Rente

Une rente est, pour un particulier, une somme fixée à l'avance reçue périodiquement (par exemple chaque mois ou chaque année), pour une durée fixée d'avance (rente certaine) ou, éventuellement, pour le reste de sa vie (rente viagère), provenant du patrimoine de ce particulier. Une rente est également définie de façon plus générale comme le revenu provenant d'un patrimoine.

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En économie, c'est une notion centrale (liée à celle de profit) mais qui a de multiples définitions selon les auteurs. De façon approximative, c'est un bénéfice supplémentaire qu'un agent économique peut obtenir par rapport à ses concurrents, parce que ses coûts de production sont inférieurs pour un prix de vente identique, ou parce qu'il est en mesure d'obtenir un prix de vente supérieur.

En finance, c'est un emprunt perpétuel (sans remboursement du capital, mais avec versement d'intérêts réguliers et fixes) émis par un État, constituant une source de revenus pour un particulier. Si la rente est payable en fin de période, elle est postnumerando ; si elle est payable en début de période, elle est praenumerando. Quant à la période de paiements, la rente est perpétuelle quand elle est toujours payée, ne connaît pas de terme, alors qu'une rente temporaire se paie pour une durée déterminée.

Historique

XVIIe et XVIIIe siècles

Les rentes constituées sont une forme de crédit qui s'est développée en France aux XVIIe et XVIIIe siècles pour pallier l'absence de système de crédit bancaire, la religion catholique interdisant de toucher des intérêts. Le receveur des rentes pouvait être chargé de collecter celles bénéficiant à de riches personnages.

Le prêteur ne peut exiger de remboursement. Seul l'emprunteur peut en décider. Ce système permet à la rente de contourner la législation qui prohibe l’usure : la rente est dite « perpétuelle ». Par ailleurs, le droit du prêteur est en général assuré par une garantie sur un immeuble, un terrain, ou une autre rente, ce qui permet de limiter le montant de l'intérêt.

Le seul moyen pour le rentier de récupérer le fonds qu’il a prêté est de céder la propriété de la rente à un tiers, qui lui rembourse ce capital et perçoit les intérêts à venir (appelés « arrérages » ou « quartiers », versés par trimestre).

Colbert s'opposera aux rentes constituées dans les années 1660, lorsqu'il crée des manufactures car il « déteste le rentier : économiquement il le perçoit comme un oisif parasitaire dont les capitaux ne s'investissent ni dans l'industrie ni dans le commerce, et politiquement, il le perçoit comme un danger »[1], écrit l'historien Michel Vergé-Franceschi.

« Les profits excessifs qu'apportent les constitutions de rente pouvant servir d'occasion à l'oisiveté et empêcher nos sujets de s'adonner au commerce et aux manufactures, à l'agriculture, nous avons résolu d'en diminuer le profit », lui répond, en bon élève, Louis XIV[1].

Entre 1704 et 1726, la France connaît un long épisode de tentative de réorganisation des rentes : entre autres, John Law tenta de les transformer en actions aux porteurs grâce au système, misant tout sur le commerce colonial.

Physiocratie, économie classique

La rente, en particulier la rente agricole, est au cœur de l’analyse économique tout au long du XVIIIe et du XIXe siècle.

François Quesnay, chef de file des physiocrates, identifie dans son Tableau économique (1758-1759) plusieurs classes sociales ; la classe des propriétaires (l'aristocratie, le souverain, et le clergé), subsiste grâce à la rente versée par la classe productive (les fermiers).

Adam Smith (dans Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations, livre I, chapitre 11[2]) fait de longs développements sur la rente de la terre, en distinguant les produits qui fournissent toujours de quoi payer une rente, parmi lesquels il voit la nourriture, et les produits qui tantôt fournissent et tantôt ne fournissent pas de quoi payer une rente.

Ricardo (en particulier dans Des principes de l'économie politique et de l'impôt, chapitre II) ou Marx décrivent longuement les liens entre le niveau de la rente et le niveau de la production. En lien avec la théorie de la valeur, la rente est aux sources des débats sur la relation entre productivité, prix et profit.

