Sociétés (revue)

Sociétés est une revue bimestrielle de sciences humaines et sociales, créée en 1982 au CEAQ à l'Université Paris Descartes (Paris V). Son fondateur et directeur de publication était le sociologue Michel Maffesoli jusqu'en . Éditée à Bruxelles, la revue publie depuis plus de trente ans des textes et articles de chercheurs issus d'universités étrangères et françaises.

Contenu

La revue est composée d’un dossier coordonné, de marges et de recensions sur les activités, travaux et publications de langue française ou étrangère. Les thématiques de la sociologie de L'Imaginaire et de la sociologie de la vie quotidienne y tiennent une part importante. La revue Sociétés rassemble à la fois des textes portant sur le débat sur les méthodes et les approches en sciences humaines, mais aussi sur les phénomènes sociaux eux-mêmes. Les thèmes issus de la culture populaire y tiennent une place majeure.

Sociétés a reproduit des classiques des sciences sociales, comme Georg Simmel, Niklas Luhmann, Jean-Marie Guyau ou Max Weber, et a publié des textes d'Alberto Abruzzese (it), Jean Baudrillard, Mary Douglas, Franco Ferrarotti, Michel Maffesoli et Edgar Morin. On y trouve également des textes de jeunes auteurs français ou étrangers.

Évaluation et notation

La revue ne figure pas dans les listes de revues de SHS élaborées par l'Agence d'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur (AÉRES)[1].

Canular

En mars 2015, sur le carnet de recherches en ligne consacré à l'histoire, la sociologie et la philosophie des sciences et des techniques Carnet Zilsel, les chercheurs en sociologie Manuel Quinon[2] et Arnaud Saint-Martin[3] annoncent la publication par la revue Sociétés d'un texte intitulé « Automobilités postmodernes : quand l'Autolib' fait sensation à Paris », publié sous le pseudonyme de Jean-Pierre Tremblay[4]. Selon Sylvestre Huet, journaliste scientifique pour le quotidien Libération, le texte paru dans Sociétés est en réalité un canular qui « suit à la virgule près les préceptes, le vocabulaire [et] la syntaxe du maffesolisme [afin de] démontrer l'inanité de ce dernier[5]».

D'après les auteurs du canular, il s'agissait pour eux de « démonter de l’intérieur, en toute connaissance de cause, la fumisterie de ce que nous appellerons le "maffesolisme" – c’est-à-dire, bien au-delà de la seule personnalité de Michel Maffesoli, le fondateur et directeur de la revue Sociétés, une certaine "sociologie interprétative/postmoderne" à vocation académique »[4].

B. Floc'h, journaliste pour Le Monde, cite un extrait de l'article-canular :

« Ainsi la masculinité effacée, corrigée, détournée même de l’Autolib’ peut-elle (enfin !) laisser place à une maternité oblongue — non plus le phallus et l’énergie séminale de la voiture de sport, mais l’utérus accueillant de l’abri-à-Autolib’[6]. »

Michel Maffesoli a réagi en plusieurs temps. Tout d'abord, il a affirmé que « deux professeurs d'université » avaient relu ce texte avant publication, l'un ayant émis un avis négatif et le second « considéré, par pure négligence, que s’il s’agissait d’un galimatias, le sujet n’était pas inintéressant et pouvait passer. C’est une négligence coupable. Cela montre que je n’ai pas été assez vigilant. C’est donc un autre collègue qui prendra dorénavant la main sur la revue »[6]. Puis, en mars, il a annoncé sa démission de la direction de la revue Sociétés, assumant sa responsabilité : « Laisser passer cet article a été une erreur manifeste et grossière. Nous allons en tirer les conséquences, moi le premier en tant que directeur de cette revue […]. Je vais me retirer de la revue mais j'assume ma responsabilité, même s'il arrive à toutes les revues qu'il y ait des erreurs d'appréciation »[7].

En , M. Maffesoli affirme toutefois que le canular « n'est pas sot du tout, très bien fait […]. Cet investissement phallique [qu'est la voiture moderne] a été fracturé par l'autopartage. Autolib, c'est la fragilisation, "l'invagination" du sens qui n'est plus projectif, mais en creux […]. Nous vivons des moments où c'est le creux qui domine, la pondération va aller au trou. Notez que l'Autolib est arrondie contrairement aux Studbaker[8] ». S'appuyant sur ces propos de M. Maffesoli, qui corroborent les thèses défendues dans le canular, les deux auteurs du pastiche en tirent la conclusion que « de son aveu même, le canular qui a suscité l’hilarité générale condense donc, bel et bien, la singulière manière dont l’ex-directeur de la revue Sociétés (il a en effet depuis annoncé sa démission) se représente le monde »[9].

