Raï

Le raï est un genre musical algérien, né dans sa forme traditionnelle au début du XXe siècle dans la région de l'Oranie (Oran, Sidi-bel-Abbès et Aïn Témouchent)[5]. Cette musique s'est ensuite modernisée dans les années 1970, puis internationalisée depuis les années 1990.

Pour l’article ayant un titre homophone, voir Rail.

Pour l’article homonyme, voir Raï (homonymie).

Raï
Jaquettes de 8 cassettes des jeunes chebs du raï des années 80, au milieu de la sélection on voit une figure emblématique du raï, Cheikha Remitti.
Origines stylistiques Bedoui oranais[1], medahates[2]
Origines culturelles Début du XXe siècle dans l'Oranie (Algérie)[3]
Instruments typiques Bendir, derbouka, gallal, nay, accordéon, synthétiseur, violon, guitare électrique, guitare basse, boîte à rythmes
Popularité Musique populaire en Algérie, Tunisie, Maroc, France,
Scènes régionales Oran, Saïda, Sidi-bel-Abbès, Aïn Témouchent, Mascara, Mostaganem, Relizane, Tlemcen
Voir aussi Musique algérienne

Sous-genres

Raï trab (traditionnel)[4],
Raï love (sentimental)[4],
Raï éch-chine (« mauvais », pour certains textes au début du genre)[4],
Raï électrique (moderne),
Pop raï

Genres dérivés

Raï'n'B

Origines du terme

Cheikh Hamada (1889-1968), maître de la chanson bédoui, ancêtre de la musique raï.

Le mot raï possède en arabe plusieurs significations connexes : « façon de voir », « opinion », « point de vue », « conseil », voire « objectif », « plan », « pensée », « jugement », « volonté », « libre choix »[6],[7],[8]. Selon le journaliste Mohamed Balhi[9], qui, le premier, a étudié ce genre musical alors officiellement prohibé et popularisé dans les médias, ce nom viendrait de l’époque où le cheikh (maître), où les poètes de tradition melhoun du style bedoui et plus précisément sa variante le wahrani, prodiguaient sagesse et conseils sous forme de poésies chantées en darija. Le melhoun aurait en effet eu ses prémices à l’époque almohade durant laquelle de nombreuses productions maghrébines et andalouses du zadjal ont vu le jour selon Ibn Khaldoun. La forme première du melhoun, véhiculée par les maddahin, s’accommodait en effet très bien avec la mission de diffusion d’information que s’étaient assigné les premiers Almohades.

Une autre explication au nom donné à cette musique d'improvisation est l'interjection Ya raï (Va, dis !) utilisée pour relancer l'inspiration des musiciens et des chanteurs dans les fêtes rituelles[10].

Histoire

Débuts

Cheikha Remitti (1923-2006), chanteuse de raï traditionnel et de bedoui, considérée comme la mère spirituelle du raï tous les styles, générations et sexes confondues. En 2014 sa digne héritière est Cheikha Rabia.

Depuis les années 1920, les maîtres et maîtresses du melhoun traditionnel de l'Ouest algérien tels Cheikh Khaldi, Cheikh Hamada ou Cheikha Remitti, représentent la culture guerrière traditionnelle. Leur répertoire est double. Le registre officiel célèbre la religion, l'amour et les valeurs morales lors des fêtes des saints des tribus, les mariages ou les circoncisions. Le registre irrévérencieux (une échappatoire aux rigueurs de la morale islamique) est interdit et chanté essentiellement dans les souks et les tavernes. Danseuses et musiciens ambulants y parlent de l'alcool et des plaisirs de la chair. Ces deux formes sont à l’origine du raï moderne[11]. Le registre irrévérencieux est remis au goût du jour à travers notamment l'héritage des medahates dont Cheb Abdou a été le précurseur dans les années 1990, Houari Sghir.

Dans les années 1930, on chante le wahrani, adaptation du melhoun accompagnée à l’oud, à l’accordéon, au banjo ou au piano. Cette musique se mélange aux autres influences musicales arabes, mais aussi espagnoles, françaises et latino-américaines. C’est ainsi que, vers les années 1950, avec Cheikha Remitti (Charak gataâ), cette musique qui, à l’origine, ne rassemble que quelques chanteurs, finit par s’étendre, après l’indépendance, à l’ensemble de l’Algérie. Les instruments traditionnels du raï (nay, derbouka, zoukra et bendir) s’accommodent de la guitare électrique et sa pédale wah wah comme chez Ahmed Zergui (en) ou de la trompette et du saxophone comme chez Bellemou Messaoud.

