Thomas Lecuit

Thomas Lecuit, né le à Saumur, est un biologiste français spécialiste de l’émergence des formes ou morphogenèse. Il est professeur au Collège de France, titulaire de la chaire Dynamiques du vivant. Il dirige une équipe de recherche à l’Institut de Biologie du Développement de Marseille (IBDM), et le Centre Turing des Systèmes Vivants, un centre interdisciplinaire consacré à l’étude du vivant.

Biographie

Thomas Lecuit grandit à Saumur, de parents médecins qui lui apportent une éducation large, ouverte aux arts, aux humanités et à la science. Il développe tôt un attrait marqué pour les choses de la nature, qui attisent sa curiosité. Après un baccalauréat scientifique (1989) il entreprend des études en classe préparatoire au Lycée Sainte Geneviève, et entre en 1991 à l’École Normale Supérieure.

Il effectue en 1993-1994 un stage de recherche déterminant à l’Université Rockefeller de New York sous la direction de Claude Desplan qui lui fait découvrir le monde de la recherche.

Poursuivant son intérêt pour l’étude du développement, il effectue sa thèse à l’EMBL d’Heidelberg, sous la direction de Stephen Cohen. Son travail porte sur la génétique du développement, c’est-à-dire la façon dont des gènes appelés morphogènes orchestrent l’identité des cellules à distance.

Thomas Lecuit élargit en 1998 l’étude génétique du développement à l’analyse de ses bases cellulaires lors d’un stage postdoctoral à l’Université de Princeton avec Eric Wieschaus, lauréat du Prix Nobel de Physiologie et Médecine en 1995. Il s’intéresse à la dynamique et à la polarisation cellulaires, point de départ d’une étude de la dynamique du développement.

Recruté au CNRS en 2001 comme chargé de recherche, il revient en France à l’Institut de Biologie du Développement de Marseille. Il crée une équipe de recherche sur l’architecture et la plasticité tissulaires[1] qui le conduira à unifier approches génétiques, cellulaires et physiques de la morphogenèse.

Ses recherches s’intéressent aux forces mécaniques qui génèrent les mouvements cellulaires et tissulaires et à la façon dont les gènes du développement organisent ces forces. Il est nommé directeur de recherche au CNRS de seconde puis de première classe en 2006 puis en 2010.

En 2014, Thomas Lecuit a été élu à l’Académie des sciences. En 2016 il est nommé Professeur au Collège de France, titulaire de la chaire Dynamiques du vivant[2]. Sa leçon inaugurale est prononcée le [3].

Les recherches de Thomas Lecuit sont interdisciplinaires et associent biologistes et physiciens. Thomas Lecuit dirige à Marseille le Centre Turing des Systèmes vivants[4], un centre interdisciplinaire consacré à l’étude du vivant par des collaborations entre biologistes, physiciens, informaticiens et mathématiciens.

Apports scientifiques

Les contributions scientifiques de Thomas Lecuit portent sur la question générale de l’origine des formes en biologie et de la nature de l’information morphogénétique.

Il étudie pour cela la mouche Drosophile, un puissant système modèle d’étude du développement. Le XXe siècle a été marqué par la découverte des déterminismes génétiques du développement, en particulier des gènes qui définissent l’information de position cellulaire dans un embryon, c’est-à-dire leurs coordonnées spatiales. En 1995-1998, Thomas Lecuit travaille sur une modalité générale d’organisation de l’information de position par des facteurs dits morphogènes. Les morphogènes ont d’abord été proposés par le mathématicien Alan Turing en 1954, en tant que facteurs organisant la forme selon des principes purement physico-chimiques de réaction-diffusion[5]. Lewis Wolpert[6] en 1969 puis Francis Crick[7] en 1971 en proposent une définition plus précise, en tant que facteurs qui forment un gradient de concentration à l’origine d’une information de position. Thomas Lecuit montre que les facteurs de croissance de la famille BMP/Dpp et Wg/Wnt sont des morphogènes, agissant à distance, dont la concentration locale constitue une information de position qui organise dans l’espace l’identité cellulaire et les axes des membres[8],[9],[10]. Il porte son attention sur les liens étroits entre information de position et croissance tissulaire vus d’un point de vue dynamique.

