Théorie de l'étiquetage

La théorie de l’étiquetage social (en anglais : Labeling theory) est une théorie soulignant comment le concept de soi et le comportement des individus peuvent être déterminés ou influencés par les termes utilisés pour les décrire ou les classer. Elle est reliée aux concepts de déviance, de prophétie auto-réalisatrice et de stéréotype. L'étiquetage social provoque de la stigmatisation sociale.

La théorie de l'étiquetage social est étroitement liée à l'interactionnisme symbolique. Howard Saul Becker, auteur de Outsiders a été très influent dans le développement de cette théorie.

Cette théorie rend compte d'un biais cognitif, l'effet d'étiquetage, selon lequel les individus tendent à se conformer aux jugements qu'on plaque sur eux et qu'ils reviendront difficilement dessus, car toutes leurs actions ultérieures seront alors sous l'influence de ces jugements, qu'ils soient positifs (effet Pygmalion) ou négatifs (effet Golem)[1].

Étiquetage et déviance

Certains clubs de motards se distinguent par un patch "1%" porté sur les couleurs. Cela se rapporterait à un commentaire de l'American Motorcyclist Association (AMA) selon lequel 99% des motocyclistes étaient des citoyens respectueux de la loi, ce qui implique que le dernier pour cent était des hors-la-loi. (A Brief History of "Outlaw" Motorcycle Clubs, William L. Dulaney, 2005, IJMS)

La théorie de l'étiquetage social tire ses origines du sociologue français Émile Durkheim qui a démontré que la criminalité et la déviance, d'un point de vue sociologique, ne sont pas tant des violations du code pénal que des actes qui transgressent des normes sociales en vigueur dans une société donnée[2]. La stigmatisation sociale est définie par les tenants de la théorie de l'étiquetage social comme un processus qui appose une puissante étiquette négative sur un individu ou un groupe [3].

George Herbert Mead, un interactionniste symbolique notable, a proposé en 1913[4], le principe du « soi social », une vision interactionniste de la perception de soi, influencée par les interactions sociales et le regard des autres, tel un « effet miroir » [5],[6],[7]. L'analogie au miroir donne toutefois une fausse impression de passivité chez les individus, alors qu'il s'agit d'un processus complexe fortement influé par les structures sociales et le regard des autres, mais aussi les perceptions individuelles[8].

Edwin M. Lemert, Erving Goffman et Howard Becker sont considérés comme les principaux représentants de la théorie de l'étiquetage social. Francis Cullen a signalé en 1984 que après 20 ans, les points de vue de H. Becker loin d'être supplantés, ont été corrigés et absorbés dans une « perspective structurante » élargie[9]. Il a développé notamment à travers son livre Outsiders l'idée que l'étiquetage social soit l'effet d'une sanction sociale qui stigmatise la personne (ou le groupe) qui porte alors un "stigmate social"[réf. souhaitée]. La personne ou le groupe visé par le stigmate peut choisir de le cacher ou d'adopter l'identité sociale jugée déviante, en se la ré-appropriant[réf. souhaitée].

Un important contributeur à la théorie de l'étiquetage sociale est Erving Goffman. Contrairement à d'autres auteurs qui ont examiné le processus de l'adoption d'une identité déviante, Goffman a exploré les façons dont les gens gèrent l'identité et contrôlent l'information à ce sujet[réf. souhaitée].

En somme, l'étiquetage social est vu comme un marqueur social qui tend à ranger celui qui le porte en tant que déviant, car il transgresserait (effectivement ou non) une ou des normes sociales. C'est une forme de sanction sociale visant à réguler les comportements déviants. Il pose sur l'individu ou le groupe social un stigmate social, qui tend à être interiorisé : « L’interactionnisme symbolique et la théorie de l’étiquetage fondent leur approche sur cette notion, et leur proposition de base est que « l’acte social d’étiqueter une personne comme déviante tend à altérer l’auto-conception de la personne stigmatisée par incorporation de cette identification » (Wells, 1978). Sous l’espèce d’un effet d’attente comportemental, la personne devient ce qu’on a supposé et dit qu’elle était. »[10]

Étiquetage et stigmatisation

Au cours des années 1980, les études pluridisciplinaires en psychologie et sociologie concernant l'influence de l'étiquetage social sur la stigmatisation sociale ont mis en lumières des conséquences négatives pour les individus stigmatisés; exclusion sociale, estime de soi, qualité de vie, ostracisation. Cette approche, nommée "théorie de l'étiquetage modifiée" apporte davantage de pistes d'analyses quant à la question de la stigmatisation causée par l'étiquetage social :

« Au niveau théorique et empirique, les tenants de la théorie de l’étiquetage modifiée ont présenté un effort de systématisation, particulièrement à travers une théorisation synthétique des processus de stigmatisation et contribué à revisiter le concept de stigmate lui-même. Ils ont aussi proposé un certain nombre d’outils conceptuels inédits comme ceux d’« auto-stigmatisation » (Link, 1987), ou de « sentiments de stigmate » (Kroska, Harkness, 2006). Récemment les chercheurs ont effectué une analyse secondaire des études empiriques qui mesurent le stigmate de la maladie mentale entre 1995 et 2003 (Link, Yang, Phelan, Collins, 2004). Au niveau empirique, ils ont collaboré à la validation empirique d’une Échelle du stigmate intériorisé de la maladie mentale (Ritscher Otilingam, Grajales, 2003) et effectué différentes enquêtes et mesures à partir du milieu des années 1980 (Link et coll., 1989) qui mettent en évidence les dimensions du rejet dont souffrent les personnes affectées de trouble mental. » [11]

