Réformes kémalistes

Les réformes kémalistes (ou en turc : Atatürk Devrimleri ou Atatürk İnkılâpları), sont des réformes politiques, sociales et économiques menés par le fondateur de la république turque, Mustafa Kemal Atatürk. Le but était pour lui de sortir la Turquie de la pauvreté et de la misère en se rapprochant du modèle civilisationnel occidental. Il disait « Nous allons élever notre nation au niveau des civilisations les plus riches et les plus civilisées du monde. Nous allons mettre notre culture nationale au-dessus du diapason de la civilisation contemporaine. »[1]

Atatürk visite le lycée pour filles d'Izmir le 1er février 1931. Il s'intéresse de près à l'éducation. Après la réorganisation de l'Université d'Istanbul avec la loi sur l'université du 31 mai 1933, le gouvernement turc a introduit l'éducation mixte dans les académies, collèges et universités de Turquie.

Réformes politiques

Abolition du sultanat

À la suite de la guerre d’indépendance turque, des négociations de paix se sont ouvertes. À la fin du mois d', le grand vizir, Tevfik Pacha se propose comme délégué du sultan. Cette annonce provoque la colère des Turcs qui refusent de se faire représenter par le sultan.

Mustafa Kemal, fort du rejet par les Turcs de la proposition du sultan, est déterminé à mettre fin à cette institution. Pour ce faire, il réunit la Grande Assemblée nationale de Turquie le 30 octobre. Pour Mustafa Kemal il faut mettre fin au sultanat sans porter atteinte au califat. À la tribune il propose,

« Il n'y a qu'une manière de sortir de l'impasse où nous nous trouvons. Que le Parlement promulgue une loi séparant le sultanat du califat, abolissant le sultanat, et expulsant Mehmed VI du pays. »

Les députés veulent seulement déposer Mehmed VI et ne pas mettre fin au sultanat. Pour eux l'épisode d'Ankara n'était qu'une parenthèse et une fois la guerre terminée l'Empire ottoman retournerait à un sultanat constitutionnel avec Istanbul comme capitale comme c'était déjà le cas sous les Jeunes-Turcs. Un vif débat éclate entre les quatre-vingts députés fidèles à Mustafa Kemal et le reste de l'assemblée. Il demande au parlement de passer directement au vote. Les parlementaires refusent et renvoient le projet à la Commission de législation.

La commission se réunit le 1er novembre. Elle est composée en majorité d'avocats et de religieux. Les membres se fondent tour à tour sur le Coran, des livres sacrés et des textes théologiques datant du XIIe siècle. Après un long débat, Mustafa Kemal excédé par ces débats qu'il juge inutiles intervient :

« Voilà bientôt deux heures que j'écoute vos bavardages ! La question est pourtant simple : le droit souverain de disposer d'elle-même réside dans la Nation. Or la maison d'Osman [la dynastie ottomane] s'est arrogé ce privilège par la force, et c'est par la violence que ses représentants ont régné sur la nation turque et ont maintenu sur elle leur domination pendant dix siècles. Maintenant, c'est la Nation qui, se révoltant contre ses usurpateurs, reprend elle-même effectivement l'exercice de sa souveraineté. C'est désormais un fait accompli, auquel rien ne saurait plus s'opposer. Il serait opportun que chacun des membres de cette assemblée se ralliât à ce point de vue, basé sur le droit naturel. Dans le cas contraire, les faits de l'inéluctable réalité n'en seront pas changés, mais alors gare !… on pourrait voir tomber des têtes ! »

Le président et les membres de la commission prennent peur, et décident précipitamment de rendre le texte de loi éligible. Mustafa Kemal se rend ensuite à l'assemblée nationale et demande le vote de la loi séance tenante. Après avoir armé ses quatre-vingts députés il monte à la tribune et lit un projet de loi qu'il a lui-même rédigé :

« L'Assemblée nationale décide que la loi constitutionnelle du s'applique à l'ensemble des territoires turcs revendiqués par le Pacte national. En conséquence, toute la Turquie passe sous l'administration du gouvernement d'Ankara, car le peuple turc considère la forme du gouvernement d'Istanbul, fondé sur la souveraineté d'une personne, comme appartenant à jamais au domaine de l'histoire. »

Malgré ses précautions les députés refusent de voter la loi. Mustafa Kemal demande aux députés de voter la loi par acclamations, mais plusieurs députés demandent de faire voter la loi par un scrutin nominal, ce que Mustafa Kemal refuse. Avec l'aide de ses députés qui lui sont acquis, Mustafa Kemal propose un vote à main levée. La loi proclamant l'abolition du sultanat est votée à l'unanimité, mais à la suite de l'agitation, Kemal fait évacuer l'assemblée.