Cheikha Remitti, considérée comme la mère du raï moderne donne déjà des concerts très discrets à l'époque de la colonisation française. Le raï a « un goût de soufre ». Dans les années 1950, Belkacem Bouteldja, puis Boutïba Saïdi et Messaoud Bellemou introduisent des instruments modernes dans le raï traditionnel[10].

Dans les années 1960 apparaissent deux orchestres qui font bouger la ville d'Oran : l'orchestre « Les Adam's », et l'orchestre « Les Student's ». À cela il faut ajouter, les influences des populations judéo-algériennes, européennes d'Algérie, et d'artistes berbères sur cette musique[12]. celle-ci incorporera aussi du châabi. Entre les années 1960 et la fin des années 1980, le raï traditionnel subit encore de nombreuses transformations avant d'arriver à sa première forme connue en France, forme qui permettra le début de son internationalisation.

Modernisation et popularisation

Les frères Rachid et Fethi, les premiers qui ont modernisé profondément à l'occidentale la musique raï et propulsé plusieurs chebs sur la scène artistique comme : Anouar, Khaled, Houari Benchenet et Sahraoui.

Dans la fin des années 1960, le raï se modernise grâce à Ahmed Zergui ce chanteur est considéré comme l'un des pères du raï moderne, il y a introduit dans les années 1970 la guitare électrique et l’accordéon, pour ce qu'on a appelé le « pop raï ».

Au début des années 1980, les synthétiseurs et les boîtes à rythmes font leur apparition, le raï s’imprègne des styles rock, pop, funk, reggae et disco avec notamment le duo Rachid et Fethi qui développent la production raï[13],[10]. «Contact», une émission de la radio Alger Chaîne 3 (composée notamment de l’animateur Mohamed Ali Allalou et du réalisateur Aziz Smati), est la première émission à passer le raï sur les ondes[14].

C'est seulement à partir du milieu des années 1980 que le raï est véritablement catapulté au rang de musique nationale avec l'arrivée de nouveaux chanteurs, les Chebs jeune », féminin cheba). Ensuite le raï se développe avec les Cheba Fadila (You Are Mine "Nebghik Ya Aîniya", 1988), Cheb Khaled (Kutche, 1989), Cheb Mami (Let Me Raï, 1990), Cheb Sahraoui, Chaba Zahouania, Cheb Hamid, Gana Maghnaoui, Cheb kader, etc. Il existe également des groupes comme Raïna Raï (Hakda, Zina), très populaire en Algérie, qui colore ses morceaux avec d'autres genres musicaux. Il existe également plusieurs artistes féminines de raï (qui viennent souvent de Meddahates) telles que Cheikha Rabia, Chaba Zahouania, Chaba Fadela ou Cheikha Djénia[10].

Cette nouvelle musique mélange instruments traditionnels, synthétiseurs, batterie électronique et basse, remettant au goût du jour de vieilles mélodies. Le premier Festival raï a lieu à Oran en 1985. Face à l’engouement des jeunes algériens, le gouvernement reconnaît officiellement le raï.

Internationalisation et naissance d'autres variantes

Festival de la chanson raï en France (1986), de gauche à droite : Cheb Mami, Cheb Khaled, Cheb Hamid, Cheb Sahraoui.

Au tout début des années 80 les patrons de bars algériens diffusaient régulièrement des cassettes de Cheikha Djénia, Rimitti, Chaba Zohra, Cheb Khaled, Bellemou… que proposaient les clients. Parfois même des groupes s’y produisaient. On peut citer le bar de Bougie sur le boulevard de la Chapelle, le bar de Larry (métro Simplon 18e arrondissement) que fréquentaient des journalistes de Libération et d’autres comme Le Pont tournant sur le quai de Jemmapes (10e)…

En Algérie, Mohamed Balhi fait écouter de la musique raï au journaliste français Jean-Louis Hurst de Libération, qui lui consacre des articles. En 1986, le Festival de Raï de Bobigny organisé à la MC93 par Martin Meissonnier pendant quatre jours avec Cheb Khaled, Cheb Sahraoui, le groupe Raïna Raï, Cheb Kader, Cheb Mami, Cheb Hamid crée un emballement médiatique[15][16]. Deux ans plus tard sort l'album Kutche de Cheb Khaled et Safy Boutella réalisé par Martin Meissonnier. Arrivé en France à la fin des années 1980, le raï y atteint une forte popularité dans les années 1990 grâce d'une part à son enrichissement et son perfectionnement au contact des artistes et studios d'enregistrement français et d'autre part au soutien des jeunes issus de l'immigration maghrébine à la recherche d'une musique leur ressemblant. Les artistes les plus connus en France sont Cheb Kader (avec ses tubes légendaires tels que Sel Dem Draï et Sid El Houari en 1988[17],[18], donnant ce souffle international à la musique raï, en la fusionnant avec le raï traditionnel)[19], Khaled (Didi un tube qui fit le tour du monde), Rachid Taha (reprise de Ya Rayah, musique chaâbi de Dahmane El Harrachi), Faudel (Tellement n'bghick), Cheb Mami (Parisien du Nord) ou encore Dalida (Salma Ya Salama, vendu à plus de 300 000 d'exemplaires en 1977[20]).

