Thug

Les Thugs, Thags ou Thagîs constituaient une confrérie d’assassins professionnels et adorateurs de Kâlî parfois appelée dans ce contexte Bhowani. Active en Inde du XIIIe au XIXe siècle, la confrérie serait apparue sous le règne de Jalâl ud-Dîn Fîrûz Khaljî. Le sultan de Delhi l'aurait combattue et aurait déporté un millier de Thugs à Gaur au Bengale, où la secte aurait continué ses exactions de façon discrète, ainsi qu’en Orissâ, puis aurait retrouvé une visibilité comme force occulte anti-coloniale.

Pour les articles homonymes, voir Thugs.

On les appelait parfois Phansigar, c'est-à-dire « utilisateurs de nœud coulant », un terme plutôt utilisé dans le sud de l'Inde. On pense qu’il s’agissait d’un culte héréditaire, dont les sectateurs étaient hindous et qui pratiquaient le vol et le meurtre par strangulation, à grande échelle, sur les voyageurs masculins (les femmes et les enfants étant par principe épargnés).

Étymologie

Le terme « thug » provient de la racine sanskrite sthag (en pâli, thak) signifiant « dissimuler » (la même racine indo-européenne produit le grec ancien σφίγγω / sphíggô, « étrangler », apparenté par les Grecs à Σφίγξ Sphígx, désignant le Sphinx, bien que cette étymologie populaire ne repose sur aucun fondement[1]).

Le mythe fondateur

La déesse Kâlî, vénérée des Thugs.

Dans les premiers âges du monde, un démon gigantesque infestait la terre, détruisant la communauté ârya (noble en sanskrit, selon le Manusmriti, ce sont les hommes nés du Purusha, le Mâle cosmique) au fur et à mesure de sa création. Kâlî décida alors de le tuer pour sauver la communauté ârya de l’anéantissement. Elle se munit d'une immense épée, se rendit au-devant du monstre et le découpa en morceaux. Mais aussitôt que le sang touchait le sol, de chaque goutte naissait un nouveau démon, aussi terrible que le premier. Tandis que la transpiration coulait sur son corps, elle réalisa que tous ses efforts étaient vains et qu’elle serait bientôt trop faible pour abattre les hordes qui se levaient à la suite de chaque coup d'épée.

Elle réfléchit alors à une autre méthode pour exterminer le démon, puis avec sa sueur mélangée à la terre, elle fabriqua deux hommes qu’elle chargea de la sainte tâche de délivrer la terre des monstres. À chacun des hommes, elle donna un morceau de son vêtement puis leur enseigna comment tuer sans effusion de sang. Grâce à l’action des Thugs fondateurs, devenus des étrangleurs experts, la terre fut bientôt délivrée de la race des démons (c'est-à-dire les dasyu, les hommes qui ne sont pas issus de l'Homme cosmique).

La secte

Représentation de la déesse Kâlî.

Adorateurs de Kali, les Thugs formaient une confrérie d’assassins professionnels[2], qui, par groupes de 10 à 40, plus rarement 200 personnes, parcouraient l’Inde sous le costume d'honnêtes voyageurs et obtenaient la confiance des voyageurs des classes les plus aisées. Ils s’interdisaient de sacrifier certains de leurs contemporains dont le meurtre ne satisfaisait pas Kâlî. Parmi ceux-ci, on trouvait les femmes, les blessés, infirmes ou lépreux, les artistes tels que les danseurs, les poètes ou les musiciens (métiers brahmaniques de hautes castes), les saints hommes itinérants comme les sadhus ou les fakirs (leur équivalent musulman) et les pauvres gens de basse caste comme les blanchisseurs, les balayeurs, les forgerons, les charpentiers et les presseurs d’huile. Les Sikhs étaient aussi, semble-t-il, tabous. Les enfants présents dans les caravanes attaquées devaient être adoptés par les Thugs et intégrés à leur secte.

Au XIXe siècle, l'organisation existait probablement depuis six-cents ans[2].

Les Thugs reversaient leur butin aux prêtres/brâhmanes de l'organisation[2].

Les croyances des Thugs étaient un étrange mélange, mais ce ne fut pas le seul en Inde, et ils se recrutaient parmi les croyants des deux religions, hindous et bouddhistes. Cependant, ils rendaient un culte fervent et sans influence islamique à Kâlî. L'assassinat en vue d’un profit était, pour eux, un devoir religieux et était considéré comme une profession sainte et honorable.

