Totémisation

La totémisation est une tradition scoute consistant à attribuer un totem, c'est-à-dire un nom d'animal reflétant le physique, et le caractère, suivi d'un (ou plusieurs) adjectif qualifiant la personnalité, appelé quali.

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Le nom et l'adjectif peuvent être suivis, selon les cas, d'un lieu ou d'une circonstance. Le lieu peut être l'endroit de la totémisation ou le lieu de vie du totémisé. La circonstance est liée à un évènement particulier. L'ensemble : « nom, adjectif, lieu ou circonstance » est appelé « totem ».

Normalement, la cérémonie de totémisation reste secrète[1], ou seulement les initiés peuvent en discuter entre eux.

Présentation

La sachémisation, ou totémisation, est une tradition scoute importée des usages amérindiens dès la fondation du scoutisme en Angleterre et implantée très tôt en France par les Éclaireurs de France. Cette pratique fut amplifiée par le commissaire Scout de France Paul Coze. Des coutumes analogues se répandaient en même temps dans les mouvements scouts du reste de l'Europe.

Il s’agit de qualifier son titulaire d’un nom d’animal suivi d’un adjectif, ce nom et cet adjectif devant représenter les qualités morales et/ou physiques du totémisé. Dans certains groupes scouts, le totem peut être plus long que simplement un nom d’animal et un adjectif, et comprendre également une proposition relative sur les qualités et/ou défauts du totémisé. d'une courte phrase relative à un lieu ou circonstance lié à la cérémonie. Exemple Cerf Clairvoyant de la Nuit d'Automne. Le quali peut être supprimé, le totem ne comprend alors que le nom d’animal mais cela est exceptionnel. Il peut aussi être dédoublé, le second terme corrigeant alors la rudesse du premier, comme Caffra Arrogant et Décidé. Dans la tradition scoute originaire, ce totem est acquis à la suite d'une épreuve initiatique. Le nom de l’animal devient alors une partie officielle connue de tous, l’usage du qualificatif etc étant réservé aux autres « totémisés ».

Le totem de l’abbé Pierre, par exemple, était Castor Méditatif. Dans certains mouvements ou groupes scouts le totem peut être tiré du monde botanique ou de l'astronomie (Herbe, Antarès, etc). Par certains aspects on peut assimiler la totémisation à un rite de passage.

Cette pratique et surtout le cérémonial préalable ont connu des dérives et celles-ci ont amené certaines associations françaises de scoutisme à l’interdire ou la restreindre mais la pratique subsiste sous un aspect adouci ou réservée aux aînés. Néanmoins la persistance de cette tradition a récemment attiré l'attention des responsables du scoutisme mais aussi d'ethnologues. Ainsi une journée d'études sur ce thème a été organisée par le Musée du Quai Branly en 2013.

En Belgique, en Suisse ou en Italie, en revanche, il s’agit encore d’une pratique fort répandue. Les différentes fédérations belges assurent un bon encadrement pour éviter les dérives que cela pourrait amener, tout en croyant à la pédagogie de la totémisation. Il en est de même au Québec où la Nation Impeesa veille au respect de pratiques non dégradantes ou humiliantes. Aux États-Unis l’Order of the Arrow joue un rôle analogue basé sur le service des aînés envers les cadets.

De vrais mouvements amérindianistes

Le scoutisme, même s'il utilise certaines techniques dites « Woodcraft », n'est pas un mouvement indianiste. Par contre, de vrais mouvements basés sur la culture indienne ont existé.

Le mouvement Woodcraft de Seton

En 1902, Ernest Thompon Seton, un peintre et naturaliste américain d’origine britannique, publie The Birch-Bark Roll of the Woodcraft Indian, la bible du seul mouvement authentiquement et intégralement indianiste. Il propose aux jeunes américains d’imiter la civilisation Peaux Rouges, en vivant dans la nature et en pratiquant ses rites et son sens de l’honneur et de la communauté, méthode qui préfigure en bien des points le scoutisme de Baden-Powell.

Daniel Carter Beard, un autre américain, fonde en 1905 The Society of the Sons of Daniel Boone, une organisation de jeunesse puisant elle aussi sa mythologie dans le Grand Ouest américain et qui sera absorbée par la suite par les Boys-Scouts of America[2].

