Variantes régionales du roumain

Les variantes régionales du roumain ou régiolectes du roumain sont les variétés inter-compréhensibles de la langue roumaine. Les régiolectes du roumain sont parlés par les populations majoritaires de la Roumanie, de la République de Moldavie (dont la Transnistrie) et par des minorités nationales dans les autres pays voisins de la Roumanie, ainsi que par des personnes émigrées de ces pays. L’intelligibilité mutuelle entre les locuteurs du roumain est totale, les différences des variantes régionales étant connues par tous les roumanophones : cette langue est beaucoup plus unitaire que l’allemand, par exemple[1].

Pour un article plus général, voir Roumain.
Les groupes de parlers roumains : en rouge – septentrionaux (le banatéen, le parler de Crișana, le maramuréchois, le moldave), en bleu – méridionaux (l’olténien, le munténien, le dobrogéen)
Atlas Weigand de 1908 des variantes régionales du roumain

La langue roumaine peut être désignée par plusieurs dénominations : la plus usitée est « roumain », mais « moldave » est également employé dans les États ex-soviétiques (dont la République de Moldavie) et « valaque » apparaît en Serbie ou en Bulgarie.

De leur côté, les linguistes qui désignent les quatre langues romanes orientales par le nom unique de « roumain »[2] considèrent chacune de ces quatre langues (bien qu'elles ne soient que très partiellement inter-compréhensibles) comme les quatre idiomes ou dialectes d'une même macro-langue, en appelant « daco-roumain » la variante parlée en Roumanie, Moldavie et dans le voisinage de ces deux pays. Les autres langues romanes orientales sont l’aroumain (également appelé « aromoune », « macédo-roumain », « valaque » ou « zinzare »), le mégléno-roumain (également appelé « mégléniote » ou « mognénite ») et l’istro-roumain (également appelé « istrien » ou « tchitche »). Pour ces linguistes, les variantes régionales de chacune de ces langues sont des « sous-dialectes » ou des « groupes de parlers ». Dans cet article, le terme « roumain » désigne le « daco-roumain », et le terme « groupes de parlers » : les variantes régionales de cette langue.

Configuration dialectale du roumain

La configuration dialectale du daco-roumain, c’est-à-dire le nombre de régiolectes, leur classification et leur hiérarchisation, ont toujours fait l’objet de débats[3]. Selon certains linguistes[4] il n’y a que deux groupes régionaux, celui du Nord ou « moldave » („moldovenesc” en roumain), et celui du Sud ou « valaque » („muntenesc” en roumain : il s’agit ici de la variante méridionale du daco-roumain, et non de l’aroumain parlé dans les Balkans). D’après d’autres auteurs[5] il n’existe que trois groupes régionaux : « moldo-transylvain », « banatéen » („bănățean” en roumain) et « valaque ». D’autres chercheurs[6] en comptent quatre : « moldo-transylvain », « banatéen », « crișanien » („crișănean” en roumain) et « valaque ». Pour d’autres encore[7] il y en a cinq : « moldo-transylvain », « banatéen », « crișanien », « marmatien » (ou « maramuréchois » : „maramureșean” en roumain) et « valaque ». À ces variantes, certains linguistes ajoutent d’autres unités de divers degrés, certains parlers appelés de transition, mais dont ils soutiennent l’autonomie. Certains considèrent comme tels les parlers « olténien » („oltenesc”) et « munténien » („muntenesc”)[8], d’autres le parler « dicien » („dician”)[9],[10] et d’autres encore le parler du pays d'Oaș oașéen », en roumain „oșean” ou „oșan”)[11]. Si l’on prend en compte plusieurs parlers transylvains, le plus grand nombre de régiolectes s’élève à 20[12].

Ces divergences sont dues au fait que les différences enregistrées dépendent des variantes concrètes que l’on compare entre elles. La distinction est assez nette entre les groupes moldave et valaque, mais le banatéen est peu différent du crișanien d’un côté, et du valaque de l’autre. Les différences sont encore moindres entre les trois parlers valaques : l’olténien à l’Ouest, le munténien au centre et le dicien à l’Est (sachant que le munténien influence fortement et depuis longtemps les deux autres, et se substitue progressivement à eux).

