Turbulence atmosphérique

Une turbulence atmosphérique est, en aéronautique, tout événement, banal ou moins habituel, intervenant en un point de l'atmosphère traversée par un aéronef et affectant brutalement la régularité de son déplacement. Il peut s'agir d'une zone de cisaillement des vents ou d'une zone soumise à des ascendances et descendances. Un passager ou un pilote considère que l'air est turbulent quand son confort est perturbé par des secousses, mais cette appréciation peut ne pas être en concordance avec cette définition de la turbulence comme la variation moyenne de la vitesse de l'air à un point donné. Ainsi, dans le cas d'ondes orographiques ou à l'avant de cumulonimbus, l'écoulement de l'air peut être parfaitement laminaire, mais le pilote de l'avion considère cette situation comme une turbulence puisqu'il lui est impossible de maintenir l'altitude désirée en s'opposant au mouvement ascensionnel de l'air.

Pour les articles homonymes, voir Turbulence (homonymie).

Situation du pilote d'avion à moteur

Définition de la FAA

En aéronautique, la turbulence se traduit par des mouvements erratiques de l'aéronef. La turbulence peut être, légère, modérée, forte ou extrême[1].

  1. La turbulence est qualifiée de légère lorsque l'aéronef est soumis à de petits changements aléatoires, d'assiette, d'inclinaison ou de cap. Les passagers d'un avion de ligne peuvent continuer à se déplacer.
  2. La turbulence est qualifiée de modérée lorsqu'elle engendre des changements d'assiette, d'inclinaison ou de cap plus importants. La vitesse air est aussi affectée. Les déplacements des passagers d'avions de ligne deviennent problématiques.
  3. La turbulence est qualifiée de sévère lorsque l'aéronef est soumis à des changements brusques d'attitude ou d'altitude. L'aéronef peut temporairement échapper au contrôle du pilote. De plus, le déplacement dans la cabine d'un avion de ligne est impossible. Cette définition de turbulence sévère inclut les changements d'altitude liés aux ondes orographiques qui peuvent être parfaitement laminaires. Un pilote aux instruments considérera ces ondes comme des « turbulences sévères » car il ne pourra pas maintenir l'altitude qui lui a été assignée[2]. Toutefois, un vélivole réfutera cette définition, car il maîtrisera parfaitement son planeur dans une ascendance puissante et laminaire.
  4. La turbulence est qualifiée d'extrême lorsque l'avion échappe au contrôle de son pilote. Ce type de turbulence peut engendrer une rupture de l'aéronef.

Définition quantitative

Il est très difficile de quantifier la notion de turbulence comme les références le montrent clairement. En effet, le ressenti de la turbulence dépend de nombreux facteurs comme le type d'aéronef, les conditions météorologiques et d'autres.

Soit e l' «énergie cinétique» normalisée moyenne d'un tourbillon (en m²/s²). Soit ε le taux de dissipation de e exprimé en m²/s³. La turbulence est définie comme étant . L'unité de la turbulence est le m/s.

La définition des seuils de turbulence varie significativement d'une source à l'autre. Elle dépend aussi de la masse de l'aéronef. D'après le gouvernement américain, les seuils de turbulence légère, modérée, sévère et extrême pour un aéronef léger sont respectivement de 0.13, 0.16, 0.36, et 0.64 m[3].

Originellement, Paul MacCready estima les seuils de turbulence étant de 0.03, 0.07, 0.16, et 0.38 m[4].

Cook a défini les seuils de turbulence (légère, modérée, sévère, extrême) exprimée en écart-type de vitesse verticale comme suit : 3, 6, 12 24 pieds/s[5]. Ces chiffres sont vaguement cohérents avec les critères de l'OACI.