Économie néo-classique

Dans l’approche néo-classique, la rente n’est pas un prix mais un profit : en situation de concurrence pure et parfaite, les profits économiques sont nuls mais toute distorsion se traduit par l’apparition de 'rentes' (voir aussi rente de situation).

La plus classique est la rente de monopole ; en situation de monopole une entreprise pratique un prix supérieur au prix de marché et, en dépit d’une production inférieure, profite de marges supérieures.

Dans cette logique, et de manière plus ponctuelle, la rente est liée à l’idée de niche sur un marché. Dès lors qu’elles existent, la recherche de niches à l’abri de la concurrence (qu’il s’agisse de différences dans les produits, de distance entre les lieux de commercialisation, d’entente entre producteurs, etc.) peut devenir un élément moteur pour certains acteurs. La théorie économique sur la dynamique des innovations technologiques repose d’ailleurs beaucoup sur cette notion de rente : selon que la protection liée à un brevet sera extensive ou non, l’inventeur bénéficiera ou non d’une niche (absence de concurrence) plus ou moins importante. Une protection importante ouvre la porte à des usines, commerces ou logements dépend alors des modes de régulation propres au marché immobilier et du droit associé.

Revenu pour le rentier

Une rente peut être obtenue « à titre onéreux » (lorsqu'il a fallu verser une somme d'argent, par exemple en souscrivant un titre de rente émis par un État) ou « à titre gratuit ».

La rente viagère, les pensions d'invalidité ou les pensions alimentaire sont ainsi des formes particulières de rente ou assimilables à des rentes.

La retraite, en revanche, n'est une rente que dans un système par capitalisation. Dans un système par répartition la retraite n'est pas un revenu de patrimoine qui a été acheté.

Le terme de rentier est en général réservé à un individu qui « vit de ses rentes », c'est-à-dire qui n'a pas d'« emploi » (même si par ailleurs la gestion de son patrimoine peut représenter un travail important) et qui dispose de revenus relativement fixes et sans risques (placement obligataires à base d'emprunts d'État ou garantis en or, revenus fonciers, contrats d'assurances ou de vente viagère, indemnités obtenues par voie judiciaire, etc.) et suffisants pour un train de vie moyen ou supérieur. Cela exclut les artisans ou professionnels libéraux, dont les revenus sont liés à leur travail même lorsque leur activité représente un capital important. Selon qu'on considère la rente comme un revenu fixe sans risque ou un le revenu provenant du patrimoine, les « capitalistes » sont ou pas des rentiers.

Les fortes périodes d'inflation liées aux deux guerres mondiales ont provoqué la « mort des rentiers », tandis que Keynes se félicitait de « l'euthanasie des rentiers » (façon de mettre au travail une frange de la population).

On a pu cependant légitimement considérer que les rentiers étaient victimes d'une véritable spoliation à l'occasion du phénomène de l'« effondrement de la rente » survenue avec l'apparition de l'inflation.

En effet, de nombreux rentiers avaient versé à des organismes de placement financier à l'époque où l'inflation ne sévissait pas, un capital destiné par contrat à être remboursé plus tard à eux mêmes ou à un quelconque bénéficiaire, sous forme de capital ou de rente. Or le moment d'en percevoir le capital ou la rente étant venu, les bénéficiaires n'en ont reçu, en vertu du principe du nominalisme monétaire qui avait cours à l’époque (voir paiement en droit civil), que la valeur nominale, valeur bien inférieure à celle qu'elle aurait eu s'il avait été prévu de la revaloriser de l'inflation.

L'application de ce principe a ainsi permis dans le cadre de ces contrats, à de nombreux organismes de placement financier comme la Caisse des Dépôts et Consignations, de voir leurs actifs valorisés du fait de l'apparition de l'inflation dont ils n'avaient pas à tenir compte lors du remboursement des rentes correspondant aux capitaux versés par leurs clients à l'époque où l'inflation ne sévissait pas.

L'effondrement de la rente dont ont souffert les « rentiers » n'a donc pas eu que des inconvénients puisqu'elle a permis à ces organismes de se constituer à bon compte des actifs importants.