De vives controverses existent autour des parlers de la Transylvanie historique, c’est-à-dire sans le Banat, la Crișana, le pays d'Oaș et le Maramureș. La plupart des linguistes les considèrent comme appartenant à leurs voisins, bien qu’on leur reconnaisse un certain nombre de traits communs distincts. Par contre, certains linguistes[13] soutiennent l’existence d’un groupe de parlers transylvains avec des traits communs qui les distinguent nettement des autres (moldave, valaque, banatéen), mais qui sont plus morcelés que ceux-ci. Ils y distinguent quatre sous-groupes : transylvain du Nord-Est, transylvain crișanien-marmatien (ou du Nord-Ouest), transylvain central et transylvain méridional[14].

Dans cet article sont présentées sept unités dialectales.

Groupe septentrional (moldo-transylvain)

Ce groupe comprend les parlers banatéens, crișaniens et moldaves.

Parlers banatéens

Ce groupe de parlers est caractéristique pour le Banat, le Sud du județ d'Arad et de celui de Hunedoara, pour les Roumains de Voïvodine et une partie de ceux de la Timočka Krajina serbe, au sud des Portes de Fer. On distingue trois zones : celle du Sud (y compris la Voïvodine et la Timočka Krajina) celle du Nord-nord-ouest et celle du Nord-est (y compris la région de Hațeg)[15].

Caractéristiques

Les parlers banatéens comportent beaucoup d’archaïsmes phonologiques, morphologiques et lexicaux. Le trait phonologique principal de ce groupe, par rapport au roumain standard, est un système vocalique riche et équilibré.

PhénomèneExemple dialectalCorrespondant dans la langue standardTraduction
[ane] latin > [ɨne]cânecâinechien
[e] > [ə], [i] > [ɨ], [e̯a] > [a] après [s], [ʃ], [t͡s], [z]să rupe
orășan
țân
zâc
se rupe
orășean
țin
zic
se rompt
citadin
je tiens
je dis
[a] tonique > [ʌ]['fʌtə]fatăfille
[e] tonique > [ɛ] devant une syllabe contenant un [e]['pɛre]perepoires
[o̯a][16] > [ɒ]['pɒrtə]poartăportail
[t͡ʃ] > [ʃʲ] devant [e] et [i]șiercerciel
[d͡ʒ] > [ʒʲ] devant [e] et [i]jiergergel
chute de [ʲ] final de mot après les consonnes fricatives et affriquées[uʃ]
[pot͡s]
uși
poți
portes
tu peux
chute de [ʲ] final de mot après [n] et palatalisation complète de celui-ci['wɒmeɲ]oamenihommes, humains
[t] > [t͡ɕ] devant [e] et [i]fracefratefrère
[d] > [d͡ʑ] devant [e] et [i]gesdesdense
[n] + [e]/[i] latin > [ɲ]cunicuiclou
[u.wa] > [u.va]a luvaa luaprendre
[a.wud] > [abd]labdlaudje vante
[a.wut] > [apt]captcautje cherche
article possessif à forme uniquea tău, a ta
a tăi, a tale
al tău, a ta
ai tăi, ale tale
le tien, la tienne
les tiens, les tiennes
formes du verbe a fi « être » devenues pronominalesmi-s
ni-s
vi-s
(eu) sunt
suntem
sunteți
je suis
nous sommes
vous êtes
forme ancienne de l’auxiliaire du conditionnel présent(v)reaș zișie ziceje dirais
sous l’influence du serbe, préfixes marquant l’aspect perfectifm-am uitatam uitatj’ai oublié

Lexique :

PhénomèneExemple dialectalCorrespondant dans la langue standardTraduction
le suffixe lexical -oni/-oaneiepuroni
nemțoane
iepuroi
nemțoaică
lièvre (mâle)
(femme) allemande
mots archaïques d’origine latinenatindividindividu
mots d’origine serbegoștmusafirhôte, invité
mots d’origine allemandefarbăvopseapeinture (couche de couleur, couleur préparée avec un liquide)

Sources écrites

Palia de la Orăștie (L’Ancien Testament d’Orăștie) (1582) comporte des spécificités dialectales du Banat. C’est des parlers banatéens que le roumain standard a adopté au XIXe siècle, à l’initiative de Ion Heliade Rădulescu, la désinence -au de la 3e personne du pluriel de l’imparfait de l'indicatif, différente de celle de la même personne du singulier : ei mergeau « ils allaient », ei făceau « ils faisaient »[17].