Le , le gouvernement ottoman cesse d'exister, le , Refet Pacha mène un coup d'État et prend en main l'administration de l'Empire et annonce officiellement l'abolition du sultanat. Le , le sultan Mehmed VI fuit l'Empire ottoman pour Sanremo.

Après s'être débarrassé du sultan, Mustafa Kemal décide d'envoyer İsmet İnönü négocier le Traité de Lausanne. La conférence de Lausanne s'ouvre le , quatre jours après le départ du sultan, et se termine le . Le traité est ratifié par l'assemblée d'Ankara au début du mois d'. Le , les derniers contingents alliés évacuent la Turquie. Ce nouveau traité permet la fondation d'un nouvel État établi sur toute l’Anatolie et contrôlant totalement les détroits.

Après la signature du traité, les pouvoirs dictatoriaux prêtés à Mustafa Kemal par l'Assemblée en 1921 prennent fin. Une opposition se forme, Rauf, est président du Conseil, et Mustafa Kemal garde son siège de président de l'Assemblée nationale.

L'opposition critique la politique menée par Kemal, Rauf ne cesse de critiquer Mustafa Kemal et il est rejoint dans ses critiques par la plupart des grands pachas, Kazım Karabekir, Refet, Ali-Fuad, Nureddine et Arif.

Pour avoir une assemblée plus docile, Mustafa Kemal décide de procéder à de nouvelles élections ().

Naissance de la République

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Les élections de 1923 marquent un tournant dans la vie de Mustafa Kemal. La guerre étant finie, l'armée démobilisée, et les thèmes de « la patrie en danger » n'ayant plus cours il se retrouve totalement isolé au sein du parlement.

Pour voir Kémal abandonner la vie politique, un groupe de députés tente de faire voter un projet de loi indiquant que pour être élu, il faut être originaire d'une ville comprise dans les frontières de la nouvelle Turquie. Cette tentative de la part de l'opposition de se débarrasser du général qui est né à Salonique (actuel Grèce) est un échec. Alors les députés essayent de faire voter un autre projet de loi, nul ne peut être le représentant du peuple s'il n'a pas résidé dans sa propre circonscription électorale durant cinq ans au moins.

Mustafa Kemal était indigné par toutes ces attaques. Il décide de créer un parti politique, en s'appuyant sur les comités locaux de résistance qu'il avait créés en 1919 pendant l'occupation étrangère. Le comité était devenu avec le temps une organisation puissante, qui couvrait l'ensemble du territoire. Les comités deviennent le Parti républicain du peuple (Cumhuriyet Halk Partisi). Pour mettre sur pied ce nouveau parti, il visite l'ensemble du pays pour y faire des conférences et des meetings.

Les élections sont un échec pour lui, le clergé a appelé à ne pas voter pour lui. La nouvelle composition de la chambre était pour Kemal pire qu'avant, les électeurs ont voté pour de petits partis tous hostiles les uns aux autres. La seule façon pour lui de revenir au pouvoir était de faire partie d'une coalition, mais il refuse et préfère se retirer momentanément de la vie politique. Après les élections, une délégation de députés lui demande de démissionner de son poste de président de l'Assemblée nationale. Selon eux, la fonction de président du parlement et celui de président d'un parti politique sont incompatibles. Mustafa Kemal leur répond :

