Révolte de Gand de 1539

La révolte de Gand est une révolte en 1539 des citoyens de Gand contre le régime de Charles de Habsbourg, roi d'Espagne et empereur romain germanique. La révolte est une réaction aux impôts élevés, que les Flamands jugent ne servir qu'à faire la guerre à l'étranger (en particulier la guerre italienne de 1536 à 1538)[1]. L'année suivante, Charles entre dans la ville de Gand avec une armée, et les rebelles se rendent sans combat. Il humilie leurs chefs en les faisant défiler en sous-vêtements avec des nœuds coulants autour du cou. Depuis lors, les citoyens de Gand se surnomment « porteurs de nœud coulant », Stroppendragers (nl)[2].

Gand en 1534.

Contexte

● Gand
Les territoires européens de Charles de Habsbourg. Gand fait partie du cercle de Bourgogne (en mauve) du Saint-Empire romain germanique.

À cette époque, la ville de Gand est sujette de l'empereur romain germanique et roi espagnol, Charles de Habsbourg, mais c'est sa sœur, Marie de Hongrie, qui gouverne la région en tant que régente. Gand est dans le cercle de Bourgogne du Saint-Empire romain germanique. La ville, et les Pays-Bas en général, sont un centre international de commerce et d'industrie et donc une source importante de revenus. À l'époque, Gand a une population de 40 000 à 50 000 individus[3] et dispose de contacts commerciaux d'importance avec la France[4].

En 1515, Charles impose à Gand le Calfvel (nl)[5], un édit qui, entre autres, interdit aux guildes de choisir leurs propres doyens.

En 1536, Charles entre en guerre contre le roi français François I pour le contrôle du nord de l'Italie. Charles demande à Marie de recueillir des fonds et des soldats dans les provinces néerlandaises. En , Marie lève un impôt de 1,2 million de florins et 30 000 conscrits avec munitions et artillerie. La Flandre doit payer un tiers de cette somme, soit 400 000 florins et on demande à Gand de contribuer à hauteur de 56 000 florins. Or, la ville est déjà très endettée par les impôts levés au XVe siècle par ses anciens dirigeants[6].

Gand refuse de payer les impôts en mettant en avant que les accords anciens, noués avec d'anciens dirigeants, spécifiaient qu'aucune taxe ne pouvait être perçue sur Gand sans son consentement, et offre de fournir des troupes au lieu d'argent[7]. Marie tente de marchander avec Gand, mais Charles insiste pour que Gand paie sa part sans condition[4].

Des quatre provinces hollandaises, Gand est la seule à rejeter les nouveaux impôts[8]. Quand les autres provinces refusent de soutenir Gand, celle-ci offre son allégeance au roi François Ier en échange d'une protection contre l'empereur Charles. François rejette la demande de Gand, car Charles lui a fait comprendre qu'il lui laissera le côntrole de Milan lorsqu'il abdiquera (ce qui ne se produira pas) et le roi de France tient à rester en bons termes avec lui[4].

Au début de 1539, Gand lance un somptueux concours de rhétoriciens. La splendeur de l'événement fâche les fonctionnaires de Charles parce que la ville prétend qu'elle ne peut pas payer ses impôt à cause de manque de fonds.

En , des rumeurs se répandent selon lesquelles certains échevins ont falsifié, dans les archives de la ville, des documents qui légitiment l'autonomie de Gand. En particulier, les guildes soupçonnent le vol de l'Achat de Flandre, un document mythique émanant d'un ancien comte flamand qui aurait donné à Gand le droit de s'opposer à tout impôt supplémentaire. Les membres des guildes pensent que le passé de la ville et ses droits ont été dénaturés[9].

Révolte

Charles, en route vers Gand, et François entrent à Paris.

Le , plusieurs guildes comprenant les meuniers, les cordonniers, les forgerons et les armateurs, exigent le droit de choisir leurs propres doyens et l'arrestation des échevins de la ville, qu'ils accusent d'avoir cédé aux exigences de Marie contre leur volonté. Les jours suivants, ils s'arment et prennent contrôle de la ville, forçant les échevins à fuir. Le , ils forment un comité de neuf hommes pour administrer la ville. Un échevin retraité âgé de 75 ans, nommé Lieven Pyn, est exécuté le en partie pour avoir, selon ses accusateurs, falsifié des documents qui ont légitimé l'autonomie de Gand. Pyn a participé aux négociations sur les impôts en 1537. On le torture à mort sur le chevalet[10]. Le , le parchemin sur lequel figure le Calfvel de 1515 est déchiré en cérémonie.

Comme signe de sa bonne foi, François informe Charles que Gand lui a proposé de rejoindre son camp en échange d'une protection. Constatant que le roi français souhaite coopérer, Charles décide qu'il est temps de mater la révolte et de s'en charger lui-même. Il demande à François la permission de traverser le territoire français, ce qui est accordé. Charles ne veut pas naviguer vers la Flandre via la Manche, puisqu'il craint une attaque des Anglais pour s'emparer de sa personne, il part donc de l'Espagne accompagné par environ cent hommes. Il arrive à Loches le où il rencontre François qui l'escorte à Paris[11]. Poursuivant sa route, Charles arrive à Valenciennes en janvier, où il rencontre sa sœur Marie ainsi qu'une délégation venue de Gand : Charles les informe qu'il fera de la soumission de Gand un exemple pour les autres cités et territoires.

Charles arrive en Bourgogne vers la fin janvier. Il fait la jonction avec ses troupes convoquées d'Espagne, d'Allemagne et des Pays-Bas. Il arrive à Gand le [12] avec une armée d'environ 5 000 soldats[13]. La ville se rend sans combattre.