Les parlers banatéens sont les seuls à avoir été et à être encore le terrain d’expériences littéraires modernes. Un auteur relativement connu d’œuvres de ce genre est Victor Vlad Delamarina (1870-1896)[18]. Ces dernières années, cette littérature connaît un certain renouveau. En 2002 fut fondée l’Association des écrivains en banatéen, avec sa revue Tăt Bănatu-i fruncea (Toujours le Banat à l’avant-garde). À Uzdin, en Voïvodine, fonctionne l’Association littéraire et artistique « Tibiscus », qui s’occupe de littérature dialectale roumaine. Ce régiolecte est également cultivé dans des émissions de radio et de télévision[19].

Parlers crișaniens

Les parlers de la Crișana se répartissent en trois sous-groupes : les parlers de Bihor (qui s’étendent sur le județ d’Arad aussi, ainsi que sur les localités habitées par les Roumains de Hongrie), les parlers du pays des Motses et les parlers de la vallée du Someș. Les linguistes Emil Petrovici et Ion Coteanu ajoutent aux parlers de Crișana ceux du pays d'Oaș. Dans une grande partie de la Transylvanie sont présents des parlers de transition entre ceux de Crișana, de Moldavie et de Valachie[20].

Caractéristiques

PhénomèneExemple dialectalCorrespondant dans la langue standardTraduction
nasalisation des voyelles[o'pitə̃'trjagə̃'strajt͡sə]o pâine-ntreagă în traistăun pain entier dans la musette
[ane] latin > [ɨne]cânecâinechien
[e] > [ə], [i] > [ɨ], [e̯a] > [a] après [s], [ʃ], [t͡s], [z]să rupe
orășan
țân
zâc
se rupe
orășean
țin
zic
se rompt
citadin
je tiens
je dis
[e̯a] > [a] après [t], [d], [l], [n] palatalisés['cakə]
[ɟal]
[ʎak]
[ɲam]
teacă
deal
leac
neam
fourreau
colline
remède
parent
[e] tonique > [ɛ] devant une syllabe contenant un [e]['pɛre]perepoires
[o̯a] > [ɒ]['pɒrtə]poartăportail
[d͡ʒ] > [ʒ]jergergel
palatalisation des consonnes occlusives dentales devant [e] et [i] (peut être de divers degrés)[tʲej] ou [cej]
[dʲintʲe] ou [ɟince]
tei
dinte
tilleul
dent
palatalisation de [n] devant [e] et [i]['biɲe]
['domɲi]
bine
domnii
bien
les messieurs
palatalisation de [k] et [p] devant [e] et [i][cej]
[pʲej] ou [cej]
chei
piei
clés
peaux[21]
[e̯a] tonique et atone > [ɛ][lumɛ]lumeale monde
[ɨj] > [ij]întiiîntâipremier
introduction de [k] entre [s] et [l]sclabslabfaible, maigre
introduction de [a] initial de mot[22]anumărănumărăil/elle compte
rhotacisme de [n] dans le parler du pays des Moțilurălunălune
génitif/datif archaïque de l’article définiomuliomuluide l’homme / à l’homme
article possessif à forme uniquea tău, a ta
a tăi, a tale
al tău, a ta
ai tăi, ale tale
le tien, la tienne
les tiens, les tiennes
formes spécifiques du verbe a fi « être »îs
îi
sunt
este, e
je suis, ils/elles sont
il/elle est
formes spécifiques de la 3e personne du singulier et du pluriel de l’auxiliaire du passé composéo făcut, or făcuta făcut, au făcutil/elle a fait, ils/elles ont fait
conjonction spécifique du subjonctif dans le sous-dialecte de Bihorși merg mergque j’aille
forme spécifique, composée, de l’indicatif plus-que-parfaitm-am fo dusămă dusesemj’étais allé(e)
conditionnel passé avec l’auxiliaire a vrea « vouloir » au passé composéo vu(t) horiar fi cântatil/elle aurait chanté
l’auxiliaire après le verbe principalFăcut-ai foc?
Duce-m-oi.
Ai făcut foc?
Mă voi duce.
Tu as fait du feu ?
Je vais m’en aller.

