René Le Senne

Ernest René Lesenne (Elbeuf, - Neuilly-sur-Seine, )[1], est un philosophe français, métaphysicien et psychologue, il appartient au courant spiritualiste et à la philosophie des valeurs. Il est resté célèbre pour avoir fondé la caractérologie française. Il est fondateur avec Louis Lavelle de la collection « Philosophie de l'Esprit ».

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Biographie

Normalien et agrégé de philosophie (1906)[2], il est d’abord professeur d’enseignement secondaire et de classes préparatoires, au lycée Thiers de Marseille[3]. Il y enseigne notamment à André Philip, avec lequel il se lie d'amitié[4].

Il enseigne ensuite brièvement à l'université de Nancy, puis est nommé professeur à la Sorbonne en 1942. Membre de l'Académie des sciences morales et politiques (1948), président de l'Institut international de philosophie (1952).

Il meurt le ) et est enterré au cimetière du Père-Lachaise (52e division).

La philosophie des valeurs

La méditation des œuvres d'Octave Hamelin l'oriente vers un idéalisme absolu[5] qui privilégie la notion de fonctions de la conscience par rapport à celle, kantienne, de catégories de la pensée. Tout en critiquant certains aspects du bergsonisme (comme l'anti-intellectualisme ou l'importance excessive de la durée), il l'intègre à sa réflexion qu'on peut qualifier d'idéo-existentialisme. L'expérience de la contradiction vécue en tant qu'obstacle et définie comme « contre-être » est le point de départ de la réflexion de Le Senne. « Je souffre, donc je suis », tel est le cogito lesennien. Mais tout obstacle est une invitation à le surmonter. Ce courage de l'affrontement des difficultés, Le Senne le nomme devoir. Le devoir est la force morale qui fait passer ce-qui-est à ce-qui-doit-être. Le devoir-être est le premier principe de l'être qui suscite l'avenir, prescrit les finalités. le devoir moral ou devoir-faire n'est qu'une spécificité de ce devoir fondamental.

À partir de ce socle, Le Senne élabore une philosophie des valeurs qui subordonne le devoir à une plus haute instance, « l’esprit agissant qui est Valeur, vie surabondante[6]. » Dès lors, l'ordre des valeurs (l'axiologique) transcende l'opposition entre l'ontologique (ce qui est) et le déontologique (ce qui doit être). Le postulat spiritualiste de la doctrine axiologique est que « l'absolu est, dans son fond, valeur infinie ». C'est cette valeur qui est source de tout devoir. La Valeur absolue se diffracte en l'homme sous les espèces des quatre valeurs cardinales : Vérité, Bien, Beauté, Amour, qui se combinent les unes les autres en des synthèses indéfiniment complexes. Chaque valeur particulière qui en résulte est une épiphanie de la transcendance. Le philosophe est-il en droit d'identifier la Valeur avec le nom de Dieu ? Le Senne franchit le pas en montrant que l'homme, dans ses activités de participation avec l'Esprit révèle l'Absolu comme une Personne souveraine, source de toute autre personnalisation plutôt que comme un idéal abstrait. Dieu est celui qui rend la Valeur non seulement possible, mais encore effective, réelle, capable de se concrétiser. Sous le nom de Dieu, la Valeur suprême se révèle amour infini. Cet amour est au cœur de la relation humano-divine. Telle est, selon Le Senne, la justification philosophique du christianisme. Finalement, après avoir établi la classification des caractères (ci-dessous), Le Senne conclut que la destinée humaine d'une personne responsable consiste à mettre son caractère au service de la valeur particulière que sa vocation propre lui désigne. De cette fidélité ou de cette trahison à ses propres valeurs découlera son bonheur ou son malheur.

La caractérologie

Si l'œuvre de René Le Senne ne se limite pas à sa production en matière de caractérologie, la qualité de son Traité de Caractérologie, publié en 1945, lui a donné une notoriété sans précédent. Mais c'est avec Gaston Berger, qui a complété le modèle du maître, que la caractérologie a connu son vrai succès dans le public et chez de nombreux chercheurs.