A partir de 1998, alors que se développe l’imagerie par fluorescence dans des organismes vivant, Thomas Lecuit étudie les bases cellulaires de la dynamique développementale. Il s’intéresse à la formation du tissu primordial de l’embryon de Drosophile, un processus nommé cellularisation et découvre les origines de la dynamique membranaire et de sa polarisation[11],[12].

Depuis 2001, Thomas Lecuit étudie comment les gènes orchestrent les mouvements cellulaires à l’origine des changements de forme des tissus embryonnaires. Ses recherches portent notamment sur une caractérisation des principes physiques de la morphogenèse, dans la lignée ouverte par d’Arcy Thompson dans son ouvrage On Growth and Form (1917)[13]. Son équipe découvre en premier lieu la nature des forces mécaniques à l’origine de la plasticité tissulaire, à savoir les forces contractiles qui remodèlent la forme et les interactions cellulaires [14],[15],[16],[17], leur division[18]. Ils étudient aussi la nature des forces de cohésion par l’adhésion intercellulaire[19],[20]. Les forces contractiles sont organisées dans l’espace et le temps, elles sont polarisées dans des directions privilégiées. Plusieurs articles révèlent comment l’information de position embryonnaire orchestre la mécanique cellulaire dans l’espace et le temps[14],[21]. Ces travaux sont discutés dans une perspective plus large dans plusieurs revues[22],[23].

Depuis 2010, Thomas Lecuit et ses collègues soulignent les limites d’une tradition qui a largement vu le développement comme l’exécution stricte d’un programme déterministe gouverné par des gènes hiérarchiquement régulés.  Plusieurs études[24],[25],[26] indiquent qu’il convient aussi de considérer des lois d’organisation statistiques, sans hiérarchie mais avec de nombreuses rétroactions de nature mécano-chimique. Ces travaux révèlent l’importance de l’auto-organisation au cours du développement et autorisent une définition renouvelée de l’information biologique qui allie la génétique, la mécanique et la géométrie.

Distinctions

  • Membre élu de l’Académie des Sciences (2014)[27]
  • Membre élu de l’Academia Europaea (2014)[28]
  • Prix Liliane Bettencourt pour les Sciences du vivant (2015)[29]
  • Médaille de Bronze (2006) puis d’Argent (2015) du CNRS
  • Grand Prix Victor Noury de l’Académie des Sciences (2011)
  • Membre élu de l’EMBO (2009)[30]
  • Prix Antoine Laccassagne du Collège de France (2009)
  • Prix de la Fondation Schlumberger pour l’Education et la Recherche (2004)
  • Chevalier des Palmes Académiques
  • Prix Claude Paoletti du CNRS (2007)