Il y a un facteur 2 entre les seuils de MacCready et les seuils actuels. Ceci est dû au fait que les longueurs de référence étaient sensiblement différentes. En effet, la variance des rafales verticales s'exprime comme suit[6] :

avec α = 1.6 et L étant une longueur caractéristique correspondant à la taille maximale des vortex. La détermination de L est délicate. On remarque qu'en première approximation, on a :

Donc,

Sharman a considéré des longueurs caractéristiques entre 500 et 1500 mètres. Si l'on considère une longueur caractéristique de 1000 mètres, alors σw peut directement être converti en décamètres par seconde à partir de ε. Soit τ le temps caractéristique de l'aéronef défini par[7] :

  • m est la masse de l'aéronef ;
  • ρ est la masse volumique de l'air ;
  • S est la surface alaire ;
  • V est la vitesse de l'aéronef.

L'écart-type concernant l'accélération verticale instantanée sera :

Pour un planeur, l'on a .

Si l'on considère une marge de sécurité de 2.5 σ et si l'on suppose que le planeur se brisera à 6 G, la variance maximale admissible pour σw est de 6 m/s environ soit m/s.

La turbulence et la vorticité

Flux laminaire en haut et turbulent en bas

Soit v le champ des vitesses, on appelle vorticité en un point la quantité suivante :

Cette quantité décrit le mouvement tourbillonnaire de l'air. Ainsi, plus la vorticité est grande, plus forte sera l'intensité de la turbulence ressentie comme expliqué ci-dessous.

Violence de la turbulence en fonction de la vitesse de l'aéronef

Pour faire bref, toute condition aérologique engendrant des courants ascendants utilisable par un pilote de planeur sera appelée turbulence par un pilote d'avion à moteur car ce dernier ne pourra (ou ne voudra) pas exploiter ces courants ascendants. Qui plus est, plus l'aéronef volera vite, plus il sera soumis à des facteurs de charge importants qui sont estimés dans ce qui suit. Soit d la distance entre un courant ascendant de vitesse verticale w et un courant descendant de vitesse verticale -w et soit u la vitesse de l'aéronef. L'accélération moyenne a subie par cet avion sera :

On considère une ascendance thermique assez forte où w = 5 m/s, u = 125 m/s (vitesse maximale autorisée jusqu'à 10 000 pieds) et d = 100 m (distance moyenne entre l'ascendance et la descendance). On obtient alors a = 12,5 m/s2 ce qui est supérieur à l'accélération de la gravité (10 m/s2). Le passager ou le pilote de cet aéronef qualifiera cette turbulence de sévère. Toutefois, un pilote de planeur volant à 20 m/s, subira une accélération de 2 m/s2 et qualifiera cette turbulence de légère. De plus ce pilote centrera correctement cette colonne ascendante et se retrouvera dans le noyau laminaire de l'ascendance et ne sera pratiquement plus soumis à une quelconque turbulence.

De manière équivalente, si u est la vitesse de l'aéronef et est la vorticité, le facteur de charge sera :[Note 1]

ce qui signifie que plus l'avion vole vite et plus la vorticité est grande, plus violente sera la turbulence ressentie.

Facteurs météorologiques des turbulences

Onde de Kelvin Helmholtz au sommet des nuages dans le ciel de San Francisco
Nuages montrant la présence d’allée de tourbillons de Karman

Comme il a été vu plus haut toute situation engendrant des ascendances utilisables par les vélivoles engendrera des « turbulences » pour le pilote d'avion à moteur. Les principaux types d'ascendances sont les suivants :

Les ascendances thermiques se produisent à basse altitude sous les cumulus de beau temps. Lorsque l'avion de ligne volera au-dessus de la couche d'inversion, l'air sera en général laminaire.

Les rotors se produisent en aval d'une chaîne de montagne par vent fort. Ils sont associés à des ondes orographiques. Ils sont clairement un danger pour les avions de ligne et dans le cas de rotors de type II associés à un ressaut hydraulique, ils peuvent aussi être un danger pour les planeurs. Ces rotors extrêmement violents ont par le passé brisé des planeurs[8].

Les ondes orographiques sont laminaires, mais ont appelées improprement « turbulences » par les pilotes volant aux instruments car ces derniers ne peuvent maintenir leur altitude.