« Je ne comprends absolument rien à ce que vous me racontez. Vous me parlez des diverses fractions de l'Assemblée ? Il ne doit y avoir qu'un seul parti dans l'État. Pour les décisions que nous avons à prendre, l'unité est essentielle. Il ne doit y avoir ni partis rivaux, ni idéologies contraires. C'est pour moi un point d'honneur de demeurer à la fois le Président de l'Assemblée et le chef du seul parti auquel je reconnaisse une existence légale, j'entends le Parti républicain du peuple. À mes yeux, tous les autres partis n'existent pas. »

Décidé à ne pas céder, Mustafa Kemal invite le tous les ministres en exercice. Un débat s'ensuit alors sur la forme de l'État à donner à la Turquie, Mustafa Kemal arrive à persuader les membres du gouvernement que cette forme de l'État n'est pas la bonne et qu'il faut la changer d'urgence. Pour mettre en difficulté les députés, il demande aux ministres de donner leur démission au parlement. Après leur démission, le parlement est dans l'incapacité à former un nouveau gouvernement. Huit jours plus tard, la constitution du nouveau gouvernement n'avait pas avancé d'un pas.

Pour mener à bien son plan, il invite chez lui İsmet İnönü, Fethi Okyar et Kemaleddin.

Chacun dans son rôle, ils avaient pour mission d'aggraver les débats et de raviver les tensions entre députés. Pour avoir un arbitre, les députés demandent à Kemal de venir présider l'assemblée et de proposer une solution. Les députés envoient trois délégations pour persuader Mustafa Kemal de venir les aider. Il accepte à la condition expresse que ses décisions soient adoptées sans discussion par l'Assemblée.

Il ne se contente pas de la promesse verbale des députés, il demande au président de la Chambre d'avoir son engagement formel et écrit. À l'Assemblée il prononce un discours :

« Il faut changer radicalement de système. J'ai décidé en conséquence, que la Turquie serait une République autoritaire, gouvernée par un Président investi de la totalité du pouvoir exécutif. »

Puis il lit le projet de loi constitutionnelle qu'il avait rédigé :

« La forme du gouvernement de l'État turc est la République. Elle est administrée par la Grande Assemblée nationale de Turquie, laquelle régit les différents Départements par l'organe des ministres et choisit dans son sein le Président de la République. Celui-ci est le Chef de l'État ; il préside, quand il le juge nécessaire, l'Assemblée Nationale ainsi que le Conseil des ministres, dont il choisit le président parmi les membres de l'Assemblée. La liste des membres du gouvernement est soumise par le Président de la République à l'approbation de l'Assemblée. »

Les députés ne veulent pas voter la loi proposée par Mustafa Kemal, mais ils ne peuvent plus reculer et ils sont dans l'obligation de satisfaire aux demandes du général. Quarante pour cent des députés s'abstiennent, mais malgré leur abstention, la loi est adoptée.

Le , la capitale passe d'Istanbul à la petite ville d'Ankara. Ce changement de capitale s'inscrit dans sa volonté de créer un nouvel État centré sur l'Anatolie et sur le peuple turc, et pour couper tout lien historique avec Istanbul, la capitale impériale.

La République est proclamée le et Atatürk en devint le premier président par décision unanime de l'Assemblée nationale. Le 30 novembre de la même année, İsmet İnönü forme le premier gouvernement. La République turque commence à s'élever sur les principes suivants : « La souveraineté appartient sans restriction ni condition à la Nation » (Hakimiyet bila kaydüşart milletindir) et « Paix dans le pays, paix dans le monde » (Yurtta sulh cihanda sulh).

Abolition du califat

Pour rendre la Turquie définitivement indépendante et pour rompre avec le passé de l'Empire ottoman, il décide d'abolir le califat.

En s'attaquant au califat, Mustafa Kemal est vu comme s'attaquant indirectement à l'islam. Il ne savait pas comment mettre fin à cette institution sans s'attirer les foudres de l'Assemblée et du peuple turc. Mais ce qui le sauva de cette impasse a été la lettre que lui ont écrite deux princes musulmans des Indes, l'Aga Khan et l'émir Ali. Dans cette lettre les deux princes lui demandent de respecter la personne du calife et lui demandent de mettre fin à l'empiètement du gouvernement civil sur le pouvoir religieux. Par ailleurs cette lettre a d'abord été publiée dans des journaux stambouliotes avant d'avoir été reçue par le président de la République[2].

