Théorie aristotélicienne de la causalité

La théorie aristotélicienne de la causalité, est en fait plutôt une classification des différentes causalités, qui désigne la catégorisation des causes et des effets sous différents angles, développée par le philosophe Aristote. Forgée au IVe siècle av. J.-C., cette vision de la causalité s'écarte grandement de ce qu'on nomme « cause » à l'époque contemporaine. Pour Aristote, la cause (αἰτία / aitia) n'est pas simplement ce qui précède l'effet, mais inclut d'autres facteurs comme la volonté d'agir : c'est une notion métaphysique composite. Il distingue ainsi quatre types de causes :

  • cause matérielle (la matière qui constitue une chose),
  • cause formelle (l'essence de cette chose),
  • cause motrice (le principe de changement),
  • et cause finale (ce « en vue de quoi » la chose est faite).

Ainsi, la cause matérielle d'une écuelle est le bois ou le métal, son essence le fait de contenir des aliments, sa cause motrice le procédé par lequel on l'a fabriquée et sa cause finale son usage en alimentation.

Cette typologie est exposée dans plusieurs ouvrages, en particulier en Physique (II, 3-9) et au livre Z de la Métaphysique[1]. La théorie des causes est importante au sein de l’œuvre d'Aristote : celui-ci définit l'enquête philosophique elle-même comme une recherche des causes. Elle est aussi historiquement signifiante : plusieurs[Qui ?] penseurs s’approprieront totalement ou en partie cette théorie au cours des siècles. Elle est moins utilisée à partir de l'époque moderne, du fait des théories scientifiques associant les causes matérielles et motrices dans leur existence concrète et, pour le cas de la cause finale, de la séparation des sciences en deux domaines (Leibniz et cie[précision nécessaire], sciences spéciales), l'un étudiant les causes (au sens physique), l'autre les raisons (activité humaine). À l'époque contemporaine elle reste vivante chez les philosophes thomistes, mais la terminologie s'est affinée : on parle par exemple de spécifications, de processus, de finalité et de description fonctionnelle.

La cause matérielle

Il s'agit de la cause la plus inaccessible, la moins connaissable, bien qu'elle soit en même temps la plus évidente. La matière et la forme sont fondues dans le σύνολον / sunolon, la substance composée.

Et s'il est possible à l'intellect de l'homme de dégager la forme de la matière, ce qui rend la connaissance possible, il ne lui est pas possible d'envisager la matière seule, pure. Elle est le pondérable, le sensible, le corps d'un animal ou d'une œuvre.

Dans les concepts fondamentaux d'Aristote, la puissance est associée à la matière.

La cause formelle

La forme d'un objet n'est pas que sa forme géométrique : c'est sa définition, ce qui le rend définissable. Par exemple, ce qui différencie un homme d'une statue qui le représenterait, c'est la possession d'une âme. Plus que ses caractéristiques physiques, c'est la possession de cette faculté qui va permettre de définir l'homme ; ainsi, l'âme est la forme du corps. La forme d'une œuvre d'art, c'est l'idée qu'en a l'artiste. Elle est d'une importance capitale dans la théorie de la connaissance d'Aristote.

La cause motrice

Aristote définit la cause motrice comme : « le principe premier d’où part le changement ou la mise en repos »[2].

Les disciples d'Héraclite, notamment Cratyle, affirmaient qu'il était impossible de connaître quoi que ce soit[3], du fait que toute chose est en mouvement permanent — c'est pour quoi Platon proposera sa théorie des Formes, ou Idées, immuables. Pour Aristote, le mouvement n'est pas chaotique, mais obéit lui aussi à des lois : l'univers accessible aux sens est donc connaissable en lui-même.

Le mouvement recouvre, chez Aristote, une acception beaucoup plus large que celle communément acceptée aujourd'hui : il ne s'agit pas seulement d'un changement de lieu. Des phénomènes comme la génération et la corruption sont aussi, pour Aristote, des formes de mouvement. Ainsi, la croissance d'un oiseau dans son œuf, ou la décomposition du cadavre de ce même oiseau, sont des formes de mouvement. En bref, un mouvement est n'importe quel changement, ou, dans son vocabulaire, un devenir. Ce dernier est relatif dans le cas où quelque chose devient (ex: l'homme devient musicien), absolu lorsque quelque chose apparaît ou disparaît (génération ou corruption), lorsque cette chose qui devient n'est pas de même substance que ce qu'elle devient, par ex: le bloc de marbre devient une statue (génération); le condamné à mort devient un tas de cendres (corruption).

Cause efficiente

Par la suite, dans la philosophie médiévale, la cause motrice devient causa efficiens. Selon l’usage, on définit la cause efficiente comme ce qu’Aristote décrit en ces termes : « Ce d’où procède le mouvement » (ὅθεν ἡ ἀρχὴ τῆς κινήσεως), voire « en général l’agent » (ὅλως τὸ ποιοῦν)[4]. Dans le cas de cette cause efficiente, on pourrait distinguer la cause principale de la cause instrumentale. Par exemple, si un peintre peint un tableau, la cause efficiente principale est le peintre. Cependant, il a aussi utilisé un pinceau et ses connaissances en peintures. Ces derniers ne forment pas un cinquième type de cause, mais ils font partie de la cause efficiente que l’on nommera cause efficiente instrumentale. Les causes efficientes instrumentales sont rattachées à la cause efficiente principale parce qu’elles ne sont cause que si elles sont rattachées à une cause efficiente principale. Par exemple, le pinceau est considéré comme une cause efficiente du tableau seulement si un peintre peint en l’utilisant, car un pinceau seul ne fait pas de tableau.

