Théorie quantitative de la monnaie

La théorie quantitative de la monnaie est une théorie économique de causalité entre la quantité de monnaie en circulation et le niveau général des prix. Développée par plusieurs auteurs successifs, de Martin d'Azpilcueta à Nicolas Copernic, en passant par Jean Bodin, elle a été reformulée dans les années 1910 par Irving Fisher puis par les monétaristes au cours des années 1970. Si la théorie quantitative de la monnaie est vérifiée, elle fait l'objet de débats sur les causes de l'inflation et sur l'actualité du lien entre masse monétaire et inflation.

Historique

Les précurseurs

Alors que le mercantilisme et notamment le bullionisme voyaient dans la monnaie l’essence même de la richesse, les physiocrates et leurs successeurs jusqu'à la fin du XIXe siècle mettent l’accent sur sa fonction de moyen d’échange et réservent la dénomination de « richesses » aux seuls biens réels. Les grands auteurs du XVIIIe et du XIXe, comme François Quesnay, Richard Cantillon, Turgot, Adam Smith, Jean-Baptiste Say, David Ricardo et John Stuart Mill, s'accordent sur les positions suivantes :

  • La seule vraie monnaie est la monnaie métallique. Les billets de banques et les dépôts ne sont pas de la monnaie, mais des substituts ou des dérivés (Irving Fisher parlera de « succédanés ») ;
  • La création monétaire a pour effet d’une part d’altérer le niveau général des prix, et d’autre part de transférer des richesses vers ceux qui reçoivent cette monnaie au détriment de tous les autres (effet Cantillon), ce qui n’est pas souhaitable.

Plusieurs auteurs, dont notamment Nicolas Copernic[1] et Jean Bodin[2], croient discerner un lien entre la quantité de métaux en circulation et le niveau général des prix. Cette proto-théorie quantitative de Bodin est étendue par David Ricardo, et devient officielle et la seule enseignée. Karl Marx aussi abonde dans ce sens en déclarant que la monnaie masque la réalité des rapports de production et la vitesse de la circulation[3].

La première formulation de la théorie quantitative de la monnaie remonte aux travaux de Jean Bodin en 1568. Ses travaux portaient sur les effets inflationnistes de l'arrivée massive d'or en provenance d'Amérique latine ; cet afflux provoquant une hausse des prix en Espagne et sur le continent européen. Il est toutefois très courant d'attribuer les origines de la théorie quantitative de la monnaie à David Ricardo (disciple de Smith)[4].

Les créateurs

Irving Fisher formalise les intuitions de ses prédécesseurs en 1911[5]. Cette formalisation a lieu à une époque où les économistes revoient leurs positions sur les effets de la monnaie. Si elle est toujours considérée par beaucoup comme neutre, il est entrevu que son augmentation ou sa chute puisse faire augmenter ou baisser la masse monétaire et donc empêcher le système économique de fonctionner. Par exemple, la même année, Joseph Schumpeter, dans Théorie de l’évolution économique met en avant le rôle des entrepreneurs et des banques. Il signale que l’expansion du crédit, donc de la monnaie, est indispensable à l’investissement donc à l’activité et la croissance. La monnaie cesse d’être neutre et devient une condition de l’expansion économique.

La démonétisation de l’argent au profit exclusif de l'or conduit à des études sur l'effet de la réduction de la quantité de monnaie dans un système économique. Milton Friedman montre le caractère néfaste de la chute de la masse monétaire sur le niveau des prix et l'activité économique dans son Une histoire monétaire des États-Unis, 1867-1960. Bien plus tard, il donne sa caution à la théorie quantitative de la monnaie dans son livre Money Mischief.

Concept

La théorie quantitative de la monnaie dispose que la masse monétaire influe directement sur le niveau des prix. Pour cela, il est nécessaire de tenir comme vrai que la vitesse de circulation de la monnaie () est constante, ainsi que le niveau de production (). Est supposée une situation de plein emploi des facteurs de production.

En effet, si V et Y sont constants, alors ne peut qu'influer sur .

