Viols durant l'occupation de l'Allemagne

Les viols durant l’occupation de l'Allemagne sont des viols massifs qui ont eu lieu pendant l'occupation du territoire allemand par les troupes alliées entrées en Allemagne dans les derniers mois de la Seconde Guerre mondiale.

La plupart des chercheurs occidentaux conviennent que la majorité des viols a été commise par des militaires soviétiques. Cependant, les estimations du nombre de viols varient et sont contestées. Selon les chiffres le plus souvent cités, le nombre de femmes violées en Allemagne en 1945 par des soldats de l'Armée rouge est estimé à près de 2 000 000.

Viols commis par l'armée soviétique

Deux femmes et trois enfants abattus par l'armée soviétique. Il est rapporté que les deux femmes montrent des signes de viol.

Une vague de viols et de violences sexuelles a déferlé en Europe centrale en 1944-1945, alors que les Alliés occidentaux et l'Armée rouge envahissaient le Troisième Reich. En 1945, à Berlin, sur une population civile de 2 700 000 d'individus, 2 000 000 étaient des femmes. La population civile féminine a été régulièrement victime de violences sexuelles. Des prisonniers de guerre britanniques en ont témoigné après leur retour dans la zone d'occupation britannique en Allemagne : « Dans le secteur autour de notre camp d'internement, […], des soldats soviétiques violaient, au cours des premières semaines après la conquête, chaque femme et chaque fille entre 12 et 60 ans. […] Des pères et des maris, qui voulaient les protéger, ont été tués, et des filles qui montraient beaucoup de résistance ont également été assassinées »[1].

La majorité des agressions a été commise dans la zone d'occupation soviétique. Entre , lorsque l'Armée Rouge entre dans le pays, et , quand les Alliés se partagent le Reich, près de deux millions d'Allemandes sont violées par les Soviétiques. Dans de nombreux cas, les femmes ont été victimes de viols répétés, certaines jusqu'à 60 à 70 fois[2].

Soldats soviétiques en 1945.

Rien qu'à Berlin, les historiens évoquent 100 000 viols entre avril et [3] sur la base de la flambée des taux d'avortements dans les mois suivants et des rapports d'hôpitaux modernes. 10 000 femmes violées meurent des suites de leurs blessures ou décident de se suicider. Les décès de femmes en liaison avec des viols en Allemagne, dans l'ensemble, sont estimés à 240 000[4],[5].

Dans plusieurs secteurs, les abus sexuels massifs se sont accumulés de telle manière que la demande « Frau, komm! » (« Femme, viens ! ») est devenue une expression courante, au point que des enfants ont commencé à jouer à « violer »[6].

L'historienne Silke Satjukow raconte que selon les estimations, entre 10 et 90 % des femmes qui se trouvaient à Berlin à la fin de la guerre ont été violées par les Soviétiques. Nombre d'entre elles ont été victimes de viols collectifs, et/ou répétés, puis déportées vers l'URSS.

Fuyant l'avancée de l'Armée Rouge, un grand nombre de réfugiées venues des territoires de l'Est vivaient à Berlin. Les hommes étaient au front et les femmes, livrées à elles-mêmes, savaient ce qui les attendaient : la propagande nazie ne cessait d'évoquer les atrocités commises par l'Armée Rouge sur les civils. Goebbels agitait cette menace pour motiver la Wehrmacht désabusée par l'accumulation des défaites depuis la perte de Stalingrad. Il pensait que les hommes se battraient avec plus d'ardeur s'ils savaient que les femmes seraient violées en cas de défaite[1]. Cela a, probablement en partie, augmenté les suicides en masse de 1945 en Allemagne nazie à l'approche de la défaite.

