Siège de Jérusalem (1099)

Le siège de Jérusalem lors de la première croisade dura du au . La situation est alors singulière : partis pour libérer les lieux saints de la domination turque seldjoukide afin de pouvoir rétablir la route des pèlerinages, les croisés se retrouvent face à une ville reprise entre-temps par les Fatimides qui n'y avaient jamais fait obstacle. Point culminant de la première croisade, ce siège permit aux croisés de se saisir de Jérusalem, et de fonder le royaume de Jérusalem.

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Siège de Jérusalem (1099)
La prise de Jérusalem en 1099 par Émile Signol (1847)
Informations générales
Date -
Lieu Jérusalem
Issue Victoire croisée décisive[1]
Changements territoriaux Jérusalem est capturée par les croisés
Création du royaume de Jérusalem
Belligérants
Croisés Fatimides
Commandants
Raymond de Toulouse
Godefroy de Bouillon
Robert II de Flandre
Robert Courteheuse
Tancrède de Hauteville
Gaston IV de Béarn
Daimbert de Pise
Iftikhâr al-Dawla
Forces en présence
12 000 fantassins
1 500 chevaliers
1 000 soldats dont 400 cavaliers
Pertes
Lourdes[1]Lourdes[2].

Première croisade

Batailles

Coordonnées 31° 47′ nord, 35° 13′ est

Contexte

Après la prise d'Antioche le , les croisés sont restés dans la région jusqu'à la fin de l'année. Le légat pontifical Adhémar de Monteil était mort, et Bohémond de Tarente avait réclamé Antioche pour son compte. Baudouin de Boulogne s'était installé à Édesse où il avait jeté les bases du comté. Il y avait des dissensions entre les chefs croisés sur la conduite à tenir ; Raymond IV de Toulouse, mécontent d'avoir été mis à l'écart lors de l'attribution d'Antioche, avait quitté la ville pour assiéger Maarat al-Nouman. À la fin de l'année, une petite armée de chevaliers et de soldats commença à marcher sur Jérusalem[3],[4],[5].

Le , Raymond démantela la forteresse de Ma'arrat, et le , l'armée reprit sa marche vers le sud, nu-pieds et vêtus en pèlerins, suivie par Robert et Tancrède de Hauteville. Longeant la côte méditerranéenne, ils rencontrèrent peu de résistance, les seigneurs musulmans locaux préférant acheter la paix en les approvisionnant. Les musulmans sunnites préférèrent aussi la domination des croisés à celle des Fatimides chiites[6],[7].

Raymond projeta de prendre la ville de Tripoli pour se tailler un fief analogue à celui de Bohémond. Il commença par assiéger la ville voisine d'Arqa du au , ville qu'il ne prit pas. De leur côté, Godefroy et aussi Robert II de Flandre, qui avaient refusé d'être vassaux de Raymond, ainsi que les croisés restant à Lattaquié, prirent le chemin du sud en février. Bohémond les accompagna quelque temps, puis retourna rapidement à Antioche. À cette date, Tancrède quitta le service de Raymond et se joignit à Godefroy, pour une raison inconnue. Une autre troupe, mais alliée à Godefroy, prit un autre chemin sous la conduite de Gaston IV de Béarn[8],[9],[7].

Godefroy, Robert, Tancrède et Gaston arrivèrent à Arqa en mars, alors que le siège se prolongeait. La situation était tendue, non seulement entre les chefs croisés, mais aussi au sein du clergé : depuis la mort d'Adhémar de Monteil, le , il n'y avait pas vraiment de chef religieux, et après la découverte de la Sainte Lance par Pierre Barthélémy, des accusations de fraudes s'échangeaient entre les différentes factions cléricales. Finalement, en avril, Arnoulf de Rœux mit Pierre au défi d'une ordalie par le feu. Pierre subit l'épreuve et mourut de ses brûlures, discréditant ainsi la Sainte Lance et sapant définitivement l'autorité de Raymond sur la croisade[8],[10],[7].

Déroulement

Siège de Jérusalem par les Croisés en 1099. Représentation entre le XIVe et le XVe

Le siège d'Arqa prit fin le , quand les croisés quittèrent les lieux, sans avoir pris la ville. Les Fatimides avaient tenté de faire la paix, à la condition que les croisés ne continuassent pas jusqu'à Jérusalem, mais ceux-ci rejetèrent évidemment cette offre ; apparemment, le gouverneur fatimide de Jérusalem ne comprenait pas pourquoi les croisés étaient venus jusqu'en Terre sainte. Ils arrivèrent à Tripoli où le dirigeant de la ville leur donna de l'argent et des chevaux. Selon la chronique anonyme Gesta Francorum, il aurait émis aussi le vœu de se convertir au christianisme si les croisés réussissaient à prendre Jérusalem à ses ennemis fatimides. Continuant leur route vers le sud, les croisés dépassèrent Beyrouth le , Tyr le et changèrent de direction à Jaffa, gagnant le Rama abandonné par ses habitants. L'évêché de Rama-Lydda y fut établi à l'église Saint-Georges (un héros de la croisade populaire), avant de continuer vers Jérusalem. Le , Godefroy envoya Tancrède et Gaston prendre Bethléem, où Tancrède planta sa bannière sur l'église de la Nativité. Le , les croisés atteignirent enfin Jérusalem. Beaucoup pleurèrent en voyant enfin la ville pour laquelle ils avaient entrepris un si long voyage[11],[12],[13].

