William Shockley

William Bradford Shockley () est un physicien américain. Sa tentative de commercialisation d'un nouveau type de transistor dans les années 1950 et 1960 est à l'origine de la création de la Silicon Valley. Il fut, aux côtés de John Bardeen et Walter Houser Brattain, lauréat du prix Nobel de physique de 1956 « pour leurs recherches sur les semiconducteurs et leur découverte de l'effet transistor[1] ».

Pour les articles homonymes, voir Shockley.

William Shockley
William Shockley
Naissance
Londres (Royaume-Uni)
Décès
Stanford (États-Unis)
Nationalité Américain
Domaines Physique du solide
Institutions Laboratoires Bell
Diplôme MIT (1936)
Renommé pour Invention du transistor
Distinctions Prix Nobel de physique 1956

Biographie

Né à Londres en Angleterre, de parents américains, et ayant grandi en Californie, il obtint son B.S. au California Institute of Technology en 1932 et son doctorat au MIT en 1936. Notamment, le titre de sa thèse de doctorat était Calcul des fonctions d'onde électronique dans des cristaux de chlorure de sodium.

Au service de la Défense

Au terme de sa soutenance de thèse, Shockley fut recruté dans une équipe de chercheurs des laboratoires Bell dirigée par C. J. Davisson à Murray Hill (New Jersey). C'est là qu’il publia plusieurs articles fondamentaux sur la physique de l'état solide pour la Physical Review. Il fit enregistrer son premier brevet en 1938, celui d'un canon à électrons électromultiplicateur[2].

Lorsque les États-Unis entrèrent en guerre, Shockley se lança dans la recherche sur les radars aux laboratoires Bell de Manhattan. Puis au mois de , il accepta l’offre de l’université Columbia de devenir directeur de recherche du Groupe des opérations de lutte anti-sous-marine[3] : cela consistait à développer de nouvelles méthodes pour combattre la tactique des submersibles avec des techniques de convoyage spéciales, dont l’usage de grenade anti-sous-marine, etc. Cet engagement supposait des déplacements fréquents au Pentagone et à Washington, où Shockley entra en contact avec plusieurs officiers généraux et de hauts fonctionnaires. En 1944, il organisa un programme de stage pour inciter les pilotes de bombardier B-29 à utiliser les nouveaux viseurs radar. À la fin de l’année 1944, il fit pendant trois mois la tournée des bases américaines à travers le monde pour exposer les résultats de ses recherches. En reconnaissance de cette activité, le secrétaire d’État à la Guerre, Robert Patterson, décora Shockley de la Medal for Merit le [4].

Au mois de , le département de la Guerre chargea Shockley de rédiger un rapport sur l’estimation du nombre de victimes qu’entraînerait un débarquement américain au Japon. Shockley conclut : « Si ce rapport a pu démontrer que le comportement combatif des civils s’est invariablement avéré à la hauteur du comportement des troupes au combat, dans les précédents similaires à celui du Japon, alors cela signifie que le nombre de morts et d’infirmes japonais à l’heure de leur défaite dépassera le nombre des victimes allemandes ; en d’autres termes, nous devrons probablement tuer entre 5 et 10 millions de Japonais. Cela pourrait nous coûter entre 1,7 et 4 millions de victimes dont 400 000 à 800 000 morts[5] ». Selon l'historien américain R. Newman, de l'université de Pittsburgh, ce rapport aurait incité les autorités américaines à envisager les bombardements atomiques d'Hiroshima et de Nagasaki pour contraindre l’Empire japonais à la reddition[6].

L'invention du transistor

John Bardeen, William Shockley et Walter Brattain aux laboratoires Bell (1948).