L'officier des transmissions dans la 31e armée soviétique Léonid Rabitchev confirme les exactions commises par ses compagnons d'armes en en Prusse-Orientale sur les civils fuyant Gołdap, Insterburg et d'autres villes allemandes d'où la Wehrmacht reculait, selon lui, sans livrer bataille[7] : « Nous étions motorisés, ce fut facile de les rattraper. Et là a commencé l'enfer. Toutes les filles, toutes les femmes ont été mises à part et violées continûment par des groupes entiers. Je voyais au bord des routes ces femmes et ces jeunes filles nues et, autour, des groupes d'hommes pantalons baissés. Si les enfants essayaient d'aider leur maman, on les abattait. Idem pour les vieillards. On violait ces femmes, jeunes ou vieilles, jusqu'à ce qu'elles perdent conscience. Et après on les tuait. Les colonels, les généraux regardaient ces scènes et éclataient de rire. Ils essayaient même de réguler le 'mouvement' afin que chaque soldat reçoive sa 'ration'. […] C'est incroyable mais même les filles telephonistki [jeunes femmes téléphonistes militaires] riaient. C'était complètement immoral et je ne les comprenais pas. Mes soldats ont participé aussi. Je ne pouvais pas les en empêcher. »[8]. Rabitchev évoque également que dans un village de Trautenau qui comptait une vingtaine de maisons, il découvrait « dans chaque chambre, sur les lits, des cadavres de femmes allemandes, les jambes écartées, une bouteille enfoncée entre les jambes »[9], ainsi que le cas d'environ 200 habitantes de Heilsberg qu'il était chargé de protéger en ne laissant entrer personne dans l'église où elles étaient réfugiées : « Dans la demi-heure suivante, cinq de nos chars sont arrivés, ont dispersé mes sentinelles, sont entrés, et les viols ont commencé. Les femmes m'ont entouré et m'ont supplié de les aider, mais je ne pouvais rien faire. Le bruit s'est répandu dans la ville et tous les soldats sont arrivés. Quelqu'un a eu l'idée de jeter du haut de l'église les femmes qui perdaient conscience. Une butte de cadavres s'est formée au pied du clocher. Ça a duré trois ou quatre heures »[10]. En même temps, Rabitchev souligne qu'en en Silésie, à l'inverse de ce que le commandement avait toléré deux mois plus tôt en Prusse-Orientale, le maréchal Ivan Koniev, à la tête du 1er front d'Ukraine, fait fusiller quarante soldats devant le front des troupes et qu'« il n'y a eu aucun cas de viol après ça »[11],[7].

Le témoignage de Rabitchev rejoint plus ou moins celui du capitaine Lev Kopelev[12],[13], du sergent Nikolaï Nikouline[14] et du lieutenant Grigory Pomeranz. Ce dernier raconte qu'à la fin de la guerre « certains ont compris qu'on pouvait non seulement fusiller des prisonniers mais aussi violer des femmes : c'est le sentiment qu'on peut tout se permettre. Et ça, je l'ai vu dès que nous sommes entrés en Prusse-Orientale. […] J'entre dans une maison pour passer la nuit et je vois une femme âgée dans un lit. Mal en point. Je lui demande en allemand : "Que se passe-t-il ?" Elle a eu la visite de sept soldats, qui lui ont enfoncé dans le vagin une bouteille à l'envers en guise de souvenir. C'était le début. Après, à Berlin, c'est devenu une habitude… »[15]. Et d'ajouter : « Ça a pris de telles proportions que tous les officiers et tous les membres du Parti ont reçu une lettre de Staline. Ce n'était pas un ordre, mais un message privé, une lettre personnelle que tous les officiers et membres du Parti devaient signer. Dans ce message, Staline demandait de ne pas commettre d'actes qui poussent les Allemands à continuer leur résistance. Tout le monde s'est foutu de lui et de sa lettre. Dieu serait descendu sur terre et aurait ordonné, la réaction aurait été la même. Ça s'est calmé tout seul. Parce que c'était une explosion »[16].

Une Française Micheline Maurel, rescapée du camp de concentration de Neubrandenbourg, mentionne dans ses souvenirs un viol en réunion dont ses deux camarades, elles aussi françaises, ont été victimes : « À Waren qui brûlait encore, elles avaient, dans les maisons mises au pillage, été violées plusieurs fois par les Russes. Le dernier les avait finalement fait sortir par une fenêtre, avec des gestes éloquents, pour leur éviter la fatigue de passer encore sous les hommes d'une nouvelle compagnie qui entrait justement dans la maison. »[17].

« Les viols massifs ont cessé avec l'arrivée des Américains, en juillet 1945 », précise un politologue Allemand, Jochen Staadt. À partir de fin 1945, seuls quelques cas isolés ont été rapportés et des sanctions exemplaires ont été appliquées[1]. Néanmoins, l'historien américain Norman Naimark écrit que, après l'été 1945, les soldats soviétiques ayant capturé et violé des civils étaient généralement punis, la sanction allant d'une simple arrestation jusqu'à une exécution[18]. Cependant, les viols ont continué jusqu'à l'hiver 1947-1948.

Le responsable des services techniques de l'hôpital de Senftenberg, au sud-est de Berlin, a retrouvé dans le grenier le registre des patients de 1945. Entre juin et , le mot « Interruptio » figure régulièrement en face du nom des patientes. Pendant ces trois mois, les médecins de l'hôpital ont pratiqué quatre à cinq avortements par jour, sur des femmes âgées de 17 à 39 ans. « Selon le registre, 80 % des opérations effectuées à Senftenberg durant l'été 1945 ont été des avortements. À une époque où l'avortement était illégal ! » insiste Georg Messenbrink[1].