De même qu'au siège d'Antioche, les croisés ont probablement plus souffert pendant le siège que les habitants de la ville, à cause du manque de vivres et d'eau autour de Jérusalem. La ville s'était bien préparée pour le siège, et le gouverneur avait fait expulser de nombreux chrétiens à l'approche des troupes croisées. De l'estimation de 7 000 chevaliers ayant pris part à la croisade, il n'en restait qu'environ 1 500, avec environ 12 000 fantassins[14] (sur peut-être 20 000 au départ). Godefroy, Robert de Flandre et Robert Courteheuse (qui a maintenant quitté Raymond pour rejoindre Godefroy), encerclèrent la ville au nord et au sud, tandis que Raymond installait son camp à l'ouest, face à la tour de David et à la colline de Sion. Un premier assaut le fut un échec. Sans eau ni nourriture, de nombreux hommes et animaux mouraient de soif et de faim, et les croisés surent que le temps leur était compté. Heureusement, peu après le premier assaut, plusieurs navires chrétiens, notamment génois abordèrent à Jaffa, et les croisés purent s'approvisionner pour quelque temps. Les croisés allèrent chercher du bois en Samarie pour construire des machines de siège. Ils avaient peu de vivres et à la fin du mois de juin, ils apprirent qu'une armée fatimide marchait vers eux[15],[16].

L'assaut final et le massacre

Capture de Jérusalem. Réalisation entre le XIe et le XIVe siècles

Pendant le siège, plusieurs tentatives avaient été faites, mais furent toutes repoussées. Trois machines de siège furent terminées et amenées près des murs dans la nuit du . La tour de Godefroy de Bouillon atteint la première les murs. Auger de Membrède[17], un Béarnais, et deux Tournaisiens, des frères du nom de Lethalde (Lethold) et Engelbert furent les premiers à mettre le pied dans la ville, suivi par Godefroy, son frère Eustache, Tancrède et leurs hommes. La tour de Raymond fut retardée par un fossé, mais comme les croisés avaient déjà pénétré dans la ville, les gardes musulmans se rendirent et leur ouvrirent les portes[18],[19],[20].

Une fois les croisés entrés dans la ville, tous les musulmans qui n'avaient pas fui furent passés au fil de l'épée. Les juifs furent brûlés dans leurs synagogues. Les tueries durèrent jusqu'au matin suivant. Le comte de Toulouse Raymond assura la population de sa protection. Le bilan varie selon les sources : pour les chrétiens, 10 000 morts, pour les musulmans, 70 000[14]. Toutefois, ces chiffres sont déclarés irréalistes par Peter Thorau, qui affirme qu'il est très peu probable que la ville à l'époque ait une population totale de cet ordre ; les chroniqueurs médiévaux ont tendance à exagérer les forces armées et le nombre de morts. Tancrède avait demandé le quart du Temple pour lui et accorda sa protection aux habitants et soldats, mais ne put empêcher le massacre de ces derniers par les autres croisés. Le gouverneur de Jérusalem s'était barricadé dans la tour de David, qu'il donna à Raymond en échange de la vie sauve pour lui et ses hommes ; ils purent se rendre à Ashkelon avec la population civile, femmes et enfants selon le récit de l'émir d'Ashkelon[21],[22],[23],[24].

Montefiore[25] : « à en croire les recherches les plus récentes, le massacre fut plus limité, faisant peut-être dix mille victimes, soit nettement moins que les futurs massacres commis par les musulmans à Édesse et à Acre. Le contemporain le mieux placé, al-Arabi, qui avait vécu à Jérusalem et se trouvait en Égypte en 1099, parle de trois mille personnes assassinées à Al-Aqsa. Tous les juifs non plus ne périrent pas. Il y eut évidemment des survivants, tant chez eux que chez les musulmans. Curieusement, il semble que, à des fins religieuses et de propagande, les chroniqueurs croisés aient considérablement exagéré l’étendue de leurs propres crimes. Ainsi en allait-il de la guerre sainte. »
Richard[26] : « Ce massacre, dont la description a été répétée à satiété, n'a cependant pas été systématique. Des lettres hébraïques retrouvées dans la Guéniza du Caire rapportent qu'une partie des juifs de Jérusalem furent amenés sous escorte à Ascalon où leurs coreligionnaires d'Égypte les rachetèrent, eux et leurs livres. Et on y note, avec surprise, que les Francs avaient respecté les femmes. Les chrétiens avaient été expulsés par le gouverneur fatimide ; les croisés à leur tour paraissent avoir vidé la ville de sa population musulmane ».