En 1945, les laboratoires Bell constituèrent une équipe de physiciens placés sous la direction de Shockley et du chimiste Stanley Morgan : il y avait parmi eux John Bardeen, Walter Brattain, le physicien Gerald Pearson, le chimiste Robert Gibney, l’expert en électronique Hilbert Moore, etc. Leur tâche consistait à trouver un substitut solide aux fragiles amplificateurs à lampe. Leurs premières tentatives reprenaient une idée de Shockley : modifier la conductivité d’un semi-conducteur en le plongeant dans un champ électrique ; or, quels que fussent la configuration ou le choix des matériaux, ces expériences échouaient régulièrement. Il n’y eut aucun progrès jusqu'à ce que Bardeen suggère que c’était l’électrisation de la couche externe qui faisait écran au champ électrique sur les couches internes du semi-conducteur. L’équipe se consacra dès lors entièrement à l’étude de l’électrisation de la couche externe[7].

Dès l’hiver 1946, l’équipe de Shockley avait réuni suffisamment de résultats pour que Bardeen puisse publier un article sur les configurations de couche externe à la Physical Review. Brattain lança des expériences destinées à explorer les états de couche externe en dirigeant un faisceau lumineux concentré sur la surface des semi-conducteurs. Les résultats obtenus fournirent la matière de nouveaux articles. Le rythme de travail s’accrut notablement lorsque l'on découvrit le bénéfice qu’il y avait à enduire les contacts entre le semi-conducteur et les fils conducteurs avec des électrolytes. Puis Moore fabriqua un circuit qui permettait de faire varier facilement la fréquence du signal d'entrée et lorsque enfin Pearson, sur une idée de Shockley, appliqua la différence de tension à la surface d'une goutte de borate de glycol (une solution visqueuse d'emploi courant dans les condensateurs électrolytiques) insérée à travers une jonction P-N, les chercheurs obtinrent les premières manifestations d'une amplification de puissance[8].

Émulation et progrès théoriques

Mais les juristes des laboratoires Bell apprirent bien vite que le principe d’effet de champ de Shockley était déjà connu, et qu'un physicien allemand, J. Lilienfeld, avait breveté l'effet MESFET au Canada[9] ainsi que divers appareils exploitant ce phénomène dès 1925. Quoique le brevet de Lilienfeld parût attaquable (ses appareils n'avaient jamais été fabriqués, et selon toute vraisemblance, ils ne pouvaient fonctionner tels quels), les juristes de Bell firent uniquement breveter les applications du contact électrique ponctuel Bardeen-Brattain. Trois autres brevets protégeaient les transistors à électrolyte, crédités à Bardeen, Gibney et Brattain ; le nom de Shockley n’apparaissant nulle part dans ces brevets, ce dernier s'en indigna : il fit savoir à Bardeen et Brattain qu'il avait l'intention de faire breveter l'effet de champ à son seul nom[10].

Réplique du premier transistor bipolaire (musée Heinz Nixdorf à Paderborn, Allemagne).

Shockley chercha désormais seul à concevoir un type de transistor différent, basé sur des jonctions plutôt que sur des contacts ponctuels, en estimant d'ailleurs que ce composant serait plus rentable commercialement, car il trouvait les transistors de Brattain et Bardeen fragiles et difficiles à fabriquer ; en outre, la théorie de l'amplification par contact ponctuel ne lui paraissait pas satisfaisante, et il imaginait plutôt un déclenchement de conduction par injection de porteurs de charge minoritaires. Le , un autre membre de l’équipe, John Shive, mit au point un transistor à contacts en bronze de part et d'autre d'un film de germanium : ce composant démontrait, par son existence même, que les lacunes électroniques se propagent non seulement à la surface, mais aussi dans la masse du cristal de germanium[11],[12]. L’invention de Shive parut déclencher[13] celle du transistor à jonction par Shockley[11] : quelques mois plus tard, en effet, Shockley développa un type de transistor entièrement nouveau, qui consistait en un empilement de jonctions. Cette structure sera d'ailleurs celle de la majorité de transistors des années 1960 ; par la suite, elle évoluera vers le transistor à jonction bipolaire.

