Tintin au Tibet

Tintin au Tibet est le vingtième album de la série de bande dessinée Les Aventures de Tintin, créée par le dessinateur belge Hergé. L'histoire est d'abord pré-publiée du au dans les pages du journal Tintin, avant d'être éditée en album de soixante-deux planches aux éditions Casterman.

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Tintin au Tibet
20e album de la série Les Aventures de Tintin

Logo de l'album Tintin au Tibet.

Auteur Hergé
Genre(s) Franco-Belge
Aventure

Personnages principaux Tintin
Milou
Capitaine Haddock
Tchang
Tharkey
Lieu de l’action France
Inde
Népal
Tibet

Langue originale Français
Éditeur Casterman
Première publication 1960
Nb. de pages 62

Prépublication Le Journal de Tintin
Albums de la série

Il est généralement considéré comme l'album le plus personnel d'Hergé, qui, de son propre aveu, le jugeait comme son travail le plus réussi. S'il évoque l'Himalaya et ses dangers, les traditions tibétaines en matière de religion ou l'existence du yéti, Tintin au Tibet est avant tout marqué par une dimension philosophique et spirituelle inégalée dans la série. Album apolitique, il est aussi la première aventure de Tintin dans laquelle les armes à feu sont absentes. Habitué aux enquêtes policières, le héros est cette fois plongé dans une aventure désespérée qui prend des allures de quête du Bien. Alors que l'avion qui transporte son ami Tchang s'écrase dans le massif du Gosainthan, Tintin est le seul à le croire vivant en dépit des apparences, et se montre prêt à donner sa propre vie pour sauver celle de son ami, entraînant avec lui le capitaine Haddock, d'abord réticent. L'appel de Tchang, que Tintin reçoit en rêve, est ressenti comme un devoir irrépressible qui permet au héros de s'accomplir lui-même en faisant le bien.

Au moment de la naissance de cette nouvelle aventure, Hergé est enfermé dans une profonde dépression doublée d'une crise morale qui affecte son travail et inhibe son énergie créatrice. L'achèvement du récit agit sur lui comme une thérapie et fait figure d'« instantané autobiographique du créateur au tournant de son existence », selon les mots de son biographe Pierre Assouline.

La présence de nombreux phénomènes paranormaux dans cet album témoigne de l'intérêt profond de l'auteur pour ce domaine. Développé de manière progressive tout au long du récit, le paranormal s'affirme à la fin de l'album à travers les épisodes de lévitation d'un moine tibétain, et plus encore par la rencontre du yéti. Cette insertion progressive confère à l'album les caractéristiques du récit initiatique : à l'image du capitaine Haddock, foncièrement rationnel et sceptique, mais qui finit par reconnaître l'existence de ces phénomènes, le lecteur est invité à ajuster sa conception de la réalité. Par son isolement et son inaccessibilité, le Tibet revêt l'apparence d'un lieu mystique, propre à l'initiation.

Tout en faisant de son album une œuvre teintée de spiritualité, Hergé ne lui conserve pas moins son caractère humoristique, essentiellement porté par le capitaine Haddock qui, par son impulsivité et sa propension à s'exposer au danger, est une source inépuisable d'effets comiques. L'album se démarque enfin par la figure du yéti, qu'Hergé s'attache à présenter comme un être sensible, suivant en cela les conseils de son ami Bernard Heuvelmans et s'inscrivant à contre-courant de la pensée de son époque.

Malgré l'absence d'allusion au contexte politique dans le récit, Tintin au Tibet devient un emblème de la cause tibétaine au tournant des années 1990, dans la mesure où il a contribué à faire connaître ce territoire et ses traditions au grand public. À ce titre, le dalaï-lama décerne le prix Lumière de la vérité à la fondation Hergé en 2006.

L'histoire

Synopsis

Les éléments de l'intrigue décrits ci-dessous concernent l'édition en couleurs de Tintin au Tibet.
Le massif du Gosainthan dans l'Himalaya, lieu de l'accident d'avion.

En vacances à Vargèse avec le capitaine Haddock et le professeur Tournesol, Tintin apprend dans le journal qu'une catastrophe aérienne s'est produite au Népal[H 1]. Le soir même, lors d'une partie d'échecs avec le capitaine, il s'assoupit et fait un cauchemar dans lequel son ami Tchang, enseveli dans la neige, implore son aide[H 2]. Le lendemain, Tintin reçoit une lettre de ce même Tchang qui lui annonce son prochain séjour en Europe[H 3]. Hélas, il apprend alors dans le journal du matin que son ami figure parmi les victimes du crash aérien[H 4]. Tintin refuse pourtant de croire à la mort de Tchang et décide de rejoindre le Népal pour lui porter secours. Le capitaine Haddock tente d'abord de l'en dissuader, mais finit par l'accompagner[H 5].

Après une escale à New Delhi[H 6], les deux héros atterrissent à Katmandou[H 7]. L'oncle et le cousin de Tchang leur présentent Tharkey, un sherpa népalais qui s'est déjà rendu sur le lieu de l'accident. Il refuse d'abord de les y conduire, jugeant le risque inutile. Le capitaine réussit cependant à le convaincre[H 8].

L'expédition se met en route mais les incidents sont nombreux : d'abord le capitaine manque de tomber à l'eau[H 9], puis Milou qui a ingurgité du whisky échappe de peu à la noyade[H 10]. Enfin les porteurs, effrayés par les cris puis les traces du yéti dans la neige, s'enfuient, abandonnant Tintin et ses compagnons[H 11].

Une équipe d'alpinistes chinois dans le Gosainthan en 1964.

Tintin, le capitaine et Tharkey poursuivent leur route et atteignent le lieu de l'accident. Près de l'épave de l'avion, Tintin découvre une grotte dans laquelle Tchang a gravé son nom : il tient ainsi la preuve que son ami a bien survécu[H 12]. En ressortant de la grotte, Tintin est surpris par une tempête de neige. Il aperçoit une silhouette qu'il croit être celle du capitaine, avant de tomber dans une crevasse[H 13]. Il en réchappe finalement et, convaincu par Tharkey qu'il semble impossible de retrouver Tchang dans cette immensité de neige, il se résigne à abandonner les recherches[H 14].

Toutefois, au moment d'entamer la descente, Tintin aperçoit une écharpe jaune accrochée à une paroi rocheuse et convainc le capitaine de suivre cette nouvelle piste. Tharkey choisit dans un premier temps de redescendre seul, mais fait demi-tour pour ne pas faire preuve de lâcheté. Son retour providentiel sauve Tintin et Haddock, qui durant une escalade, était tombé dans le vide[H 15].

Un moine tibétain comme ceux représentés dans l'album.

Trois jours plus tard, ils arrivent en vue d'un monastère, avant d'être victimes d'une avalanche[H 16]. Ils sont finalement sauvés par les moines[H 17] et s'apprêtent à repartir vers la vallée quelques jours plus tard, quand Foudre Bénie, l'un des moines, a la vision de Tchang réfugié dans une grotte située sur une montagne appelée le « Museau du Yack », prisonnier du yéti[H 18].

Tintin décide alors de s'y rendre, rejoint par le capitaine, tandis que Tharkey, blessé, repart vers Katmandou[H 19]. Après trois jours d'attente devant la grotte, profitant d'une absence du yéti, Tintin se rend à l'intérieur et retrouve enfin son ami. Ils échappent de peu au retour du yéti, qui se sauve effrayé par le flash de l'appareil de Tintin[H 20]. Tchang explique avoir été bien traité par le yéti, qui s'est avéré capable de compassion pour un être humain dont il souhaitait s'attacher amicalement la présence[H 21].

Tintin et Haddock ramènent Tchang vers le monastère dont les occupants, prévenus par Foudre Bénie, les accueillent par une procession solennelle[H 22]. Le yéti observe de loin le départ du jeune garçon qu'il avait adopté[H 23].

Lieux visités

L'histoire débute à Vargèse[H 24], une station fictive de Haute-Savoie que Hergé avait inventée pour les besoins de La Vallée des Cobras, son cinquième et dernier tome de la série Jo, Zette et Jocko[1]. Tintin, le capitaine Haddock et le professeur Tournesol y passent leurs vacances et logent à l'Hôtel des Sommets, mais seul Tintin pratique la randonnée en montagne[H 24]. Avant d'atteindre le Népal, Tintin et Haddock font escale en Inde, à Delhi. Ils y passent quelques heures et en découvrent quelques monuments emblématiques, comme le Qûtb Minâr et le fort Rouge. Tintin évoque ensuite la mosquée de Jama Masjid et le Raj Ghat, le monument dédié à la mémoire du Mahatma Gandhi, mais les deux aventuriers ne peuvent les visiter de peur de manquer leur vol[c 1],[H 25].

L'aventure se déroule ensuite entièrement au Népal puis au Tibet. Tintin et le capitaine atterrissent d'abord à Katmandou. Une vignette montrant le survol de la capitale népalaise fait apparaître le stūpa de Bodnath, inscrit sur la liste du patrimoine mondial de l'UNESCO[2]. Ensuite, on les voit notamment déambuler sur la place du Darbâr et passer devant un « Big Temple », inspiré de celui consacré à la Kumari[3]. Si le Tibet figure dans le titre de l'album, il n'accueille en réalité qu'une faible part de l'intrigue. Le lieu de l'accident aérien, dans le massif du Gosainthan, est bien situé au Tibet, mais les contours géographiques de toute la partie himalayenne de l'album sont assez peu précis, si bien que le sinologue Philippe Paquet affirme : « Finalement, le Tibet est marginal dans le récit. Dans sa logique géographique, l'histoire pourrait très bien se jouer totalement au Népal ». Aussi la frontière entre le Népal et le Tibet que Tintin et ses amis sont censés franchir n'est pas évoquée, alors qu'elle était fermée au moment de la parution de l'aventure[4]. Les lieux évoqués dans cette partie népalaise sont entièrement fictifs. C'est notamment le cas du monastère tibétain de Khor-Biyong où Tintin, Tharkey et le capitaine sont recueillis et soignés, du village de Charahbang ou de la montagne surnommée le museau du yack en raison de sa forme.

