Transition démocratique espagnole

La transition démocratique espagnole (en espagnol, Transición democrática española) est le processus ayant permis la sortie du franquisme et la mise en place d'un régime démocratique en Espagne. D’un point de vue institutionnel, on peut considérer qu'elle s'étend de la mort du général Franco, en 1975, jusqu'à la première alternance politique, en 1982, avec l'arrivée au pouvoir du Parti socialiste ouvrier espagnol de Felipe González. On peut également la concevoir d’une façon plus large, par exemple en remontant jusqu’en 1973 (assassinat de Luis Carrero Blanco) et 1986 (fin de la première législature socialiste, durant laquelle se met véritablement en place le chantier de réformes associées à la transition).

Drapeau de l'Espagne (1977-1981)

Le processus politique

Le premier gouvernement de Juan Carlos Ier (novembre 1975-juillet 1976)

Deux jours après la mort du général Francisco Franco, le , le prince Juan Carlos de Borbón est proclamé roi d'Espagne sous le nom de Juan Carlos Ier et devient ainsi le nouveau chef de l'État.

Juan Carlos Ier hérite de tous les pouvoirs réservés par les lois du régime franquiste au chef de l'État, et notamment de la direction de trois corps franquistes, constitués de l'armée, du Mouvement national (parti unique) et des Cortes franquistes.

Le , il promulgue une grâce permettant à près de 9 000 prisonniers de voir leur peine réduite[1].

Le , il confirme à son poste Carlos Arias Navarro, le dernier président du gouvernement de Franco.

De timides signaux d'ouverture sont envoyés de la part du nouveau gouvernement à la société civile, mais celle-ci en attend davantage maintenant de ce dernier, d'autant plus qu'aux frontières, le Portugal s'est démocratisé à la suite de la révolution des Œillets en 1974.

Le roi, tout comme une partie des dirigeants du régime ressentent cette demande et se doivent de négocier le passage vers la démocratie, en formant ce qu'on désigne comme le groupe des « aperturistes », en opposition de ceux qui censurent toute évolution du régime (les « bunkeristes »).

Face au corps dirigeant du régime, au début de 1976 apparaissent les deux premières organisations politiques : la « Plateforme de coordination démocratique » représentant la démocratie-chrétienne et les socialistes d'une part, d'autre part la « Junta » démocratique dirigée par le Parti communiste d'Espagne (PCE).

Dans la rue, la contestation qui a lieu pour exiger la démocratie et la dissolution des structures administratives franquistes dégénère parfois en violence. La violence est même encouragée durant tout le processus par des mouvements d'extrême gauche, des groupes terroristes comme ETA ou Grapo mais aussi par des groupes de néofascistes qui refusent toute évolution. Ils ne réussiront pas cependant à faire dégénérer les discussions en confrontation ouverte mais, au contraire, affirmeront le compromis de la majorité dans le processus démocratique. C'est pourquoi notamment, alors que certains observateurs envisageaient fin 1975 un retour à une forme de guerre civile qui n'a finalement pas eu lieu, l'on considère que la Transition a été un processus pacifique.

Le , cinq ouvriers sont tués et une centaine de personnes blessées lors de graves affrontements à Vitoria (Pays basque) entre la police (surnommée « los grises » par la couleur de leur uniforme) et les participants à une réunion ouvrière. De cet évènement va naître la Coordination démocratique ou « Platajunta », union de la Plataforma de Coordinación Democrática et de la Junta Democrática.

Le , deux militants carlistes (monarchistes d'une branche dissidente) sont tués à Montejurra (Navarre) par des radicaux issus de la même formation.

Tous ces incidents provoquent une prise de conscience au niveau du pouvoir et dès , deux lois reconnaissant le droit de réunion et d'association sont approuvées par les Cortès.

Arias Navarro, en désaccord avec la ligne politique réformiste que veut suivre le roi, est contraint à la démission le .

La désignation d'Adolfo Suárez et la dissolution du régime (juillet 1976-avril 1977)

Le roi va alors pouvoir nommer quelqu'un qui partage son intention de conduire le pays vers un nouveau régime. Adolfo Suárez, homme de confiance de Juan Carlos Ier et de la ligne « aperturiste » qui représentait le parti unique au sein du gouvernement d'Arias Navarro, est ainsi nommé au poste de président du gouvernement le .