Lexique :

PhénomèneExemple dialectalSens dans la langue standardCorrespondant dans la langue standardTraduction
archaïsmes d’origine latinevă!mergi!, du-te!va !
mots spécifiquesnarinasnez
mots à sens spécifiquesa cântachantera plângepleurer
mots d’origine hongroisea cuștulia gustagoûter
mots d’origine allemandefirhangperdearideau, voilage

Parlers marmatiens (maramuréchois) et oașéens

Ces parlers du Maramureș historique, se trouvent dans la partie du județ de Maramureș actuel située au nord des Monts Gutâi et en Ruthénie transcarpatique (ukrainienne), et au Pays d'Oaș. Certains linguistes, ceux qui ne comptent pas les parlers du pays d’Oaș parmi ceux de Crișana, les considèrent comme faisant partie du groupe maramuréchois[23].

Caractéristiques

Phonologie :

PhénomèneExemple dialectalCorrespondant dans la langue standardTraduction
[ane] latin > [ɨne]cânecâinechien
[e] > [ə], [i] > [ɨ], [e̯a] > [a] après [s], [ʃ], [t͡s], [d͡z]să rumpe
orășan
țân
dzâc
se rupe
orășean
țin
zic
se rompt
citadin
je tiens
je dis
[e̯a] > [a] après [t], [d], [l], [n] palatalisés['cakə]
[ɟal]
[ʎak]
[ɲam]
teacă
deal
leac
neam
fourreau
colline
remède
parent
fermeture de [e] atone, sauf final de motoaminioamenihommes, humains
[e] > [ə] après [t͡ʃ] et [d͡ʒ][t͡ʃər]
[d͡ʒər]
cer
ger
ciel
gel
[e] tonique > [ɛ] devant une syllabe contenant un [e]['pɛre]perepoires
[o̯a] > [ɒ]['pɒrtə]poartăportail
chute de [ʲ] final de mot après les fricatives et les affriquées[uʃ]
[nut͡ʃ]
[pot͡s]
uși [uʃʲ]
nuci [nut͡ʃʲ]
poți [pot͡sʲ]
portes
noix (pluriel)
tu peux
chute de [ʲ] final de mot après [n] et palatalisation complète de celui-ci['wɒmiɲ]oamenihommes, humains
[de] latin > [d͡zə]DumnedzăuDumnezeuDieu
[di] latin > [d͡zɨ]dzâczicje dis
[du] latin > [d͡zu]vădzutvăzutvu
palatalisation complète des consonnes occlusives dentales devant [e] et [i][cej]
[ɟince]
tei
dinte
tilleul
dent
palatalisation complète de [k] devant [e] et [i][cej]cheiclés[24]
palatalisation de [f] et [v] devant [e] et [i]sier
zin
fier
vin
fer
vin
palatalisation de [l] devant [e]['pɛriʎe]pereleles poires
[l] > [w] devant les occlusives, dans l’Oașaub
autu
caudură
meuc
alb
altul
căldură
melc
blanc
autre
chaleur
escargot
palatalisation de [n] devant [e] et [i]['biɲe]
['domɲi]
bine
domnii
bien
les messieurs
dépalatalisation des affriquées['t͡ʃɒrə]
[d͡ʒam]
['tsavə]
cioară
geam
țeavă
corneille
vitre
tuyau
introduction de [ɲ] entre [m] et [j][mɲel]mielagneau
introduction de [c] entre [p] et [j] ou [i]['pcatrə]piatrăpierre

Morphosyntaxe :