Mustafa Kemal profita de cet acte pour accuser le calife d'être un agent de l'étranger et de travailler pour les Britanniques. Mustafa Kemal savait pertinemment que son argument était mince, mais il était sûr que la suspicion qu'ont les députés pour l'étranger l'emporterait sur la défense du calife. Après son discours à l'assemblée où il fustigeait les princes indiens, « ces deux agents notoires de l'Intelligence Service », il mit fou de rage les députés. Une loi est alors immédiatement votée déclarant que toute opposition à la République ou toute manifestation de sympathie en faveur de l'ancien régime étaient des crimes passibles de la peine de mort.

Quand des députés voulurent défendre le calife en arguant que c'était un atout diplomatique pour la Turquie, Mustafa Kemal fit immédiatement appliquer la loi qu'ils avaient fait voter, il les déféra dans des tribunaux et les fit condamner à mort. Par ailleurs, les directeurs de journaux qui ont publié la lettre des deux princes indiens ont été condamnés aux travaux forcés.

Le , il promet aux parlementaires de « nettoyer et élever la foi islamique, en la libérant du rôle d'instrument politique auquel elle a été asservie pendant des siècles. »[3] Puis Mustafa Kemal lança une propagande d'envergure par la voie du Parti républicain du peuple contre le calife Abdul Mejid, le présentant comme un traître et comme un agent de l'étranger.

Le marque l'abolition du califat[4], Mustafa Kemal propose la sécularisation totale de la Turquie devant les parlementaires, la loi fut votée à l'unanimité à mains levées. Le lendemain matin, il envoie des policiers dans le palais du sultan qui le chassèrent de la Turquie, lui et la famille Osman. Mais en raison de sa non appartenance au monde arabe, l'abolition du califat n'a pas jeté l'anathème sur Mustafa Kemal, même s'il y a eu des manifestations contre cette décision en Turquie.

Réformes sociales

Interdiction du port du fez

L'interdiction du port du fez est une réforme purement symbolique, qui s'inscrit dans les réformes anti-ottomanes menées par le gouvernement d'Ankara qui croit que l'interdiction du port du fez ne lui poserait aucun problème.

Mustafa Kemal d'abord fournit des casquettes à sa garde rapprochée pour voir sa réaction. Et à sa grande surprise, ses gardes du corps acceptent les casquettes. Il décide alors de les imposer dans toute l'armée, les convainquant que les porter protège du soleil ; les soldats acceptent donc d'abandonner le fez pour la casquette.

Fort de ses deux succès, Mustafa Kemal lance un vaste programme dans tout le pays pour l'abandon total du port du fez, il parcourt tout le pays coiffé d'un chapeau de paille sur le modèle européen. Mais il n'a cette fois-ci aucun succès, les Turcs tenant fortement au fez[réf. nécessaire].

Cependant, la loi du interdit purement et simplement le port du fez[5], en condamnant à un mois d'emprisonnement toute personne qui persistait à le porter. Selon Benoit Méchin (Mustapha Kémal ou La mort d’un Empire - pages 418-419 – Ed. Albin Michel) : « La persuasion n’ayant pas réussi, Mustapha Kémal décida de recourir à la force. Il fit voter d’urgence par l’Assemblée une loi assimilant le port du fez à un attentat contre l’Etat () (….). Mustapha Kémal envoya dans tout le pays des Tribunaux d’Indépendance, accompagnés de troupes. Des milliers de Turcs furent pendus, fusillés, bâtonnés ou emprisonnés pour refus d’obéissance ».

Réforme de l'éducation

Pour construire le pays, Mustafa Kemal avait besoin de cadres, d'intellectuels et de scientifiques. C'est ainsi qu'il entreprend d'importantes réformes de l'éducation, il décide d'interdire toutes les écoles religieuses au nom de la laïcité et du progrès[6] Il ouvrit des centaines d'écoles primaires et secondaires et disait aux professeurs « Ce sont les instituteurs qui élèvent les peuples au rang de nations véritables ! C'est vous maîtres d'école, qui allez édifier la nouvelle génération, la nouvelle Turquie. » Les méthodes d’enseignement appliquées sont préconisées par l'institut Jean-Jacques Rousseau de Genève. Des intellectuels occidentaux sont également venus dans le pays pour faire des conférences, afin de préparer les professeurs turcs au nouveau programme mis en place par le gouvernement.