Elle n'est alors plus seulement une explication du changement dans les étants, mais aussi une explication de leur existence même : les choses sont ce qu'elles sont parce que l'existence leur est apportée de l'extérieur. Ce qui donne l'existence (i.e. Dieu) est alors aussi nommé cause efficiente. Toutefois la définition ne change pas.

La cause finale

Elle est souvent difficile à distinguer de la cause formelle, et Aristote indique même que « souvent » (πολλάκις) trois espèces de causes, la fin, la forme et l’agent, coïncident en une même réalité[5]. On la définit comme la raison d'être de la chose, ce « en vue de quoi » (ἕνεκα τοῦ) elle existe. Comme « La nature ne fait rien en vain ni de superflu » (Parties des Animaux), le rôle qu'un être a à accomplir lui sera rendu possible par les moyens dont il dispose — moyens dont la cause formelle rend compte.

La finalité est un concept capital de la philosophie d'Aristote : « Tout art et toute investigation, et pareillement toute action et tout choix, tendent vers quelque fin. » (Éthique à Nicomaque)

Cette dernière cause, en engendrant la question « Quid est ?» (« qu'est-ce que c'est ? »), entraîne la réflexion philosophique.

Exemple d'une maison

Pour exemple, il est possible de prendre le cas d'une maison. Les causes matérielles de la maison sont le bois, le métal et le ciment, et chaque élément matériel constitutif de la maison. Mais disposer ces matériaux un à un n'en fait pas une maison. La cause formelle, c’est le plan de l'architecte, qui pourvoit à la nécessité de donner une forme. Les causes efficientes sont les personnes qui ont participé à la construction de la maison : le menuisier, le peintre, l’électricien, etc. Et sa cause finale, qui est aussi sa fin, est de protéger les habitants de cette maison des intempéries. La question « Qu’est-ce qui est cause de cette maison? » trouve donc bien quatre réponses distinctes.

Distinctions supplémentaires

Causes intrinsèques et extrinsèques

Les causes matérielles et les causes formelles sont considérées comme des causes intrinsèques, car elles demeurent aussi longtemps que la chose continue d’exister. D’où la préposition inter qui signifie « de l’intérieur ». De plus, bien évidemment, la chose cesse d’exister dès qu’une de ces deux causes cesse d’exister.

Les causes efficientes et les causes finales sont des causes extrinsèques, car ils ne sont pas contenus dans la chose. D’où la préposition extra qui signifie « à l’extérieur ». La chose continue donc à exister même si la personne qui l’a fait décède ou si l’objet perd sa raison d’être (dans le cas par exemple d’un objet technologiquement dépassé) qui continue d’exister, mais risque de finir dans un musée ou à la poubelle. 

Causes singulières, universelles génériques et universelles spécifiques

Chaque cause peut avoir un niveau de spécificité différent. On distinguera alors la cause universelle générique, la cause universelle spécifique et la cause singulière. Plutôt que de donner des définitions compliquées pour ces termes, l’exemple de la maison sera plus facile d’approche.

  • Cause efficiente universelle générique : un artisan
  • Cause efficiente universelle spécifique : un électricien
  • Cause efficiente singulière : l’artisan individuel X.
  • Cause matérielle universelle générique : du bois
  • Cause matérielle universelle spécifique : du bois d’érable
  • Cause matérielle singulière : cette planche de ce bois-ci

Bibliographie

  • (en) Richard Sorabji, Necessity, Cause and Blame : Perspectives on Aristotle’s Theory, Londres, Duckworth, , p. 40-44, 51-56 et passim.
  • Léon Robin, La Pensée hellénique des origines à Épicure : Questions de méthode, de critique et d’histoire, Paris, P.U.F., , 560 p. (lire en ligne), p. 423 à 485 : « Sur la conception aristotélicienne de la causalité ».
  • Annick Jaulin, Aristote. La Métaphysique, Paris, P.U.F., (lire en ligne), pages 64 à 91, "Les Principes et les causes".

Notes

    Références

    1. Léon Robin, p. 423.
    2. Aristote, Physique, II, 3, 194 b 29.
    3. Aristote, Métaphysique, Livre Δ, 1010 a.
    4. Aristote, Physique, II, 3, 194 b 29 sq., 195 a 21 sq.
    5. Aristote, Physique, II, 7, 198 a 24 sq.

    Voir aussi

    • Portail de la philosophie
    • Portail de la philosophie antique
    • Portail de la Grèce antique
    Cet article est issu de Wikipedia. Le texte est sous licence Creative Commons - Attribution - Partage dans les Mêmes. Des conditions supplémentaires peuvent s'appliquer aux fichiers multimédias.