Personnages

Moines tibétains, en 1938.

Tintin apparaît plus humain que jamais dans cet album : abattu, ému, il est plusieurs fois prêt à renoncer, ce qui est unique dans la série. Même si d'autres personnages l'accompagnent, la démarche qu'il entreprend en venant au secours de son ami est avant tout solitaire[c 2]. L'énergie qu'il met dans sa quête rejaillit sur ses proches : au début du récit, le capitaine Haddock témoigne de la résistance à l'aventure qu'on lui connaît depuis L'Affaire Tournesol[5], mais il suit pourtant son ami jusqu'au bout de l'aventure. Il en est de même du sherpa Tharkey, dont c'est l'unique apparition dans la série[c 3].

Le personnage de Milou évolue lui aussi : il apparaît doté d'une bonne et d'une mauvaise conscience, sous la forme d'un ange gardien et d'un démon qui l'interpellent pour influencer ses choix[c 4]. À l'inverse, la présence du professeur Tournesol est mesurée : pourtant l'un des personnages récurrents de la série, il disparaît dès la cinquième planche. En vacances avec Tintin et le capitaine à Vargèse, il ne les accompagne pas au Népal.

Si Tchang est finalement assez peu représenté, il est un personnage central de cette aventure dans la mesure où l'ensemble de l'intrigue relève de sa recherche. Cet album témoigne de l'amitié indéfectible que lui porte Tintin depuis leur première rencontre dans Le Lotus bleu.

Le voyage au Népal est l'occasion de présenter une galerie de personnages : d'une part les moines tibétains, parmi lesquels Foudre Bénie, dont les visions accompagnées d'un phénomène de lévitation font avancer l'intrigue, et d'autre part le yéti.

Création de l’œuvre

Dépression d'Hergé et inspiration hésitante

Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, Hergé souffre d'une dépression chronique qui l'a notamment conduit à interrompre la parution de certaines de ses aventures[a 1]. La relation amoureuse qu'il mène à partir de 1956 avec l'une de ses jeunes collaboratrices des Studios Hergé, Fanny Vlamynck, renforce cette crise intérieure dans la mesure où Hergé, empreint de son éducation catholique, ne peut se résoudre à quitter sa femme, Germaine[a 2]. En proie à de vifs tourments intérieurs, l'auteur vit une période de retraite spirituelle à l'abbaye Notre-Dame de Scourmont, puis se retire quelques mois en Suisse[c 1]. À cette époque, ses nuits sont marquées par des rêves obsédants, angoissants, où la couleur blanche domine. Il confie notamment l'un d'eux, dans un entretien accordé à Numa Sadoul quelques années plus tard : « Des feuilles mortes tombaient et recouvraient tout. À un certain moment, dans une sorte d'alcôve d'une blancheur immaculée, est apparu un squelette tout blanc qui a essayé de m'attraper. Et à l'instant, tout autour de moi, le monde est devenu blanc, blanc. »[c 5]

Dans le même temps, l'auteur peine à trouver l'inspiration. En collaboration avec Jacques Martin et Greg, il travaille sur un projet intitulé Tintin et le Thermozéro. Un scénario relativement précis est écrit et quelques planches sont même crayonnées avant que le projet ne soit finalement abandonné[a 3]. Hergé envisage également un scénario mettant en scène la défense d'une tribu amérindienne, ainsi qu'une aventure dont Nestor serait le personnage principal, mais ces projets sont abandonnés tour à tour[d 1]. Il reprend alors une idée de scénario, esquissée de manière succincte dans la marge de la dernière planche de son album précédent, Coke en stock : « Thème général très simple. Mais quoi ? Sagesse tibétaine – Lama. Abominable homme des neiges. Pourquoi partent-ils au Tibet : le yeti ? »[6] L'idée d'envoyer Tintin au Tibet n'est pas neuve pour autant dans l'esprit d'Hergé : dans la pièce de théâtre Monsieur Boullock a disparu, écrite en 1941 en collaboration avec Jacques Van Melkebeke, Tintin traversait Lhassa et y rencontrait des moines tibétains[d 2].

Ambitions chinoises au Tibet et attrait des Européens pour les plus hauts sommets

Sur un autre plan, à l'époque où Hergé entreprend l'écriture de ce nouveau récit, le Tibet est marqué par une série de bouleversements historiques liés à la volonté chinoise de s'approprier le territoire tibétain. En 1959, le soulèvement tibétain, réprimé dans le sang par les forces chinoises, conduit à l'exil du dalaï-lama en Inde. Pour autant, ces évènements ne semblent pas avoir orienté l'auteur dans ses choix : Hergé, qui a pourtant l'habitude d'inscrire son récit dans les évènements de son temps, ne fait aucune mention du contexte géopolitique au sein de l'album[7].

Mais les années 1950 sont aussi marquées par la conquête des plus hauts sommets himalayens, et les exploits d'alpinistes comme Maurice Herzog contribuent à nourrir l'imaginaire populaire occidental autant que celui d'Hergé[a 4].

Écriture du scénario

Dès la première ébauche de cette nouvelle aventure, Hergé place le personnage du yéti comme un élément central de son scénario[d 3]. Dans un premier temps, le dessinateur accumule les croquis et les notes, sans parvenir à définir le motif qui conduirait ses héros sur la trace de la créature. De nombreuses pistes sont explorées : Hergé envisage d'attribuer la responsabilité du voyage à la curiosité scientifique du professeur Tournesol, mais il songe également à mettre sur pied une histoire d'espionnage liée à de faux tableaux ou au vol d'une statue de Bouddha, faisant intervenir le dalaï-lama en personne dans son aventure. Il examine aussi la possibilité d'envoyer Tintin au secours d'une expédition d'alpinistes ou bien à la recherche de Milou qui aurait été enlevé par le yéti[d 4].

Il choisit finalement de convoquer le personnage de Tchang, apparu dans Le Lotus bleu, afin de mettre en place une histoire dépouillée de « toute la panoplie traditionnelle du dessinateur de bandes dessinées », c'est-à-dire sans faire apparaître de personnages de méchants, ni d'armes ou de combats[8],[d 5].

Au moment où il commence le dessin des premières planches de cette nouvelle aventure, Hergé est marqué par une série de cauchemars angoissants qu'il consigne dans ses carnets[d 6]. Il précise également qu'il s'agit presque toujours de « rêves de blanc », cette couleur étant omniprésente dans ses cauchemars[d 7]. Sur les conseils de son ami Raymond De Becker, ancien rédacteur en chef du Soir pendant l'Occupation, Hergé sollicite alors l'aide du psychanalyste zurichois Franz Niklaus Riklin, spécialiste de la psychanalyse jungienne[Note 1], qui lui conseille de cesser le travail pour vaincre le « démon de la pureté » qui l'habite[d 8]. Hergé s'obstine pourtant à terminer son œuvre[a 5], mais il retient, de sa rencontre avec le psychiatre, qu'il lui faut accepter « de ne pas être immaculé » s'il veut mettre fin à ses tourments intérieurs[9],[d 9].

Décors et paysages

Alexandra David-Néel, dont les écrits influencent Hergé.

Fidèle à ses habitudes de travail, Hergé s'appuie sur un travail de documentation précis et minutieux pour établir, avec son équipe des Studios Hergé, une œuvre au décor réaliste. C'est ainsi qu'il copie des monuments, comme le Qûtb Minâr et le fort Rouge de Delhi, ou s'en inspire, comme les monuments de la place du Darbâr de Katmandou[c 1],[3]. Mais le travail documentaire ne se limite pas seulement aux contrées orientales que visite Tintin : pour habiller l'Hôtel des Sommets, présent au début de l'album, Hergé emprunte le décor design du chalet de l'architecte Jean Prouvé, à partir d'images collectées dans des magazines d'ameublement et conservées pour être copiées fidèlement[10].

Les livres d'Alexandra David-Néel sont la première source utilisée par Hergé en ce qui concerne les paysages himalayens et les coutumes tibétaines. Première femme occidentale à atteindre Lhassa, la capitale tibétaine, en 1924, elle publie notamment Mystiques et magiciens du Tibet en 1929 et Initiations lamaïques l'année suivante, qu'Hergé consulte et dans lesquels il puise de nombreux détails sur la vie quotidienne et les traditions des habitants de ces régions[11],[12]. La tsampa (farine d'orge grillée), le salut en tirant la langue, le don rituel de l'écharpe de soie ou encore les phénomènes de lévitation qu'il utilise dans son récit proviennent directement des écrits de l'aventurière et exploratrice. D'autre part, Hergé copie des illustrations reproduites dans ces ouvrages pour dessiner notamment l'un des campements de Tintin, ou encore le dessin du monastère fictif de Khor-Biyong[13].

Heinrich Harrer, en 1997.

D'autres ouvrages figurent dans la documentation d'Hergé, en premier lieu Annapurna, premier 8000, le roman autobiographique de Maurice Herzog, paru en 1951 et qui relate l'expédition française à l'Annapurna de 1950. Les photographies de Marcel Ichac qui illustrent cet ouvrage sont utilisées pour réaliser certains décors de haute montagne[13]. Hergé s'appuie également sur Sept ans d'aventures au Tibet et Meine Tibet-Bilder de l'alpiniste allemand Heinrich Harrer, Tibet secret de l'ethnologue italien Fosco Maraini, Tibet, ma patrie du médecin Tsewang Yishey Pemba, Nanda Devi, troisième expédition française à l'Himalaya de Jean-Jacques Languepin[a 6], ainsi que sur des reportages photographiques du National Geographic ou de Paris Match[13].