Sous le gouvernement d'Adolfo Suárez, une série de réformes essentielles à la réussite de la Transition sont entreprises par les institutions du régime.

Pendant le mois de , les partis politiques sont légalisés à l'exception de ceux qui prônent un État totalitaire et, à la fin du mois, le l'amnistie générale est déclarée pour tous les prisonniers politiques ou de conscience (à l'exception de ceux condamnés pour actes de terrorisme)[1]. La demande d’amnistie avait été, avec le rétablissement des libertés et, dans certaines régions, la mise en place d’un statut d’autonomie, l’une des grandes revendications des manifestations populaires du début de la transition[2],[3].

Le , le nouveau président du gouvernement fait approuver par le Congrès des députés franquistes sa propre dissolution (exigence formulée par Franco lui-même) avec la Loi pour la réforme politique (le « Hara-kiri » des Cortes franquistes), validé le 15 décembre par référendum.

Peu avant, le , le PSOE organise la première assemblée libre d'un parti de gauche en Espagne depuis la fin de la IIe République, 37 ans auparavant.

Le , Santiago Carrillo, secrétaire général du PCE, est arrêté, ce qui entraîne, une semaine plus tard, la dissolution du Tribunal de l'Ordre public, organe de répression du système franquiste.

Le début de l'année 1977 est marqué par de graves attentats terroristes, qui mettent en péril les réformes acquises.

Le , un commando néofasciste assassine cinq avocats et en blesse grièvement quatre (massacre d'Atocha).

Le est approuvée une nouvelle amnistie applicable aux actes de terrorisme n’ayant pas provoqué de victimes mortelles permet la libération de près de 2 000 incarcérés[1].

Le , la liberté syndicale est légalisée. Comme les Cortes franquistes, le Movimiento Nacional (l'ancien parti unique) dirigé par Suárez accepte sa dissolution, confirmée par décret le . Par le même décret, la censure est abrogée.

De la légalisation du PCE à l'assemblée constitutionnelle (avril 1977-juin 1977)

Le , durant la Semaine sainte, le Parti communiste d'Espagne (PCE) est légalisé, ce qui permettra le retour au pays de nombreux anciens exilés républicains, parmi lesquels des dirigeants historiques du communisme espagnol, tels que Dolores Ibárruri (dite « La Pasionaria »). La monarchie parlementaire et ses symboles seront acceptés par le PCE.

Le , les centrales syndicales sont légalisées : l'Union générale des travailleurs (UGT, socialiste) et les CCOO (Commissions ouvrières, communistes) deviendront les plus importantes au niveau national.

En , le président du gouvernement Adolfo Suárez crée sa propre formation politique, l'Union du centre démocratique (UCD).

Électeurs à Tolède le .

Le , les électeurs espagnols élisent l'assemblée constituante. C'est la première élection démocratique depuis 1936.

L'UCD de Suárez sort vainqueur. En deuxième position arrive le PSOE puis plus loin derrière, le PCE et Alliance populaire, dirigée par l'ancien ministre franquiste Manuel Fraga.

La rédaction de la Constitution espagnole de 1978 (juin 1977-octobre 1978)

L'Assemblée travaille à la rédaction du texte de la nouvelle constitution. Les rédacteurs sont issus de tous les partis politiques : Gabriel Cisneros, Miguel Herrero et José Pedro Pérez Llorca (UCD), Gregorio Peces-Barba (PSOE), Manuel Fraga (Alliance populaire), Miquel Roca Junyent (Parti nationaliste catalan) et Jordi Solé Tura (PSUC)[4].

La crise économique, les actes terroristes et les questions du Pays basque et de la Catalogne sont les principaux fronts de bataille du premier gouvernement démocratique.

En , la Généralité de Catalogne est rétablie, sous la présidence de Josep Tarradellas, revenu d'exil.

Le , une dernière loi d’amnistie est promulguée. Elle s’applique à tous les prisonniers politiques, y compris ceux ayant participé à des attentats mortels survenus avant le de la même année. Cette loi s’applique également aux actes délictueux ou criminels commis par les autorités franquistes, ses fonctionnaires ou autres ayant agi dans le cadre de la légalité du régime[1].

Le , l'autonomie du Pays basque est reconnue.