Étiquetage psychiatrique

Certains diagnostics en santé mentale, même s'ils offrent la possibilité d'être reconnus et traités par le système de soins en psychiatrie, peuvent entraîner une stigmatisation, selon un processus qui a été décrit sous le terme d'injustice testimoniale (voir Injustice épistémique)[12].

Par exemple, le diagnostic de trouble de la personnalité borderline est susceptible de laisser croire que la personne en question serait constamment en recherche d'attention et prompte à exercer un chantage au suicide. Ceci aurait pour risque de faire négliger un véritable risque suicidaire[12].

Le diagnostic de schizophrénie, quant à lui, donne à croire que les actions et paroles de la personne en question seraient dénuées de signification et propres à être considérées comme délirants. Ceci entraînerait une négligence quant à l'expression par la personne de traumatismes passés[12].

Le contexte dans lequel ces diagnostics sont donnés est vu comme crucial, admettant qu'une personne évoquant son homosexualité aurait été considérée, jusqu'à récemment, comme susceptible d'avoir une perversion ou un trouble mental[12].

Les diagnostics peuvent être considérés comme des modèles explicatifs mais recèlent un risque de violence structurelle, manquant de l'objectivité que l'on peut trouver dans d'autres branches de la médecine[12].

Il importe pour cela de créer des espaces d'expression dans lesquels il est possible de distinguer une volonté socio-politique de la manifestation d'un trouble mental. La méthode Dialogue ouvert est citée comme pouvant contribuer à modifier la relation de pouvoir en psychiatrie[12].

Articles connexes

Références

  1. Marie Duru-Bellat, Agnès Henriot-van Zanten, Sociologie de l'école, Armand Colin, , p. 47
  2. Xavier de Larminat, « Sociologie de la déviance : des théories du passage à l'acte à la déviance comme processus », sur http://ses.ens-lyon.fr/, (consulté le )
  3. John J. Macionis, Linda Marie Gerber, Sociology, Pearson Education Canada, 2010, 688 pages
  4. (en) George H. Mead, « The social self », The Journal of Philosophy, Psychology and Scientific Methods, volume 10, issue 14, july 1913, p. 374-380 (lire en ligne)
  5. V Gecas, « The Self-Concept », Annual Review of Sociology, vol. 8, no 1, , p. 1–33 (ISSN 0360-0572 et 1545-2115, DOI 10.1146/annurev.so.08.080182.000245, lire en ligne, consulté le )
  6. Agnes E. Dodds, Jeanette A. Lawrence et Jaan Valsiner, « The Personal and the Social », Theory & Psychology, vol. 7, no 4, , p. 483–503 (ISSN 0959-3543 et 1461-7447, DOI 10.1177/0959354397074003, lire en ligne, consulté le )
  7. Tyler, Tom R. Kramer, Roderick M. John, Oliver P., The Psychology of the Social Self, Taylor and Francis, , 288 p. (ISBN 978-1-317-77828-8 et 1317778286, OCLC 876512729, lire en ligne)
  8. Viktor Gecas et Michael L. Schwalbe, « Beyond the Looking-Glass Self: Social Structure and Efficacy-Based Self-Esteem », Social Psychology Quarterly, vol. 46, no 2, , p. 77 (ISSN 0190-2725, DOI 10.2307/3033844, lire en ligne, consulté le )
  9. Cullen, Francis T. Rethinking crime and deviance theory: The emergence of a structuring tradition. Totowa, NJ: Rowman & Allanheld, 1984. p.130
  10. Lionel Lacaze (paragraphe 7), « La théorie de l'étiquetage modifiée, ou l'« analyse stigmatique » revisitée », Nouvelle revue de psychosociologie, vol. 5, no 1, (ISSN 1951-9532 et 1961-8697, DOI 10.3917/nrp.005.0183, lire en ligne, consulté le )
  11. Lionel Lacaze (Note de bas de page 7, que l'on trouve au par. 37), « La théorie de l'étiquetage modifiée, ou l'« analyse stigmatique » revisitée », Nouvelle revue de psychosociologie, vol. 5, no 1, (ISSN 1951-9532 et 1961-8697, DOI 10.3917/nrp.005.0183, lire en ligne, consulté le )
  12. (en-GB) Jay Watts, « Mental health labels can help save people's lives. But they can also destroy them | Jay Watts », The Guardian, (ISSN 0261-3077, lire en ligne, consulté le )
  • Portail de la sociologie
  • Portail de la psychologie
Cet article est issu de Wikipedia. Le texte est sous licence Creative Commons - Attribution - Partage dans les Mêmes. Des conditions supplémentaires peuvent s'appliquer aux fichiers multimédias.