Illustration du feu de Saint-Elme.

De même, il dispose d'un certain nombre de conseils techniques et scientifiques. Il rencontre notamment les responsables du Club alpin belge pour recueillir des informations en matière d'escalade. Il échange aussi avec le lieutenant Dartevelle, membre du Centre National de Recherches Polaires à Bruxelles, pour obtenir des renseignements sur le phénomène physique connu sous le nom de feu de Saint-Elme. Celui-ci se produit en altitude en raison de l'électricité atmosphérique. Il fait jaillir des éclairs à la pointe des mâts et peut aussi toucher les avions. Hergé fait apparaître un de ces feux à l'extrémité du piolet rangé dans le sac du capitaine Haddock[a 7]. Pour ne pas subir ce phénomène, les alpinistes évitent de placer leurs piolets avec la pointe au-dessus de leur sac[14].

Traditions et coutumes tibétaines

Le sherpa Tensing Norgay, en 1953.

À travers le personnage de Tharkey, c'est l'ensemble du peuple sherpa qui est mis à l'honneur. Réputés pour leur robustesse et leur adaptation aux très hautes altitudes, ils sont rapidement devenus indispensables aux alpinistes qui cherchaient à atteindre les plus hauts sommets. L'un des plus célèbres est Tensing Norgay, qui devient le premier homme à atteindre le sommet de l'Everest en 1953 avec l'alpiniste néo-zélandais Edmund Hillary[15]. Le sherpa Ang Tharkey, membre de l'expédition d'Herzog, a donné son nom à celui qui accompagne Tintin à la recherche de Tchang[13].

Le bouddhisme tibétain est lui aussi largement présenté dans l'album. Plusieurs chörtens sont représentés dans l'album. Si Hergé respecte bien la tradition en obligeant ses personnages à les dépasser par la gauche, en signe de déférence, il commet une imprécision dans la mesure où les chörtens traditionnels comportent treize disques superposés quand ceux dessinés par Hergé n'en comptent pas plus de dix[13]. Le monastère fictif de Khor-Biyong créé par Hergé est manifestement de lignée Gelugpa, d'après les coiffes jaunes que portent les moines, également vêtus du kesa[13]. En arrivant au monastère pour y chercher du secours, Milou est arrêté par des dob-dob, des moines tibétains entraînés aux arts martiaux qui ont pour rôle d'assurer la sécurité des lieux. Le surlendemain, après avoir été soigné, le capitaine se réveille face à deux effrayantes statues. Celle de droite est inspirée d'une photographie prise par Heinrich Harrer dans le temple de Jokang, à Lhassa, illustrant Meine Tibet-Bilder[Note 2]. Cela dit, Hergé a remplacé, peut-être par erreur, les gâteaux sacrificiels de la photo par des bougies[16]. Un village tibétain, montré dans ce même livre, a servi de modèle pour la lamaserie, dont l'architecture évoque le palais du Potala, à Lhassa[14].

En revenant à ce monastère avec Tchang, à la fin de l'album, les héros sont accueillis par une procession de moines. Hergé représente ici de nombreux objets rituels utilisés par les moines tibétains. À l'avant de la procession, un moine tient une ghanta, une clochette représentant la sagesse. Plusieurs moines sont chargés de porter les dungchen, des trompes en cuivre dans lesquelles le capitaine ne résiste pas à l'envie de souffler et qui produisent un son très grave qui se répercute en écho sur les parois montagnardes pour évoquer la vibration primordiale de l'univers. Plusieurs moines portent des tambours à manche appelés lag-rnga, tandis que le Rinpoché, appelé « Grand Précieux » par Tintin, lui remet une khata pour le récompenser de ses efforts. Il s'agit d'une écharpe traditionnelle de prière, très courante dans le bouddhisme tibétain, qui témoigne du respect profond que l'on éprouve envers son récipiendaire[17],[16].

Sur la piste du yéti

Vision d'artiste d'un yéti.

Dans les carnets de recherche d'Hergé, il apparaît que l'auteur cherchait à rendre son animal vraisemblable, crédible, et non imaginaire[d 5],[b 1]. La documentation d'Hergé concernant le yéti repose essentiellement sur l'ouvrage de son ami Bernard Heuvelmans, intitulé Sur la piste des bêtes ignorées et publié en 1955[18]. Fondateur de la cryptozoologie, Heuvelmans a déjà collaboré avec Hergé pour l'écriture des scénarios de L'Étoile mystérieuse, Le Temple du Soleil et On a marché sur la Lune. Dans son ouvrage, il étudie plusieurs animaux fabuleux et consacre notamment quatre-vingts pages au yéti[13]. Sans aller jusqu'à le présenter comme un animal à visage humain, comme le fera Hergé dans son album, Heuvelmans cherche à contredire le propos qui consiste à le présenter comme l'abominable homme des neiges. Cela convient d'autant mieux à Hergé que ce dernier refuse d'en faire une créature effrayante dans son album[a 6]. L'épisode des porteurs qui s'enfuient et abandonnent le convoi après avoir découvert les traces du yéti dans la neige est directement tiré du livre d'Heuvelmans, qui rapporte des scènes identiques, de même que le fait qu'Hergé attribue trois orteils à sa créature[b 2].

Hergé s'appuie aussi sur des croquis d'empreintes attribuées au yéti, présentés par Maurice Herzog dans son ouvrage Annapurna, premier 8000[a 6], mais également sur des empreintes photographiées par l'alpiniste Eric Shipton et reproduites par Bernard Heuvelmans[b 3]. Maurice Herzog confie notamment à Hergé que les traces découvertes dans la neige par son expédition ne pouvaient appartenir à aucune espèce d'animal connue, et que celles-ci s'arrêtaient brusquement au pied d'un pan de montagne pour ainsi dire inaccessible[d 10].

Outre ces deux références, Hergé consulte les récits de personnes déclarant l'avoir aperçu, afin d'avoir une relation suffisamment précise de son mode de vie[a 8],[18]. À la fin des années 1950, l'engouement pour le yéti est manifeste, au point que des expéditions montées par des correspondants de presse sont chargées de le débusquer[19].

Ce souci de réalisme différencie notamment le yéti d'une autre créature, Ranko, le gorille de L'Île Noire. Si la peur de ces deux bêtes alimente les légendes locales, le gorille n'a rien de fantastique et quitte rapidement le registre de l'étrange pour celui de l'humour[b 4],[20]. Par conséquent, si le gorille est mis en scène pour créer du suspense, doublé d'un effet humoristique, le yéti dépeint par Hergé tend à rendre plausible l'existence des créatures légendaires[b 5].

Clins d'œil

Zhang Chongren, ami d'Hergé, inspire le personnage de Tchang.

Si la Belgique semble loin de cette aventure, Hergé glisse un certain nombre de clins d'œil à son pays à travers les toponymes tibétains qu'il invente. Ainsi les villages de « Pôh-Prying » et de « Weï-Pyong » renvoient respectivement à la ville de Poperinge et au bourg de Wépion, tandis que le monastère de « Khor-Biyong » tire son nom du village de Corbion[a 9].

Amateur d'art, Hergé fait référence à des œuvres célèbres pour le dessin de certaines cases. C'est le cas de la représentation du rêve du capitaine Haddock, quand celui-ci s'endort en pleine randonnée, accablé par la fatigue et l'alcool[H 26]. Dans la première vignette, Haddock et le professeur Tournesol marchent devant un bâtiment dont les arcades se perdent à l'horizon, tandis que leur ombre s'étire indéfiniment à leur pied. Les lignes de fuite sont ici accentuées à leur maximum. Cette composition évoque directement les tableaux de Giorgio De Chirico, en particulier Mystère et mélancolie d'une rue, réalisé en 1914[21]. La scène se situant à l'intérieur de l'Hôtel des Sommets, où Tintin rêve de Tchang, aurait été inspirée par une toile de Joan Miró, la série Intérieurs hollandais (1928). Hergé appréciait l'œuvre de ce peintre, ayant confié à Pierre Sterckx avoir eu le choc pour Miró en 1938[14].

Références aux autres albums de la série

Hergé introduit des éléments de cohérence entre ses albums afin de donner à son œuvre une « apparence massive, compacte et cohérente ». De fait, il utilise le même procédé que les grands auteurs du XIXe siècle, comme Honoré de Balzac et sa La Comédie humaine, en convoquant dans chaque nouvelle aventure des personnages issus de précédentes histoires[22]. C'est le cas du personnage de Tchang Tchong-Jen, inspiré par le sculpteur et ami d'Hergé Zhang Chongren et apparu dans Le Lotus bleu. Cette première rencontre avec Tintin, qui avait scellé leur amitié, devient le moteur de cette nouvelle aventure : c'est par fidélité à son ami Tchang que Tintin est prêt à braver tous les dangers pour lui porter secours.

Aussi, certains éléments du scénario de Tintin au Tibet constituent autant de renvois plus ou moins évidents à de précédents albums. C'est notamment la deuxième fois dans la série que Tintin occupe explicitement une posture de vacancier, après Les Cigares du pharaon. Cette aventure, la quatrième de la série, s'ouvre sur Tintin embarqué sur une longue croisière maritime à destination de Shanghai, avant qu'un évènement fortuit ne mette un terme à ce voyage paisible, de même que la lettre de Tchang interrompt les vacances des héros à Vargèse dans Tintin au Tibet[2].