Cheb Hasni (1968-1994), mort assassiné. Surnommé le Rossignol du raï et considéré comme le roi du raï sentimental.

Son succès s'étend et se renforce lorsque des compositeurs de styles différents se joignent au mouvement (Jean-Jacques Goldman écrit Aïcha pour Khaled) et beaucoup de chansons sont interprétées en français. Le raï en profite pour se mélanger à d’autres formes de musique comme le rap, le reggae, le rock, ou la musique techno. Puis l'été 2004, émerge une nouvelle vague musicale qui conjugue raï et rhythm and blues, grâce à la compilation Raï'n'B Fever qui a réuni des grands noms des deux genres musicaux.

C'est donc au contact de l'Occident (à Marseille principalement) que le raï, né dans sa forme première à Oran, gagne ses lettres de noblesse et d'où naîtront de nouvelles variantes. Citons par exemple le raï-RnB du chanteur algérien Mohamed Lamine ou de la chanteuse Leslie. D'autant qu'en Algérie, la guerre civile entre le gouvernement et divers groupes islamiques crée une tension sur la société, y compris sur la vie culturelle. En 1994, le roi du raï sentimental Cheb Hasni est assassiné à Oran, au coin de la rue où il vivait. Un mois plus tôt, au Festival Musicolor de Montreuil, le chanteur Cheb Sahraoui, qui s'y produit, indique à un journaliste du journal Le Monde : « Le raï est peut-être provocant, mais les intégristes, qui recrutent leur clientèle chez les jeunes des quartiers populaires, exactement comme nous, ne peuvent toucher ni au raï, ni au sport ». « Pour combien de temps ? », complète alors sa compagne la chanteuse Chaba Fadela[21]. Le rôle prépondérant de la France dans cette période (collaborations et influences d'artistes, studios d'orchestration, public…) explique pourquoi les chanteurs de raï parmi les plus connus à travers le monde ont fait leur révolution ou leur début en France[22].

Toutefois, le terme raï est parfois généralisé à des musiques arabes ou orientales occidentalisées et modernisées d'origine non algérienne : citons le cas de la chanteuse égypto-belge Natacha Atlas, le groupe ALABINA, la chanson Salama ya Salama de la chanteuse italo-égyptienne Dalida ou encore les tubes de chanteurs turco-allemands. Avec d'autres courants musicaux arabo-musulmans, le raï participe au succès en Occident du métissage musical Orient-Occident[23].

Époque contemporaine

Des nouveaux chanteurs ont émergé et ont repris les titres des anciens. Ce qui a bouleversé le raï moderne c'est l'apparition de l'auto-tune, aussi la dominance des boîtes à rythmes dans les chansons. Quelques chanteurs d'aujourd'hui : Cheb Bilal Sghir, Cheb Houssem, Cheba Sabah, Cheba Warda Charlomante, Cheb Bilal, Cheb Mourad, Mohamed Benchenet, Cheba Dalila, Cheb Bello, Cheb Nadir, Houari Dauphin...

Le centre national de recherches préhistoriques, anthropologiques et historiques (CNRPAH) algérien annonce avoir déposé en mars dernier un dossier de candidature à l’Unesco pour classer le « Raï, chant populaire algérien » à la liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l'humanité. Cette démarche est une volonté de classer ce genre musical, le raï, et ses textes de poésie tels qu’ils avaient existé au début du siècle dernier comme « forme d’expression musicale et poétique féminine », a expliqué, pour sa part, Abdelkader Bendameche, président du Conseil des arts et des lettres[24]. Cette démarche est contestée au Maroc, qui considère que l'aire géographique du raï englobe aussi Oujda et sa région[25],[26],[27],[28].

Artistes

Le groupe mythique Raïna Raï, formé en 1980, qui se démarque de tout ce qui se fait à l’époque sur la scène musicale algérienne et très célèbre à l'étranger.