Le Kibbo Kift

Seule exception européenne, le Kibbo Kift sera fondé en 1920 par John Hargrave, un ex-protégé de Baden-Powell. Il est expulsé du mouvement scout par Lord Baden-Powell et mélange traditions amérindiennes et revival saxon, avec costumes assortis. Quintessence de l’esprit Woodcraft (l’art de la vie sauvage), son groupe deviendra plus tard un parti politique, les Chemises Vertes. Une scission du Kibbo Kift existe toujours, The Woodcraft Folk. Ailleurs, en Europe, seule la Tchécoslovaquie adoptera avec enthousiasme cette méthode de plein air, et l’on assiste actuellement à son réveil, après cinquante années d’interdiction communiste[2].

Questions françaises sur la pédagogie de la totémisation

En termes pédagogiques, la totémisation soulève diverses questions.

Choix du totem

Le nom d’animal renseigne le physique et l’adjectif qualificatif renseigne la qualité principale ou l'inverse du défaut principal (qualité à acquérir)[1].

Dans la préparation d'une totémisation, il faut réfléchir sur les qualités profondes d’un scout, pour essayer de capturer l’essence de son caractère par l’analogie d’un animal et l'éclairage d'un adjectif. C'est un exercice très riche et pédagogiquement intéressant. Il permet de s'interroger sur les qualités (et les défauts) de l'enfant, d'exprimer comment on le perçoit, de souligner ce qui fait sa richesse et son potentiel. Dans la discussion du chef avec les scouts, c'est donc l'occasion de faire un point à la fois sur les dimensions « fonctionnement social » du groupe et « éclairage spirituel » de la personne. Cependant, il faut comprendre que le scout se sentira identifié et réduit au totem choisi, qu'il le méditera, y réfléchira longtemps… Le totem retenu doit donc pour lui être libérateur de ses qualités réelles : la pédagogie scoute doit viser l'épanouissement de l'être. Cette discussion doit donc être soigneusement préparée et modérée par le chef, parce que les adolescents ont très vite fait de capturer le « trait qui blesse », et laissés à eux-mêmes, risquent d'affubler d'un « limace baveuse » un scout au caractère par trop inerte. Si la totémisation risque d'être un fardeau, il faut l'écarter fermement.

Mais la totémisation prend aussi d’autres formes : le nom d'animal pour le caractère et l'adjectif que le jeune garde secret comme une perle rare à protéger pendant toute sa vie. Exemple : Renard C désigne quelqu'un de très futé (futé comme un renard) et le C un adjectif valorisant (chaleureux, etc). C'est un adjectif qui ne blesse pas (culotté) et n'est pas politique (communiste, capitaliste) car ce nom reste dans la mémoire et ne doit pas être un frein dans la progression personnelle de la personne.

Cérémonie

Suivant les mouvements scouts, il est interdit ou permis de révéler le déroulement d'une cérémonie de totémisation. En effet, la totémisation étant souvent considérée comme un rite ou du moins une étape de passage, elle conserve un caractère mystérieux. C'est cependant cet aspect qui la dévalorise et qui fait qu'on l'a parfois supprimée car elle est contraire aux aspects pédagogique de certains mouvements.

Jeu scout et totem

La totémisation conduit à des marques de différences dans le « jeu scout » : le totémisé est désigné par son totem, « a le droit » de se coiffer de son foulard aux veillées… Pour que ces éléments, pédagogiques pour les uns, fédérateurs pour d'autres, fonctionnent correctement, il faut qu'ils soient relancés et orientés par la maîtrise, et intégrés par les jeunes. Donc que le quotidien s'y prête bien sur le long terme. La totémisation sera positive si le groupe accepte et valorise le totem. Plus qu'un surnom le totem permet de faire rêver les jeunes non totémisés et créer chez les totémisés un sentiment d'appartenance au groupe.

Société secrète

Le caractère « secret et initiatique » de la totémisation peut conduire à un réel problème d’animation pédagogique, dans le cas où une maîtrise non totémisée aurait à encadrer une unité ayant pratiqué la totémisation. Dans ce cas, en effet, les scouts totémisés peuvent être amenés à penser qu’il faut préserver le secret de la totémisation vis-à-vis de la nouvelle maîtrise, et en continuer la pratique en secret, mais sans aucun encadrement. Cette situation clairement dangereuse est naturellement inacceptable pour un responsable d’unité. La solution peut être d’interdire la chose, ou d’amener les adolescents à comprendre que le chef est « hors jeu » par rapport aux règles du secret, ou de faire totémiser le chef (mais dans ce cas, par d’autres chefs : le chef doit rester chef). En tout cas, la question doit être abordée de front.

Remise en question

Les vieux sachems formaient une organisation parallèle au scoutisme des mouvements, évoluant dans le secret le plus complet. De plus, la totémisation et son ordre secret ont réellement passionné les jeunes qui étaient plus motivés par la conquête du titre de sachem que pour vivre le jeu scout.

