Théâtre de l'absurde

Le théâtre de l'absurde est un style de théâtre apparu au XXe siècle à l'époque de la Seconde Guerre mondiale qui se caractérise par une rupture totale avec des genres plus classiques tels que la tragédie, la comédie ou la tragi-comédie. Cette rupture se traduit par exemple par un manque total de continuité dans les actions ou l'absence d'histoire, comme dans La Cantatrice chauve d'Eugène Ionesco. C'est un genre traitant fréquemment de l'absurdité de l'Homme et de la vie. L'origine de ce mouvement est sans conteste essentiellement liée à la chute de l’humanisme et au traumatisme causé par la Seconde guerre mondiale. Si ce mouvement littéraire s'est inspiré des surréalistes et des dadaïstes, il est radicalement opposé au réalisme.

Des auteurs comme Eugène Ionesco, Samuel Beckett, Arthur Adamov, Jean Genet, Georges Schehadé, voire Harold Pinter ont bouleversé les conventions du genre théâtral. Par exemple, dans les pièces de Ionesco, les personnages sont réduits au rang de pantins, toute possibilité de communication entre eux est détruite, ce qui ôte toute cohérence à l’intrigue et toute logique aux propos tenus sur scène. Les représentations théâtrales de ces pièces n'ont cependant rien de chaotique, le jeu des acteurs leur donne une unité et un sens. D'une certaine façon, on peut parler des "pantomimes sonores".

Samuel Beckett a toujours nié faire partie de ce mouvement, ce qui n'a pas empêché les pièces Fin de Partie et En Attendant Godot d'être principalement lues comme des pièces absurdes. Une nouvelle analyse, toutefois, rattache les comportements et la situation décrits dans la dernière pièce à une réalité historique précise, ce qui n'ôte rien à la dimension métaphysique de la pièce, mais lui enlève son caractère absurde.[1]

Presque à la même époque, des auteurs de l'Europe de l'Est, Hongrois, Tchécoslovaques, Polonais, Bulgares, Ukrainiens ou Slovènes, créent également un nouveau théâtre jouant avec l'absurde et le grotesque.

L’absurdité des situations mais également la déstructuration du langage lui-même ont fait de ce style théâtral un mouvement dramatique à part entière. Ce type de théâtre montre une existence dénuée de signification mettant en scène la déraison de tout espoir de communication, dans laquelle l’humanité se perd. En Europe centrale et en Russie cette "déstructuration du langage" a aussi favorisé le développement du théâtre non verbal.

La base

Certains auteurs ont cherché les origines de ces évolutions théâtrales dans les écrits théoriques d’Antonin Artaud, Le Théâtre et son double (1938), et dans la notion brechtienne de l’effet de distanciation (Verfremdungseffekt). L’apparente absurdité de la vie est un thème existentialiste que l’on trouvait chez Jean-Paul Sartre et Albert Camus. Mais Beckett ou Ionesco réfutaient toutes influences de courant philosophique. Pour Eugène Ionesco, « le théâtre n'est pas le langage des idées », et Beckett affirmait : « je ne suis pas un philosophe, je ne lis jamais les philosophes ; je ne comprends rien à ce qu'ils écrivent ». À l'inverse, Jean-Paul Sartre ou Albert Camus utilisent dans leurs créations théâtrales les outils de la dramaturgie conventionnelle et développent leurs thèmes dans un ordre rationnel[2].

Les pionniers

Le théâtre de l’absurde ne fut ni un mouvement ni une école et tous les écrivains concernés étaient extrêmement individualistes et formaient un groupe hétérogène. Ce qu’ils avaient en commun, cependant, résidait dans une remise en cause du théâtre occidental pour son adhésion à la caractérisation psychologique, à une structure cohérente, une intrigue et la confiance dans la communication par le dialogue. Héritiers d’Alfred Jarry et des surréalistes, Samuel Beckett (En attendant Godot, 1953 ; Fin de partie, 1956) ou Jean Vauthier (Capitaine Bada, 1950) introduisirent l’absurde au sein même du langage, exprimant ainsi la difficulté à communiquer, à élucider le sens des mots et l’angoisse de ne pas y parvenir. Ils montraient des antihéros aux prises avec leur misère métaphysique, des êtres errant sans repère, prisonniers de forces invisibles dans un univers hostile (La Parodie d’Adamov, 1949 ; Les Bonnes de Jean Genet, 1947 ; La Cantatrice chauve d’Eugène Ionesco, 1950).

Géographiquement, si les premières œuvres de ces pionniers sont présentées dans le Paris avant-gardiste, et dans les théâtres de poche de la Rive gauche, la plupart des chefs de file de ce mouvement vivent en France, mais ne sont pas d'origine française.

L'origine critique du terme

L'expression « théâtre de l'absurde » est utilisée par le critique Jacques Lemarchand au début des années 1950, en voulant mettre en exergue les similitudes entre les œuvres de Ionesco, Adamov et Beckett. Le mot est alors en vogue, grâce à Camus et Sartre, et l'expression fait florès[3].