Shockley reconnut par la suite que les recherches de son équipe résultaient « d'un mélange de coopération et de compétition », et que lui-même avait gardé secrètes certaines de ses idées jusqu'à ce que l'avance prise par Shive en 1948 lui « force la main[14]. »

Shockley rédigea une description très détaillée de ce qu'il appelait le « transistor sandwich », et il obtint les premiers résultats concluants le . Parallèlement, il travaillait sans relâche à son chef-d'œuvre, Électrons et lacunes dans les semi-conducteurs (Electrons and Holes in Semiconductors), traité de 558 pages qui parut en 1950. Il y développait les idées révolutionnaires d’effet d'avalanche et de diffusion dans les métaux, et établissait les équations différentielles décrivant le flux d’électrons dans les édifices cristallins. Il y donne également l'équation régissant le comportement des diodes. Ce traité classique a guidé pendant des années les chercheurs et ingénieurs travaillant à la conception de nouveaux semi-conducteurs[15].

Il en résulta l’invention du transistor bipolaire, annoncée lors d'une conférence de presse le [16].

La publicité donnée à « l’invention du transistor » devait par la suite profiter principalement à Shockley, au grand dam de Bardeen et Brattain ; quant à la direction des laboratoires Bell, elle ne cessa de présenter ses trois inventeurs comme une équipe soudée. Les premiers temps, Shockley amendait les propos de ses biographes et des journalistes chaque fois qu'on lui attribuait exclusivement le mérite de l'invention[17], mais au début des années 1950, il dénigra la part prise par Bardeen et Brattain, et d'ailleurs les empêcha de travailler sur le transistor bipolaire. C'est ce qui détermina Bardeen à démissionner des laboratoires Bell en 1951, et à se lancer dans l'étude théorique de la supraconductivité ; quant à Brattain, il refusa de continuer à travailler dans l'équipe de Shockley[18].

Heurs et malheurs du « laboratoire Shockley »

En 1956 Shockley quitta le New Jersey pour Mountain View (Californie), afin d’y ouvrir le laboratoire Shockley sur les semiconducteurs, et de se rapprocher de sa famille, vivant à Palo Alto (Californie)[19],[20]. La société, dépendant de Beckman Instruments, Inc., fut la première à travailler sur des composants semi-conducteurs au silicium dans ce qui allait devenir par la suite la Silicon Valley.

Là, les tendances dominatrices et paranoïaques de Shockley commencèrent à s'exacerber. Un jour, une coupure au pouce reçue par une de ses secrétaires lui apparut comme la manifestation d'un acte de malveillance et il exigea qu'on procède à des tests au détecteur de mensonges pour trouver le coupable[21]. Après avoir reçu le prix Nobel en 1956, son comportement se fit de plus en plus despotique, instable et déplaisant[22], si bien qu'à la fin de l'année 1957, devant son refus de poursuivre les recherches sur le dopage au silicium, huit de ses collaborateurs (qui seront ensuite qualifiés de traitorous eight) démissionnèrent en bloc[23] ; ils décidèrent de créer leur propre bureau d'études, Fairchild Semiconductor. Le laboratoire Shockley ne devait pas se relever de cette saignée : au long des 20 années suivantes, les anciens collaborateurs de Shockley allaient déployer 65 nouvelles inventions[24].

Après les années 1960, Shockley fut professeur à Stanford et devint également un fervent avocat de l'eugénisme. Ses vues sur les Noirs américains, qu'il jugeait héréditairement avoir un quotient intellectuel moyen inférieur à celui des Blancs, lui valurent en particulier de nombreuses critiques et accusations de racisme scientifique[25].

Il est le seul prix Nobel à avoir fait don de son sperme à la « Repository for Germinal Choice », une banque de sperme qui se voulait conçue uniquement pour prix Nobel, et qui accueillit finalement des hauts QI et athlètes.

Shockley a été désigné par le Time Magazine comme l'une des 100 personnes les plus influentes du XXe siècle. (source ?)