PhénomèneExemple dialectalCorrespondant dans la langue standardTraduction
article possessif à forme uniquea tău, a ta
a tăi, a tale
al tău, a ta
ai tăi, ale tale
le tien, la tienne
les tiens, les tiennes
forme spécifique unique de la 3e personne du singulier et du pluriel de l’auxiliaire du passé composéo făcuta făcut, au făcutil/elle a fait, ils/elles ont fait
chute des syllabes après celle tonique dans les verbesce-i face vei facequ’est-ce que tu vas faire
désinence spécifique de la 1re personne du pluriel de l’indicatif présent aux 2e et 3e conjugaisonsave
duce
avem
ducem
nous avons
nous portons
chute des syllabes après celle tonique au vocatifmătu!
[ɟo]!
mătușă!
Gheorghe!
ma tante !
Georges !
formes spécifiques de l’auxiliaire du futur a vrea « vouloir »oi / îi / a / om / îț / or mâncavoi / vei / va / vom / veți / vor mâncaje vais / tu vas / il/elle va / nous allons / vous allez / ils/elles vont manger
forme spécifique du plus-que-parfait de l’indicatifam fo dzâsăzisesemj’avais dit
emploi archaïque de l’infinitifS-o dus a ara.S-a dus să are.Il est allé labourer.
l’auxiliaire après le verbe principalFăcut-ai foc?
Duce-m-oi.
Ai făcut foc?
Mă voi duce.
Tu as fait du feu ?
Je vais m’en aller.

Lexique :

PhénomèneExemple dialectalSens dans la langue standardCorrespondant dans la langue standardTraduction
grande fréquence du suffixe diminutif -uc(ă)slăbucslăbuțmaigrelet
suffixe diminutif -ucă au féminin et au neutre plurielpiciorucăpiciorușepetits pieds
mots archaïques d’origine latinesărunetărâțe cu sareson (de céréales) salé
mots spécifiquescătilinîncetdoucement, lentement
mots à sens spécifiquescoconpetit monsieurcopilașpetit enfant
mots d’origine ukrainiennea cușăia gustagoûter

Parlers moldaves

C’est le groupe de parlers le plus répandu : ils se rencontrent en Moldavie roumaine, en Bucovine roumaine, en Bucovine du Nord appartenant à l’Ukraine, dans une partie de la Transylvanie du Nord-est (județ de Bistrița-Năsăud, dans certaines parties des județe de Mureș, Harghita et Covasna, en Munténie du Nord-Est (județe de Brăila et de Buzău), en République de Moldavie y compris la Transnistrie, dans le Boudjak ukrainien et sur les deux rives du bas-Danube y compris en Dobroudja du Nord.

La notion linguistique de « parlers moldaves » ne doit pas être confondue avec celle politique de « langue moldave », dénomination officielle du roumain standard en URSS, en République de Moldavie selon l’article 13 de la Constitution de cet État, en Transnistrie (État)|Transnistrie (où cette langue est écrite en caractères cyrilliques russes) et dans les états de la CEI. Les sources russophiles de Moldavie tentent d’accréditer l’idée que la langue parlée en République de Moldavie est une forme d’« ancien parler moldave » qui serait « différente » de celui parlé dans la région roumaine de Moldavie, fortement modifié selon ce point de vue, par les « parlers valaques »[25].

Caractéristiques

PhénomèneExemple dialectalCorrespondant dans la langue standardTraduction
[e̯a] finale de mot > [ɛ][vi'nɛ]veneavenait
fermeture de [ə] atone[sɨ 'vinɨ]să vinăqu’il/elle vienne
fermeture de [e] atonefetilifeteleles filles
[e] > [ə], [i] > [ɨ], [e̯a] > [a] après [s], [ʃ], [t͡s], [z]sî rupi
orășan
za
țân
se rupe
orășean
zea
țin
se rompt
citadin
liquide
je tiens
chute de [ʲ] final de mot après les fricatives et les affriquées[uʃ]
[pot͡s]
uși [uʃʲ]
poți [pot͡sʲ]
portes
tu peux
[de] latin > [d͡ze]dzecezecedix
[di] latin > [d͡zɨ]dzâczicje dis
[t͡ʃ] > consonne proche de [ʃ]șiercerciel
[d͡ʒ] > consonne proche de [ʒ]jiergergel
palatalisations : [b] > [g], [p] > [k], [m] > [ɲ], [v] > [ʒ]ghini
chiept
[ɲik]
jin
bine
piept
mic
vin
bien
poitrine
petit
vin
article possessif à forme uniquea tău, a ta
a tăi, a tale
al tău, a ta
ai tăi, ale tale
le tien, la tienne
les tiens, les tiennes
les pronoms personnels dânsul, dânsa, dânșii, dânsele se référant à des inanimés aussiUiti masa. Puni lingurili pi dânsa.Uite masa. Pune lingurile pe ea.Voilà la table. Mets les cuillers dessus.
forme spécifique unique de la 3e personne du singulier et du pluriel de l’auxiliaire du passé composéo făcuta făcut, au făcutil/elle a fait, ils/elles ont fait
formes spécifiques de l’auxiliaire du futur a vrea « vouloir »oi / îi / a / om / îț / or mâncavoi / vei / va / vom / veți / vor mâncaje vais / tu vas / il/elle va / nous allons / vous allez / ils/elles vont manger
participe avec detrebuii di spustrebuie spusil faut dire

