Translittératie

La translittératie est une thématique de recherche qui apparaît en 2005-2006. Elle a été définie par l'universitaire britannique Sue Thomas[1] comme « l'habileté à lire, écrire et interagir par le biais d'une variété de plateformes, d'outils et de moyens de communication, de l'iconographie à l'oralité en passant par l'écriture manuscrite, l'édition, la télévision, la radio et le cinéma jusqu'aux réseaux sociaux. »

Historique de la notion de translittératie

Pour comprendre la notion de translittératie il faut s'intéresser à l'historique de ce terme construit à partir du terme littératie (qui signifie une alphabétisation à la maîtrise de l’information). La notion de littératie naît dans les années 1970 en Angleterre et elle est importée en France grâce à la traduction de l'ouvrage de Jack Goody intitulé La Raison graphique. Dans les années 1980, une première étude se penche sur ce que l’on appelle alors « pratice of literacy ». Les chercheurs Scribner et Cole démontrent dans leur ouvrage The psychology of literacy publié en 1981 que la pratique de l'écriture s'articule autour de la technologie, de connaissances et de savoirs particuliers. À cette même période un chercheur comme Brian Street démontre que l'appropriation de l'écrit se fait de façon plurielle. Dans les années 1990 avec l'apparition d'Internet la notion de littératie prend un nouveau sens, autour de deux approches complémentaires : l'une psycho-cognitive (sur les processus de compréhension liés au numérique) et l'autre socio-culturelle (qui se focalise essentiellement sur les pratiques sociales et la façon de procéder liées aux contraintes techniques). Un premier constat s’établit alors, amenant les chercheurs français à se pencher de façon plus approfondie sur cette notion[2] : ces pratiques sont évolutives et surtout elles se retrouvent liées à un certain nombre de valeurs tout en parvenant à coexister dans différents domaines. Cette nouvelle piste de réflexion amène à établir un rapprochement avec la littératie informationnelle (notion apparue aux Etats Unis en 1974 et redéfinie par l'ALA) puis la culture de l'information. D'un autre côté les littératies se sont multipliées au point de se concurrencer comme le souligne Olivier Le Deuff[3]. Cette concurrence a cependant fini par aboutir à une convergence entre trois littératies (informationnelle, médiatique et informatique) amenant à employer le terme de translittératie[4].

Concept

Le concept est né à la même période aux États-Unis et en Grande-Bretagne. Le précurseur de cette thématique aux États-Unis est l'universitaire Alan Liu tandis que pour la Grande Bretagne, c'est Sue Thomas. Ce sont des chercheurs spécialisés dans la culture de l'information, les nouveaux médias.

Pour Alan Liu[5], le mot translittératie est un néologisme mais il recouvre diverses reconfigurations de la lecture en ligne :

  • Reconfiguration des médias :

Le concept de média est devenu flou suite à la déstabilisation du lien entre la technologie, la communication, l'information, le langage. 

  • Reconfiguration des matérialités :

La très grande variété des technologies d'affichage du texte manifeste la matérialité du "virtuel", et contribue à modifier notre expérience et notre conception de la matérialité de l'écrit, qui devient systémique avec le cloud.

  • Reconfiguration sensorielle :

Alan Liu aborde ici l’expérience sensorielle de la lecture d’un livre codex. Or avec la lecture en ligne, on peut envisager une reconfiguration de cette expérience, et se demander dans quelle mesure la lecture en sera modifiée. 

  • Reconfiguration sociale :

Cette reconfiguration est indissociable de la reconfiguration sensorielle. Comme on le sait la littératie n’est pas seulement une expérience solitaire, elle engendre le lien social. Le web 2.0 semble de nature à bouleverser l'inscription sociale de la réflexion individuelle favorisée par le codex. 

  • Reconfiguration cognitive :

La lecture en ligne relèverait d'opérations cognitives différentes de celles en jeu dans la lecture d'imprimés. Mais faut-il parler de lecture superficielle ou de lecture augmentée ?

