le )
  10. Francis Favereau, Anthologie de la littérature de langue bretonne au XXe siècle : partie 1919-1944, Skol Vreizh, , 575 p., p. 387
  11. Le Bezen Perrot, Hamon Kristian, Yoran Embaner, 2001.
  12. Francis Favereau, Lennegezh ar brezhoneg en XXvet kantved, Montroulez, 2003, levrenn II/387.
  13. Yves Cannévet, conseiller municipal (extrait d'interview), « Nom de rue à Pont-l’Abbé : la mairie remplace l'auteur Youenn Drezen par le gendarme Arnaud Beltrame », sur http://www.ouest-france.fr,
  14. « Débaptiser la rue Youenn-Drezen  : « Justifié et courageux » », sur letelegramme.fr, Le Télégramme, (consulté le ).

Voir aussi

Bibliographie

  • Abeozen, Istor lennegezh vrezhonek an amzer-vreman ; Brest, Al Liamm, 1957.
  • Francis Favereau, Littérature et écrivains bretonnants depuis 1945 ; Morlaix, éd. Skol Vreizh, 1991.
  • Lukian Raoul, Geriadur ar skrivagnerien ha yezhourien ; Brest, Al Liamm, 1992.
  • Bernard Le Nail, Dictionnaire des romanciers de Bretagne ; Spézet, éd. Keltia Graphic, 1999.
  • Nicole Le Dimna, Palimpsestes franco-bretons : l'autotraduction de Youenn Drezen ; P., L'Harmattan, 2005 (contient des textes inédits).
  • Yves Le Berre, Qu'est-ce que la littérature bretonne ? Essais de critique littéraire, XVe –  XXe siècle ; Presses universitaires de Rennes, 2006.

Vidéographie

  • Marie Kermarrec, Youenn Drezen, 1899-1972. Images animées ; Rennes, France 3 Ouest et Brest, Kalanna, 2000 (cassette vidéo de 26 min, en breton).

Articles connexes

Liens externes

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