Par ailleurs, dès les premières planches, le capitaine Haddock montre un visage peu enclin à l'aventure, d'abord par son refus d'accompagner Tintin lors de ses randonnées en montagne[H 24], puis quand il tente de le dissuader de partir à la recherche de Tchang[H 27]. Ce thème de la résistance à l'aventure, de la part du capitaine, apparaît dès L'Affaire Tournesol avant d'être décliné dans les histoires suivantes, dont celle du Tibet. Mais cette résistance finit toujours par être vaincue par l'enthousiasme de Tintin qui finit par entraîner le capitaine avec lui[5]. De même, la présence du yéti dans cette aventure peut rappeler celle de Ranko, le gorille de L'Île noire. Dans les deux cas, ces créatures d'apparence monstrueuse inspirent finalement la même sympathie[a 10]. Pour autant, les deux créatures diffèrent dans la mesure où le yéti est un être solitaire, attaché à sa liberté, quand Ranko est ramené à sa vraie nature par la gentillesse de Tintin après avoir été dressé pour faire le mal par des truands[23].

Des références sont également présentes à travers les dessins. À titre d'exemple, le sémiologue Pierre Fresnault-Deruelle rapproche une des vignettes de cette aventure d'une autre figurant dans Objectif Lune. Dans la quatrième case de la 42e planche de Tintin au Tibet, le yéti est recouvert par la tente de Tintin et ses compagnons qui vient de s'envoler. La créature, dont on ne voit que les pieds, avance dans la neige telle un fantôme, levant les bras de colère. En ce sens, elle rappelle la dernière case de la onzième planche d’Objectif Lune, qui montre le capitaine Haddock dans la même position, surgissant de la fumée et recouvert de mousse après que les pompiers l'ont aspergé pour éteindre l'incendie qui s'était malencontreusement déclaré dans sa chambre. La symétrie entre les deux images est quasi parfaite[24].

Parution et traductions

La prépublication des planches de Tintin au Tibet commence le dans les colonnes du Journal de Tintin[a 11], et se poursuit jusqu'au [d 11]. Au cours de cette période, 63 planches paraissent au rythme d'une planche par semaine[a 12]. La version en album, contenant 62 pages, est éditée chez Casterman en 1960.

Quelques modifications sont apportées entre la version originale et la version en album, qui compte donc une page de moins. Quatre bandes de la version originale ont été retirées de la version en album, au moment de l'explosion du réchaud du capitaine[25],[H 28]. Dans la version originale, après l'explosion de l'appareil, Tintin se précipite pour le dégager d'un coup de pied, et se brûle par la même occasion[26]. Le feu atteint cependant une caisse qui contient des fusées de détresse, et celles-ci explosent en obligeant Tintin, le capitaine et Tharkey à se réfugier[27]. Ainsi la dernière bande de la trente-huitième planche originale glisse sur la trente-septième planche de la version en album, ce qui explique que celle-ci comporte une planche de moins. Par ailleurs, dans la première planche parue dans le no 38 de 1958, l'aventure s'ouvrait par une case montrant une vue panoramique de Vargèse et de sa vallée[28]. Cette case, remplacée par le titre en grand format, n'apparaît pas dans la version en album[H 24]. De même, dans la première case de la dernière planche de l'album, la silhouette du moine Foudre Bénie flotte en lévitation au-dessus de la lamaserie, comme pour saluer le départ de l'expédition vers le Népal[H 29]. Ce détail n'était pas présent dans la version originale[29].

Le titre original choisi par Hergé pour cette histoire était Le Museau de la vache[d 6], titre rejeté par l'éditeur Casterman, préférant pour des raisons commerciales un titre évoquant le Tibet[1]. Cela explique la présence de ce titre simpliste, alors qu'Hergé s'était depuis des années attaché à des noms plus élaborés, au lieu de la simple mention du lieu de l'aventure de Tintin au Congo ou Tintin en Amérique[1].

Dans l'édition originale de l'album, l'avion qui s'écrase appartient à la compagnie Air India, la même qui assurait le vol du Malabar Princess, qui s'abat dans le massif du Mont-Blanc en 1950. Soucieuse de préserver son image, la compagnie proteste contre cette mauvaise publicité, si bien qu'Hergé la remplace par une compagnie fictive, « Sari Airways », dans les éditions suivantes. Cependant, le nom d'« Air India » reste visible en petits caractères sur l'avion dessiné à la fin de l'album, lorsque Tchang raconte son accident[15],[a 13].

L'album a été traduit en plusieurs langues, comme le grec en 1976[30], l'arabe en 1979[31], le japonais en 1983[32], le coréen en 1989[33], le suédois en 1991[34], le danois en 1994[35], l'espéranto en 2006[36], le mongol la même année[37], ou encore l'hindi en 2015[38]. Certaines traductions ont été réalisées sans l'aval de Moulinsart, comme une édition pirate en thaï en 1987[39]. Enfin, l'album a été traduit en tibétain en 1994[40].

Analyse

Place de l'album dans la série

Spécialiste de l'œuvre d'Hergé, Benoît Peeters relève que Tintin au Tibet est l'album de bande dessinée qui a suscité le plus grand nombre d'études, tous auteurs confondus, ce qui témoigne de la place prépondérante qu'il occupe dans l'histoire de la bande dessinée, et plus encore dans la série des Tintin. Peeters le considère comme l'un des deux livres « pivots » de la série, aux côtés du Lotus bleu, en particulier pour sa « trajectoire dépouillée, sa limpidité archétypale »[d 12]. Il précise que la présence poignante de Tchang dans ces deux albums, ainsi que la représentation d'un yéti plus humain que jamais, font de Tintin au Tibet « le livre le plus émouvant de l'histoire de la bande dessinée », avant la parution de Maus d'Art Spiegelman[d 13].

Le philosophe Jean-Luc Marion, qui reconnaît dans cette aventure l'influence du christianisme et de l'éducation catholique qu'a reçue Hergé, considère que Tintin au Tibet marque avant tout « la prééminence définitive de l'éthique », l'auteur arrivant au terme d'un questionnement qui transparaît tout au long de la série. Le philosophe mentionne que « toute l'aventure tourne autour de l'appel d'un nom, [...] autrement dit, du phénomène originel où se dévoile la relation interpersonnelle et éthique »[41]. Sur un autre plan, l'historien Thierry Groensteen, qui reconnaît lui aussi les valeurs spirituelles et morales de l'album, assure que Tintin au Tibet « représente l'un des sommets du comique hergéen », et déplore que cet aspect soit souvent esquivé dans les études qui lui sont dédiées, « comme si le processus de création de l'œuvre avait exigé que cette dimension fût minorée »[42].

Un album spirituel et intime

Si Tintin au Tibet diffère des autres aventures, c'est parce qu'il ne s'agit pas pour le héros de conduire une enquête policière mais bien de mener une quête spirituelle. Les armes à feu sont absentes du récit, et comme l'explique Pierre Assouline, « le seul conflit oppose l'Homme à la nature quand elle se montre hostile »[a 14]. Le critique Eudes Girard relève lui aussi le côté apolitique de l'album et insiste sur sa « dimension philosophique et spirituelle inégalée dans les autres albums de la série[c 6] ».

Ce récit apparaît donc comme l'album le plus personnel d'Hergé, qui en fait d'ailleurs son aventure préférée[15], la considérant comme « une sorte de chant dédié à l'Amitié »[43].

Au moment où il commence à dessiner cette aventure, Hergé est en proie au doute, enfermé dans un profond syndrome dépressif, une crise morale qui affecte durablement son travail. L'achèvement du récit semble agir sur lui comme une thérapie, aussi Pierre Assouline affirme que « rarement Hergé s'est autant projeté dans une de ses bandes dessinées »[a 12]. Il considère l'album comme « un instantané autobiographique du créateur au tournant de son existence »[a 9]. Plusieurs éléments du scénario font directement écho à la situation personnelle d'Hergé. À titre d'exemple, Benoît Peeters fait un parallèle entre la scène finale, qui montre le yéti abandonné à son chagrin et à sa solitude, et la séparation en train de se produire entre l'auteur et sa femme Germaine[d 11].

Tintin, un personnage en quête du Bien

Dans les précédents albums, l'intrigue commence par un évènement extérieur qui vient perturber le quotidien des héros. À l'inverse, c'est ici le rêve de Tintin, dans lequel Tchang l'appelle à l'aide, qui agit comme une révélation. C'est dans cette vision que Tintin puise la conviction que son ami a survécu à la catastrophe : le rêve induit donc toute l'action du héros[c 7]. C'est pour cette raison qu'Eudes Girard voit Tintin au Tibet comme une « allégorie moderne et laïcisée du Bon Samaritain »[c 6], car c'est bien « une véritable démarche de sainteté que semble poursuivre Tintin »[c 2]. Plus encore que le sens de l'amitié, c'est la question de la quête du Bien que l'album tend à soulever[c 6].

Si Tintin est prêt à donner sa vie pour sauver celle de son ami, il apparaît dans toute sa faiblesse d'homme. Plusieurs fois proche de renoncer face aux apparences, il trouve finalement la force de se transcender. Sa démarche, née de son propre rêve et de sa foi dans la survie de Tchang, est avant tout solitaire. Pour autant, à l'image des saints, il semble exercer une autorité morale et c'est par la force qui rayonne de son action que les autres personnages s'engagent eux aussi sur la voie du Bien[c 7]. Le capitaine Haddock, qui affiche dès la première planche de l'aventure son hostilité à la montagne, suit pourtant son jeune ami dans sa quête, tout comme le sherpa Tharkey qui, prêt à abandonner les recherches, décide de continuer pour ne pas faire preuve de lâcheté[c 4] : « Toi jeune sahib blanc, et toi risquer ta vie pour sauver jeune garçon jaune... Moi homme jaune et moi pas vouloir t'aider... Moi me dire moi poltron... Alors, moi faire demi-tour, et revenir vers toi...[H 30] ». Milou lui-même semble marqué par cette transformation mystique : à deux reprises dans l'album, on le voit interpellé en même temps par sa bonne et sa mauvaise conscience[Note 3]. Si la question du devoir se pose fréquemment à lui dans la série, c'est la seule fois qu'elle se manifeste par la présence de son ange gardien et de son démon[c 4].