Notes et références

  1. (en) « for their researches on semiconductors and their discovery of the transistor effect » in Personnel de rédaction, « The Nobel Prize in Physics 1956 », Fondation Nobel, 2010. Consulté le 16 juin 2010
  2. D'après (en) Joel N. Shurkin, Broken genius : the rise and fall of William Shockley, creator of the electronic age, London New York, Macmillan, , 297 p. (ISBN 978-1-4039-8815-7 et 978-0-230-55192-3, OCLC 64511173), p. 48
  3. Broken Genius, p. 65–67
  4. Broken Genius, p. 85
  5. (en) D. M. Giangreco, « Casualty Projections For the U.S. Invasions Of Japan, 1945–1946 », Journal of Military History (en), vol. 61, no 3, , p. 568 (DOI 10.2307/2954035, lire en ligne)
  6. Robert P. Newman, « Hiroshima and the Trashing of Henry Stimson », The New England Quarterly (en), vol. 71, no 1, , p. 27 (DOI 10.2307/366722)
  7. Brattain cité dans (en) Michael Riordan et Lillian Hoddeson, Crystal Fire : The Invention of the Transistor and the Birth of the Information Age, W. W. Norton & Company, coll. « Sloan technology », (1re éd. 1998), 352 p. (ISBN 978-0-393-31851-7, OCLC 40553672), p. 127
  8. Crystal Fire, p. 132
  9. Brevet US 1745175 "Method and apparatus for controlling electric current" first filing in Canada on 22.10.1925
  10. (en) IEEE, « William Shockley », sur IEEE Global History Network (consulté le )
  11. Crystal Fire
  12. (en) Lillian Hoddeson et Vicki Daitch, True Genius : The Life and Science of John Bardeen : the Only Winner of Two Nobel Prizes in Physics, Washington, D.C., Joseph Henry Press, , 467 p. (ISBN 0-309-08408-3, lire en ligne)
  13. (en) James E. Brittain, « Becker and Shive on the transistor », Proceedings of the IEEE, vol. 72, no 12, , p. 1695 (DOI 10.1109/PROC.1984.13075, lire en ligne) : « ... observation que William Shockley interpréta comme la confirmation de sa théorie du transistor à jonction... »
  14. D'après « Inventors of the transistor followed diverse paths after 1947 discovery », Associated press - Bangor Daily news, (lire en ligne, consulté le ) : « ...Shockley, soucieux d'apporter sa propre contribution, déclara qu'il avait gardé certaines de ses idées secrètes jusqu'à ce qu'au début de 1948, un progrès signalé par John Shive, un autre chercheur des laboratoires Bell, lui force la main »
  15. Broken Genius, p. 121-122
  16. (en) « 1951 - First Grown-Junction Transistors Fabricated », sur Computer History Museum, (consulté le )
  17. D'après (en) Spencer Weart et Karen C. Fox, « Transistorized! - William Shockley », (consulté le )
  18. Crystal Fire, p. 278
  19. David Leonhardt, « Holding On », New York Times, (lire en ligne, consulté le ) : « In 1955, the physicist William Shockley set up a semiconductor laboratory in Mountain View, partly to be near his mother in Palo Alto. »
  20. (en) « Two Views of Innovation, Colliding in Washington », New York Times, (lire en ligne, consulté le ) : « The co-inventor of the transistor and the founder of the valley's first chip company, William Shockley, moved to Palo Alto, Calif., because his mother lived there. »
  21. Crystal Fire, p. 247
  22. PBS program - American Experience (2012) 'Silicon Valley'
  23. Cf. (en) Adam Goodheart, « 10 Days That Changed History », New York Times, no 2 juillet, (lire en ligne)
  24. A Legal Bridge Spanning 100 Years: From the Gold Mines of El Dorado to the "Golden" Startups of Silicon Valley by Gregory Gromov
  25. Cf. (en) Ronald Kessler, « Absent at the Creation; How one scientist made off with the biggest invention since the light bulb », The Washington Post Magazine, , p. 16 (lire en ligne) : « Pour le plus grand dégoût de ses collègues, Shockley devint adepte (à la fois dans ses écrits et les interviews qu'il donnait) de la théorie de l'infériorité génétique des noirs. Il proposait de payer les individus de QI faible ou porteurs de maladies génétiques afin de les inciter à se faire stériliser. »

Articles connexes

Liens externes

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