Ut pictura poesis

Ut pictura poesis est une expression latine qui signifie littéralement « comme la peinture, la poésie », c'est-à-dire « la poésie ressemble à la peinture ». Elle est tirée d'un vers de l'Art poétique d'Horace[1]. Elle est devenue, surtout depuis la Renaissance, un thème incontournable de la critique littéraire et artistique sur la correspondance des arts.

La correspondance des arts dans l'Antiquité

Le plus ancien témoignage de l'idée d'une correspondance des arts est attribué à Simonide de Céos cité par Plutarque[2] : « la poésie est une peinture parlante, la peinture une poésie muette ». Aristote, dans sa Poétique[3], déclare que les poètes et les peintres ont en commun d'imiter les hommes et leurs actions. Horace, dans l’Art poétique, fait à deux reprises une comparaison entre le peintre et le poète[4]. Les deux auteurs ont comme objet principal de leur traité la poésie ; la comparaison avec la peinture est destinée à mieux faire comprendre leur pensée sur l'art du poète. La formule d'Horace s'inscrit dans une argumentation ponctuelle ; il ne s'agit pas d'une théorie générale.

La question des rapports entre la poésie et les arts figurés se pose alors essentiellement sous deux aspects[5] : influence de la poésie sur la peinture ou de la peinture sur la poésie à travers le partage de thèmes communs (thèmes empruntés à la mythologie, à la vie quotidienne, à la nature et au monde animal, etc.) ; description d'œuvres d'art, réelles ou imaginaires, dans la littérature (ekphrasis).

Le renversement de la comparaison à la Renaissance

À la Renaissance s'élabore une véritable doctrine de la correspondance des arts qui va dominer jusqu'au XVIIIe siècle ; l'expression créée par Horace va résumer cette théorie, mais on lui donne un poids et un sens qui n'existent pas dans son Art poétique, et on inverse en fait le sens : "la peinture ressemble à la poésie".

La remise en question par Lessing

Groupe du Laocoon, v. 200 av. J.-C. Vatican, musée Pio-Clementino

Lessing, au milieu du XVIIIe siècle, remet en question l'idée de la correspondance des arts dans son essai Laokoon oder über die Grenzen der Malerei und Poesie (de) (Laocoon ou Des limites respectives de la poésie et de la peinture[6], 1766). Pour Lessing, l'objet de l'art[7] est la beauté, tandis que celui de la poésie est l’action. L’art ne doit traduire, de l’action développée par le poème, que les éléments qui, offerts à la vue, ne nuisent pas à la beauté. Il prend pour exemple le groupe sculpté hellénistique du Laocoon du Vatican, inspiré d'une scène du chant II de l’Énéide de Virgile et déclare : « Le poète travaille pour l’imagination, et le sculpteur pour l’œil. Ce dernier ne peut imiter toute la réalité qu’en blessant les lois du beau ; il ne reproduit qu’une situation, qu’un instant, tandis que le poète développe l’action tout entière. »

À vrai dire, d'autres avaient déjà souligné auparavant les différences, comme La Fontaine[8] :

Les mots et les couleurs ne sont choses pareilles
           Ni les yeux ne sont les oreilles.

Mais Lessing le fait dans une démonstration argumentée.

Ut pictura poesis comme titre d'œuvre littéraire ou artistique

Notes et références

  1. « Il en est de la poésie comme de la peinture. Un tableau, vu de près, te saisira davantage ; et cet autre, si tu t’en éloignes. L’un aime le demi-jour, l’autre veut être regardé en pleine lumière et ne craint pas l’œil perçant du juge ; l’un a plu une fois, l’autre plaira dix fois de suite. » (Art poétique, v. 361, traduction de Leconte de Lisle, lire sur Wikisource).
  2. De gloria Atheniensium, III, 346f-347d.
  3. II, 1.
  4. Tout au début de l'œuvre, v. 1-13, et dans le passage qui commence par ut pictura poesis, v. 361-365.
  5. Jean-Michel Croisille, Poésie et art figuré de Néron aux Flaviens, ouvrage cité en bibliographie.
  6. Laocoon ou Des limites respectives de la poésie et de la peinture, trad. fr., Paris, Hermann, 1990.
  7. Malgré le sous-titre de l'ouvrage et le mot Malerei, Lessing considère l'ensemble des arts plastiques, qui s'adressent au sens de la vue.
  8. Conte du Tableau, cité par Rensselaer W. Lee, ouvrage cité en bibliographie.

Voir aussi

Bibliographie

  • Rensselaer W. Lee, Ut pictura poesis. Humanisme et théorie de la peinture : XVe-XVIIIe siècle (coll. « La littérature artistique »), trad. française de Maurice Brock, Paris, Macula, 1re éd. 1991 ; 3e éd. 1998, 216 p., 41 ill. (ISBN 978-2-86589-032-3). Version originale anglaise en ligne.
  • Étienne Souriau, La Correspondance des arts. Éléments d'esthétique comparée, Paris, Flammarion, 1947 ; rééd., 1969.
  • Mario Praz, Mnemosyne. The Parallel between Literature and the Visual Arts (« Bollingen Series », XXXV, 16), Princeton, Princeton University Press, 1970. Traduit en français par C. Maupas sous le titre Mnemosyne. Parallèle entre littérature et arts plastiques, Paris, Gérard-Julien Salvy, 1986. Le premier chapitre de l'ouvrage s'intitule : « Ut pictura poesis ».
  • Jean-Michel Croisille, Poésie et art figuré de Néron aux Flaviens. Recherches sur l'iconographie et la correspondance des arts à l'époque impériale (« Collection Latomus », 179), Bruxelles, Latomus, 1982, 2 vol., 726 p. et 167 pl.
  • Ut pictura poesis : poésie et peinture au XVIIe siècle, Journée d’étude 2008 de la Société d’étude du XVIIe siècle, Dix-septième siècle, n° 245, 2009/4, 192 p.
  • Joseph Jurt, Les Arts rivaux. Littérature et arts visuels d'Homère à Huysmans, Paris, Classiques Garnier, 2018, p. 163-181. (ISBN 978-2-406-07981-1)
  • Federica Pich, « Ut pictura poesis », in Sgarbi M. (dir.), Encyclopedia of Renaissance Philosophy, Springer, 2021 (en ligne).

Articles connexes

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