Conséquences

Les chefs de la révolte sont humiliés.

Les chefs de la révolte sont arrêtés, dont 25 sont exécutés. Les autres sont humiliés : le , ils défilent dans les rues de la mairie jusqu'au palais de Charles, le Prinsenhof. La procession est composée des shérifs, des fonctionnaires, de 318 membres des guildes, de 50 tisserands et de 30 nobles tous vêtus de robes noires, et de 50 journaliers vêtus de chemises blanches avec des nœuds de pendu autour du cou[14],[15]. Le nœud de pendu symbolise ici qu'ils méritent d'aller à la potence. Au Prinsenhof, ils sont contraints d'implorer la pitié de Charles et Marie.

Une amende de 8 000 florins est imposée à la ville. Vers la fin avril, Charles décrète une nouvelle constitution, la Concession Caroline, qui dépouille la ville de ses anciens droits et libertés, et même de ses armes. La guilde des tisserands et 53 autres guildes sont fusionnées en 21 corporations, et les privilèges des guildes, hormis ceux des boucheurs et des expéditeurs, sont retirés. La vielle abbaye de Saint Bavon et l'Église du Saint-Sauveur sont démolies pour faire place à une forteresse, le Spanjaardenkasteel Le Château des Espagnols »). Huit portes de la ville et plusieurs murs sont démolis. Les échevins de la ville seront désormais choisis par des magistrats nommés par des représentants de Charles. L'empereur ordonne qu'on réduise les festivités qui faisaient la fierté de la ville[16]. L'horloge du beffroi est enlevée car elle est un symbole de défiance politique pour avoir servi à convoquer des assemblées d'ouvriers au Vrijdagmarkt le Marché du vendredi »), la place principale de la ville[17].

Héritage

Depuis cet incident, les citoyens de Gand se surnomment stroppendragers porteurs de nœud coulant »). Chaque été, pendant les fêtes de Gand, La Guilde de porteurs de nœud coulant commémore la révolte en défilant dans la rue en chemises blanches avec des nœuds coulants autour du cou. Le nœud est devenu un symbole informel de Gand.

Reconstitution de stroppendragers défilant pendant les fêtes de Gand.
Statue d'un porteur de nœud devant le palais de Charles.

Bibliographie

  • (en) Peter J. Arnade, Realms of Ritual : Burgundian Ceremony and Civic Life in Late Medieval Ghent, Cornell University Press, , 298 p. (ISBN 978-0-8014-3098-5, lire en ligne)
  • (en) Arnade, Beggars, Iconoclasts, and Civic Patriots : The Political Culture of the Dutch Revolt, Cornell University Press, , 352 p. (ISBN 978-0-8014-7496-5, lire en ligne)
  • (en) Y.M Bercé, Revolt and Revolution in Early Modern Europe : An Essay on the History of Political Violence, Manchester University Press, , 236 p. (ISBN 978-0-7190-1967-8, lire en ligne), p. 43
  • (en) Nicholas Crane, Mercator : The Man Who Mapped the Planet, Henry Holt and Company, , 368 p. (ISBN 978-1-4668-8013-9, lire en ligne)
  • (en) Henry Kamen, Spain, 1469–1714 : A Society of Conflict, Harlow, United Kingdom, Pearson Education, , 3e éd., 326 p. (ISBN 0-582-78464-6, lire en ligne)
  • (en) Helmut Georg Koenigsberger, Monarchies, states generals and parliaments : the Netherlands in the fifteenth and sixteenth centuries, Cambridge, Cambridge University Press, , 381 p. (ISBN 0-521-80330-6, lire en ligne)
  • (en) William Robertson, The History of the Reign of the Emperor Charles V.,
  • (nl) Judocus Johannes Steyaert, Ongeval van Lieven Pien,
  • (en) C. Tilly, European Revolutions : 1492-1992, Wiley, , 284 p. (ISBN 978-0-631-19903-8, lire en ligne)
  • (en) Adolphus William Ward, The Cambridge Modern History, vol. 12, (lire en ligne)
  • (en) « http://gildevandestroppendragers.be/ », gildevandestroppendragers.be (consulté le )
  • (en) « De Gilde van de Stroppendragers », gentschefieste.be (consulté le )
  • (en) Society for the Diffusion of Useful Knowledge (Great Britain), Penny Cyclopaedia of the Society for the Diffusion of Useful Knowledge, C. Knight, (lire en ligne), p. 500

Notes et références

  1. (Kamen 2005)
  2. (en) « History »(ArchiveWikiwixArchive.isGoogle • Que faire ?)
  3. OPSTAND IN OUDENAARDE IN 1539-1540 pg 28
  4. (Robertson 1769)
  5. « Calfvel » signifiant « peau de veau », l'édit est rédigé sur un parchemin en cuir de veau. Ce nom est peut-être un sobriquet.
  6. OPSTAND IN OUDENAARDE IN 1539-1540 pg 48
  7. (Arnade 1996, p. 201)
  8. (Bercé 1987, p. 43)
  9. (Arnade 1996, p. 202)
  10. (Crane 2014)
  11. (Ward 1929, p. 74)
  12. Les sources ne s'accordent pas sur le jour exact de l'entrée de Charles à Gand : Bercé et Robertson mentionnent le 24, Arnade (1996) le 4, mais en 2008 mentionne le 14. Koeningsberger (2001) et des sources en ligne indiquent le 14.
  13. (Tilly 1996, p. 58)
  14. (en) « Historiek | gildevandestroppendragers.be », web.archive.org (consulté le )
  15. (en) « De Gilde van de Stroppendragers », gentschefieste.be (consulté le )
  16. (Arnade 2008, p. 150)
  17. (Arnade 1996, p. 206)

Articles annexes

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