Dans le cas de vols, dans ou sous un cumulonimbus, les puissants courants ascendants seront appelés turbulences par les pilotes d'avion car même si les ascendances sont laminaires comme à l'avant du nuage[9]. le pilote sera incapable de maintenir l'altitude qui lui est assignée. De plus, la partie haute des cumulonimbus est soumise à des turbulences réelles qui peuvent être sévères voire extrêmes dans le cas d'un orage supercellulaire. En effet, la vapeur d'eau dans masse d'air en ascension subit un double changement de phase de l'état vapeur à l'état liquide puis de l'état liquide vers l'état solide ce qui entraîne une libération considérable de chaleur latente qui accélère la vitesse verticale de la masse d'air et par conséquent sa turbulence.

De manière générale, lorsque l'aéronef traverse une zone de cisaillement séparant deux masses d'air, engendrant une instabilité de Kelvin-Helmholtz, il sera soumis à des turbulences brèves mais sévères. Le cas le plus courant est le front de rafales séparant la colonne ascendante et descendante lors d'un orage. Une instabilité de Kelvin-Helmohltz peut aussi se produire dans la zone de transition entre un rotor et la partie laminaire d'une onde orographique. Finalement, des turbulences sévères peuvent être rencontrées au niveau d'une inversion de température qui sépare une masse d'air calme au niveau du sol et un courant jet de bas niveau au-dessus de la couche d'inversion.

Effets de la vitesse du vent

La turbulence est l'écart-type σ de la vitesse de l'air en un point donné. À la suite de mesures qui ont été effectuées, il a démontré qu'en présence d'un courant-jet de bas niveau, on a approximativement,

u est la vitesse horizontale moyenne de l'air[10].

L'énergie cinétique turbulente (en anglais Turbulent Kinetic Energy ou TKE) peut être définie comme étant :

En supposant que la turbulence σ est proportionnelle à la vitesse du vent u, alors l'énergie cinétique de la turbulence est proportionnelle à u2 et donc l'intensité de la turbulence sera proportionnelle au carré de la vitesse du vent[11].

Turbulence en air clair

Conséquences pour l'aviation commerciale

La turbulence en air clair est la présence de turbulences atmosphériques en l'absence de nuages; cette notion de turbulence en air clair concerne principalement les pilotes d'avions de ligne. Cette expression est dérivée de l'anglais (clear air turbulence), plus correctement on devrait dire turbulence sans indications visuelles. Cette turbulence peut correspondre à une instabilité de Kelvin-Helmholtz provenant du cisaillement entre deux masses d'air se déplaçant à des vitesses différentes[12].

La haute troposphère à des altitudes comprises entre 7 000 mètres et 12 000 mètres est la zone la plus à risques. Dans cette fourchette d'altitude, la turbulence en air clair se rencontre le plus fréquemment à proximité de courants-jets. À basse altitude, la prétendue « turbulence en air clair » peut simplement correspondre à des ondes orographiques (qui sont laminaires) où à des rotors comme il a été expliqué plus haut.

La turbulence en air clair peut dégrader le confort des passagers et, rarement, mettre en péril l'aéronef.

Détection

Profileur de vents

La turbulence sans indication visuelle par définition ne peut pas être détectée visuellement. Toutefois, un pilote d'avion de ligne qui est aussi pilote de planeur saura reconnaître les nuages lenticulaires qui peuvent être extrêmement discrets mais qui marquent la présence d'ondes de gravité. Ce même pilote pourra aussi reconnaître des nuages de rotors à plusieurs dizaines de milliers de pieds sous son appareil qui traduisent la présence d'ondes orographiques.

Ces turbulences en air clair sont difficiles à détecter à l'aide d'un radar météorologique classique, au sol ou aéroporté, ne mesurant que la réflectivité car il nécessite des précipitations pour obtenir des échos[13]. Cependant, les radars modernes utilisent l’effet Doppler-Fizeau pour noter à courte portée le déplacement de fines particules ou d'insectes pour estimer le vent. En particulier, certains radars d'aéroport sont utilisés pour repérer la turbulence à bas niveau. Ils balayent très lentement l'horizon et utilisent l'effet Doppler.