Emprunt perpétuel d'État

En France, la rente apparut sous l'Ancien Régime à partir de la première émission d'emprunt sous cette forme par François Ier, puis réapparut à partir de la stabilisation financière après la Révolution française et dura jusqu'à la troisième République. Des instruments identiques existaient dans les autres pays. Très tôt, il a existé un marché des rentes, puisqu'il était possible de vendre son titre de rente en échange d'un capital, ou inversement de se constituer une rente en achetant un titre.

La rente a un avantage politique, celui d'obliger le rentier à soutenir le gouvernement contre les alternatives qui menacent de supprimer les rentes, et c'est l'un des plus puissants motifs à l'introduction des pensions de retraite en Allemagne par Bismarck. Mais si le rentier perdait confiance, il vendait sa rente plutôt que de risquer de le perdre dans un soubresaut politique, et le prix baissait. C'était inquiétant pour les gouvernants et ils surveillaient cela comme le lait sur le feu : représentatif de la confiance accordée au gouvernement, au gré des événements économiques, politiques ou militaires, ce prix de la rente avait un impact direct sur les finances publiques. En effet, les États perpétuellement nécessiteux et par conséquent perpétuellement émetteurs de dettes étaient obligés de suivre le prix du marché pour les nouvelles dettes, et donc, si celui-ci baissait, à donner plus de rente pour recueillir la même quantité d'argent, donc à gager plus de leur futures recettes (fiscales).

On a assisté progressivement au cours du XXe siècle à une disparition totale des emprunts perpétuels à cause du retour de l'inflation et de l'instabilité financière, dans une première phase lors de la première guerre mondiale, puis une seconde décisive à la suite de la grande dépression américaine et de ses conséquences économiques propagées aux autres continents. Elles ont eu en effet pour conséquences d'un côté la réduction à néant de la valeur de ceux émis précédemment du fait des vagues successives d'inflation, et de l'autre l'impossibilité pour l'ensemble des États d'obtenir une confiance suffisante de la part des investisseurs pour en émettre de nouveaux.

Cependant le succès obtenu par la majorité des pays industrialisés à la fin du XXe siècle pour contrôler de nouveau efficacement l'inflation, et prendre des engagements long terme crédibles à ce sujet, a conduit à la possibilité d'émettre de nouveau des emprunts à très long terme (30 ou 50 ans) presque équivalents à un emprunt perpétuel[3]. De par le passé, le mécanisme qui assurait la stabilité de la monnaie et la possibilité d'emprunt perpétuels était son indexation sur l'or, ou autre métal précieux. Le mécanisme essentiel sur lequel s'appuie, à la place, la finance moderne pour obtenir une stabilité équivalente est l'interdiction pour les États d'imprimer de l'argent directement ainsi que de racheter leur propre dette et donc d'en manipuler les cours pour spolier leurs créanciers.

Rentes immobilisées

Des titres de rente sur l'État étaient désignés ainsi et par conséquent de nature normalement mobilière mais que la loi considérait comme des immeubles fictifs après certaines formalités. Ces rentes n'étaient donc aliénables que par des contre-formalités lourdes et on ne pouvait les gager que difficilement. Ce type de rente était destiné à favoriser la stabilité des fortunes.

Un exemple historique est celui des rentes immobilisées constituées en majorat par la Noblesse d'Empire. Les actions immobilisées type canal du Midi ou celles de la Banque de France peuvent y être assimilées. Ces régimes juridiques ont progressivement disparu à partir de 1875.

Notes et références

  1. Michel Vergé-Franceschi, Colbert, la politique du bon sens, Petite Bibliothèque Payot, 2003, p. 357.
  2. Aux éditions GF-Flammarion, tome I, p. 221-349.
  3. Échos Judiciaires : Emprunt perpétuel : le retour

Voir aussi

Bibliographie

  • Karl Marx, « La transformation d'une partie du profit en rente foncière », dans Le capital. Livre III (lire en ligne), p. Chapitre XXXV et suivants
  • Marcel Jollivet, « Rente foncière et gestion des ressources naturelles. Quelques remarques sur la rente foncière dans une perspective interdisciplinaire », Études rurales, vol. 71, no 1, , p. 257–274 (ISSN 0014-2182, DOI 10.3406/rural.1978.2432, lire en ligne, consulté le ).

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