Ankara se métamorphose peu à peu, des laboratoires, des écoles, des stations d'expériences, des bibliothèques, des logements et restaurants pour les étudiants apparaissent. Des dizaines de grandes écoles sont ouvertes à travers le pays, des facultés, des lycées de commerce, des conservatoires de musique, des écoles d'architecture et d'urbanisme et des cités universitaires. Mustafa Kemal, qui avait une politique fortement anti-nazie, invita des spécialistes européens en Turquie ; un certain nombre de professeurs allemands contraints de quitter le nazisme se réfugient en Turquie et avec l'accord des autorités enseignent dans les facultés du pays. Parmi eux se trouvaient énormément de professeurs d’origine juive, comme Hirsch, Neumark, Eckstein, Reichenbach, Richard von Mises spécialisés en économie politique, droit, médecine (comme le dentiste Alfred Kantorowitz, qui réorganisa le cursus universitaire turc en matière dentaire) et philosophie des sciences, des architectes comme Bruno Taut, qui dessina le premier bâtiment de la faculté d'histoire, géographie et langues vivantes de l'université d'Ankara[7].

Révolution des signes

La révolution des signes ou révolution linguistique (Dil Devrimi) est une réforme mise en œuvre par Atatürk dès le pour, selon lui, purifier la langue turque.

Elle eut également pour impact de lutter efficacement contre l'analphabétisme. En effet, avant la réforme, seulement dix pour cent de la population turque savait lire et écrire. Le savoir était dans la main le plus souvent du clergé et d'une petite élite intellectuelle. Mustafa Kemal décida donc de supprimer totalement l'alphabet arabe en usage sous l'Empire ottoman, pour le remplacer par l'alphabet latin, mieux adapté à la langue turque.

Les linguistes qui étaient chargés d'élaborer un alphabet latin, adapté aux exigences de la langue, lui conseillèrent d'appliquer la réforme sur plusieurs années, mais Mustafa Kemal refusa : il voulait que la réforme soit accomplie en quelques semaines. Avant d'affronter le public, il passa lui-même plusieurs jours à apprendre le nouvel alphabet.

Il prédit un avenir brillant à toute personne sachant manier l'alphabet latin, tandis que l'alphabet arabe était finalement interdit le .

La réforme fut un succès total : en quelques années à peine, le taux d'analphabétisme baissa considérablement[8].

Puis, en 1932, Mustafa Kemal créa la Türk dil kurumu Association de la langue Turque »), dont la direction fut confiée à Agop Martayan (qui reçut en 1934 le nom de Dilaçar, « ouvreur de langue »).

Droits des femmes

Caricature politique canadienne d'une femme au Québec lisant un panneau qui dit :
« Bulletin d'information : pour la première fois dans l'histoire de la Turquie, les femmes voteront et seront éligibles à la fonction publique lors des élections générales qui auront lieu cette semaine. »
Les femmes ont obtenu le droit de vote en Turquie en 1930, mais le droit de vote n'a été étendu aux femmes lors des élections provinciales au Québec qu'en 1940.

Atatürk lança beaucoup de réformes pour émanciper la femme turque. En 1930, il donne le droit de vote aux femmes aux élections locales et, en 1934, pour les élections nationales ; les femmes et les hommes deviennent égaux en droit[9].

Le nouveau code civil, adopté en 1926, interdit la polygamie et donne plus de droits aux femmes sur les divorces, la garde des biens, des enfants et sur la transmission. La charia, déjà réduite à l'époque des Tanzimat puis des Jeunes-Turcs, est complètement supprimée[10]. L'école devient par ailleurs mixte et laïque.