Ces turbulences peuvent également être détectées par des radars spécialisés appelés profileur de vents qui pointent verticalement et utilisent la diffraction de Bragg pour détecter la variation de densité de l'air due aux turbulences. Ils sont aussi utilisés dans certains aéroports. Finalement, d'autres instruments optiques comme des scintillomètres, des interféromètres à N fentes et des sodars sont également utilisés pour mesurer le déplacement des particules d'air par l’effet Doppler[14].

Bien que les altitudes proches de la tropopause soient en général libres de nuages (sauf en présence de cumulonimbus), les cirrus qui se forment peuvent traduire une instabilité de Kelvin-Helmholtz associée par exemple à des courants-jets[15]. Des cirrus uncinus alignés perpendiculairement au courant jet peuvent trahir la présence de turbulences en air clair. En particulier, si les terminaisons des alignements de cirrus montrent des signes de dispersion, la direction dans laquelle les cirrus se dispersent peut indiquer de quel côté du courant jet la turbulence est la plus forte.

Notes et références

Notes

  1. La formule est démontrée dans l'article Dynamique du vol en présence de rafales.

Références

  1. Aeronautical Information Manual, p. 7-1-48
  2. Aeronautical Information Manual, p. 4-6-4
  3. (en) Federal Aviation Administration, « ADDS Turbulence Help »
  4. (en) Paul MacCready, « Standardization of Gustiness Values from Aircraft », Journal of Applied Meteorology, vol. 3, (lire en ligne [PDF])
  5. (en) Michael V Cook, Flight Dynamics Principles, Third Edition, Amsterdam/Boston, Elsevier, , 575 p. (ISBN 978-0-08-098242-7, lire en ligne), p. 445
  6. (en) R.D. Sharman et al., « Description and Derived Climatologies of Automated In Situ Eddy-Dissipation-Rate Reports of Atmospheric Turbulence », Journal of Applied Meteorology and Climatology, vol. 53, (DOI 10.1175/JAMC-D-13-0329.1, lire en ligne [PDF])
  7. (en) Louis V Schmidt, Introduction to Aircraft Flight Dynamics, AIAA, , 397 p. (ISBN 978-1-56347-226-8), p. 295
  8. (en) Rolf Hertenstein, Riding on Air, Ridge, Wave & Convergence lift, Soaring books & supplies, , 104 p.
  9. Dynamique des nuages, p. 472
  10. (en) Robert M. Banta et al., « Turbulent Velocity-Variance Profiles in the Stable Boundary Layer Generated by a Nocturnal Low-Level Jet », Journal of the atmospheric sciences, American Meteorological Society, vol. 63, (lire en ligne [PDF], consulté le )
  11. (en) Dennis Pagen, Understanding the sky, Dennis Pagen Sport Aviation Publications, , 280 p. (ISBN 0-936310-10-3), p. 118
  12. (en) B.R. Stull, An introduction to Boundary Layer Meteorology, Kluwert Academic Publisher, , 666 p.
  13. (en) John J. Hicks et al., « Clear-Air Turbulence: Simultaneous Observations by Radar and Aircraft », Science, vol. 157, , p. 808-809 (DOI 10.1126/science.157.3790.808)
  14. (en) F. J. Duartel et al., « The N-slit interferometer: an extended configuration », Journal of Optics (en), vol. 12, no 1, (DOI 10.1088/2040-8978/12/1/015705)
  15. Dynamique des nuages, p. 749

Bibliographie

  • [Dynamique des nuages] (en) William Cotton et Richard Anthes, Storm and Cloud Dynamics, vol. 44, Academic Press, coll. « International geophysics series », 884 p. (ISBN 978-0-12-192530-7 et 0-12-192530-7)
  • "Turbulences, orages, givre, quel est le risque météo pour un avion ?" - Vidéo Youtube

Articles connexes

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