Antony Beevor, historien anglais, juge que c'est « le plus grand phénomène de viol de masse de l'histoire », et a conclu qu'au moins 1 400 000 femmes ont été violées en Prusse-Orientale, Poméranie et en Silésie. Jamais dans un seul pays et en une période si courte, autant de femmes et filles ont été abusées auparavant par des soldats étrangers qu'en 1944/45 après l'invasion de l'Allemagne par l'Armée rouge[19].

Analyse et critique des statistiques

Les estimations concernant le nombre de viols commis par l'armée soviétique en Allemagne ont été contestées par des historiens de la Russie et du gouvernement russe. Les critiques font valoir que les chiffres donnés sont basés sur une méthodologie erronée et des sources douteuses, et que bien qu'il y ait eu des cas d'excès et de violence sexuelle, l'Armée rouge dans son ensemble aurait traité la population allemande avec respect.

Makhmout Gareïev, président de l'Académie des sciences militaires de la Fédération de Russie, qui a participé à la campagne de Prusse-Orientale, affirme qu'il n'avait même pas entendu parler de la violence sexuelle. Il explique qu'après ce que les nazis ont fait en URSS, les excès étaient susceptibles d'avoir lieu, mais que de tels cas ont été directement et sévèrement réprimés et punis, et ne se sont pas généralisés. Il note que la direction militaire soviétique a signé un décret le visant à prévenir les traitements cruels envers la population locale. Selon Gareïev, l'historien britannique Antony Beevor a simplement copié la propagande de Goebbels sur la « sexualité agressive de nos soldats »[20].

Richard Overy, un historien britannique du King's College de Londres, a critiqué le point de vue défendu par les Russes, affirmant qu'ils refusent de reconnaître les crimes de guerre soviétiques commis pendant la guerre. « En partie, c'était parce qu'ils ressentaient que c'était une vengeance justifiée contre un ennemi qui avait commis bien pire, et en partie parce qu'ils écrivaient l'histoire des vainqueurs », rajoute-t-il[21].

Viols commis par l'armée américaine

L'historien Américain Robert J. Lilly, dans son ouvrage La Face cachée des GIs, estime que 11 040 viols ont été commis par les GIs en Allemagne (2 040 en Angleterre et 3 620 en France)[22].

Dans un ouvrage intitulé « Quand les soldats sont arrivés » (« Als die Soldaten kamen »), l'historienne allemande Miriam Gebhardt (en) a recensé 860 000 viols commis par des militaires alliés (soviétiques, américains, français, britanniques). À eux seuls, les membres de l'Armée rouge seraient responsables de 590 000 crimes, les Américains de 190 000, les Français de 50 000 et les Britanniques de 30 000. Elle s'est appuyée sur le nombre d'« enfants de l'Occupation », comme on surnommait ces enfants dont les géniteurs sont des soldats des quatre puissances alliées, et sur une estimation selon laquelle 5 % de ces enfants ont été conçus lors d'un viol. S'appuyant par ailleurs sur le fait qu'un enfant naît environ tous les 100 viols, Miriam Gebhardt est ainsi parvenue à cette estimation qui varie selon les historiens[23].

Le nombre de viols a atteint son niveau le plus élevé en 1945 mais ce taux élevé de violence contre les Allemandes a pratiquement cessé dans la première moitié de 1946, avec cinq cas de femmes allemandes retrouvées mortes dans une caserne américaine en mai-juin de la même année[24].

Les soldats noirs dans la zone occupée par les États-Unis étaient plus susceptibles d'être accusés de viol et d'être punis plus sévèrement. Heide Fehrenbach écrit que les autorités américaines avaient un intérêt explicite à préciser la couleur de peau d’un soldat lors de déclaration de tels faits[25].

Viols commis par l'armée britannique

Fantassins britanniques (1944).

Plusieurs cas d'attaques préméditées sont rapportés, comme la tentative de viol sur deux filles, sous la menace d'une arme, par deux soldats britanniques dans le village d'Oyle, près de Nienburg/Weser. Cette tentative de viol s'est finie par la mort d'une des femmes, abattue par un des soldats[26].

En une seule journée de la mi-, trois femmes ont été violées à Neustadt am Rübenberge par des soldats britanniques. Un aumônier en chef de l'armée britannique a déclaré que « ça violait à tour de bras. » Il a ensuite ajouté que « celles qui ont souffert de viol l'ont probablement mérité »[27].

Viols commis par l'armée française

Les troupes françaises ont pris part à l'invasion de l'Allemagne et ont été affectées à une zone d'occupation en Allemagne.