L'influence des vertus chrétiennes

Les personnages de l'album peuvent être vus comme des allégories de la foi, la charité et l'espérance, trois vertus théologales chrétiennes.

Enfin, en situant son action dans l'Himalaya, au cœur des plus hautes montagnes du monde, Hergé confère à son œuvre et à la quête mystique de son héros une dimension hautement symbolique : la montagne est, par excellence, le lieu du dépassement de soi. Les immensités blanches qui entourent Tintin peuvent être considérées comme une allégorie de la pureté que le héros atteint par son action[c 8].

En conclusion de l'album, c'est le lama lui-même, venu à la rencontre de Tintin, qui semble lui accorder la sainteté : « Sois béni, Cœur Pur, sois béni pour la ferveur de ton amitié, pour ton audace et pour ta ténacité ![H 31] ». Ainsi les différents personnages semblent incarner les trois vertus théologales de la religion chrétienne : pour son amitié indéfectible, Tintin représente la charité, quand le capitaine Haddock, surnommé « Tonnerre grondant » par les lamas, évoque « la foi qui transporte les montagnes ». Enfin, Milou et Tchang peuvent être considérés comme des figures de l'espérance[41].

L'allusion biblique est encore renforcée par les indications chronologiques apportées par Hergé dans son récit, et dont l'une d'elle est répétée : partant de la lamaserie pour le dernier épisode de sa quête, Tintin met trois jours pour rejoindre Charahbang, le village tibétain proche de la montagne nommée le museau du yack, où le yéti est supposé retenir Tchang, et de nouveau trois jours pour atteindre l'entrée de la grotte où son ami est retenu. Pour Eudes Girard, ces trois jours à répétition renvoient aux trois jours que Jonas passe dans le ventre de la baleine, et aux trois jours qui séparent la Passion du Christ de sa Résurrection[c 9] : « Car, comme Jonas fut dans le ventre du cétacé trois jours et trois nuits, ainsi le Fils de l'homme sera trois jours et trois nuits dans le sein de la terre. Mt 12,40 ».

L'appel de l'autre et l'ouverture sur le monde

Comme dans Le Temple du Soleil et L'Affaire Tournesol, Tintin s'engage dans l'aventure en répondant à l'appel d'un de ses amis, ce qui constitue selon le philosophe Martin Legros le « geste éthique fondamental » de ce personnage. L'appel de Tchang, ressenti dans son cauchemar, ne cesse de résonner en lui comme un devoir irrépressible. Après ce rêve, « [i]l semble acquis pour tous que Tintin est insensé. Il s'en tient à la logique de son rêve. Il a vu Tchang qui l'implorait. Depuis, il vit dans un monde auquel les autres n'accèdent pas[44]. » Mais en répondant à cet appel, Tintin ne se sacrifie pas pour une cause ou pour une loi abstraite, dans la mesure où il « s'accomplit lui-même en faisant le bien ». Martin Legros considère donc que Tintin n'est pas un héros kantien car son devoir n'est pas vécu « sous la forme d'une contrainte qui l'empêcherait de réaliser ses désirs les plus profonds ». En ce sens, à travers son héros, Hergé propose de « réconcilier l'éthique des vertus d'Aristote et la morale du devoir de Kant »[45].

Aussi, publié bien après Tintin au Congo, dont la parution débute en 1931 dans Le Petit Vingtième, Tintin au Tibet marque l'évolution profonde de la vision d'Hergé sur les peuples non européens. Par son respect des coutumes tibétaines autant que du yéti, son ouverture à l'altérité s'étend même à l'animal. À travers son album, Hergé exprime que « même l'innommable peut être bon »[46], ce que relèvent également l'historien Laurent Deshayes et le sociologue Frédéric Lenoir, pour qui le thème de l'amitié entre Tintin et Tchang, mais également entre Tchang et le yéti, renvoie à la compassion et à l'altérité : « il faut dépasser la peur de la différence de l'autre pour découvrir les forces d'amour et de bonté qui résident en lui »[46].

L'ouverture à l'altérité de Tintin témoigne également de celle de son auteur, dont le regard sur le monde évolue tout au long de la série. L'historien Pascal Ory souligne une différence de traitement de la figure du médium : dans Le Lotus bleu, le fakir était présenté comme « un phénomène de fête foraine » tandis que le moine Foudre Bénie est ici présenté comme « sage atypique », ce qui conduit Ory à affirmer qu'Hergé est passé « d'un orientalisme de colonisation à un orientalisme de mondialisation »[47].

Une créature menaçante au cœur du récit

Les carnets de notes d'Hergé montrent qu'il souhaitait bâtir son scénario autour du yéti et que cette idée a précédé celle de l'accident d'avion survenu à Tchang. L'auteur voulait avant tout que son héros rencontre la créature et la catastrophe ne semble qu'un « prétexte »[48]. Pour autant, il faut attendre la 23e planche de l'album pour voir apparaître la première allusion à « l'abominable homme des neiges ». Thierry Groensteen relève l'utilisation par Hergé d'un procédé narratif digne des films d'épouvante et qui consiste à « différer le plus possible la révélation de la bête supposée monstrueuse et menaçante », tout en « [faisant] constamment sentir autour des personnages sa présence d'autant plus obsessionnelle qu'elle demeure invisible ou presque »[48]. En effet, dès lors que la couverture montre Tintin, Haddock et Tharkey observant les traces de pas du yéti dans la neige, le lecteur « ne peut s'empêcher de guetter les premiers indices de la présence du monstre », qui sont livrés de manière graduelle. Dans l'album, les personnages entendent d'abord le cri du yéti, avant de découvrir l'empreinte de ses pas. Lors de la première rencontre entre Tintin et la créature, celle-ci n'apparaît pas distinctement et la tempête de neige fait que Tintin le prend pour le capitaine. Ensuite, Haddock aperçoit le yéti à travers ses jumelles, mais celui-ci n'est pas montré au lecteur, de même que pour la vision du moine Foudre Bénie quelques planches plus tard. Dans la 42e planche, seuls les pieds de la créature, recouverte par la toile de tente des héros, sont visibles, et ce n'est qu'à la 57e planche, soit à cinq pages de la fin de l'album, que le lecteur peut découvrir l'image de l'homme des neiges[48].

Le philosophe Michel Serres considère également le yéti comme l'autre héros de l'album, et évoque la possible réversibilité du récit. En effet, Tchang est arraché à Tintin par l'accident de l'avion au début de l'album, et finalement Tintin vient l'arracher aux mains du yéti à la fin de l'histoire. Aux pleurs de Tintin après l'annonce de la catastrophe répondent les lamentations de la créature, seule dans la montagne. Michel Serres affirme que cette réversibilité se matérialise sur le plan graphique : la première vignette montre Tintin de face, marchant dans la montagne, tandis que la dernière montre le yéti de dos[c 4].

Un personnage plus proche de l'homme que de la bête ?

La figure du yéti est comparée à celle de la baleine qui avale Jonas mais le sauve de la noyade (illustration tirée de la Bible de Jean XXII).

Par ailleurs, l'image du yéti présentée par Hergé est loin de celle communément retenue de « l'abominable homme des neiges ». Tchang lui-même explique à la fin de l'album : « Et pourtant, je t'assure, Tintin, il a agi avec moi d'une telle façon que je me suis parfois demandé si ce n'était pas un être humain[H 32] ».

D'après le critique Eudes Girard, le yéti est donc le véritable homme de Bien de l'album, dans la mesure où c'est lui qui soigne et nourrit Tchang après la catastrophe aérienne, alors que les sherpas seraient arrivés trop tard pour le sauver. En ce sens, le yéti peut-être vu comme une transposition de la figure biblique de la baleine qui, tout en emprisonnant Jonas, le sauve de la noyade. De même, tel le Bon Samaritain de la Bible, le yéti a mauvaise réputation. L'album pose donc la question du véritable Bien, qui peut surgir en chaque être, y compris là où on ne l'attend pas[c 10].

D'une certaine manière, Hergé présente le yéti comme il avait présenté Ranko, le gorille de L'Île Noire. Tous les deux se révèlent être des créatures sensibles, loin de l'horrible bête décrite par tout le monde. L'un comme l'autre sont inspirés de King Kong, personnage qui n'est finalement pas aussi monstrueux qu'il en a l'air[15].

Différents degrés d'interprétation

Dans son étude Les Métamorphoses de Tintin, Jean-Marie Apostolidès soumet l'idée que « tout l'album a pour centre secret le thème du cannibalisme ». Dans son interprétation, il considère que Tchang, nourri par le yéti avec de petits animaux qu'il se force à manger malgré sa répugnance, a pu partager la chair humaine avec la créature. La question reste en suspens dans la mesure où « chaque fois qu'il pourrait connaître ce qui se passe entre le monstre et lui, Tchang se laisse emporter comme un enfant et il tombe dans une demi-inconscience »[49]. Jean-Marie Apostolidès présente également le yéti comme le jumeau secret du capitaine Haddock, avec qui il partage la même avidité orale, mais aussi l'incarnation de la part d'ombre de Tintin lui-même[49]. De son côté, Jean-Marie Floch en fait un double négatif de Bianca Castafiore : la cantatrice perturbe le premier bivouac par l'apparition de sa voix dans le transistor tandis que le yéti se manifeste lors du second bivouac. La Castafiore et l'homme des neiges partagent donc la même puissance vocale que le capitaine abhorre[50].