Notes et références

  1. Bestandji, Taoufik,, L'Algérie en musique, Paris, l'Harmattan, 123 p. (ISBN 978-2-343-13494-9, 2-343-13494-4 et 978-2-14-005292-7, OCLC 1062438393, lire en ligne), p. 31
  2. Brahim Hadj Slimane, L'Algérie : histoire, société et culture, Alger, Casbah Editions, , 351 p. (ISBN 9961-64-189-2), p. 284-285
  3. Collectif, Dominique Auzias et Jean-Paul Labourdette, « Algérie », sur Google Books, Petit Futé,
  4. Bouziane Daoudi et Hadj Miliani, L'aventure du raï : Musique et société, (Seuil) réédition numérique FeniXX, (ISBN 979-10-369-0245-1, lire en ligne), p. 242
  5. El W. 2011, El Watan.
  6. Labourdette et Auzias 2011, p. 119.
  7. Schade-Poulsen 2010, p. 14.
  8. « Ne ratez pas : "Acoustic : les 30 ans du raï" », TéléObs, (lire en ligne, consulté le )
  9. Balhi 1980, Algérie-Actualités.
  10. LM (octobre) 1994, Le Monde.
  11. Virolle-Souibès 1995, p. 22.
  12. Tenaille 2002, p. 46.
  13. Tenaille 2002, p. 79.
  14. « Le raï subversif enchante une jeunesse excédée - Magazine - El Watan », sur www.elwatan.com (consulté le )
  15. François Xavier Gomez, « Il y a trente ans, la France découvrait le raï », Libération.fr, (lire en ligne, consulté le )
  16. Lieuze 2006, Radio France internationale.
  17. « LESTRANS | Cheb Kader - 1988 », sur LESTRANS (consulté le )
  18. « Cheb Kader ressuscite dix ans après », sur L'Humanité, (consulté le )
  19. « Cheb Kader », RFI Musique, (lire en ligne, consulté le )
  20. « TOP 45 Tours - 1977 », sur www.top-france.fr (consulté le )
  21. La rédaction du Monde (octobre) 1994, Le Monde.
  22. LM 1994, Le Monde.
  23. Tenaille 2002, p. 123.
  24. Hamadi 2016, Tout sur l'Algérie.
  25. Valérie Sasportas, « Le raï algérien à l'Unesco? Le Maroc ne l'entend pas de cette oreille », sur Le Figaro.fr,
  26. « Le raï au cœur d’une polémique entre le Maroc et l’Algérie », RFI, 5 septembre 2016.
  27. Priscille Lafitte, « Unesco : l'Algérie revendique l'invention du raï et fait enrager le Maroc », France 24, 8 septembre 2016.
  28. Youssef Roudaby, « Unesco : l'Algérie revendique l'invention du raï et fait enrager le Maroc », Huffington Post, 1er septembre 2016.

Voir aussi

Bibliographie

  • Mohamed Balhi, « Dis-moi mon sort », Algérie-Actualité, .
  • Rédaction LM, « Le raï, roi des banlieues », Le Monde, (lire en ligne).
  • Rédaction LM (octobre), « Algérie clés. Le raï », Le Monde, (lire en ligne).
  • La rédaction du Monde (octobre), « Cheb Hasni : le champion du raï sentimental », Le Monde, (lire en ligne).
  • Marie Virolle-Souibès, La chanson raï : de l'Algérie profonde à la scène internationale, Éditions Karthala, (lire en ligne).
  • Nidam Abdi et Bouziane Daoudi, « Un pionnier du raï tué à Oran », Libération, (lire en ligne).
  • Bouziane Daoudi et Hadj Miliani, L'aventure du raï : Musique et société, Éditions du Seuil, , 284 pages (ISBN 978-2-02-0255875).
  • Frank Tenaille, Le raï : de la bâtardise à la reconnaissance internationale, Cité de la musique, .
  • Daniel Lieuze, « Vingt ans de raï en France », Radio France internationale, (lire en ligne).
  • Jean-Paul Labourdette et Dominique Auzias, Algérie, (lire en ligne), p. 119.
  • Rédaction El W., « Origine du Raï. Oran, Saida, Sidi Bel Abbès ? Querelle de clochettes », El Watan, (lire en ligne).
  • Riyad Hamadi, « L’Algérie veut inscrire le Raï au patrimoine mondial de l’humanité », Tout sur l'Algérie, (lire en ligne).
  • Marc Schade-Poulsen, Men and Popular Music in Algeria : The Social Significance of Raï, University of Texas Press, , 260 p. (ISBN 978-0-292-78762-9, lire en ligne)

Filmographie

Liens externes

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