  • Reconfiguration de la forme (et de l’échelle) :

Les expérimentations formelles réalisées sur les textes au XXe siècle laissent la place à des expériences menées sur l'échelle des documents en ligne, avec une mise en péril de la cohérence des productions artistiques (la granularité des documents permet d'accéder à une chanson isolée de l'album dans lequel elle prend place, par exemple).

  • Reconfiguration de la valeur de la lecture :

Au fil des siècles, les différentes littératies qui ont existé ont toutes été déstabilisés par de nouveaux médias, qui ont modifié la hiérarchie des valeurs relative aux objets de lecture. Aujourd'hui, nous manquons de cadres pour penser la hiérarchie entre les savoirs experts et les savoirs publics en réseau comme ceux de l'encyclopédie Wikipédia.  

Cette notion a fortement intéressé les chercheurs français. Pour la chercheuse Divina Frau-Meigs[6] la translittératie peut se définir comme suit : « « translittératie (…) regroupe en son sein la triple maîtrise de l’information, des médias et du numérique et englobe la notion d’éducation (à la française, comme dans « éducation aux médias ») et la notion d’alphabétisation (à l’anglaise, comme dans « media literacy »), rendant compte de la double dimension abstraite et pragmatique du phénomène considéré. » 

La translittératie par rapport à la littératie

Etymologiquement[7], la translittération est le fait de passer d'un système d''écriture à un autre, en transcrivant, lettre pour lettre, un alphabet dans un autre. Par exemple, Alan Liu parle de translittératie pour le passage des livres au numérique.

Ce terme est revisité par des chercheurs en Sciences de l'Information et de la Communication qui l'abordent principalement par le document et ses interactions avec les cultures de l'information. Cette approche a l'originalité d'inclure aussi les sciences de l'informatique et les sciences cognitives. Les chercheurs essaient de capter et d'analyser la translittératie en situations scolaires, sociales ou professionnelles, à deux niveaux.

Le premier et opérationnel et pragmatique et est actuellement un des axes importants de la transformation progressive des « cultures de l'information » en une « translittératie informationnelle ». Ce premier niveau vise les modalités de la transmission, du partage, de l'interprétation, de la production et de la coproduction du sens dans les situations d'interactions sociales.

le deuxième niveau est culturel et social, et tente de considérer trois évolutions qui ont un impact sur les comportements culturels et symbolique des gens:

- l'éditorialisation de l'information à l'ère numérique: bouleverse la notion de "texte" et les modes de représentation et de transmission;

- la convergence des industries de la connaissance et des industries du loisir, entérinant les pratiques individuelles et collectives des usagers;

- les enjeux et stratégies qui deviennent cruciaux à maîtriser car c'est l'usager qui est en position d'autorité et de responsabilité par rapport à l'information produite, retraitée, mixée et diffusée par lui-même.

Afin de rendre compte de ce deuxième niveau, on appréhende la communication comme structuration et dynamisation d'un ensemble social. C'est de cette manière qu'on articule une approche « microsociologique » de l'ethno-méthodologie et une compréhension des phénomènes.

Références

  1. (en) Thomas, Sue et al., « Transliteracy: Crossing divides », First Monday, vol. 12, no 12, , p. 2 (lire en ligne)
  2. Eric Delamotte & Vincent Liquète, « La translittératie informationnelle : éléments de réflexions autour de la notion de compétence info – communicationnelle scolaire et privée des jeunes », Recherche en communication 33,
  3. Olivier Le Deuff, « Littératies informationnelles, médiatiques et numériques : de la concurrence à la convergence ? », HAL (Archive ouverte), (lire en ligne)
  4. « Article translittératie. », sur Dictionnaire de l'Enssib, (consulté le )
  5. Alan Liu, « Translitteraties : le big bang de la lecture en ligne », sur ina-expert.com,
  6. Divina Frau-Meigs, « La radicalité de la culture de l’information à l’ère cybériste »,
  7. Delamotte, Liquète, Frau-Meigs, « La translittératie ou la convergence des cultures de l'information », Spirale, (lire en ligne)
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