D'après Thierry Groensteen, c'est bien du capitaine Haddock que se rapproche la figure du yéti car les deux personnages partagent les mêmes traits communs : outre leur pilosité et un goût certain pour l'alcool, leur apparence bourrue (pour le capitaine) ou menaçante (pour le yéti) dissimule une profonde humanité. Ce sont aussi deux êtres bruyants : si le yéti se manifeste par des cris sauvages, le capitaine « ne cesse de provoquer des explosions sonores, aux conséquences quelquefois dévastatrices ». Groensteen relève son cri de douleur quand sa barbe se coince dans la fermeture éclair de son duvet, l'avalanche provoquée par ses injures, l'explosion du réchaud à gaz, l'éternuement qui provoque le déchirement de la tente, son mouchage qui met en fuite le yéti ou encore son essai de la trompe portée par les lamas[48]. Haddock commence par ne pas croire à l'existence de la bête, mais c'est finalement la découverte de sa bouteille de whisky, vidée par l'homme des neiges, qui lui en apporte la preuve. À ce moment d'ailleurs, le capitaine réagit en poussant un cri désarticulé, qui n'appartient pas au langage humain et l'associe de fait au yéti. Dès lors, sa rencontre et l'affrontement à venir deviennent pour le capitaine une motivation personnelle qui se superpose à la recherche de Tchang et le décide à suivre Tintin malgré ses réticences[48].

Piments séchant dans les rues de Katmandou, en 2005.

Pour Jean-Marie Apostolidès, un autre trait de la figure « ogresque » du capitaine est visible dans l'épisode où les enfants de Katmandou lui font avaler du piment rouge en train de sécher sur des tapis étalés dans la rue. Dans son interprétation, le piment rouge s'apparente à « un fruit défendu » qu'on ne peut consommer cru et qu'il convient d'accommoder, et devient alors un substitut de chair humaine crue. En cela, Haddock partage avec le yéti le thème de la dévoration et du cannibalisme[49].

La figure du yéti inspire également à Michel Serres une critique de la « société du spectacle » : l'insistance du capitaine pour que Tintin prenne une photographie de la créature semble illustrer « l'avidité du voyeur qui recherche avant tout le spectaculaire ». De même, quand Tintin tente de raconter son aventure au Grand Précieux, après avoir été soigné à la lamaserie, il n'arrive pas à formuler le but réel de son expédition. Ainsi le véritable Bien est insaisissable et ne peut s'exposer, il se dérobe à toute explication car seule une force impérieuse appelle à l'accomplir[c 11].

Le paranormal au centre de la narration

Le phénomène de lévitation inspire Hergé.

Pour Vanessa Labelle, Tintin au Tibet « n'est pas seulement [l'album] le plus personnel [de l'auteur] par sa dimension cathartique, mais aussi parce que l'auteur y a exposé ses convictions les plus profondes »[b 6]. Une des caractéristiques de Tintin au Tibet est que le fantastique, et plus particulièrement les évènements paranormaux, se retrouvent au cœur du récit. Il ne s'agit certes pas d'une nouveauté dans l'œuvre d'Hergé puisque le genre est déjà présent dans ses albums précédents : les tours de fakirs dans Les Cigares du pharaon ou Le Lotus bleu, la « prédiction » faite à Tintin par le khouttar dans Les Cigares du pharaon, l'hypnotisme et la malédiction dans Les Cigares du pharaon et Les Sept Boules de cristal, l'envoûtement dans Le Temple du Soleil, les mutations que subissent les êtres vivants au contact d'un métal extra-terrestre dans L'Étoile mystérieuse, ou encore la radiesthésie dans Le Trésor de Rackham le Rouge, Les Sept Boules de cristal et Le Temple du Soleil[b 7]. Ainsi, les phénomènes paranormaux sont recensés dans dix des vingt-quatre albums de la série[b 8]. Des auteurs comme le critique littéraire François Rivière insistent ainsi sur un certain « réalisme fantastique » qui serait propre à l'œuvre d'Hergé, et qui découlerait de son intérêt profond pour le domaine[51].

Le paranormal se développe de manière progressive dans l'album : l'histoire commence par le rêve prémonitoire de Tintin, se poursuit par une plongée dans l'univers de la cryptozoologie avec l'évocation du yéti, et culmine par le biais de l'épisode de la voyance et de la lévitation du moine tibétain. Pour Vanessa Labelle, cette insertion progressive du paranormal dans le récit est une stratégie développée par l'auteur de manière à retarder le scepticisme du lecteur adulte : « cette montée en puissance du paranormal tout au long du récit a pour effet d'empêcher le rejet final des phénomènes présentés »[b 9].

Mais plus encore, l'évènement paranormal est bien à la base du récit, et agit comme un puissant moteur narratif. C'est le rêve prémonitoire de Tintin qui déclenche l'aventure, puisque c'est à partir de ce rêve qu'il obtient la conviction que Tchang a survécu à la catastrophe aérienne. Sans ce rêve, Tintin aurait probablement fait le deuil de son ami[b 10]. Au fil de la série, le paranormal paraît donc gagner en importance, et surtout, Hergé semble le traiter de manière plus sérieuse. Dans Tintin au Tibet, l'absence des détectives Dupondt, personnages comiques par excellence, en est une preuve selon Vanessa Labelle[b 11]. Cette dernière considère également que le paranormal prend une dimension plus profonde dans cet album, dans la mesure où il fait l'objet d'un débat entre croyants et sceptiques. Ce débat est symbolisé par la personne du capitaine Haddock, foncièrement rationnel et sceptique. D'abord incrédule quant à l'existence du yéti, il souhaite ardemment en apporter la preuve par le biais d'une photographie[b 12],[52]. De même, au début de l'album, il considère que Tintin s'engage dans une quête irrationnelle et absurde, rejoint en cela par d'autres personnages, comme le chef de l'aérodrome de Katmandou ou le sherpa Tharkey[b 13]. Si Tintin n'a pas besoin de preuves matérielles, le capitaine continue de nier l'existence de ces phénomènes et tourne en ridicule les propos de ses interlocuteurs. Pour autant, si son scepticisme reste intact, il ne peut trouver d'explications matérielles[b 14]. Quand il finit par vaincre cette défiance, en étant le témoin direct de la lévitation du moine, il ressent immédiatement le besoin d'acquérir une preuve matérielle par le biais d'une photographie, de même qu'il insistera auprès de Tintin pour que celui-ci le photographie dans sa grotte[b 15]. Mais après sa confrontation avec la créature, le capitaine semble indifférent à l'obtention de ces preuves. Une transformation de son caractère se produit donc à travers ce périple himalayen : Haddock comprend que « la vérité des choses n'est pas immédiatement accessible au regard et qu'il doit se servir davantage de son intuition »[b 16].

Un récit initiatique

À travers sa description du yéti, Hergé tend à rendre plausible l'existence des créatures légendaires. Pour autant, le lecteur « n'est pas sommé de croire en l'existence du yéti ; il est plutôt appelé à ajuster sa conception de la réalité, voire de ce qui est possible »[b 5]. Ainsi, Tintin au Tibet revêt les propriétés du récit initiatique : par le biais de l'initiation des héros, l'auteur invite les jeunes lecteurs à s'initier eux-mêmes aux phénomènes paranormaux, et les adultes à modifier la vision qu'ils peuvent avoir de ceux-ci[b 17]. Dans cette optique, le choix du Tibet comme lieu de l'aventure s'avère idéal : isolé, éloigné, inaccessible, le Tibet est un lieu mystique propre à l'initiation[b 18], dans la mesure où celle-ci nécessite une rupture avec le monde profane tout en impliquant d'entrer dans un espace sacré[53]. C'est ce que Pierre-Yves Bourdil résume en parlant du Tibet comme d'un « lieu privilégié où se révèlent les âmes »[54]. Cet album s'inscrit donc pleinement dans la série, que les philosophes Alain Bonfand et Jean-Luc Marion considèrent comme un long « roman de formation »[55].

Mais outre les phénomènes paranormaux, la peur est également formatrice pour le jeune lecteur, comme le souligne le psychologue Bruno Bettelheim[56]. Comme Le Temple du Soleil quelques années plus tôt, cette nouvelle aventure contient un certain nombre d'étapes qui peuvent être considérées comme un répertoire de ce que Simone Vierne appelle des « entr[ées] dans le domaine de la mort »[57] : accident aérien, montagnes himalayennes, grottes et crevasses, avalanches, tempêtes de neige et rencontre avec le yéti[b 19]. Le questionnement autour de la mort, caractéristique du récit initiatique, est omniprésent dans cet album. D'abord autour de la mort présupposée de Tchang, que craint Tintin tout en ayant la conviction qu'il est toujours en vie, mais également lors de la scène dans laquelle Tintin se retrouve pris au piège du blizzard et finit par tomber dans une crevasse[H 13]. Cette chute s'apparente à la « mort symbolique » du héros, et plus tard son retour à la vie quand il parvient à rejoindre le capitaine par ses propres moyens[b 19].