Mustafa Kemal ouvre les portes du Parti Républicain aux femmes et les encourage à devenir avocates ou médecins. Il nomma deux femmes juges au tribunal d'enfants d'Ankara et fit élire quatre femmes au conseil municipal de la ville d'Istanbul. [réf. souhaitée]

Au milieu des années 1930, dix-huit femmes sont élues au parlement national. Plus tard, la Turquie sera le premier pays du monde à avoir une femme parmi les juges de la Cour suprême. [réf. souhaitée]

La culture et les arts

D'après Atatürk, « La base de la République turque est la culture. » Il voyait sa nation et ses valeurs comme la plus grande civilisation du monde.

Par le passé, il a décrit la poussée idéologique de la Turquie moderne :

« Je suis persuadé que les méthodes d’enseignement et d’éducation, appliquées jusqu’à présent, sont les facteurs les plus importants de la régression de notre nation. De ce fait, j’entends par le programme d’éducation nationale une culture entièrement dépourvue des superstitions du passé, des idées étrangères qui n’ont aucun rapport avec notre nature et des influences venues de l’Orient et de l’Occident et convenant à notre caractère national et à notre histoire ; car ce n’est qu’avec une telle culture que pourrait être assuré le développement de notre cause nationale. La culture est proportionnelle au milieu. Et cet élément est le caractère de la nation.[11] »

Afin de synthétiser cette nouvelle histoire turque, Atatürk souhaite utiliser les éléments de l'héritage national de la Turquie - ce qui inclut les cultures indigènes antiques - et également les arts et la culture des autres civilisations du monde. Il a soutenu l'étude des anciennes civilisations anatoliennes, telles que les Hittites, les Phrygiens, les Lydiens. Et l'étude de la culture préislamique des Turcs a été largement encouragée.

Les arts plastiques - dont le développement a été ralenti par les fonctionnaires de l'Empire Ottoman qui déclaraient que la reproduction des formes humaines était de l'idolâtrie - se sont épanouis sous la présidence d'Atatürk. Beaucoup de musées ont été ouverts, l'architecture a suivi des tendances plus modernes ; la musique, l'opéra et les ballets ont pris une plus grande place. L'activité littéraire et l'industrie cinématographique se sont largement développées par la suite.

Histoire du peuple turc

En 1932, le gouvernement kémaliste crée le Tarih Kurumu (Institut de l'Histoire), qui avait pour but d'explorer l'histoire turque. Réunissant un comité d'historiens, l'Institut était placé sous la direction personnelle d'Atatürk. Le but d'Atatürk, avec la création de cet institut, était de faire la promotion d'une quatrième identité. Pour lui, en effet, outre l'identité turque, ottomane et islamique, la Turquie est également européenne. Il était pleinement convaincu de l'européanité des Turcs ; c'est ainsi qu'il se lance dans une œuvre immense de transformation anthropologique[12]. Il n'hésite pas à réécrire l'histoire du peuple turc, affirmant que ce dernier n'est pas originaire de l'Asie centrale mais de l'Anatolie. Pour l'Institut, les Turcs descendraient des Hittites, qui se seraient dirigés vers l'Asie centrale avant de revenir en Anatolie.

Pour Hamit Bozarslan, outre le fait de promouvoir une identité européenne du peuple turc, le but était aussi d'avoir l'acte de propriété de l'Anatolie, notamment vis-à-vis des Arméniens[13]. Pour l'élite politique turque, il fallait justifier la présence du peuple turc ainsi que ses droits historiques dans cette région[14]. Par contre, pour Bernard Lewis, elle s'explique par la volonté de « mettre un peu de baume au cœur sur l'amour-propre turc, durement éprouvé depuis un siècle ou deux » et de « pallier l'effet démoralisateur d'une longue période de défaites et de retraites presque ininterrompues de la part des forces ottomanes, qu'aggravait encore la réaction inévitable aux préjugés occidentaux » contre les Turcs[15].