Le , le texte de la nouvelle constitution est approuvé par l'Assemblée. Elle met en place un État à gestion décentralisée basé sur une division du territoire espagnol en 17 communautés autonomes dotées d’un parlement propre et disposant de moyens et de compétences variables (éducation, santé, promotion de la culture régionale...), les autres compétences étant détenues par le gouvernement central basé à Madrid.

Le suivant, le projet constitutionnel est approuvé par référendum, et ce jour devient celui de la fête nationale de la Constitution. Elle entre en vigueur le .

L'UCD, au premier gouvernement constitutionnel (1978-1981)

Après l'acceptation du texte constitutionnel, Adolfo Suárez fait un nouvel appel aux urnes pour le Parlement et pour les élections municipales de mars de 1979, avec un résultat semblable à celles de 1977 : victoire du parti de l'UCD aux législatives, mais une majorité de suffrages exprimés pour les partis de gauche aux élections municipales.

En 1980, les communautés de Catalogne et du Pays basque organisent les premières élections de leurs parlements autonomes avec les victoires du Parti nationaliste basque (PNV-EAJ) et de Convergència i Unió (CiU), deux partis nationalistes modérés.

Adolfo Suárez, affaibli sur le plan politique au sein de son propre gouvernement présente sa démission le .

La tentative de coup d'État du 23 février 1981

Une tentative de putsch surprend le Congrès des députés le , au moment du débat de l'investiture du nouveau président du gouvernement, Leopoldo Calvo-Sotelo.

Quelque 200 gardes civils du lieutenant-colonel Antonio Tejero envahissent le parlement aux cris de « Tout le monde par terre ! » et tirent des coups de feu. On craint la déroute du processus démocratique.

Le cerveau politique de ce putsch est en fait le général Alfonso Armada, un ancien secrétaire du roi Juan Carlos, qui veut présider un « gouvernement de concentration » avec, parmi ses ministres, six personnalités communistes et socialistes et des membres de l'UCD et de l'Alliance populaire. Il se voudrait un « de Gaulle » espagnol, qui se substituerait au chef du gouvernement, Adolfo Suárez, débordé par les nationalismes basque et catalan, par les attentats de l'ETA et par la colère qui en résulte dans les casernes. Il a dans ce but pris contact avec de nombreux politiciens depuis plusieurs mois mais Suarez l'a pris par surprise en démissionnant le . Armada cherche alors à imposer sa voie gaullienne aux élus du parlement. Il sauverait la nation d'un putsch qu'il pilote pourtant lui-même.

Carmen Echave (une collaboratrice du vice-président du Congrès des députés) rapporte que parmi les personnalités de droite et de gauche que voulait proposer Armada pour entrer dans son « gouvernement de concentration » figuraient Felipe González (PSOE) pour être vice-président chargé des Affaires politiques, Javier Solana (PSOE) pour être ministre des Transports et des Communications, Enrique Múgica (PSOE) pour être ministre de la Santé, Gregorio Peces Barba (PSOE) pour être ministre de la Justice, Jordi Solé Tura (PCE) pour être ministre du Travail ou encore Ramon Tamames (PCE) pour être ministre de l'Économie.

Cette liste dictée par Armada au téléphone avec le lieutenant-colonel Antonio Tejero Molina suscite la perplexité de ce dernier qui croyait que le putsch instaurerait un régime militaire pur et dur alors que le général Armada voulait faire approuver sa proposition de « gouvernement de concentration » par les députés. Ainsi « choqué », le lieutenant-colonel Tejero refuse net au général Armada l'accès à l'hémicycle parlementaire.

Cette rébellion dans la rébellion est déterminante dans l'échec du putsch, confirmée par toutes les analyses depuis la tentative de coup d'État[réf. souhaitée]. D'autres facteurs ont également joué. Ainsi ce n'est qu'à Valence que les chars commandés par le lieutenant-général Jaime Milans del Bosch occupent la rue.

Après avoir appelé plusieurs chefs de l'armée pour leur ordonner en tant que commandant en chef de défendre la démocratie, le roi Juan Carlos exige, lors d'une allocution télévisée, que les forces armées rentrent dans leurs casernes et soutiennent sans conditions le gouvernement démocratique légitime.

Trente-deux officiers et un civil sont ensuite jugés et condamnés pour la tentative de putsch dite du 23-F. Cet événement majeur a pour conséquence de consolider la monarchie et libérer la démocratie espagnole de la tutelle militaire. C'est à ce moment que de nombreux républicains se rallient à Juan Carlos. On les appelle les juancarlistes, selon l'expression de Jorge Semprún.