Par ailleurs, à travers la grotte du yéti, les héros comme les lecteurs semblent pénétrer « dans le domaine de la mort »[57], dont ils ressortent transformés. Par la présence potentielle du yéti, l'obscurité, les ossements, la grotte symbolise le lieu de l'effroi, mais elle constitue finalement le « lieu ultime de l'initiation »[b 20]. À sa sortie, Tchang devient un homme, « quitte la grotte avec une nouvelle vision du monde et apprend la puissance de l'amitié »[b 21]. Pour Tintin, dont l'initiation débute dès les premières pages du récit, la transformation est symbolisée par un changement de vêtements : abandonnant son traditionnel pull bleu, il arbore un gilet vert à la sortie de la grotte[H 33]. Quant au capitaine Haddock, si l'initiation est plus tardive de par sa résistance aux phénomènes paranormaux qui se déroulent pourtant sous ses yeux, il subit trois morts initiatiques qui le transforment lui aussi : la première lorsqu'il est suspendu au bout d'une corde et se montre prêt à se tuer pour sauver son ami Tintin[H 34], la deuxième après l'effondrement de la paroi[H 16], enfin la dernière lors de la confrontation avec le yéti[H 35]. Si, par son caractère, il semblait déjà initié à l'âge adulte, il apparaît désormais plus ouvert, plus sensible, et comprend que la vérité des choses n'est pas toujours accessible au regard[b 22].

La figure du médium, comme économie de la narration

Les phénomènes médiumniques sont relativement présents dans les Aventures de Tintin. C'est le cas du fakir du Cipaçalouvishni, dans Le Lotus bleu, qui prédit les dangers qui guettent Tintin, ou de la voyante des Sept Boules de cristal, Madame Yamilah, qui annonce que les membres de l'expédition Sanders-Hardmuth sont sous le coup d'une malédiction inca. L'attirance d'Hergé pour ces personnages vient de leur rôle de « pivot entre des niveaux de réalité différents », permettant ainsi « l'économie de la narration »[58].

Dans Tintin au Tibet, c'est le moine tibétain Foudre Bénie qui tient ce rôle. À plusieurs reprises, il raconte, au moment où elles se déroulent, des actions dont ni les autres personnages ni le lecteur ne peuvent avoir connaissance. Les visions de ce moine en font « le médiateur d'un récit enchâssé qui a la particularité d'être totalement synchrone avec le récit-cadre, et de contenu parfaitement complémentaire ». Cette fonction se rapproche de celle des coupures de presse insérées dans le récit, dans la mesure où le médium supplée la narration principale[58].

L'humour, comme une respiration au cœur du récit

Si Tintin au Tibet est avant tout une œuvre teintée de spiritualité et de mélancolie, les gags n'en sont pas exclus[59]. En l'absence des Dupondt[b 11], le comique est essentiellement porté par le capitaine Haddock[59], dont « [l']impulsivité, [la] propension à s'exposer au danger, à déclencher des catastrophes » sont une source inépuisable d'effets comiques[60]. Hergé utilise abondamment l'humour comme un moyen de faire retomber la tension dramatique : le gag agit comme une respiration dans une histoire où les péripéties s'enchaînent[61]. Parmi les nombreux ressorts comiques de sa palette, Hergé utilise régulièrement les accessoires pour faire rire[62]. Ainsi dans Tintin au Tibet, c'est d'abord la tente qui se retrouve au centre de multiples gags : dans un premier temps, le capitaine se prend les pieds dans les tendeurs[H 36], puis celle-ci s'envole, recouvrant entièrement le yéti qui percute alors un rocher[H 37]. Enfin, l'autre tente, la dernière des héros, est fendue en deux après que le capitaine éternue[H 38],[63].

Un autre procédé consiste en un enchaînement de vignettes dans lequel ce qui survient dans la deuxième vignette illustre ou contredit ce qui est dit dans la première. À ce titre, les revirements du capitaine sont récurrents : il change plusieurs fois d'avis au cours de l'album, jurant d'abord qu'il ne suivra pas Tintin dans ses aventures, pour finalement l'accompagner[64]. Par ailleurs, tout en lui faisant courir des dangers, comme à ses compagnons, les penchants alcooliques sont eux aussi une source de gags. À titre d'exemple, le vol de sa bouteille de whisky par le yéti met Haddock dans une telle colère qu'il lui lance une bordée d'insultes et finit par déclencher une avalanche qui le recouvre[H 39],[65].

Enfin, la scène de la grotte revêt elle aussi une forte puissance comique : personnage bruyant par excellence, Haddock est finalement incapable de siffler, stupéfait par la présence du yéti, et ne peut avertir Tintin du retour de la créature. Il décide alors de venir à l'aide de son ami, avant de se faire télescoper par le yéti, mis en fuite par le flash de l'appareil photo (un Leica)[H 40],[66],[15].

La nourriture et la boisson omniprésentes

Thierry Groensteen relève que dans 25 des 62 planches de l'album, les personnages sont préoccupés de faim, de soif, d'aliments ou de boisson[48]. En premier lieu, l'alcool est omniprésent, mais ce n'est pas du simple fait du capitaine Haddock, dont le penchant pour le whisky est bien connu[67]. Cette boisson est d'ailleurs l'objet de plusieurs gags dans l'album, du sac à dos du capitaine rempli de bouteilles à l'ivresse de Milou et du yéti après avoir absorbé le breuvage en passant par le bris d'une bouteille quand le capitaine percute le chörten[48].

Outre le whisky, trois autres boissons alcoolisées sont mentionnées dans l'album. Au début du récit, le professeur Tournesol, toujours aussi sourd et distrait, croit comprendre que Tintin a bu du champagne alors que son chagrin vient de la disparition de Tchang. Plus tard, Haddock apprend, au cours d'un dialogue avec l'un des porteurs de l'expédition, que « tchang » est aussi le nom d'une bière tibétaine très forte. Enfin, Tintin utilise le cognac pour obtenir un revirement du capitaine quand celui-ci semble décidé à quitter l'aventure[48].

D'autre part, la représentation de Tintin, Haddock et Tournesol attablés pour déjeuner au début de l'album fait figure d'exception dans la mesure où les scènes de repas sont extrêmement rares dans la série. Plus encore, le thème de la faim est omniprésent dans le récit, et ce dès les premières pages quand Tintin déclare sa « faim de loup », ce que comprend bien le capitaine qui lui aussi « meurt de faim »[48]. Par ailleurs, la difficulté de se nourrir dans le milieu hostile que constitue la montagne est parfaitement mise en lumière dans l'album. Quand Tintin demande à Tharkey de le mener sur les lieux de l'accident, celui-ci refuse dans un premier temps, en évoquant qu'il n'est pas possible que Tchang ait survécu tant de jours à haute altitude puisqu'il n'y a rien à manger. De fait, dans la suite de l'aventure, la nourriture est mise à mal : un fruit pourri s'écrase sur la tête de Tintin[H 41], la tsampa renversée éclabousse la figure du capitaine[H 42], les enfants de Katmandou lui font goûter du piment rouge séché[49], Milou trouve dans les décombres de l'avion un poulet gelé et donc immangeable[H 43], le capitaine fait exploser le réchaud en voulant confectionner du porridge[H 44], enfin la collation servie aux trois héros dans la lamaserie est renversée par Haddock, pris d'un accès de colère[H 45],[48].

Postérité

Une œuvre apolitique devenue emblématique

« Reddition de Tsarong Dzasa et de moines », en 1959, scène extraite d'un film de propagande chinois.

Contrairement à ses habitudes, Hergé ne fait aucunement allusion au contexte politique de son époque dans cet album. Pourtant, le Tibet vit alors une série de bouleversements historiques. L'intervention militaire chinoise en 1950 marque le début de la campagne menée par la Chine pour prendre le contrôle du territoire tibétain. Cela entraîne des mouvements de révolte, puis un soulèvement en 1959. Quand le dalaï-lama s'enfuit en Inde, en mars de la même année, la parution des planches de Tintin au Tibet a débuté depuis quelques mois en Belgique. Il est donc trop tard pour que cet évènement soit abordé dans le récit, mais surtout, ce n'est pas le but recherché par Hergé[7].

Comme l'indique Benoît Peeters, l'auteur souhaite avant tout mettre en lumière le yéti, la recherche de Tchang et la haute montagne, ce qui explique pourquoi le Tibet n'est pas traité de manière politique mais plutôt comme une contrée mythique. Le critique Philippe Goddin partage cette analyse : « le contexte tibétain n'était pas essentiel : Hergé voulait amener Tintin dans une région, au sens vague, où existait une culture, une croyance, qui l'intéressaient, et qui aura une grande importance dans la suite de sa vie, lorsqu'il se tournera vers les philosophies orientales.[7] »

Paradoxalement, bien qu'Hergé n'ait pas souhaité donner une couleur politique à son récit, c'est sous l'impulsion de sa veuve, Fanny Rodwell, qu'il sera finalement érigé en emblème de la cause tibétaine. En 1994, Bruxelles accueille l'exposition « Au Tibet avec Tintin », inaugurée par le dalaï-lama en personne et qui réunit la bande dessinée et la défense de la culture tibétaine. L'album devient donc emblématique d'une cause sans que cela figure dans l'intention de son auteur. Pour autant, Philippe Paquet constate que « cet album a joué un rôle central dans l'intérêt pour cette partie du monde, grâce à son pouvoir évocateur considérable »[7].

Polémique autour de la traduction chinoise

En 2001, l’éditeur chinois de l’album, China Children Publishing House, après un accord avec l’éditeur belge Casterman, publie une traduction depuis l’anglais de tous les albums de la collection. Les formats, papiers et dessins des 10 000 exemplaires sont identiques à ceux de langue française et ne diffèrent que par les couvertures souples et plastifiées, mais cette aventure est cependant renommée « Tintin au Tibet chinois ». L'anomalie est relevée par un journaliste belge lisant le mandarin, et rendue publique lors de la présentation officielle de la version chinoise. La famille d’Hergé, informée de cette situation, manifeste son opposition en menaçant de cesser toute collaboration avec l’éditeur, arguant que cette transformation du titre dénature l’œuvre[68]. Probablement à la demande des autorités chinoises, l’éditeur refuse de réimprimer l'album sous son titre original et celui-ci disparaît donc de la collection, à la demande de Casterman[69]. Tintin au Tibet réapparaît finalement sous son titre original l'année suivante, après qu'un accord a été trouvé[70],[71].