On reprocha à la totémisation d'être passée d'un jeu scout honorable en 1928 à une organisation secrète parallèle au scoutisme dans les années 1940 avec les possibilités de dérives que cela comporte (les rites initiatiques devenaient parfois des séances dégradantes ou humiliantes)[réf. nécessaire].

Par ailleurs à la suite de la loi de 1998 intégrée à l’article 225-16-1 du Code pénal réprimant le bizutage certains mouvements français directement concernés par la « totémisation dure » ont dû officiellement prendre position.

Elle est encore largement répandue en Belgique, en Suisse et au Canada, sous une forme cérémoniale sensiblement différente et sans doute plus transparente. Par ailleurs elle est tolérée en Italie et dans certains mouvements français (Éclaireuses et Éclaireurs unionistes de France, Éclaireuses éclaireurs israélites de France) mais dans tous les cas il s’agit d’une totémisation « douce ».

La totémisation paraît subsister sous une forme plus ou moins traditionnelle dans plusieurs pays hispanophones[réf. nécessaire]. Une autre piste est celle de l'Order of the Arrow des États-Unis réservée à des scouts plus âgés avec une organisation officielle tout à fait transparente, des cérémonies fortement marquées par l'amérindianisme et un souci de service aux scouts plus jeunes.

Bref la discussion sur la totémisation en France n'est pas close, resterait à débattre des formes d'une totémisation nouvelle et sans risque mais l'intérêt pédagogique pour les plus jeunes d'une telle mesure est controversé au moins en France. Il semble que l'on se dirige vers une diffusion des totems pour les seuls aînés en position de service. De fait certains mouvements français comme les EEIF, les EEDF ou les EEUDF réservent la totémisation à leurs aînés mais sous une forme conviviale où les références indianistes sont souvent absentes.

Ce que pensent les grands chefs scouts de la totémisation

Robert Baden-Powell

« Je prétends qu'un garçon pour devenir un vrai scout, suivant l'idéal tracé par le chef, n'a nullement besoin de recevoir un nom. Il n'est pas indispensable qu'il s'appelle Tigre Bleu ou Loup Vert, ni qu'il porte une robe bigarré au lieu de la chemise scoute et des plumes dans les cheveux... Rêver que vous êtes un scout me paraît contenir plus d'idéal et de romanesque, plus de pensées pratiques de dévouement et de bonheur que de rêver que vous êtes Peau-Rouge. »

 Robert Baden-Powell, Headquarters Gazett, novembre 1919.

Jacques Sevin

« Si je soutiens l’indianisme, nos preux chevaliers vont, d’un geste dédaigneux, reléguer mes plumes d’aigle au fond des costumiers de mélodrame, et si je déclare que le Peau-Rouge n’est pas le dernier mot du scoutisme et de la civilisation, je vois déjà les tomahawks s’abattre sur mon cuir chevelu (…) Je réponds carrément à ta question : non, l’Indien n’est pas le Premier Scout. Il ne l’est ni pour le corps, ni pour ses vertus morales, ni par ses qualités physiques.

Sans doute, depuis Fenimore Cooper et les récits de Buffalo Bill, une certaine littérature de jeunesse nous a inondés de romans extraordinaires, peuplés d’indiens noblement drapés et dressés devant le lecteur en poses héroïques, hommes de paroles (…) Mais cela, ce sont les indiens de cinéma, des Peaux-Rouges à la Pierre Benoit, des héros de feuilletons à 0fr95, majoration comprise ! La vérité historique est tout autre. (…) Baden-Powell lui-même note ironiquement dans sa gazette (août 1924) : « J’ai eu l’occasion de faire connaissance avec le Peau-Rouge authentique : je ne l’ai pas vu tout à fait sous les couleurs dont l’histoire et le roman l’ont revêtu ! » »

 Jacques Sevin, Le Chef, juin 1922.

Toutefois, Sevin précise aussi :

« Est-ce à dire qu'il faille proscrire tout Indianisme, et nous priver et priver nos garçons de cet exotisme et de ce pittoresque dont ils raffolent, et qui peut, entre les mains d'un chef habile, avoir son côté éducatif ? Je ne serai point si janséniste, et je serai le premier à applaudir (pardon : à saluer de mes "Ah ! ah ! ah !") une pantomime comme "Vengeance indienne" et à chanter "Kellé, kellé, Watch !) en souvenir de notre ami Big Hawk. L'Indianisme est un des moyens de satisfaire le goût, inné chez l'enfant, de l'extraordinaire, du romanesque, de l'invraisemblable.