Alfonso Armada est condamné à 30 ans de prison, mais libéré dès 1988. Antonio Tejero est condamné également à 30 ans de prison, mais n'en purgera que la moitié.

L'UCD, la deuxième présidence du gouvernement (1981-1982)

Le successeur au sein de l'UCD de Adolfo Suárez est Leopoldo Calvo-Sotelo, qui est investi deuxième président du gouvernement de l'Espagne démocratique le , une fois finie la tentative de coup d'État du .

Toujours en 1981, le projet Islero fut stoppé par le gouvernement sous la pression des États-Unis[5], lors de la signature du traité sur la non-prolifération des armes nucléaires le 1er avril[6].

Pendant son mandat présidentiel, l'Espagne adhère à l'OTAN en . La même année, en juillet, le divorce est légalisé malgré l'opposition de la hiérarchie de l'Église catholique.

La hausse du chômage, le durcissement du terrorisme et la désintégration de l'UCD, convainquent Leopoldo Calvo-Sotelo de convoquer des nouvelles élections législatives en .

La victoire du PSOE d'octobre 1982

Le , le PSOE, dirigé par Felipe González, obtient la majorité absolue aux élections législatives. La formation de droite AP, dirigée par Manuel Fraga Iribarne, arrive en deuxième place, tandis que l'UCD et le PCE perdent une grande partie de leurs électeurs.

Aspects sociologiques

D’un point de vue sociologique, la transition se caractérise par un processus de démobilisation des masses. L’opposition au franquisme et les manifestations spectaculaires ayant suivi la mort de Franco contribuent de façon fondamentale à accentuer la pression sur le régime pour le changement. La mobilisation ouvrière augmente de façon spectaculaire au cours des dix années précédant la transition[7]. Dans les universités, des jeunes majoritairement issus des classes favorisées par la dictature, bien que peu nombreux, développent des mouvements d’opposition étudiants qui rencontrent un écho significatif auprès de la population.

Une fois la transition enclenchée, elle est prise en main par un petit nombre d’hommes politiques (Pacte de la Moncloa)[8] et, après les premières élections en 1977, la mobilisation populaire est rapidement désactivée. Cette désaffection pour la politique restera une caractéristique des espagnols pendant l’époque démocratique[9].

Aspects démographiques

Une clé pour expliquer la transition est l’évolution démographique du pays. C’est au moment de la transition que s’opère un changement de génération : les membres de la génération arrivant au pouvoir n’ont pas lutté dans la guerre civile et n’ont pas connu sa lutte fratricide. La répression des opposants suscite de vives réactions en Europe et le pays s’isole sur le plan diplomatique[10]. Finalement, les jeunes générations franquistes se désolidarisent des radicaux partisans du régime et vont chercher à s’allier par la négociation avec les modérés de l’opposition[11],[12].

Aspects économiques

De nombreux travaux mettent au jour une corrélation entre développement économique et établissement des régimes démocratiques, sans qu’il soit néanmoins possible d’établir un lien de simple cause à effet[13]. Dans le cas de l’Espagne, la croissance économique spectaculaire qui a marqué la seconde période du franquisme, résultat d’une politique d’ouverture et de modernisation, a permis à la majorité de la population d’obtenir un niveau de vie convenable, un état de fait qui tend à apaiser les tensions sociales, diminuant la rentabilité d’un régime qui les réglait habituellement par la coercition et la répression. Paradoxalement, ces mesures au départ prises afin d’améliorer le sort de la population et d’asseoir la légitimité du régime, s’avèrent en définitive contreproductives en facilitant la mise en place de mouvements contestataires[14].

Le premier choc pétrolier contribue également à l’affaiblissement du régime, qui consacre une part importante de son budget à tenter de limiter l’impact du coût pour les Espagnols afin de limiter les protestations et le mécontentement[15].

Aspects culturels

Le mouvement culturel le plus notable de la transition est la movida madrilène, qui incarne tout à la fois : libéralisation morale de l'Espagne ainsi que la sortie de l’art militant qui avait caractérisé la période franquiste[16].

Les médias

La transition s’accompagne d’un profond remaniement du paysage médiatique espagnol. Le est fondé El País, journal de référence de la presse progressiste espagnole. L'État perd le monopole de la radio et de la télédiffusion. De nombreuses communautés autonomes mettent en place leur propre groupe médiatique audio-visuel, les dirigeants régionaux mettant à profit les possibilités ainsi offertes, en termes électoraux notamment[17].