Lexique :

PhénomèneExemple dialectalSens dans la langue standardCorrespondant dans la langue standardTraduction
mots spécifiquesaguddudmûrier
mots à sens spécifiquesmoșvieillardunchioncle
mots d’origine ukrainiennehulubporumbelpigeon
mots d’origine russe (surtout à l’est du Prut)corirujeolărougeole
mots d’origine turquebostancitrouillepepenepastèque
mots d’origine grecquecolțunciorapbas (le vêtement)

Sources écrites

Le document écrit le plus ancien comportant des caractéristiques moldaves date de 1566. Les parlers moldaves ont eu un rôle important dans la formation du standard du roumain, surtout par les œuvres des chroniqueurs Grigore Ureche, Miron Costin et Ion Neculce, puis d’écrivains tels Vasile Alecsandri, Ion Creangă, Mihai Eminescu et Mihail Sadoveanu.

Groupe méridional (valaque)

Ce groupe comprend les parlers olténiens, munténiens et diciens.

Parlers olténiens

Les parlers olténiens sont répandus en Olténie (sauf la partie orientale du județ d’Olt), dans le Nord-Ouest de la Bulgarie et en Serbie (partie Est de la vallée du Timoc)[26].

Caractéristiques

PhénomèneExemple dialectalCorrespondant dans la langue standardTraduction
diphtongues [aj], [əj], [oj], [uj] devant [kʲ] et [gʲ][27]straichină
răichită
ureiche
oichi
păduiche
strachină
răchită
ureche
ochi
păduche
écuelle
saule
oreille
œil
pou
introduction d’un [i] entre deux consonnes initiales de mothireanhreanraifort
[i] devant deux consonnes initiales de motișcoalășcoalăécole
[i] > [ɨ], [a] > [ə], [e̯a][28] > [a], après [t͡s], [s], [z], [r]zâce
țălină
măsa
zice
țelină
măsea
il/elle dit
céleri
dent (molaire)
pronom démonstratif féminin pluriel spécifiqueășteaasteacelles-ci
utilisation du passé simple (pour des actions très récentes)cântai[29]am cântatje chantai
adverbes pour trois degrés de proximité/éloignement(a)ici – aci(a) – acoloaici – acoloici – là – là-bas
forme archaïque de l’impératif négatif au plurielnu cântareți!nu cântați!ne chantez pas !

Lexique :

PhénomèneExemple dialectalSens dans la langue standardCorrespondant dans la langue standardTraduction
mots archaïquesarmșoldhanche
mots spécifiquesa străfigaa strănutaéternuer
mots à sens spécifiquescotoimatoupicior de pasărecuisse de volaille

Parlers munténiens

Les parlers munténiens se sont diffusés depuis la Munténie vers l’Olténie et la Dobroudja, où subsistent seulement des éléments lexicaux de l’ancien parler dicien local, jadis très influencé par le grec et le turc[30]. Le munténien est aussi le parler des Roumains du nord de la Bulgarie et des județe transylvains de Sibiu et de Brașov[31].

