Regard masculin

Le regard masculin, également appelé vision masculine ou male gaze, désigne le fait que la culture visuelle dominante (magazines, photographie, cinéma, publicité, jeu vidéo, bande dessinée, etc.) imposerait au public d'adopter une perspective d'homme hétérosexuel[1].

Une femme offerte au regard des personnages et du public masculins : Achat d'une esclave par Jean-Léon Gérôme (1857).

Ce concept a été proposé par la critique de cinéma Laura Mulvey dans son essai Visual Pleasure and Narrative Cinema publié en 1975.

On parle de male gaze lorsque la caméra s'attarde, par exemple, sur les formes d'un corps féminin[2]. Ce concept est considéré comme le signe d'un pouvoir asymétrique. Il a une forte influence sur la théorie féministe du cinéma et sur les études des médias.

Le male gaze opère également dans la presse destinée à un public féminin :

« Les auteurs font remarquer que dans ces publicités, on fait poser les mannequins de manière à montrer non seulement qu’elles savent qu’on les regarde, mais qu’elles contrôlent ce regard. Ces attitudes, en apparence enfantines ou soumises, sont donc présentées comme stratégiques : le vrai succès, le vrai pouvoir résiderait dans le fait d’attirer et de contrôler le regard. En d’autres termes, le pouvoir pour les femmes passe par le contrôle qu’elles exercent sur le regard masculin. Même quand il est absent, même quand il n’est pas le premier destinataire, il est toujours sous-entendu, impossible de lui échapper[3]. »

Origine

Laura Mulvey, militante engagée du Women's Lib à Londres, montre que les violences exercées sur les femmes par le patriarcat et le capitalisme sont véhiculées dans les images produites par le cinéma. S'appuyant sur les théories de Sigmund Freud et du marxisme, elle introduit le concept de regard masculin, proche du voyeurisme, de la scopophilie et du narcissisme qui comprend le regard du réalisateur, des personnages masculins et du spectateur.

Elle démontre que, dans les films produit par Hollywood, l'image sexualisée des actrices est le sujet central du film afin de satisfaire le plaisir de l'homme. Les personnages masculins sont actifs, les personnages féminins sont façonnés pour être regardés et sexualisés[4].

Concepts

Selon Laura Mulvey, le regard masculin prend deux formes : la scopophilie (concept freudien) qui peut atteindre le voyeurisme et le narcissisme. Les deux déshumanisent la femme observée[5]. Pour le public, ces regards impliquent souvent, consciemment ou non, l'engagement dans les rôles traditionnels féminins et masculins.

Un film peut ainsi avoir trois niveaux de lecture et trois différents regards : celui de la caméra enregistrant les évènements du film, celui du public invité à trouver les scènes voyeuristes, et celui des personnages interagissant entre eux. Tous assimilent le regard donc l'actif au masculin et l'objet du regard, le passif au féminin. De fait, les actes des personnages féminins, ont peu d'intérêt en eux-mêmes pour le scénario et servent surtout de support aux actes des personnages masculins. Apprécier une telle œuvre pour un public féminin revient ainsi à s'identifier au protagoniste masculin.

D'après la critique et professeure de cinéma Wendy Aron, le regard masculin, en se focalisant sur le corps, diminue l'impact des personnages féminins violents de films d'action[6].

Réception

L'article publié en 1975 fait polémique dans le monde anglo-saxon. De nombreux spécialistes étudient le concept, le développent et le complexifient. En 1975, Laura Mulvey n'avait envisagé que le point de vue du spectateur masculin. En 1981, elle développe le point de vue de la spectatrice[4].

Pour l’historien de l'art André Gunthert, le male gaze rencontre une forte résistance en France. Les milieux cinéphiles français rejettent ce concept par son aspect moralisateur, au nom de l'autonomie de l'art. L'article de Laura Mulvey est traduit partiellement en français en 1993 dans la revue CinémAction. Les textes de Laura Mulvey ne sont traduits en français et publiés qu'en 2018[4].

Depuis 2017 et le mouvement MeToo de dénonciation des violences faites aux femmes, le point de vue féministe développé par Laura Mulvey se diffuse dans le monde audiovisuel. Les films sont analysés pour révéler le male gaze qui réduit les femmes à un objet de désir et de plaisir[4].

Critiques

Matrixial race

La psychologue clinicienne Bracha Ettinger critique le concept de regard masculin en introduisant le matrixial gaze (en) [7]. Celui-ci s'inspire de Lacan dans sa conception du sujet et contredit l'opposition entre « regard masculin » et female gaze (regard féminin), et l'opposition sujet/objet (distinct l'un de l'autre).[évasif]

Regard oppositionnel

Dans son article « The Oppositional Gaze : Black female spectators », bell hooks[8] applique ce concept aux femmes noires comme objets de regard, à la suite de la lecture de l'essai de Laura Mulvey. Sa théorie s'applique aux femmes en général (globalisation), en rapport avec Lacan et sa théorie du miroir, où l'enfant développe un Idéal du Moi : le regard porté sur les femmes noires serait antérieur à ce développement (contrairement à celui sur les femmes blanches) ; il y a bien regard masculin, mais sans idéalisation[8].

Notes et références

  1. Thomas Streeter, Nicole Hintlian, Samantha Chipetz, Susanna Callender, « This is Not Sex: A Web Essay on the Male Gaze, Fashion Advertising, and the Pose », sur Université du Vermont.
  2. Male Gaze in TV and film.
  3. A.-C. Husson, « Le male gaze (regard masculin) », sur Genre!.
  4. « Le “male gaze”, bad fiction », sur Libération.fr, (consulté le ).
  5. Laura Mulvey, « Visual Pleasure and Narrative Cinema », Screen, (DOI 10.1093/screen/16.3.6), p. 6–18.
  6. (en) Annette Pritchard et Nigel J. Morgan, « Privileging the Male Gaze: Gendered Tourism Landscapes », Annals of Tourism Research, (DOI 10.1016/S0160-7383(99)00113-9), p. 884–905.
  7. (en) Bracha Ettinger, The matrixial gaze, Leeds, UK, Feminist Arts and Histories Network, Department of Fine Art, University of Leeds, , 51 p. (ISBN 978-0-9524899-0-0).
  8. (en) bell hooks, The Feminism and Visual Cultural Reader, Amelia Jones, 94–105 p., « The Oppositional Gaze: Black female spectators ».

Voir aussi

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