Politique extérieure

La tâche prioritaire à laquelle s’attelèrent les dirigeants espagnols durant la transition fut de tenter de redorer son image internationale, sérieusement compromise par la politique répressive du franquisme, condition indispensable pour intégrer la Communauté économique européenne, conçue comme l’espace naturel pour le développement de l’Espagne, dans la lignée de la pensée de José Ortega y Gasset[18].

Rapidement, la nouvelle démocratie établit des liens privilégiés avec les pays de l’Amérique hispanique, dans une optique de coopération économique et d’aide au développement (visite du président Suárez à Cuba en , présence de l’Espagne en tant qu’invité au sommet des pays non alignés l’année suivante)[19].

La question de la participation de l’Espagne à l’Organisation du traité de l'Atlantique nord (OTAN) fait l’objet d’un intense débat entre la droite et le centre qui y étaient favorables et la gauche qui s’y opposait, considérant l’organisme comme un instrument de l’impérialisme des États-Unis[20]. Cette question sera tranchée par un référendum organisé sous un gouvernement socialiste en 1986.

Un accord signé en permet le rétablissement de relations normales avec le Vatican, qui avait pris ses distances avec la dictature depuis la fin des années 1960[21].

Historiographie

La transition espagnole a été remarquée et souvent présentée comme un paradigme exemplaire de transition sociale majeure survenue dans un climat de relative paix sociale. Son originalité fondamentale réside dans le fait que la dictature a été démantelée « de l’intérieur » : ce sont les modérés du franquisme qui, à force de compromis avec les forces modérées de l’opposition, ont permis la fin du régime et la mise en place d’une démocratie, et le dépassement des très fortes tensions internes, notamment la menace permanente des militaires et la violence terroriste.

Au cours de cette transition, dans le discours public, la représentation de la guerre civile a été celle d'une guerre fratricide, représentation qui s'est consolidée à partir des années 1960. Cette expression portée par le discours public revient à dire que la guerre a opposé les Espagnols entre eux, et qu'il s'est commis des choses atroces des deux côtés sur lesquelles il ne faut pas revenir. Pourtant, dès cette période, les historiens commencent à travailler sur la guerre civile[22]. Pendant la transition, ce qui les intéresse le plus est l'histoire de la Seconde République, parce qu'ils y voient une sorte de terrain pour étudier le fonctionnement d'un régime parlementaire démocratique qu'ils sont en train de construire en Espagne. Puis quand ce régime est établi,d'abord dans les années 1970 puis de manière plus importante dans les années 1980, les historiens vont aux archives pour documenter de manière très positiviste l'histoire de la guerre civile et pour comprendre aussi pourquoi la République a perdu la guerre [22].

Naissance du mouvement mémoriel

Dans les années 1990, des voix se sont élevées en Espagne pour réclamer un retour critique du pays sur son passé récent et refuser la vision irénique de la guerre civile comme un conflit fratricide dont tous les Espagnols seraient également coupables, pour exiger la condamnation du régime franquiste et la reconnaissance de ses victimes. Au départ ces voix sont très minoritaires, ce n'est qu'à la fin des années 1990 que ces revendications prennent de l'ampleur et bénéficient d'un relais médiatique. Au début des années 2000 est créée l'Association pour la récupération de la mémoire historique (ARMH) qui encourage les exhumations des fosses dans lesquelles elles gisent depuis la guerre pour leur donner une sépulture et leur rendre hommage. Et toutes ces initiatives s'accompagnent, dans le monde journalistique, de la production de nombreux documentaires sur les vaincus et sur la répression franquiste[22].

Le processus se poursuit au milieu des années 2000 par l'adoption de politiques mémorielles par le gouvernement socialiste de Zapatero dont l'élément le plus important est l'adoption en 2007 de la loi dite de la Mémoire Historique. Il s'agit d'une loi destinée à la réparation matérielle et symbolique des victimes du franquisme et destinée aussi à retirer de l'espace public les symboles du régime franquiste qui étaient encore très présents[22]. Cette politique mémorielle suscite de vives oppositions à droite, au sein du Parti Populaire. La rupture des années 1990 reflète d'une part un changement générationnel, ces revendications sont portées par la génération des petits fils des acteurs de la guerre, notamment des Républicains, qui critiquent l’ambiguïté officielle vis-à-vis du Franquisme et qui ont un discours très critique sur la transition démocratique[22].