Le miracle de Frère Gérard

Frère Gérard, supérieur du xenodochium d'Amalfi à Jérusalem est resté dans la ville lors de l'attaque des croisés. Il aidait ceux-ci en leur jetant du haut de la muraille des miches de pain. Surpris, il fut conduit devant le gouverneur de la ville. Les miches de pain s'étaient transformés en pierres. Le gouverneur n'y vit pas malice et renvoya Gérard lapider les croisés avec… des miches de pain[27].

Conséquences

Après le massacre, Godefroy de Bouillon devient Advocatus Sancti Sepuchri (Avoué du Saint-Sépulchre) le , refusant d'être roi dans la ville où mourut le Christ. Raymond ayant refusé de prendre aucun titre, Godefroy le convainquit d'accepter la tour de David. Raymond partit alors en pèlerinage et, en son absence Daimbert de Pise, opposé à Raymond à cause du soutien de ce dernier envers Pierre Barthélémy, fut élu le premier patriarche latin de Jérusalem (les prétentions du patriarche grec furent ignorées).

Le , après avoir enquêté auprès des survivants de la ville, Arnoul de Rœux découvrit la relique de la Sainte Croix[28],[29].

Le , Godefroy conduisit une armée, avec la Sainte Croix, combattre l'armée fatimide à Ascalon. Ce fut une victoire croisée, qui permit la création du royaume latin de Jérusalem, mais, après celle-ci, la plupart des croisés considérèrent leur vœu accompli et retournèrent en Europe[30].

Notes et références

  1. (en) François Valentin, Geschichte der Kreuzzüge, Ratisbonne, .
  2. Le « massacre » lors du siège de Jérusalem est devenu un motif vulgaire dans les représentations populaires, l'événement historique est difficile à reconstruire avec certitude. Les sources arabes donnent des chiffres entre 30 000 et 70 000 victimes (dans une chronique syrienne écrite par Ibn al-Athîr). Ces chiffres sont déclarés irréalistes par Thorau (Peter Thorau, Die Kreuzzüge, C.H. Beck, Munich, 2007), qui affirme qu'il est très peu probable que la ville à l'époque ait une population totale de cet ordre ; les chroniqueurs médiévaux ont tendance à exagérer de manière substantielle les forces en présences et le nombre de victimes ; ils ne peuvent pas être pris à leur valeur nominale de manière naïve, et il est moins facile de parvenir à des estimations réalistes en fonction de celles-ci, voir Die Geschichte der Welt vor und nach Christus, Vol. 3 de Heinrich Dittmar, Geschichte der Kreuzzüge, par François Valentin, The history of England, Volume 1, par Sir Jame Mackintosh.
  3. Grousset 1934, p. 173-183.
  4. Maalouf 1983, p. 53-5.
  5. Heers 1995, p. 205-7.
  6. Grousset 1934, p. 189-192.
  7. Heers 1995, p. 212-7.
  8. Grousset 1934, p. 194-8.
  9. Maalouf 1983, p. 58-61.
  10. Maalouf 1983, p. 59-61.
  11. Grousset 1934, p. 204-213.
  12. Maalouf 1983, p. 64-5.
  13. Heers 1995, p. 217-9.
  14. Pierre Langevin 2007, p. 111.
  15. Grousset 1934, p. 213-5.
  16. Heers 1995, p. 219-222.
  17. Cartulaire de l'Abbaye de Sordes.
  18. Grousset 1934, p. 218-220.
  19. Maalouf 1983, p. 66-8.
  20. Heers 1995, p. 223-5.
  21. Jean Richard 1996.
  22. Grousset 1934, p. 220-3.
  23. Maalouf 1983, p. 225-7.
  24. Heers 1995, p. 68-71.
  25. Simon Sebag Montefiore, Jérusalem : Biographie, Calmann-Lévy, 2011.
  26. Jean Richard, Histoire des croisades, Fayand, 1996, p. 79.
  27. Demurger (2013), p. 41.
  28. Grousset 1934, p. 224-232.
  29. Heers 1995, p. 228-234.
  30. Grousset 1934, p. 233-7.

Annexes

Sources

  • Pierre Aubé : Jérusalem 1099, Actes Sud, 1999, p 357.

Articles connexes

Liens externes

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