Récompenses

Le dalaï-lama, lors de sa visite en Belgique en juin 2006.

Le dalaï-lama, chef temporel et spirituel du gouvernement tibétain en exil, remet le , à Bruxelles, le prix Lumière de la vérité à la Fondation Hergé. Ce prix, un des plus prestigieux du mouvement tibétain International Campaign for Tibet (ICT), récompense sa contribution significative à la reconnaissance internationale du Tibet. Tintin au Tibet a en effet permis de faire connaître ce pays et ses traditions à de nombreux lecteurs à travers le monde, un peu comme le roman Les Horizons perdus et son monastère de Shangri-La, de James Hilton, paru en 1933, qui lui aussi favorisa l'intérêt du public pour le Tibet[17],[72]. D'ailleurs, le dalaï-lama fait une lecture de Tintin au Tibet en anglais, en 2003, à Dharamsala[17].

En 2012, l'album est classé à la première place du classement des cinquante BD essentielles, établi par le magazine Lire[73].

Adaptations

Entre 1959 et 1963, la radiodiffusion-télévision française présente un feuilleton radiophonique des Aventures de Tintin de près de 500 épisodes, produit par Nicole Strauss et Jacques Langeais et proposé à l'écoute sur la station France II-Régional[Note 4]. La diffusion de Tintin au Tibet s'étale sur vingt-et-un épisodes. Elle débute le et s'achève le suivant. Réalisée par René Wilmet, sur une musique de Vincent Vial, cette adaptation fait notamment intervenir Maurice Sarfati dans le rôle de Tintin et Jacques Hilling[74],[75].

Tintin au Tibet est ensuite repris en 1991 dans la série animée Les Aventures de Tintin, un ensemble de trente-neuf épisodes dont les no 32 et 33 sont consacrés à cette aventure[76].

L'album fait aussi l'objet en 1994 d'une adaptation en jeu vidéo, éditée par Infogrames. Cette adaptation est jouable sur Super Nintendo, Mega Drive, Game Gear, Game Boy et PC. En 2001, une version du jeu est disponible sur Game Boy Color[77]. Il s'agit d'un jeu de plates-formes puisque le joueur déplace Tintin au sein de différents tableaux correspondant à certains épisodes de l'album. Le jeu fait l'objet d'une critique assez positive de la part de la presse spécialisée[78].

Par ailleurs, à la fin des années 1990, le réalisateur belge Jaco Van Dormael travaille sur un projet d'adaptation cinématographique de l'album[d 14], après avoir reçu l'accord de principe de la société Moulinsart[79]. Le réalisateur souhaite travailler avec des personnages réels évoluant dans des décors en images de synthèse et envisage de confier le rôle de Tintin à l'acteur américain Macaulay Culkin. Le projet est finalement abandonné, la société Moulinsart ne donnant pas suite à la proposition de Van Dormael[80].

Autour de l'album

En 1992, une catastrophe similaire à celle de l'album se produit : le vol 311 de la Thai Airways International s'écrase dans la région de Langtang, soit dans le même massif du Gosainthan où s'écrase le DC-3 de Tchang dans la bande dessinée. Aucun passager ne survit à cet accident[15].

Dans le film Malabar Princess, réalisé en 2004 par Gilles Legrand et qui s'inspire de l'accident de l'avion du même nom, le personnage de Gaspard, incarné par Jacques Villeret, lit la bande dessinée Tintin au Tibet à son petit-fils[15].

Notes et références

Notes

  1. Franz Niklaus Riklin (1909-1969) est le fils de Franz Riklin (1878-1938), lui-même psychiatre et qui a collaboré avec Carl Gustav Jung sur la méthode des associations de mots. Voir (en) Kirsch, Thomas B., The Jungians: A Comparative and Historical Perspective, Routledge, , p. 15.
  2. La statue photographiée par Heinrich Harrer et qui pourrait avoir inspirée celle que découvre le capitaine dans la lamaserie est visible ici.
  3. La première fois, Milou est tenté de boire le whisky qui s'écoule du sac du capitaine, dans lequel une bouteille s'est brisée. Il cède à la tentation et se rend ivre, ce qui l'amène à chuter dans un torrent duquel il est sauvé in extremis par Tintin. La deuxième fois, il hésite entre son devoir de porter le message d'aide écrit par Tintin après l'avalanche et un énorme os qui se présente à lui. Il cède une nouvelle fois à son démon, mais se reprend ensuite pour alerter les moines tibétains du danger que court son maître et ses amis. Voir Tintin au Tibet, planche 19 et planches 45-46.
  4. Chaîne de radio dont la fusion avec France I entre octobre et décembre 1963 aboutit à la création de la station France Inter.

Références

  • Version en album de Tintin au Tibet :
  1. Tintin au Tibet, planches 1 et 2.
  2. Tintin au Tibet, planche 2, lignes 3 et 4 et planche 3, lignes 1 et 2.
  3. Tintin au Tibet, planche 3, ligne 4 et planche 4, lignes 1 et 2.
  4. Tintin au Tibet, planche 5, ligne 1.
  5. Tintin au Tibet, planches 5 et 6.
  6. Tintin au Tibet, planches 7 à 9.
  7. Tintin au Tibet, planche 10, case B2.
  8. Tintin au Tibet, planches 12 à 14.
  9. Tintin au Tibet, planche 18.
  10. Tintin au Tibet, planches 19 et 20.
  11. Tintin au Tibet, planches 22 à 24.
  12. Tintin au Tibet, planche 30.
  13. Tintin au Tibet, planche 31.
  14. Tintin au Tibet, planche 35.
  15. Tintin au Tibet, planches 36 à 41.
  16. Tintin au Tibet, planche 43.
  17. Tintin au Tibet, planche 47.
  18. Tintin au Tibet, planche50.
  19. Tintin au Tibet, planches 52 et 53.
  20. Tintin au Tibet, planches 55 à 57.
  21. Tintin au Tibet, planches 58 et 59.
  22. Tintin au Tibet, planche 61.
  23. Tintin au Tibet, planche 62.
  24. Tintin au Tibet, planche 1.
  25. Tintin au Tibet, planche 7.
  26. Tintin au Tibet, planche 16, cases B2, B3 et C1.
  27. Tintin au Tibet, planche 6.
  28. Tintin au Tibet, planche 37, case C3.
  29. Tintin au Tibet, planche 62, case A1.
  30. Tintin au Tibet, planche 41, case C1.
  31. Tintin au Tibet, planche 61, case C1.
  32. Tintin au Tibet, planche 62, case C.
  33. Tintin au Tibet, planche 58.
  34. Tintin au Tibet, planche 40.
  35. Tintin au Tibet, planche 57.
  36. Tintin au Tibet, planche 17, case A3.
  37. Tintin au Tibet, planche 41, case D3 et planche 42, case A1 et B1.
  38. Tintin au Tibet, planche 42, case D3.
  39. Tintin au Tibet, planche 26.
  40. Tintin au Tibet, planches 56 et 57.
  41. Tintin au Tibet, planche 22.
  42. Tintin au Tibet, planche 23.
  43. Tintin au Tibet, planche 29.
  44. Tintin au Tibet, planche 37.
  45. Tintin au Tibet, planche 52.
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Annexes

 : document utilisé comme source pour la rédaction de cet article.

Album en couleurs

Ouvrages sur Hergé

Ouvrages sur l'œuvre d'Hergé

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  • Collectif, Tintin et le trésor de la philosophie, vol. Hors-série, Philosophie Magazine, , 100 p. (ISSN 2104-9246). .
  • Pierre-Yves Bourdil, Hergé : Tintin au Tibet, Bruxelles, Éditions Labor, coll. « Un livre, une œuvre / Itinéraires », , 80 p. (ISBN 2-8040-0131-8).
  • Michael Farr, Tintin : Le rêve et la réalité, Bruxelles, Éditions Moulinsart, , 205 p. (ISBN 978-2930284583).
  • Marc Fenoli, « Tchang a disparu », Montagnes Magazine, no 174, .
  • Jean-Marie Floch, Une lecture de Tintin au Tibet, Paris, Presses universitaires de France, coll. « Formes sémiotiques », , 225 p..
  • Eudes Girard, « Une lecture de Tintin au Tibet », Études, t. 411, 2009/7-8, p. 77-86 (lire en ligne). .
  • Paul Gravett (dir.), « De 1950 à 1969 : Tintin au Tibet », dans Les 1001 BD qu'il faut avoir lues dans sa vie, Flammarion, (ISBN 2081277735), p. 217.
  • Thierry Groensteen, Le rire de Tintin, Moulinsart, , 116 p. (ISBN 9782874241086). .
  • Vanessa Labelle, La représentation du paranormal dans les Aventures de Tintin (thèse), Université d'Ottawa, , 148 p. (lire en ligne [PDF]). .
  • Jean-Marc Lofficier et Randy Lofficier, The Pocket Essential Tintin, Harpenden, Hertfordshire, Pocket Essentials, (ISBN 978-1-904048-17-6, lire en ligne).
  • Volker Saux, « Un Tibet vu de très loin », dans Tintin : Les arts et les civilisations vus par le héros d'Hergé, Geo, Éditions Moulinsart, (ISBN 978-2-8104-1564-9), p. 118-125. .

Articles connexes

Liens externes

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