De cette identité, les monétaristes soutiennent que l'inflation est un phénomène purement monétaire. La source de l'inflation provient d'une création de monnaie excessive.

Formalisation

Première formalisation

La théorie quantitative de la monnaie est souvent formalisée de manière simple à partir d'une équation de conservation de la quantité de monnaie échangée dans l'ensemble des transactions :

  • est la quantité de monnaie en circulation dans une économie pendant la période ;
  • est la vitesse de circulation de la monnaie, c'est-à-dire le nombre de fois qu'une même unité de monnaie a servi à payer des transactions pendant la période ;
  • est la production d'une économie pendant la période ;
  • est le niveau des prix (les prix réels d'échange ex post) pendant la période.

Cela implique que :

  • représente la quantité d'argent échangée ;
  • et sont des vecteurs ;
  • et peuvent aussi être de simples nombres, dans la formulation la plus simple, mais comme il existe différents types de monnaie (billet, pièces, chèques, titres négociables, etc.) qui circulent à des vitesses différentes, on peut aussi les traiter comme des vecteurs.

Formalisation ultérieure

Dans son ouvrage de 1911, Irving Fisher introduit dans son équation les différences entre les différents types de monnaie. Il écrit :

  • représente la monnaie banque centrale (billets et pièces) ;
  • est la vitesse de circulation de ;
  • représente la monnaie bancaire ;
  • est la vitesse de circulation de .

La vitesse de circulation et la répartition de la monnaie entre les différentes types font partie des éléments pris en compte par les monétaristes dans les estimations de la santé d'une économie. À court terme, sa valeur est considérée comme stable, fonction des comportements de thésaurisation et des modes de paiements (liquide, chèque, carte bleue) des agents économiques.

Formalisation moderne

Dans sa forme moderne la plus répandue cette théorie se résume sous la forme de l'équation.

avec

la quantité de monnaie en circulation dans une économie sur une période telle qu'une année,
la vitesse de la monnaie, c'est-à-dire la fréquence moyenne entre les transactions pour une unité de monnaie,
le vecteur des prix,
le vecteur des quantités.

Si et sont le prix et la quantité de la transaction , .

Cependant il existe d'autres formulations reliant la quantité de monnaie et les prix selon les courants de pensée économique comme le keynésiennes ou monétaristes.

Présupposés

Présupposés généraux

L'équation précédente reflète une conservation incontestable, mais représente déjà une simplification par rapport à l'équation parfaitement rigoureuse, qui ferait intervenir une intégrale temporelle du produit de la quantité de monnaie disponible et de sa vitesse de circulation [6].

Implicitement, on admet donc que les différentes formes de la monnaie ont chacune une vitesse de circulation caractéristique relativement constante dans le temps.

Postulats

L'interprétation de l'équation dépend en outre de plusieurs hypothèses, notamment :

  1. l'exogénéité de la monnaie. M est considérée comme décidée par les autorités monétaires ;
  2. la flexibilité nominale des prix. Autrement dit, la possibilité qu'ils baissent ou augmentent facilement en fonction de l'offre et de la demande du produit) ;
  3. l'illusion monétaire. Autrement dit, la sensibilité des agents économiques à l'évolution des prix nominaux et non aux prix réels ;
  4. le degré d'utilisation des capacités maximales de production du système économie (production de plein emploi) ;
  5. le fait d’intégrer ou non dans l’équation les échanges concernant les actifs (immobiliers et financiers) en plus des biens et services (les relations directes avec l’inflation et le PIB ne sont plus possibles lorsque ces actifs sont intégrés).

Critiques et débats

Existence du lien entre masse monétaire et niveau des prix

La validation empirique de la théorie quantitative de la monnaie a fait l'objet de beaucoup d'études académiques[7]. Gregory Mankiw montre que le lien entre l'augmentation de la masse monétaire et l'inflation est, sur le long terme, vérifiée[8]. La Banque de France considère ainsi que si « l'existence d'une relation à long terme entre la masse monétaire et le niveau des prix n'est guère contestée », le sens de la causalité, lui, est toujours débattu[7].