La plateforme de publication scientifique Cairn.info a procédé au retrait de l'article-canular, désormais remplacé par un message d'excuse de M. Maffesoli[10]. Ce retrait, en tant qu'il incarne une procédure problématique sur le plan de la déontologie de l'édition scientifique, a été signalé par le site anglophone spécialisé Retraction Watch[11].

Ce canular a été commenté par de nombreux articles journalistiques, en France[5],[12],[13],[14], mais aussi à l'étranger[15],[16],[17],[11]. Il a entraîné la réaction de sociologues français comme Pierre Mercklé[18], Bernard Lahire[19], et Michel Dubois[20]. L'astrophysicien Aurélien Barrau a aussi réagi mais sans soutenir la démarche[21].

Les deux auteurs du canular, Manuel Quinon et Arnaud Saint-Martin, outre leur analyse initiale du "style" maffesolien (qu'ils définissent par un lexique, une rhétorique, une cosmologie et une épistémologie spécifiques) qui leur a permis de confectionner leur pastiche[4], ont par ailleurs explicité leur démarche dans deux tribunes publiées par Le Monde[22],[9], ainsi que dans une interview pour Vice[23]. Dans une note de recherche publiée en mai sur le Carnet Zilsel, Manuel Quinon est quant à lui revenu sur les arguments échangés au cours de la polémique, sur sa thèse portant sur la « galaxie de l'imaginaire », ainsi que sur les visions du monde respectives de M. Maffesoli et de l'ancien directeur de thèse de ce dernier, le philosophe et sociologue Gilbert Durand[24].

Afin de qualifier de manière générale le type d’arguments avancés par M. Maffesoli et certains de ses défenseurs, M. Quinon et A. Saint-Martin ont proposé, en juillet[25] et [26], de parler de « bêtise » ou de « stupidité épistémique », en se référant en cela aux travaux du philosophe et épistémologue Pascal Engel sur la « bêtise » et le « crétinisme »[27],[28],[29], et à ceux du philosophe Harry Frankfurt sur le « bullshit » (tard. fr. De l'art de dire des conneries)[30]. Pour M. Quinon et A. Saint-Martin, « à défaut d’audace [de la pensée], c’est bien plutôt la “bêtise épistémique” […], c’est-à-dire l’indifférence à peu près totale pour la question de la vérité et pour le retour réflexif sur la théorie, qui domine [dans l’argumentation de type “maffesolienne”]»[26].

Les deux auteurs ont résumé leurs principaux arguments critiques dans une conférence faite à l'Université de Montpellier, en [31]. Ils ont par ailleurs publié en , avec Alan Sokal, Anouk Barberousse et Philippe Huneman (ces deux derniers étant les auteurs d'un canular visant le philosophe français Alain Badiou[32],[33],[34]), une tribune dans le quotidien Libération, intitulée : « Canulars académiques, les “maîtres à penser” démasqués »[35].