La fraternité des Thugs utilisait une sorte d’argot appelé Râmasî ainsi qu’un ensemble de signes par lesquels ses membres se reconnaissaient, même s’ils étaient originaires de régions très distantes de l'Inde. Ceux dont l'âge ou les infirmités ne permettaient plus de prendre une partie active dans le meurtre rituel continuaient à participer comme observateurs ou espions. Cependant, du fait de leur organisation élaborée, du secret entretenu et de la sécurité assurée autour de leurs opérations, et du prétexte religieux dans lequel ils enveloppaient leurs exactions, ils n’étaient pas identifiés comme des criminels et continuèrent durant des siècles à pratiquer leur métier d’assassins, sans susciter d'enquêtes de la part des râjas ou des nawâbs.

Hiérarchie

  • Éclaireur - Bykureeas
  • Ensevelisseur - Lughas, procédant à l'aide d'un outil rappelant l'herminette nommé kussee. Ils ensevelissaient leurs victimes dépecées et éviscérées afin que leur chair se décompose plus rapidement et ne puisse attirer les charognards.
  • Mainteneurs de membres - Shumseeas, chargés de comprimer les bras ou les jambes de la victime ou de lui porter le coup pour neutraliser sa défense.
  • Étrangleurs - Bhurtote[3].

Les Thugs à l'œuvre

La volonté de la déesse leur était communiquée par un système très complexe de présages. Pour obéir à ceux-ci, ils étaient souvent amenés à voyager des centaines de kilomètres pour rejoindre leur victime ou, en sa compagnie, à la recherche d’un endroit propice à son exécution. La tâche accomplie, des rites étaient exécutés en l’honneur de la déesse, et une partie importante du profit tiré des assassinats lui était destinée.

Thugs et empoisonneurs, vu par l'« Illustrated London news », en 1857.

Quand une occasion favorable se présentait, le Thug étranglait sa victime au moyen d’une corde ou du ruhmal, une sorte de foulard lesté de cailloux pour briser la nuque[2], la pillait et l’enterrait pour dissimuler le corps. L'assassinat se pratiquait après l'exécution des rites religieux anciens, particuliers à la secte. Les grandes troupes se divisaient en groupes plus petits qui empruntaient des routes différentes mais se donnaient rendez-vous pour partager le butin. Ils ne se cantonnaient pas aux voyageurs isolés, n’hésitant pas à piller des caravanes d’une cinquantaine de personnes, ne laissant personne en réchapper. Les Thugs, à l’image de la société indienne partagée en varnas, étaient spécialisés dans certaines tâches, aussi certains d’entre eux préparaient souvent les tombes à l'avance sur la route des caravanes pour que l’action soit la plus brève possible.

Groupe de thugs.

Le capitaine William James Sleeman, un officier anglais fortement impliqué dans la lutte contre les Thugs, fit ainsi état d’un groupe de 52 hommes et 7 femmes simultanément étranglés et jetés dans des tombes préparées pour eux le matin même. Certains de ces voyageurs étaient à cheval et bien armés, mais les Thugs, qui semblaient avoir été plus de deux cents, s'étaient prémunis contre tout risque d’échec.

L'un des membres de la confrérie, Thug Behram, aurait assassiné 931 personnes[2].

Sleeman rend compte de certaines discussions entre Thugs prisonniers qui attribuaient leur infortune d’être capturés à une punition de Kâlî pour la dégénérescence de leurs pratiques, en particulier le meurtre d’estropiés, de femmes ou d’enfants.

Selon l'édition de 1979 du livre Guinness des records, les Thugs auraient été responsables de la mort de 2 000 000 de personnes[réf. souhaitée].

La fin des Thugs

La reine Victoria fut horrifiée par la lecture d'un ouvrage sur les Thugs et ordonna l’éradication de la confrérie[2].

Les Britanniques s'engagèrent ainsi, à partir de 1840, dans une campagne de lutte armée contre la secte, dont fut chargé le colonel William Sleeman, à la tête de dix-sept adjoints et d'un régiment d'une centaine d'hommes[2]. Une force de police nommée Thuggee and Dacoity Department fut alors mise en place et fut maintenue jusqu’en 1904, année où elle fut remplacée par le Central Criminal Intelligence Department encore en activité de nos jours.

Plus de 1 500 Thugs sont arrêtés, 300 sont pendus, 70 sont emprisonnés à vie, beaucoup d'autres sont déportés et seulement une vingtaine sont acquittés[2]. Une fois arrêté Feringeea, le chef des Thugs, la secte décline rapidement et disparaît[2].

Démystification et héritage

L’histoire des Thugs a été popularisée par des livres tels que le roman Confessions d’un Thug de Philip Meadows Taylor (1839), le mot thug entrant d’ailleurs à sa suite dans le vocabulaire anglais comme synonyme de « gangster ». Il faut cependant garder à l’esprit qu’il ne s’agit pas d’un ouvrage documentaire mais d’une œuvre de littérature à replacer dans son contexte. Si l’on ne peut nier la réalité des Thugs et de leur activité, beaucoup de ce que nous croyons savoir d’eux provient de ce texte, qui contient certainement une base documentaire solide mais qui s’inscrit aussi dans le mouvement romantique anglais et qui est à rapprocher des romans gothiques Frankenstein ou le Prométhée moderne de Mary Shelley ou Dracula de Bram Stoker.