La Banque de France soutient que si le lien est vérifiable sur le long terme, le lien de court terme est difficile à prouver[7].

Certains économistes se montrent beaucoup plus critiques vis-à-vis de la théorie[9], considérant qu'« au mieux, ce lien n'est valable qu'à très long terme et il est instable à court et moyen terme »[10].

Distension du lien entre masse monétaire et niveau des prix

Christian de Boissieu estime que « les liens entre la création monétaire et le niveau général des prix se sont considérablement distendus (depuis les années 1960) »[11].

La théorie quantitative de la monnaie postule que la monnaie est utilisée dans l'économie dite réelle. Il peut toutefois y avoir des fuites macroéconomiques qui font sortir la monnaie nouvellement créée du circuit de production et de consommation classique. Ainsi, les politiques d'assouplissement quantitatif, dont les effets restent bloqués dans le système financier, provoquent moins d'inflation que le financement monétaire des déficits de l'État.

La conséquence de cela est que les augmentations récentes de la masse monétaire s'accompagne moins d'une hausse des prix à la consommation que d'une hausse des actifs immobiliers et financiers[12].

Inflation non monétaire

Certains économistes soutiennent que l'inflation est multi-factorielle. Elle peut trouver son origine, par exemple, dans une hausse de la demande du bien vis-à-vis de son offre, auquel cas on parle d'inflation par la demande.

Ajustement par les quantités

De plus, de nos jours les entreprises (dans les pays développés) n'utilisent pas toute leur capacité de production : l'ajustement peut se faire par les quantités et non par les prix. L'inflation est un phénomène multifactoriel qui dépend de la structure économique d'un pays, des politiques budgétaires et monétaires[13],[14].

Notes et références

  1. Nicolas Copernic : Monete Cudende Ratio
  2. Jean Bodin William Petty : Réponse au paradoxe de M. de Malestroict touchant l'enchérissement de toutes choses, et le moyen d'y remédier, 1578
  3. Karl Marx, Critique de l'économie politique, chapitre II, 3 "monnaie"
  4. Des principes d'économie politique et de l'impôt, Ricardo (1814)
  5. Yoann Brun, Lou Dumez, Matthias Knol et Fabrice Tricou, Monnaie et financement de l'économie, dl 2019 (ISBN 978-2-35030-634-6 et 2-35030-634-8, OCLC 1134989408, lire en ligne)
  6. http://trm.creationmonetaire.info/sur-la-theorie-quantitative-de-la-monnaie.html
  7. Cahiers économiques et monétaires, Banque de France, Direction Générale des Études, no 34, 1989, p. 15
  8. « La théorie quantitative de la monnaie et l'hypothèse de neutralité de la monnaie », sur captaineconomics.fr, (consulté le )
  9. Gabriel Galand et Alain Grandjean, La monnaie dévoilée, L'Harmattan, 1996, p. 203 et 204
  10. Lettre de l'OFCE, 7 décembre 2006, p. 2
  11. Alternatives économiques, septembre 2004, p. 18
  12. Banque de France, Bulletin de février 2007 : «  De nombreux observateurs soulignent aujourd’hui l’abondance de la « liquidité » dans le système financier international. […] Malgré tout, la hausse des prix à la consommation est demeurée globalement maîtrisée et les anticipations d’inflation ancrées à un faible niveau. Seuls les prix des actifs immobiliers et financiers ont augmenté rapidement. Y a-t-il un lien de cause à effet avec l’expansion de la liquidité ? On ne dispose pas à ce stade d’un cadre complet d’analyse théorique. Néanmoins, de nombreux indicateurs permettent de le penser. »
  13. « Causes et conséquences de l'inflation », Graphseo Bourse Vous Aide à Mieux Investir en Bourse, (lire en ligne, consulté le )
  14. « Les causes et conséquences de l'inflation », sur www.centralcharts.com (consulté le )

Bibliographie

Annexes

Articles connexes

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