L’essai de Martin Esslin publié en 1961, où l’expression théâtre de l’absurde devient célèbre, définit ce type de dramaturgie en l’analysant à la lumière des écrits d’Albert Camus, et notamment du Mythe de Sisyphe qui portent sur l’absurdité de l’être[4]. Pour Esslin, les principaux dramaturges du mouvement sont Eugène Ionesco, Samuel Beckett, Jean Genet et Arthur Adamov[5], bien que chacun de ces auteurs ait les préoccupations et des styles très personnels qui dépassent le terme absurde.

En analysant le répertoire de l’avant-garde dramatique de son époque, Martin Esslin met en avant que ces pièces de théâtre montrent l’homme plongé dans un monde qui ne peut ni répondre à ses questions, ni satisfaire ses désirs. Un monde qui, au sens existentialiste du mot, est « Absurde ».

À partir de La Cantatrice chauve, première pièce de Ionesco en 1950, se fonde pourtant un absurde spécifiquement théâtral, plus proche du raisonnement par l’absurde connu en logique, que de la notion existentialiste. La critique de l’époque appelait d’ailleurs également ce mouvement dramatique : « nouveau théâtre », l'expression « théâtre de l'absurde » étant au début désavouée par Ionesco et Adamov qui récusaient toute appartenance à l’existentialisme. Ce genre se fonde aussi sur le spectacle total prôné par Antonin Artaud.

Ce théâtre va, selon Esslin en 1961, « fournir un langage nouveau, des idées nouvelles, des points de vue nouveaux et une philosophie nouvelle, vivifiée »[5].

Une autre expression a été utilisé également quelques années plus tard, le « nouveau théâtre », le nouveau roman étant, au milieu des années 1950, un mouvement littéraire en vogue[3].

Les dramaturges

Les précurseurs

Les pionniers

  • Samuel Beckett (1906-1989) : il a une volonté de faire un spectacle laissant une impression de vide (En attendant Godot, Oh les beaux jours, Fin de partie).
  • Arthur Adamov (1908-1970)
  • Eugène Ionesco (1909-1994) : il déteste les genres plus classiques de théâtre, n’aimant que les sources primaires des théâtres antiques. Sa pièce principale est La Cantatrice chauve, pièce qui est en fait un ensemble de dialogues décousus mettant en évidence l’absurdité de la répétitivité quotidienne de la vie.
  • Jean Genet (1910-1986) : en s’inspirant de sa vie dans la pègre le menant jusqu’à la prison, il écrira diverses pièces dépeignant l’univers des parias, essentiellement les hors-la-loi homosexuels (Haute Surveillance). Il a également dépeint l’univers des domestiques (Les Bonnes).
  • Virgilio Piñera (1912-1979) : écrivain cubain. Sa pièce Electra Garrigó (écrite en 1941 mais jouée pour la première fois en 1948) anticipe de deux ans les grands thèmes existentialistes développés dans Les Mouches (1943) de Sartre. Avec Fausse alerte (Falsa alarma), écrite deux ans avant La Cantatrice chauve, il annonce Ionesco. Le génie de Piñera tient dans le fait qu’il « cubanise » les thèmes et l’esthétique des Avant-gardes européennes.
  • Georges Schehadé (1925-1989) : les personnages de ses pièces sont funambulesques, loquaces et pathétiques.

En Europe de l'Est

Les héritiers

Références

  1. Ariel Suhamy, « Samuel Beckett dans l'histoire », La Vie des idées, (lire en ligne, consulté le )
  2. Pruner 2005, Chapitre Des dramaturges et non des philosophes.
  3. Degaine 1993, p. 364.
  4. Esslin 2009 (réédition), p. 23.
  5. Esslin 2009 (réédition), p. 15.

Voir aussi

Bibliographie

Classement par date de parution.

  • Martin Esslin, Le Théâtre de l'absurde (The Theatre of the Absurd), 1962, traduction de Marguerite Buchet, Francine Del Pierre et Fance Franck (Paris, Buchet-Chastel, 1963, réédité en 1992).
  • Jean Duvignaud et Jean Lagoutte, Le théâtre contemporain, culture et contre-culture, éditions Larousse, .
  • Emmanuel Jacquart, Le théâtre de dérision : Beckett, Ionesco, Adamov, éditions Gallimard, .
  • Henri Béhar, Le théâtre dada et surréaliste, éditions Gallimard, .
  • André Degaine, Histoire du théâtre dessinée, éditions Nizet, , « Le théâtre de l'Absurde », p. 364-368.
  • Maria Delaperriere (dir.), Absurde et dérision dans le théâtre est-européen, Paris/Budapest/Torino, l'Harmattan, , 255 p. (ISBN 2-7475-3348-4, lire en ligne ).
  • Michel Pruner, Les théâtres de l'absurde, Armand Colin, (lire en ligne).
  • Marie-Claude Hubert, Le nouveau théâtre 1950-1968, Paris, Honoré Champion, .
  • (en) Martin Esslin, The Theatre of the Absurd, Knopf Doubleday Publishing Group, 2009 (réédition) (lire en ligne).
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