Les réformes politiques

Les réformes sociales

  • Attribution de droits égaux entre les hommes et les femmes (1926 - 1934). Après les élections de 1935, la Turquie compte une dizaine de députés femmes.
  • Loi sur les chapeaux et l'habillement, avec interdiction de port du fez et du foulard islamique ().
  • Loi sur les noms de famille : obligation est faite aux Turcs de se choisir un nom de famille ().
  • Fermeture des tekkes, des zaviyes (monastères musulmans) et des türbes (sanctuaires) ().
  • Suppression des titres et des surnoms ().
  • Adoption des systèmes internationaux pour l'heure, le calendrier et les poids et mesures (1925 - 1931).
  • En 1935, le repos hebdomadaire est fixé le samedi après-midi (à partir de 13 heures) et le dimanche, en remplacement du vendredi[9].

Les réformes juridiques

  • Abolition de la législation musulmane (1924 - 1937).
  • Mise en place du Code Civil suisse, du code criminel français, du code pénal italien, et du code commercial allemand. (1924 - 1937).
  • En 1928 l'Islam n'est plus religion d'État, elle demeure toutefois sous sa tutelle. Ainsi, l'État devient laïc.
  • En 1937, la laïcité de l'État devient un principe constitutionnel.

Les réformes culturelles et éducatives

  • Unification de l'enseignement et suppression des écoles religieuses ().
  • Adoption du nouvel alphabet turc basé sur l'alphabet latin (), connue sous le nom de « Révolution des signes ».
  • Fondation du Türk Dil Kurumu (Institut de la Langue Turque) et du Tarih Kurumu (Institut de l'Histoire) (1931 - 1932). Elle avait pour but d'explorer l'histoire turque.
  • Réforme de l'Université ().
  • Afin d'assurer l'autosuffisance de la Turquie, Kemal Atatürk remplace le café, boisson favorite des Turcs mais importée, par le thé, qui peut être produit en Anatolie. En 2005, les Turcs consomment environ un kilogramme de thé par semaine et par famille (le thé turc est toutefois peu tannique et peu parfumé).

Les réformes économiques

  • Abolition de la dîme (aşar), un impôt qui était reversé aux autorités religieuses.
  • Turquification (c'est-à-dire nomination de cadres turcs ou turcophiles) de la Banque ottomane, sous la responsabilité de Berç Keresteciyan, directeur général de la banque de 1914 à 1927, soutien financier du mouvement kémaliste pendant la guerre d'indépendance, et futur député d'Afyon de 1935 à 1946[16]. Création de banques turques.
  • Valorisation du métier d'agriculteur, la rationalisation et l'extension des crédits accordés par la Banque Agricole permirent à la paysannerie d'acheter du matériel agricole moderne, de rénover leurs fermes qui deviennent ainsi plus spacieuses et plus propres. Les maladies contagieuses ont connu une baisse sensible et le taux de fécondité augmente.
  • Établissement de « fermes modèles »: l'agriculture est alors modernisée sur le modèle européen avec l'utilisation de tracteurs et l’introduction de l’irrigation et la création de coopératives. En 1925, il y avait une vingtaine de tracteurs dans le pays ; ce chiffre augmente jusqu'à 34 000 en 1953. Dans le même temps, près de 15 000 fontaines ont été construites par le gouvernement.
  • « Loi de l'encouragement à l'industrie »
  • Mise en application de deux « plans de développement » (1933 - 1937). Le gouvernement kémaliste lance le « Programme d'industrialisation nationale », un programme de développement économique réalisé avec l'aide soviétique. Ce plan avait pour but d'encourager les entreprises à s'installer en Anatolie et à trouver les matières premières dont elles avaient besoin pour se développer. Les premières grosses entreprises turques furent des fabriques de sucre et de ciment. En 1928, le gouvernement entreprend la construction de puissantes centrales électriques pour fournir à l'industrie naissante l'énergie dont elle avait besoin. Des fonderies, des aciéries, des fabriques de céramique, des usines de produits chimiques et des papeteries sont créées.