Caractéristiques

PhénomèneExemple dialectalCorrespondant dans la langue standardTraduction
palatalisation de [ʃ] devant [ə], qui devient [e]e
loje
ă
lojă
porte
loge
[d] purement dental suivi de [ə], [ɨ]dăștept
dân
deștept
din
intelligent
de
dissimilation de [e] en [i], surtout sous l’influence d’un [e] frappé de l’accent toniquefetili
caprili
fetele
caprele
les filles
les chèvres
au passé composé, la forme de la 3e personne du pluriel du verbe auxiliaire identique à la forme de la 3e personne du singulierei/ele a venitărăei/ele au venitils/elles sont venu(e)s
au passé composé, participe avec le suffixe -ărăei/ele a venitărăei/ele au venitils/elles sont venu(e)s
à l’indicatif présent, la forme de la 3e personne du pluriel identique à celle du singulierei/ele beaei/ele beauils/elles boivent
au futur avec l’auxiliaire a vrea « vouloir », la forme de la 3e personne du pluriel identique à celle du singulierei/ele va beaei/ele vor beails/elles boiront
le verbe a vrea utilisé au passé composé en tant que verbe modalam vrut să cadera să cadj’ai failli tomber
a veni « venir » utilisé en tant qu’auxiliaire d’aspectvine și/de creșteîncepe să creascăcommence à croître
a veni auxiliaire de la diathèse passivegrinda vine așezată aicigrinda este așezată aicila poutre est placée ici
confusion des prépositions după « après » et de pe « qui est sur »floarea după/dupe masăfloarea de pe masăla fleur qui est sur la table
de utilisé en tant que pronom relatifomul de vineomul care vinel’homme qui vient
complément d’objet direct avec la préposition la (valeur d’article partitif)mănâncă la pâinemănâncă pâineil/elle mange du pain
l’adverbe mai « plus » devant le pronom réfléchinu mai mă ducnu mă mai ducje n’y vais plus
l’adverbe decât en construction restrictive utilisé sans la négation n(u)am decât două meren-am decât două mereje n’ai que deux pommes

Lexique :

PhénomèneExemple dialectalSens dans la langue standardCorrespondant dans la langue standardTraduction
mots à sens spécifiquesgineregendremiremarié (au moment du mariage)
mots d’origine turquepeșchir
perdea

rideau
prosop
adăpost pentru vite
serviette (pour s’essuyer)
abri pour le bétail
mots d’origine grecquedârmonciurtamis

Sources écrites

Les premières attestations écrites du roumain (la Lettre de Neacşu de 1521 et environ 50 documents manuscrits ultérieurs), ainsi que la première dizaine de textes imprimés en roumain reflètent les caractéristiques des parlers munténiens. C’est la base du roumain standard, qui n’a pas repris toutes leurs spécificités, mais au contraire, en a beaucoup rejeté, surtout pour ce qui est de la morphologie du verbe.

Parler dicien

Ce parler était usité en Dobroudja du Nord avant que celle-ci soit rattachée au royaume de Roumanie en 1878[32] et ne subsiste, selon les linguistes[33],[34] que dans le lexique local du parler munténien qui s'y est imposé : ce lexique révèle de fortes influences grecques et turques venues des minorités locales, mais aussi moldo-transylvaines, venues avec les bergers transhumants qui se sont sédentarisés au fil des siècles dans le pays[35],[36],[37],[38].

Les archéologues Vasile Pârvan et George Vâlsan ont supposé que la dénomination « dicien » pourrait provenir de la cité médiévale de Vicina où siégeait le périchorète (περιχωρήτης) Jacinthe de Vicina, premier évêque de la principauté de Valachie au XIVe siècle[39].

Lexique[40] :

PhénomèneExemple dialectalSens dans la langue standardCorrespondant dans la langue standardTraduction
mots d’origine bulgarebaistruc
buhalcă
ciușcă
sperietoare
zdreanță
ardei iute
épouvantail
nippe
piment fort
mots d’origine turquecanara
ceair
cherhana
ciortan
gioarsă
ghionder
stâncă
pășune
pescărie
crap
zdreanță
prăjină
brisant, écueil
pré
pêcherie
carpe
nippe
perche
mots d’origine grecquechivernă
garid
fengar
liman
talaz
tiropită
cârmă
crevete
far
lac
val
plăcintă dobrogeană
barre, safran
crevette
fanal
lagune
vague
feuilleté au fromage

