Sarisse

La sarisse ou sarissa est une longue lance de m de long environ, allongée jusqu'à 7,6 m dès le premier quart du IIIe siècle av. J.-C.. Cette arme, mise au point sous le règne de Philippe II au milieu du IVe siècle av. J.-C., est utilisée par les phalangites (ou sarissophores : « porteurs de sarisses ») macédoniens durant les conquêtes d'Alexandre le Grand et les guerres des diadoques. Elle reste en usage dans les armées des royaumes hellénistiques.

Pour l’article homonyme, voir Sarissa.

Phalange macédonienne armée de sarisses.

Principes tactiques

Taillée dans le bois de cornouiller, la sarisse représente un excellent compromis entre souplesse et solidité. Elle fait de 4,6 m à 5,3 m à ses débuts (d'après Théophraste, Arrien et Asclépiodote) pour un poids de kg. Elle est allongée jusqu'à 7,6 m dès le premier quart du IIIe siècle av. J.-C. (d'après Polybe et Tite-Live).

La longue taille de la sarisse permet aux phalangites de maintenir à distance l'infanterie adverse et stopper les charges de cavalerie, présentant à l'adversaire une impénétrable haie de piques pratiquement invincible de front. Grâce à cette arme, l'armure ne devient plus réellement nécessaire, ou dans une bien moindre mesure, les opposants de la phalange étant inlassablement repoussés par cet infranchissable amas de fer et de bois avant même qu'ils ne puissent porter le moindre coup aux phalangites. Les sarisses des cinq premiers rangs sont portées à horizontale et celles des derniers rangs à la verticale, protégeant ainsi la formation des traits adverses. La sarisse permet donc de lever une grande quantité de soldats à moindre coût, ceux-ci n'ayant besoin que de leur lance et d'une armure très légère.

Protégés des attaques au corps à corps et des missiles adverses par leur sarisses, les phalangites peuvent ainsi ne porter qu'une armure, un bouclier et une épée très légère qui leur permet d'effectuer de très longues marches à une vitesse que l'ennemi ne soupçonne pas. Leur vitesse accrue permet aussi une grande efficacité dans les charges. De plus, dans leur formation très serrée, les sarissophores voient leurs masses se combiner lors de la charge, qui est alors susceptible d'enfoncer complètement le dispositif adverse.

La sarisse comporte une pointe à chaque extrémité, une en fer, l'autre en bronze. La courte pointe de bronze à sa base lui permet d'être ancrée à la terre (sans rouiller) pour arrêter l'avancée des charges de fantassins, de cavalerie ennemies voire d'éléphants de guerre avec une efficacité inégalée comme durant les batailles de l'Hydaspe (326) et d'Ipsos (301). Les sarissophores sont donc à cet effet d'excellentes troupes défensives qui étaient pratiquement impossibles à déloger d'une position, car le mur de sarisses qu'ils présentent à l'ennemi est beaucoup trop dense, long et compact pour que quiconque puisse le traverser.

Deux fois plus resserrée qu'une troupe de légionnaires romains par exemple, la phalange peut donc présenter plus d'une dizaine de sarisses à chaque ennemi, qui se trouve donc confronté à deux colonnes de cinq rangées de lances. Ainsi, même si un soldat parvient à passer entre les deux sarisses du premier rang qui lui faisaient face, celles du deuxième, troisième, quatrième et cinquième rang pouvaient alors lui asséner de violents coups, rendant aux ennemis la tâche pratiquement impossible qui se voient constamment repoussés par l'adversaire.

Le seul moyen efficace de contrer une phalange est donc d'attaquer ses flancs, très vulnérables, et d'éviter d'attaquer de face une telle formation hérissée de piques. Apparemment, jamais une phalange macédonienne n'aurait été vaincue lors d'un assaut frontal, ses défaites étant pour la plupart la conséquence d'un encerclement comme aux batailles de Cynoscéphales (197), du Nil et de Corinthe, ou d'une perte de cohésion de la phalange comme aux batailles de Magnésie du Sipyle (190) et de Pydna (168).

Évolution durant les IIIe et IIe siècles av. J.-C.

Après les conquêtes d’Alexandre le Grand, l’utilisation de phalanges armées à la macédonienne se généralise de l'Inde jusqu'à la Sicile. Les successeurs d'Alexandre, les Diadoques, luttent les uns contre les autres, voyant les premiers combats entre phalanges aux batailles de Paraitacène (317 av. J.-C.), de Gabiène (316), de Gaza (312) et d'Issos (301). Cependant, les phalanges sont devenues relativement inefficaces dans ces luttes fratricides, s'annihilant mutuellement lorsqu'elles s'affrontent à cause de leur équipement similaire et très léger. Un tel équipement n'est efficace que dans la mesure où les phalangites peuvent se maintenir hors de portée des coups de leurs adversaires grâce à leurs longues sarisses, mais celui-ci devint désuet quand deux systèmes similaires s'affrontent.