Depuis quelques années, un nouveau discours historiographique sur la transition émerge, provenant notamment de la gauche et des régions d’Espagne connaissant un nationalisme « périphérique ». Certains universitaires critiquent ainsi l’exemplarité de la transition et son déroulement, notamment la légitimité d’un processus mené par les représentants d’une dictature[23]. Une critique en particulier est, par exemple, l’absence de choix proposé au peuple espagnol entre république et monarchie.

Notes et références

  1. Campuzano 2011, p. 79
  2. (es) Isabel Obiols, 'Llibertat, amnistia, estatut d'autonomia', El País, 01/02/2001
  3. (es) Patricia Gascó Escudero, UCD-Valencia: Estrategias y grupos de poder político, Valence, Universitat de València, 2009, p. 30
  4. Campuzano 2011, p. 84
  5. (es) Juan C. Garrido Vicente, « La bomba atómica que Franco soñó », El Mundo (Espagne), no 295, (lire en ligne, consulté le ).
  6. https://www.defensa.gob.es%2Fume%2FBoletin_nrbq%2Fbibliografia_boletin_1%2F20170313_Proyecto_Islero._NatividadCarpintero.pdf&usg=AOvVaw3fpy35hY-2saLCrqdjyOIE
  7. Campuzano 2011, p. 40
  8. Le secrétaire général du PCE, Santiago Carrillo, joue un rôle fondamental dans les négociations.
  9. Campuzano 2011, p. 169-172
  10. Campuzano 2011, p. 43
  11. Il convient de remarquer ici que le qualificatif de « modéré » s’applique à la posture et aux revendications exprimées durant le processus de négociation, et non à l’idéologie du parti. Ainsi, dans le cas de la transition espagnole, c’est le Parti communiste, théoriquement révolutionnaire, qui a joué un rôle prépondérant dans le processus de négociation pour l’établissement d’une monarchie. Les communistes ayant été les éternels ennemis désignés du franquisme (les membres du PCE ont subi une forte répression durant toute la période), ceci a contribué à apporter une grande légitimité au produit de ces négociations. Le PSOE pour sa part, idéologiquement plus modéré, s’est toujours montré partisan de la république.
  12. Campuzano 1997, p. 19, 33-39, 93
  13. Campuzano 2011, p. 7-10
  14. Campuzano 2011, p. 13
  15. Campuzano 2011, p. 11-12
  16. Campuzano 2011, p. 165
  17. Campuzano 2011, p. 157-160
  18. Campuzano 2011, p. 134
  19. Campuzano 2011, p. 139-140
  20. Campuzano 2011, p. 138, 141
  21. Campuzano 2011, p. 44, 135
  22. Histoire Et Conflits De Mémoire En Espagne par le laboratoire d'Histoire Sociale CHS
  23. Campuzano 2011, p. 192, 101

Annexes

Bibliographie

  • Bernard Bessière, La Culture espagnole : Les mutations de l'après-franquisme (1975-1992), Paris, L'Harmattan, , 1re éd., 416 p. (ISBN 978-2-7384-1477-9, lire en ligne)
  • Francisco Campuzano (préf. Guy Hermet), L'élite franquiste et la sortie de la dictature, Paris, L'Harmattan, , 1re éd., 263 p. (ISBN 2-7384-5888-2)
  • Francisco Campuzano, La transition espagnole : entre réforme et rupture (1975-1986), Paris, PUF, , 1re éd., 180 p. (ISBN 978-2-13-059119-1)
  • (es) Antonio García-Trevijano, El discurso de la República, Temas de hoy, 1994
  • (es) Alfredo Grimaldos, Las claves de la Transición (1973-1986), Península, 2013
  • (es) Los Incontrolados, Manuscrito encontrado en Vitoria, 1977, réédité en 2014 par Pepitas de calabaza.
  • (es) Gregorio Morán, El precio de la transición, Planeta, 1991.
  • (es) Mariano Sánchez Soler, La Transición sangrienta : una historia violenta del proceso democrático en España (1975-1983), Península, 2010
  • (en) Paul Preston, The Triumph of Democracy in Spain, New York, Methuen, 1986

Articles connexes

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