Notes et références

  1. Sala 1989, p. 90.
  2. Gustav Weigand (en), Ovid Densușianu, Sextil Pușcariu, Alexandru Rosetti, Theodor Capidan, etc.
  3. Section d’après Sala 1989, p. 90, sauf les informations de sources indiquées à part.
  4. Par exemple Alexandru Philippide, Iorgu Iordan et Emanuel Vasiliu.
  5. Par exemple Gustav Weigand (en) et Sextil Pușcariu.
  6. Par exemple Emil Petrovici et Ion Coteanu.
  7. Par exemple Sever Pop et Romulus Todoran.
  8. Par exemple Grigore Brâncuș et Valeriu Rusu.
  9. George Vâlsan, Graiul românesc, I, 1927, no 7, p. 142, Opere postume, Bucarest 1936, p. 49
  10. Ion Penișoară, Unele aspecte dialectale în entopica dobrogeană, 10e colloque national d'Onomastique, Cluj, octobre 1993, p. 26-28.
  11. Par exemple Dorin Urițescu.
  12. Opinion de Gheorghe Ivănescu.
  13. Par exemple Vasile Frățilă et Vasile Ursan.
  14. Ursan 2008, p. 83.
  15. Section d’après Sala 1989, p. 47, sauf les informations de sources indiquées à part.
  16. Diphtongue formée d’un [o] semi-vocalique et d’un [a].
  17. Gheție 1975, p. 492.
  18. Auteur, par exemple, du poème comique Ăl mai tare om dân lume (L’homme le plus fort du monde), Facla, Timișoara, 1972.
  19. Ghinea 2004.
  20. Section d’après Sala 1989, p. 88.
  21. Ainsi la prononciation des deux mots peut devenir identique. Si on leur ajoute le mot tei « tilleul » avec [t] palatalisé, on a trois mots à prononciation identique.
  22. Moins fréquente qu’en aroumain.
  23. Section d’après Sala 1989, p. 192 et p. 226.
  24. Ce mot devenant homophone de celui signifiant « tilleul ».
  25. Ancien roumain (ru)
  26. Section d’après Sala 1989, p. 225.
  27. [k] et [g] palatalisés.
  28. Diphtongue formée d’un [e] semi-vocalique et d’un [a].
  29. Le passé simple subsiste dans la langue littéraire aussi, uniquement dans les textes narratifs.
  30. Mariana Iancu, article dans Adevărul du 26 mars 2015 consulté le 1er juillet 2015: .
  31. Section d’après Sala 1989, p. 203.
  32. Définitions : .
  33. George Vâlsan, Graiul românesc, I, 1927, nr. 7, p. 142, Oeuvres posthumes, Bucarest 1936, p. 49
  34. Ion Penișoară Unele aspecte dialectale în entopica dobrogeană, Al X-lea Simpozion Național de Onomastică, Cluj 1993, pp. 26-28.
  35. D. Șandru, Mocanii în Dobrogea, Bucarest 1946, p. 13
  36. T. Mateescu, « Țăranii din Moldova și Țara Românească la muncile agricole în Dobrogea (sec. XVIII – prima jumătate a sec. al XIX-lea) », in Annuaire de l'Institut d'histoire et d'archéologie „A. D. Xenopol” n° 19, 1972
  37. M. Guboglu, Catalogul documentelor turcești, tome I, Bucarest 1960.
  38. La localisation de Vicina est incertaine et donc discutée : les localités de Tulcea, Isaccea, Măcin, Hârșova, Capidava, Cernavodă ou Păcuiul lui Soare ont été proposées.
  39. De ce ești baistruc? Cuvinte ciudate ale dobrogenilor pe care niciun alt român nu le pricepe, 26 martie 2015, Mariana Iancu, Adevărul, accesat la 1 iulie 2015

Bibliographie

  • (ro) Marius Sala (dir.), Enciclopedia limbilor romanice Encyclopédie des langues romanes »], Bucarest, Editura Ştiințifică și enciclopedică, 1989, (ISBN 973-29-0043-1)
  • (ro) Gheție, Ion, Baza dialectală a românei literare La base dialectale du roumain littéraire »], Bucarest, Editura Academiei, 1975
  • (ro) Ghinea Nouraș, Cristian, Literatura în grai bănățean este un fenomen viu La littérature en parler du Banat est un phénomène vivant »], site Agonia – Ateliere artistice, (consulté le )
  • (ro) Ursan, Vasile, Despre configurația dialectală a dacoromânei actuale Au sujet de la configuration dialectale du daco-roumain actuel »], Transilvania (nouvelle série), 37e année, no 1, 2008, p. 77-85 (consulté le )

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