La classification de Groningue

René Le Senne souligne particulièrement, parmi tout ce qu'il a exploité pour sa synthèse, les travaux de deux professeurs néerlandais de l'université de Groningue vers 1910 : Heymans, et le psychiatre Wiersma. Comme son propre traité qui en est un développement magistral, ces travaux combinaient une exploitation des données contenues dans des biographies et celle de données statistiques portant sur une population ordinaire.

La « classification de Groningue » est donc le titre donné par Le Senne lui-même à la forme initiale et strictement universitaire des bases qu'il développe dans son ouvrage.

Le caractère selon René Le Senne

Dès les premières lignes de l'introduction de son traité, René Le Senne définit résolument le caractère comme « l'ensemble des dispositions congénitales qui forme le squelette mental d'un homme. » L'auteur développe et précise de belle manière cette définition quelque peu abstraite et métaphorique, mais il insiste avant tout sur la stabilité qu'il faut reconnaître au caractère tel qu'il le conçoit.

Cette fixité ainsi soulignée, René Le Senne emploie alors les concepts de « personnalité » ou de « moi » pour les formes ou aspects partiellement imprévisibles que peut prendre le caractère dans un destin particulier, c'est-à-dire en se révélant à travers des événements et circonstances ou comme modulé par la capacité de maîtrise partielle qu'il reconnaît à l'individu face à ses données natives. Dans son traité, le philosophe, qui n'est jamais loin du psychiatre, souligne à maintes reprises ce que l'individu réel - chaque homme - peut envisager de faire de ce caractère, que l'approche scientifique étroite tendrait à rendre implacable.

Les trois propriétés constitutives

Comme leur nom l'indique, le caractère présente trois propriétés :

  • l'émotivité ;
  • l'activité ;
  • le retentissement des représentations (primarité ou secondarité).

Si plusieurs facteurs seront décelés et introduits ultérieurement dans le traité ou après lui, ces trois propriétés sont celles dont la combinaison chez les individus marque le plus fondamentalement le caractère.

Les combinaisons extrêmes, c'est-à-dire dans lesquelles les propriétés présentent soit leur minimum, soit leur maximum, conduisent directement à une typologie : typologie dans laquelle personne ne devrait se reconnaître mais dans laquelle chacun peut se retrouver.

Les formules des types de base

Selon l'ordre de présentation du traité, les huit types de base (déjà élaborés par Heymans et Wiersma) résultant des combinaisons des propriétés constitutives sont :

  • le type émotif-inactif-primaire nommé nerveux ou EnAP ;
  • le type émotif-inactif-secondaire nommé sentimental ou EnAS ;
  • le type émotif-actif-primaire nommé colérique ou actif exubérant ou EAP ;
  • le type émotif-actif-secondaire nommé passionné ou EAS ;
  • le type non émotif-actif-primaire nommé sanguin ou réaliste ou nEAP ;
  • le type non émotif-actif-secondaire nommé flegmatique nEAS ;
  • le type non émotif-non actif-primaire nommé amorphe ou nEnAP ;
  • le type non émotif-non actif-secondaire nommé apathique ou nEnAS.

On observe que deux par deux, ces types présentent deux propriétés communes pour une seule les différenciant. Mais les proportions s'inversent en quelque sorte dans les conséquences exprimées par le caractère. En effet, les descriptions extrêmement riches que René Le Senne fait de ces types montrent qu'un monde sépare généralement deux types qui ne s'opposent pourtant que par une propriété.

L'essentiel de l'œuvre de René Le Senne procède de son talent pour nourrir les déductions permises par son modèle (et la classification de Groningue) d'une multitude d'éléments plus humains tirés de ses nombreuses et perspicaces lectures, en particulier de biographies et de journaux intimes ou mémoires. Plusieurs de ses successeurs continueront dans cette voie. Cette collectivité a donné naissance à la Collection Caractères (PUF), à la confection de questionnaires permettant d'évaluer les facteurs secondaires (E. Caille, Gex), de prendre en considération les effets du caractère sur l'exercice de l'intellect (Maistriaux) ou sur les caractéristiques graphologiques (René Resten).