Références

  1. Listes de revues SHS de l'Agence d'évaluation de la recherche scientifique (AERES).
  2. Doctorant en sociologie à l'Université Paris-Diderot.
  3. Chargé de recherche au CNRS et membre du laboratoire Printemps, à l'Université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines.
  4. Manuel Quinon et Arnaud Saint-Martin, « Le maffesolisme, une « sociologie » en roue libre. Démonstration par l’absurde », 7 mars 2015.
  5. Sylvestre Huet, « Michel Maffesoli visé par un canular », blog {Sciences²}, 10 mars 2015.
  6. Benoît Floc'h, « Deux sociologues piègent une revue pour dénoncer la "junk science" », Le Monde, 10 mars 2015.
  7. « Et Michel Maffesoli voulut réinventer la sociologie... seul contre tous », tempsreel.nouvelobs.com, 21 mars 2015.
  8. « Les réseaux c'est la vie. Interview de M. Maffesoli par G. Fédou  », Technikart, no 190, avril 2015, p. 31.
  9. Manuel Quinon et Arnaud Saint-Martin, « Un canular sociologique, et après ? », Le Monde, 27 avril 2015.
  10. http://www.cairn.info/revue-societes-2014-4-page-115.htm.
  11. Ivan Oransky, « So-kalled research: French sociology journal retracts hoax article », Retraction Watch, 12 mars 2015.
  12. Benoît Floc'h, « Deux sociologues piègent une revue pour dénoncer la « junk science » », sur Le Monde, .
  13. Sarah Diffalah, « Et Michel Maffesoli voulut réinventer la sociologie... seul contre tous », L'Obs, 21 mars 2015.
  14. « Des universitaires trollent le magazine de sociologie “Sociétés” avec une étude complètement bidonnée », LesInrocks.com, 10 mars 2015.
  15. Anna Lietti, « Recherche: le sociologue confondu (une fable universitaire) », Hebdo.ch, 4 juin 2015.
  16. Yves Gingras, « La soupe aux mots sociologiques », Radio Canada, 8 mars 2015.
  17. M. Le, « Deux universitaires publient un canular dans une revue de sociologie », LaLibre.be, 11 mars 2015.
  18. Pierre Mercklé, « L'imposture, c'est Maffesoli », 12 mars 2015.
  19. Bernard Lahire, « Comment confondre les imposteurs : les vertus critiques du canular », Carnet Zilsel, 14 mars 2015.
  20. Michel Dubois, « Le sociologue, le marteau et la fausse monnaie », Carnet Zilsel, 14 mars 2015.
  21. Aurélien Barrau, « Maffesoli, le Botul de la sociologie », 19 mars 2015.
  22. Manuel Quinon et Arnaud Saint-Martin, « Monsieur Maffesoli, la sociologie est bien une science ! », Le Monde, 1 avril 2015.
  23. Thomas Léger, « La meilleure blague de l'histoire de la sociologie », Vice, 2 avril 2015.
  24. Manuel Quinon, « D'une polémique à l'autre... en passant par la compréhension. Petite note bio-méthodologique », Carnet Zilsel, 9 mai 2015.
  25. Manuel Quinon, « Réponse à A. Reynes », Carnet Zilsel, 31 juillet 2015 (voir, dans la section « Commentaires » à l'article de M. Quinon sur « D'une polémique à l'autre... en passant par la compréhension » , les réponses de ce dernier aux commentaires de A. Reynes et de Fr. Pelletier).
  26. Manuel Quinon et Arnaud Saint-Martin, «Réponse à la tribune de Michel Maffesoli », L'Hebdo, 7 octobre 2015.
  27. Pascal Engel, « L'avenir du crétinisme », in A. Reboul (dir.), Mind, Values, and Metaphysics. Philosophical Essays in Honor of Kevin Mulligan, Volume 2, Springer, 2014, pp. 135-148.
  28. Pascal Engel, « The Epistemology of Stupidity »(ArchiveWikiwixArchive.isGoogle • Que faire ?), in A. Fernandez Vargas (dir., à paraître 2016), Performance Epistemology, Oxford University Press.
  29. Pascal Engel, « La volonté de croire et les impératifs de la raison. Sur l'éthique de la croyance », Revista da Facultade de Lettras, Universidade do Porto, II, vol. 18, Porto, 2001, pp. 165-176.
  30. Harry Frankfurt, « On Bullshit. The Importance of What We Care About: Philosophical Essays», Cambridge: Cambridge University Press, 1988. Trad. fr. par D. Sénécal, De l'art de dire des conneries, Paris, 10/18, 2006.
  31. Manuel Quinon et Arnaud Saint-Martin,« « Un canular pour secouer le cocotier : controverse autour d'une sociologie imaginaire » (Conférence faite au Centre de Recherches Interdisciplinaires en Sciences humaines et Sociales de l'Université Montpellier (CRISES), le 2 décembre 2015) »(ArchiveWikiwixArchive.isGoogle • Que faire ?).
  32. « Alain Badiou se fait piéger par un canular universitaire », Contrepoints.org, 16 avril 2016.
  33. « “Réussir” son canular philosophique pour dénoncer les discours “supposément profonds” », LeMonde.fr, 4 avril 2016.
  34. Philippe Huneman et Anouk Barberousse, « Un “philosophe français” label rouge. Relecture tripodienne d'Alain Badiou », Carnet Zilsel, 1er avril 2016.
  35. Alan Sokal, Anouk Barberousse, Philippe Huneman, Manuel Quinon et Arnaud Saint-Martin, « Canulars académiques, les “maîtres à penser” démasqués », Libération, 31 mai 2016.

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