Selon l'historien Perry Biddiscombe, les Français ont commis « 385 viols dans la région de Constance ; 600 à Bruchsal ; et 500 à Freudenstadt »[28]. Les soldats français se livrèrent à « une orgie de viols » dans le district de Höfingen, près de Leonberg (Bade-Wurtemberg). À Stuttgart (Bade-Wurtemberg), des milliers de femmes sont victimes des Français, lors de la prise de la ville[29].

Selon Norman Naimark, les goumiers marocains, intégrés aux troupes françaises, ont eu un comportement similaire à celui des soldats soviétiques, en particulier au début de l'occupation du Bade-Wurtemberg[30].

Notes et références

  1. Nathalie Versieux, « Rouge cauchemar », Libération, (lire en ligne).
  2. (en) William I. Hitchcock, The Struggle for Europe The Turbulent History of a Divided Continent 1945 to the Present (ISBN 978-0-385-49799-2)
  3. « L'Allemagne secouée par un film sur les exactions soviétiques », Le Figaro, (lire en ligne).
  4. (de) Helke Sander, Barbara Johr, BeFreier und Befreite, Francfort, Fischer,
  5. (de) Alfred de Zayas, Kriegsverbrechen in Europa und im Nahen Osten im 20. Jahrhundert, Hamburg Berlin Bonn, Mittler,
  6. (de) « Preußen zahlt die Zeche », Klonovsky, (lire en ligne).
  7. (ru) Леонид Рабичев, « "Война все спишет" » "La guerre servira d'excuse à tout" »], Знамя, no 2, (lire en ligne, consulté le ).
  8. Lopez et Otkhmezuri 2011, p. 53.
  9. Lopez et Otkhmezuri 2011, p. 55.
  10. Lopez et Otkhmezuri 2011, p. 60-61.
  11. Lopez et Otkhmezuri 2011, p. 54.
  12. (ru) Лев Копелев, Хранить вечно [« À conserver pour l'éternité »], vol. I, Moscou, ТЕРРА-Книжный клуб, , 416 p. (lire en ligne), p. 12, 132, 141, 144, 153, 155.
  13. Lopez et Otkhmezuri 2011, p. 11.
  14. (ru) Николай Никулин, Воспоминания о войне [« Les mémoires de la guerre »], Санкт-Петербург, Издательство Государственного Эрмитажа, , 244 p. (lire en ligne), p. 157, 161, 175.
  15. Lopez et Otkhmezuri 2011, p. 97-98.
  16. Lopez et Otkhmezuri 2011, p. 99-100.
  17. Micheline Maurel, Un camp très ordinaire, Paris, Minuit, , p. 165.
  18. Naimark, p. 92.
  19. Ingo von Münch, Frau, komm !.
  20. http://www.trud.ru/article/21-07-2005/90824_nasilie_nad_faktami/print/.
  21. http://news.bbc.co.uk/2/hi/europe/1939174.stm.
  22. (en) La Face cachée des GI's.
  23. Les soldats de l'Armée rouge ne sont pas les seuls à avoir violé massivement les Allemandes en 1945.
  24. Harrington 2010, 80-81.
  25. (en) Politicization of Sexual Violence: From Abolitionism to Peacekeeping.
  26. Sean Longden, To the victor the spoils: D-Day to VE Day, the reality behind the heroism, Arris Books, , 390 p. (ISBN 978-1-84437-038-2), p. 276.
  27. Emsley, Clive (2013) Soldier, Sailor, Beggarman, Thief: Crime and the British Armed Services since 1914. Oxford University Press, USA, p. 128-129; (ISBN 0199653712).
  28. Perry Biddiscombe, « Dangerous Liaisons: The Anti-Fraternization Movement in the U.S. Occupation Zones of Germany and Austria, 1945–1948 », Journal of Social History, vol. 34, no 3, , p. 635 (DOI 10.1353/jsh.2001.0002, JSTOR 3789820).
  29. Stephenson 2006, 289">Stephenson, Jill (2006). Hitler's Home Front: Württemberg under the Nazis London: Continuum. p. 289. (ISBN 1-85285-442-1).
  30. (en) Norman M. Naimark et Robert and Florence McDonnell Professor of East European Studies Norman M Naimark, The Russians in Germany, , 586 p. (ISBN 978-0-674-78405-5, lire en ligne), p. 106.

Voir aussi

Articles connexes

Bibliographie

  • Jean Lopez et Lasha Otkhmezuri, Grandeur et misère de l'Armée rouge : Témoignages inédits 1941-1945, Paris, Seuil, , 340 p.
  • Portail de la Seconde Guerre mondiale
  • Portail de l’Allemagne
  • Portail des femmes et du féminisme
  • Portail des forces armées des États-Unis
Cet article est issu de Wikipedia. Le texte est sous licence Creative Commons - Attribution - Partage dans les Mêmes. Des conditions supplémentaires peuvent s'appliquer aux fichiers multimédias.