Le projet caractérologique rejoint celui, plus ambitieux des biotypologies, telles celles de Martiny, Viola, Pende, Mac-Auliffe, Sheldon.

Les facteurs complémentaires

Dits « facteurs de tendances », ces facteurs sont en périphérie de l'œuvre de René Le Senne comme ils sont eux-mêmes en périphérie de la typologie de base. Leur objectivité est plus problématique et leur utilité est aussi moins manifeste. Il importe avant tout de comprendre les types de base même si cela peut passer aussi par la considération des facteurs complémentaires qui peuvent parfois faire écran.

Les facteurs présentés par Gaston Berger sont les suivants :

  • l'ampleur du champ de conscience (sans rapport immédiat avec l'étroitesse d'esprit) ;
  • l'avidité ;
  • la polarité mars et vénus ;
  • les intérêts sensoriels ;
  • la tendresse ;
  • la passion intellectuelle.

Gaston Berger a publié un questionnaire qui, associé à son ouvrage d'initiation, permet à chacun de se situer et de se connaître un peu plus par rapport à la typologie proposée par la caractérologie néerlando-française.

Publications

  • Obstacle et valeur, Paris, F. Aubier 1934
  • La découverte de Dieu, Paris, Aubier, 1955
  • Traité de morale générale, Paris, Puf, 1942
  • Le devoir, Paris, Alcan, 1930
  • Traité de caractérologie, Paris, Puf, 1945
  • Introduction à la philosophie, Paris, Puf, 1949
  • Le mensonge et le caractère, Paris, F. Alcan, 1930
  • La destinée personnelle, Paris, Flammarion, Bibliothèque de philosophie scientifique, 1951
Articles
  • La découverte de Dieu, recueil d'articles posthumes, 1955
  • Le devoir comme principe de toute valeur, Bulletin de la Société française de philosophie, 1932
  • Qu'est-ce que la valeur ?, Bulletin de la Société française de philosophie 1946.

Références

  1. Archives en ligne de l’état civil de la Seine-Maritime, commune d'Elbeuf, acte de naissance no 391, année 1882 (page 102/197) (avec mention margiycnale de décès)
  2. http://rhe.ish-lyon.cnrs.fr/?q=agregsecondaire_laureats&nom=senne&annee_op=%3D&annee%5Bvalue%5D=&annee%5Bmin%5D=&annee%5Bmax%5D=&periode=All&concours=All&items_per_page=10.
  3. Jean-François Sirinelli, Génération intellectuelle : Khâgneux et Normaliens dans l'entre-deux-guerres, Fayard, , 722 p. (ISBN 978-2-213-65368-6, lire en ligne)
  4. Loïc Philip et Léo Hamon, André Philip, Editions Beauchesne, , 326 p. (ISBN 978-2-7010-1158-5, lire en ligne)
  5. Cf. Jules Pirlot, « La Philosophie de René Le Senne », Revue Philosophique de Louvain, 3e, vol. 53, no 37, , p. 28-39 (DOI https://doi.org/10.3406/phlou.1955.4532)
  6. René Le Senne, La destinée personnelle, Flammarion, coll. « Bibl. de philosophie scientifique », , « XVII- Le salut. ».

Voir aussi

Bibliographie

  • Jean Paumen, Le spiritualisme existentiel de René Le Senne, Paris, Presses Universitaires de France, 1949
  • Gaston Berger, Notice sur la vie et les travaux de Rene Le Senne, Paris, Firmin-Didot, 1956
  • André-A. Devaux, René Le Senne ou Le combat pour la spiritualisation, Paris, Seghers, coll. « Philosophes de tous les temps », 1966.
  • (it) Giovanni Magnani, Itinerario al valore in R. Le Senne, éd. Pontificia Università Gregoriana, 1971, (ISBN 8876523472), texte partiellement en ligne
  • Jules Pirlot, Destinée et valeur. La Philosophie de René Le Senne, Presses universitaires de Namur, 1953, (ISBN 2870370237), texte partiellement en ligne
  • Lucien Rwabashi, Dieu dans la philosophie de René Le Senne, Imprimerie Saint-Paul, 1968

Articles connexes

Liens externes

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