La population indienne, qui en était la victime, participa volontairement à la lutte contre les Thugs. Une ville de l’État du Madhya Pradesh célèbre par son nom, Sleemanabad, la mémoire de Sleeman. Cependant, la perception contemporaine des Thugs reste assez partagée en Inde, certains y voyant une organisation apparentée à Robin des Bois et ses compagnons, la redistribution aux pauvres en moins, d’autres y voyant plutôt une structure opérationnelle proche de la mafia. Sa disparition au milieu du XIXe siècle ne permet pas de trancher entre ces différentes approches.

L'État du Madhya Pradesh.

Dans le roman pseudo-historique de Jô Soares L'homme qui tua Getùlio Vargas, un nain hindou, factotum de Mata Hari, est présenté comme le dernier descendant des Thugs, une poignée de ses aïeux ayant réussi à échapper aux Britanniques et à se réfugier à Java

Le roman Le Juif errant d'Eugène Sue met en scène un chef thug qui parvient à gagner Java, puis l'Europe, où il entre au service de la Compagnie de Jésus.

Les deux descriptions les plus populaires du culte thug au cinéma se trouvent dans le film Gunga Din (1939) de George Stevens, inspiré d'un poème éponyme de Rudyard Kipling, et dans Indiana Jones et le Temple maudit (1984). Les deux films montrent le héros luttant contre une résurgence secrète du culte. Indiana Jones donne une fausse image des Thugs qui ne sont en aucun cas des arracheurs de cœurs. Les Thugs jouent aussi un rôle important dans le film moins connu de Mario Camerini, Kali Yug, déesse de la vengeance (Kali Yug, La dea della vendetta).

On les retrouve également dans les deux premiers tomes de la bande dessinée Une Aventure de Cliff Burton.

Plus tard, un groupe de musique se forma et leur fit honneur en prenant le nom de Thug Life. Les Thugs est également le nom de l'un des plus importants groupes de punk français des années 1990.

Dans la langue anglaise, thug s'utilise encore aujourd'hui au sens figuré pour désigner un bandit violent.[4],[5]

Les Thugs : un contresens britannique ?

Dans son livre, Le Voyageur étranglé. L'Inde des Thugs, le colonialisme et l'imaginaire. (1995), Martine van Woerkens considère que l'existence d'un « culte » thug au XIXe siècle ne serait – du moins partiellement – que le produit du fantasme des colons, traduisant à la fois la méfiance britannique à l'égard des contrées reculées de l'Inde et une méconnaissance des rituels et des pratiques sociales de ses habitants. Par ailleurs, cette secte ne desservait pas les intérêts britanniques, bien au contraire, en justifiant implicitement la présence « civilisatrice » de l'occupant.[réf. nécessaire]

Citation

« C’était sur cette contrée que Feringhea, le chef des Thugs, le roi des Étrangleurs, exerçait sa domination. Ces assassins, unis dans une association insaisissable, étranglaient, en l’honneur de la déesse de la Mort, des victimes de tout âge, sans jamais verser de sang, et il fut un temps où l'on ne pouvait fouiller un endroit quelconque de ce sol sans y trouver un cadavre. »

 Jules Verne, Le Tour du monde en quatre-vingts jours

Culture populaire

Notes et références

  1. Chantraine, Pierre, 1899-1974., Lamberterie, Charles de. et Perpillou, Jean Louis., Dictionnaire étymologique de la langue grecque : histoire des mots, Klincksieck, (ISBN 2-252-03277-4 et 978-2-252-03277-0, OCLC 421739675, lire en ligne)
  2. « Les Thugs, ces étrangleurs qui tuent au nom de la déesse Kali », sur caminteresse.fr, (consulté le ).
  3. Minute, Hors série n°6, Les Thugs, par Michel Toda, p.26
  4. « Thug » (consulté le )
  5. « Que veut dire thug ? » (consulté le )

Annexes

Articles connexes

Bibliographie

  • Louis Frédéric, Dictionnaire de la civilisation indienne, Robert Laffont,  ;
  • Philip Meadows Taylor, Confessions d’un Thug. En Inde au cœur d'une secte d'assassins professionnels, 1815-1830, éditions Phébus, Paris, 1995.
  • Martine van Woerkens, Le voyageur étranglé. L'Inde des Thugs, le colonialisme et l'imaginaire, Albin Michel, Paris, 1995.
  • Colonel James L. Sleeman, La secte secrète des Thugs. Le culte de l'assassinat aux Indes, Payot, Paris, 1934.

Liens externes

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