J'ajoute que s'il y a des Scouts qui peuvent se payer quelques fantaisies en ce genre, avec le minimum d'inconvénients, c'est précisément nous, les Scouts de France, parce que nous avons dans notre vie spirituelle, toute fondée sur une piété liturgique et dogmatique, toute alimentée par les Sacrements, le contrepoids nécessaire. Nos garçons sont trop instruits de leur religion pour prendre l'Indianisme au sérieux, et d'avoir fumé le calumet de la paix au feu de camp ne les empêchera pas de chanter avec toute leur ferveur de scouts catholiques, "Notre-Dame des Éclaireurs" ou le "Cantique des patrouilles". »

 Jacques Sevin, revue Le Chef no 4, juin 1922 p. 56 à 60.

Position officielle de quelques mouvements francophones

Scouts et Guides de France

Chez les Scouts et Guides de France, la totémisation n'est pas à proprement parler interdite. Néanmoins, elle n'est plus d'usage que dans 10 à 15 % des unités et sous une forme très adoucie. Par ailleurs, les responsables de l'association y sont hostiles et estiment que dans la pratique, la totémisation peut déraper pénalement et qu'elle est sans contenu pédagogique.

À noter, bien sûr, que les actes ayant des répercussions sur la sécurité physique, morale ou affective des jeunes sont interdits, ce qui est conforme au code pénal français.

Guides et Scouts d'Europe

Position de l'Association des guides et scouts d'Europe :

« Les commissaires généraux scout et guide ont décidé de maintenir la décision d'interdire les totémisations dans l'association.

Cette décision s'explique par les dérives qui ont progressivement été constatées depuis plusieurs décennies et ont fait perdre à la totémisation son caractère de simple thème de jeu pour la transformer trop souvent en une sorte de rite initiatique parfois malsain.

Un travail très important a été effectué par une équipe de chefs éclaireurs. Il a constitué un précieux outil de réflexion qui s'articule autour de quatre parties :
- la 1re décrit l'évolution de la totémisation dans l'histoire du scoutisme,
- la 2e rappelle les déviances des totémisations pratiquées depuis plusieurs années,
- la 3e présente la totémisation d'un point de vue anthropologique, en la situant parmi les rites initiatiques,
- la 4e, « totémisation et psychologie de l'adolescent » aborde les risques de la totémisation pendant la période psychologiquement perturbée de l'adolescence[3] »

Autres mouvements français dépendants du Fédération du scoutisme français

De façon empirique les EEIF et EEDF réservent la totémisation aux futurs cadres de leurs unités. De leur côté les EEUdF l'ont interdite même si elle reste pratiquée parfois à échelle locale dans certains groupes.

Les Scouts et Guides de Belgique (Belgique)

En Belgique, la totémisation a toujours lieu et fonctionne très bien pour les mouvements Scouts Belges

« La totémisation est un outil d'éducation, comme le conseil ou la vie en patrouille. Elle doit aider un jeune à grandir. Plus précisément, c'est un moment d'accueil dans la troupe. Le groupe, qui a eu quelques mois pour découvrir un nouveau scout, lui fait cadeau d'un nom qui exprime différentes qualités et caractéristiques observées. Par ce totem, il lui dit : tu es encore plus des nôtres, tu portes désormais un nom comme nous.

Ce totem est donc un cadeau. Et un cadeau, c'est quelque chose qu'on offre; ce n'est pas quelque chose qu'on échange contre une série d'épreuves difficiles pour le mériter. Le moment est joyeux, c'est une fête dont le scout est le héros, l'invité d'honneur, celui pour lequel on a préparé des surprises agréables et étonnantes. Cela n'enlève rien au caractère solennel et inoubliable que ce moment doit revêtir : de bons souvenirs marquent aussi bien le coup que du choco, de la boue ou de la trouille ! »

Outre cette vision très théorique de la totémisation que les fédérations scoutes belges souhaitent véhiculer, se situe la réalité dans laquelle la totémisation a souvent des aspects de rites de passage. À mi-chemin entre l'ambiance bon-enfant du scoutisme et la bleusaille estudiantine, la totémisation comportera un ensemble de jeux et d'épreuves auxquels le scout devra se soumettre. Ceci dans le but de compliquer l'obtention du totem, qui sera alors ensuite perçue comme une victoire qu'il a fallu mériter.

Notes et références

Crédit d'auteurs

Voir aussi

Articles connexes

Liens externes

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