Références

  1. Citation d'Atatürk
  2. Joséphine Dédet « Atatürk abolit le califat », Jeune Afrique, 29 février 2005
  3. Sécularisme, laïcisme et identité européenne dans la Turquie du XXIe siècle, par Massimo Introvigne
  4. http://www.herodote.net/3_mars_1924-evenement-19240303.php
  5. Bernard Lewis, Islam et Laïcité. L'émergence de la Turquie moderne, Paris, Fayard, 1988, p. 235.
  6. Ainsi que les écoles chrétiennes
  7. Alexandre Adler : Rendez vous avec l'Islam, p. 170 ; Dirk Halm et Faruk Sen (éd.), Exil sous le croissant et l'étoile. Rapport d'Herbert Scurla sur l'activité des universitaires allemands en Turquie pendant le IIIe Reich, Paris, Turquoise, 2009 ; Arnold Reisman, Turkey's Modernization: Refugees From Nazism and Atatürk's Vision, Washington, New Academia Publishing, 2006.
  8. Bernard Lewis, Islam et Laïcité…, p. 241-244.
  9. Bernard Lewis, Islam et Laïcité…, p. 253.
  10. Bernard Lewis, Islam et Laïcité…, p. 237-240.
  11. Citation d'Atatürk
  12. Sécularisme, laïcisme et identité européenne dans la Turquie du XXIe siècle
  13. Voir le bas de cette section : Anatolie#Origine et Antiquité
  14. Documentaire de Séverine Labat : Mustapha Kémal, naissance d'une république
  15. Bernard Lewis, Islam et Laïcité…, p. 315.
  16. Cemil Koçak, An Armenian at the Turkish Parliament in the early republican period: Berç Türker-Keresteciyan (1870-1949), mémoire de master, université Sabanci, Istanbul, 2005, p. 87-88.

Bibliographie

    • Ouvrages généraux
  • Tekin Alp, Le Kémalisme, éd. Félix Alcan, 1937.
  • Georges Duhamel, La Turquie, nouvelle puissance d'Occident, Mercure de France, 1953.
  • Paul Dumont, Mustapha Kemal invente la Turquie moderne, Bruxelles, éd. Complexe, 1983, rééd. 1997 et 2006 (Ouvrage couronné par l'Académie française)
  • Bernard Lewis, Islam et Laïcité. L'émergence de la Turquie moderne, Paris, Fayard, 1988.
  • Jean-Paul Roux, Mustafa Kemal Atatürk et la Turquie nouvelle, Paris, Maisonneuve et Larose, 1982.
  • Menter Sahinler, Origine, influence et actualité du kémalisme, éd. Publisud, 1995.
  • Jean-Yves Schapiro et alii., L'Orient à l'assaut du ciel. Anti-impérialistes et tiers-mondistes, éd. Martinsart, 1977 (préface de Jean Lacouture)
  • Semih Vaner (dir.), La Turquie, éd. Fayard, 2005.
    • Biographies d'Atatürk
  • Jacques Benoist-Méchin, Mustapha Kemal ou la mort d'un empire, éd. Albin Michel, 1954.
  • Alexandre Jevakhoff, Kemal Atatürk, les chemins de l'Occident, éd. Tallandier, 1989.
  • Lord Kinross, Atatürk, Londres, éd. Weidenfeld and Nicolson, 1964.
  • Andrew Mango, Atatürk, Londres, Overlook Hardcover, 2000, nouv. éd., 2004. Traduction française : Mustafa Kémal Atatürk, éd. CODA, 2006.
    • Laïcisation et autres réformes politiques
  • Niyazi Berkes, The Development of Secularism in Turkey, New York, éd. Routledge, 1998.
  • Jean-Paul Burdy, « Modernité autoritaire et extension des droits civiques : le suffrage universel octroyé aux femmes dans la Turquie kémaliste des années 1930 », dans Gérard Chianea et Jean-Luc Chabot (dir.), Les Droits de l'homme et le suffrage universel, éd. de l'Harmattan, 2000.
  • Thierry Zarcone, La Turquie moderne et l'islam, éd. Flammarion, 2004.
    • Réformes économiques et sociales
  • Ilhan Basgöz et Howard N. Wilson, Educationnal Problems in Turquey. 1920-1940, Indiana University Press, 1968.
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  • Orhan Konker et Émile Witmeur, Redressement économique et industrialisation de la nouvelle Turquie, éd. Sirey, 1937.
  • Arnold Reisman, Turkey's Modernization: Refugees From Nazism and Atatürk's Vision, Washington, New Academia Publishing, 2006.

Articles connexes

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