Face à ce problème, les sarisses des phalanges des différents royaumes hellénistiques ont eu tendance à s’allonger toujours davantage afin de dépasser celles de l’adversaire, et le maintenir en respect avec ses piques plus longues. Ainsi, dès le début du règne d'Antigone II Gonatas en 274, les sarisses ne mesurent plus 5 mètres, mais 7,5 mètres. Si les sarisses de cinq mètres paraissent légères et maniables après un entraînement intensif, ce n'était pas le cas des sarisses tardives qui sont devenues presque impossibles à manœuvrer car elles sont lourdes et encombrantes . Leur utilisation sur le champ de bataille s'en ressent, ces troupes devenant peu à peu des unités exclusivement défensives, car ayant sacrifié leur mobilité et flexibilité pour une plus grande efficacité contre d'autres phalanges. Mais aussi, dans la mesure où les phalangites ne sont plus à l'abri des coups portés par l'adversaire qui possédait désormais également des sarisses, le bouclier et l'armure sont grandement alourdis, de sorte qu'à Pydna (168) et même auparavant à Cynoscéphales (197), les phalangites sont presque aussi lourdement équipés que les légionnaires romains, en plus de leur très longue pique.

La fin des sarissophores

Face à ces phalanges devenues bien trop lourdes et maladroites (en totale opposition avec celles d'Alexandre), les forces romaines ont fini par prendre le dessus. Bien plus flexibles, les légions romaines peuvent envelopper les phalanges et attaquer ses arrières. À Magnésie du Sipyle (190 av. J.-C.) ou aux Thermopyles (191), les phalanges séleucides sont restées immobiles derrière leur palissade de pointes, dans un rôle très défensif. À Pydna, les Macédoniens se sont montrés incapables de réagir comme auparavant à un système militaire relativement souple, ce qui a pourtant fait leur force face aux Perses et aux hoplites grecs, car les fantassins sont gênés par leur propre masse désordonnée.

De telles difficultés semblent ne jamais avoir concerné les phalanges d'Alexandre, qui sont parvenues à traverser l'Orient et ses rudes conditions géographiques, à combattre en Macédoine couverte de forêts, à traverser des rivières en pleine bataille (Granique et Hydaspe), à faire face à un ennemi bien plus nombreux (batailles d'Issos et de Gaugamèles) et ce, sans jamais rencontrer de problèmes de cohésion, restant invaincues durant les deux premiers siècles de leur histoire. Tite-Live, certes peu fiable, estime même que les phalanges tardives, quant à elles, sont « incapables de faire un demi-tour »[1].

Les souverains hellénistiques se sont lancés dans une perpétuelle surenchère technique, qui n'a fait que limiter l'endurance des phalangites, leur mobilité et la résistance de la sarisse en elle-même, quand les légions romaines, elles, ont eu l'intelligence de privilégier un simple pas de côté et de penser hors de leur cadre spatio-temporel. Dès la fin du IIIe siècle, la marche arrière semble impossible, les phalanges telles que les avait imaginées Philippe II sont mortes. Le combat à la sarisse perdure jusqu'à l'annexion du royaume d'Égypte par Rome en 30 av. J.-C. et même jusqu'à la liquidation du royaume de Commagène en 72.

Le combat à la sarisse a largement influencé les piquiers suisses du Moyen Âge. Ceux-ci ont contribué à la fin de l'époque de la chevalerie, remportant des batailles éclatantes en infériorité numérique face aux meilleures armées d'Europe[2]. Considérés comme les meilleurs fantassins de leur temps, les piquiers suisses ont obtenu leur indépendance du Saint-Empire germanique et lutté à travers l'Europe en tant que mercenaires de luxe.

Notes et références

  1. Bibliotheca Classica Selecta, Livre VIII : Les événements des années 341 à 322 avant J.C..
  2. Voir l'exemple de la Bataille de Morat sur Charles le Téméraire, le 22 juin 1476.

Bibliographie

  • Manolis Andronicos, « Sarissa », Bulletin de Correspondance Hellénique, 1970, n° 1, pp. 91-107. [lire en ligne]
  • (en) N. Sekunda, A. McBride, The Army of Alexander the Great, Osprey, Men-at-Arms 148, 1984.

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