Notes et références

  1. « IBDM »
  2. « Collège de France »
  3. « Leçon inaugurale au Collège de France »
  4. « Centre Turing des systèmes vivants »
  5. Alan Turing, « the chemical basis of morphogenesis », Philosophical Transactions of the Royal Society of London. Series B. Biological Sciences, vol. 237, no 641, 1952, p. 37-72
  6. Lewis Wolpert, « Positional information and the spatial pattern of cellular differentiation », Journal of Theoretical Biology, vol. 25, no 1, 1969, p. 1-47
  7. Francis Crick, « Diffusion in embryogenesis », Nature, vol. 225, 1970, p. 420-422
  8. Lecuit T, Brook WJ, Ng M, Calleja M, Sun H, Cohen SM, « Two distinct mechanisms for long-range patterning by Decapentaplegic in the Drosophila wing », Nature, 1996 may 30;381(6581), p. 387-93
  9. Lecuit T, Cohen SM, « Proximal-distal axis formation in the Drosophila leg », Nature, 1997 jul 10;388(6638), p. 139-45
  10. Lecuit T, Cohen SM, « Dpp receptor levels contribute to shaping the Dpp morphogen gradient in the Drosophila wing imaginal disc », Development, 1998 dec;125(24), p. 4901-7
  11. Lecuit T, Wieschaus E, « Polarized insertion of new membrane from a cytoplasmic reservoir during cleavage of the Drosophila embryo », J Cell Biol, 2000 aug 21;150(4), p. 849-60
  12. Lecuit T, Samanta R, Wieschaus E, « slam encodes a developmental regulator of polarized membrane growth during cleavage of the Drosophila embryo », Developmantal Cell, 2002 apr;2(4), p. 425-36
  13. D’Arcy Wentworth Thompson, On Growth and Form, 1re éd., Cambridge (UK), Cambridge university Press, 1917; Forme et croissance, trad. de Dominique teyssié, seuil, coll. « science ouverte » 2009
  14. Bertet C, Sulak L, Lecuit T, « Myosin-dependent junction remodelling controls planar cell intercalation and axis elongation », Nature, 2004 jun 10;429(6992), p. 667-71
  15. Rauzi, M., Verant, P., Lecuit, T. and Lenne, PF, « Nature and anisotropy of cortical forces orienting Drosophila tissue morphogenesis », Nature Cell Biology, 2008 dec;10(12), p. 1401-10
  16. Rauzi, M., Lenne PF., and Lecuit, T, « Planar polarized actomyosin contractile flows control epithelial junction remodelling », Nature, 2010. (dec 23) 468(7327), p. 1110-4 (DOI doi: 10.1038/nature09566)
  17. Collinet C, Rauzi M, Lenne PF and Lecuit T, « Local and tissue scale forces drive oriented junction growth during tissue extension », Nature Cell Biology, 2015 oct;17(10), p. 1247-58 (DOI doi: 10.1038/ncb3226)
  18. Guillot C, Lecuit T, « Adhesion disengagement uncouples intrinsic and extrinsic forces to drive cytokinesis in epithelial tissues », Developmental Cell, 2013 feb 11;24(3), p. 227-41 (DOI doi: 10.1016/j.devcel.2013.01.010)
  19. Cavey, M., Rauzi, M., Lenne, P-F. and Lecuit, T, « A two-tiered mechanism for stabilization and immobilization of E-cadherin », Nature, 2008. 453(7196), p. 751-6 (DOI doi: 10.1038/nature06953)
  20. Truong-Quang, BA, Mani M, Markhova O, Lecuit T, Lenne PF, « Principles of E-cadherin supramolecular organization in vivo », Current Biology, 2013 nov 18;23(22), p. 2197-207 (DOI doi: 10.1016/j.cub.2013.09.015)
  21. Kerridge S, Munjal A, Philippe JM, Jha A, de Las Bayonas AG, Saurin AJ, Lecuit T, « Modular activation of Rho1 by GPCR signalling imparts polarized myosin II activation during morphogenesis », Nature Cell Biology, 2016 mar;18(3), p. 261-70 (DOI doi: 10.1038/ncb3302)
  22. Lecuit T and Lenne PF, « Cell surface mechanics and the control of cell shape, tissue patterns and morphogenesis », Nature Reviews Molecular Cell Biology, 2007 8(8), p. 633-44
  23. Guillot C, Lecuit T, « Mechanics of epithelial tissue homeostasis and morphogenesis », Science, 2013, jun 7;340(6137), p. 1185-9 (DOI doi: 10.1126/science.1235249)
  24. Munjal A, Philippe JM, Edwin Munro and Lecuit T, « A self-organized biomechanical network drives shape changes during tissue morphogenesis », Nature, 2015 aug 20;524(7565), p. 351-5 (DOI doi: 10.1038/nature14603)
  25. Banerjee DS, Munjal A, Lecuit T and Rao M, « Actomyosin pulsation, traveling fronts and flows in an active elastomer subject to turnover and network remodelling », Nature Communications, 2017 oct 24;8(1), p. 1121 (DOI doi: 10.1038/s41467-017-01130-1)
  26. Bailles A, Collinet C, Philippe JM., Lenne PF., Munro E, Lecuit T, « Genetic induction and mechanochemical propagation of a morphogenetic wave », Nature, 2019 aug;572(7770), p. 467-473 (DOI doi: 10.1038/s41586-019-1492-9)
  27. « Académie des sciences »
  28. « Academia europaea »
  29. « Prix Liliane Bettencourt »
  30. « EMBO »

Liens externes

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