Qualia

Les qualia (prononcé [kwa.lja]; au singulier quale; du latin qualis qui signifie quel, de quelle sorte, de quelle espèce, de quelle nature[1]), ou conscience phénoménale, sont le contenu subjectif de l'expérience d'un état mental. La compréhension des qualia est l'un des problèmes centraux de la philosophie de l'esprit. Des scientifiques et des philosophes des sciences regrettent que l'existence des qualia ne peut pas s'expliquer par les neurosciences et les sciences cognitives.

Les couleurs sont un problème classique des qualia : comment l'expérience des couleurs émerge-t-elle lors du traitement de certaines ondes lumineuses par le cerveau ?

La première utilisation du terme date de 1866 par le philosophe américain Charles S. Peirce[2], mais ce n'est qu'en 1929 qu'il est défini par C. I. Lewis dans le livre Mind and the World Order[3] au sens philosophique actuel comme « caractères reconnaissables du donné qui peuvent être reconnus et sont donc une sorte d’universaux ». Un synonyme commun pour le terme qualia dans la littérature est le terme anglais "raw feels".

Définition

Les qualia sont les propriétés de la perception et généralement de l'expérience sensible. C'est ce qu'on expérimente lorsqu'on perçoit ou ressent quelque chose : qu'est-ce que ça fait de voir un objet rond, rouge et granuleux ? Les qualia constituent ainsi l'essence même de l'expérience de la vie et du monde. Ce sont des phénomènes psychiques et donc subjectifs, constitutifs des états mentaux[4]. On distingue généralement :

Par définition, les qualia sont inconnaissables en l'absence d'une intuition directe : on ne peut pas faire connaître le rouge, ou la couleur en général, à quelqu'un qui ne la connaît pas directement. Ils sont donc aussi incommunicables. L'existence et la nature de ces qualités sensibles constituent l'un des débats les plus importants de la philosophie de l'esprit. Cette importance tient au fait que l'hypothèse des qualia constitue une réfutation du physicalisme, dans la mesure où on les tient pour des phénomènes irréductibles[réf. nécessaire].

Le philosophe américain Daniel Dennett distingue quatre propriétés généralement attribuées aux qualia[réf. nécessaire][5] :

  • les qualia sont ineffables, on ne peut les communiquer, ni les appréhender autrement que par expérience directe ;
  • les qualia sont intrinsèques ou immédiats : ce ne sont pas des propriétés relationnelles ;
  • les qualia sont privés : toute comparaison interpersonnelle est impossible ;
  • ils sont appréhendés directement par la conscience, i.e. avoir l'expérience d'un quale, c'est savoir que l'on a l'expérience d'un quale et savoir tout ce que l'on peut savoir sur ce quale.

Les arguments

Qualia opposés de deux personnes regardant des fraises.

Les arguments concernant les qualia se présentent généralement sous la forme d'expériences de pensée, par exemple, le spectre inversé : il serait possible de concevoir un changement de notre perception des couleurs indépendamment de notre cerveau ou de notre corps. De tels qualia n'auraient donc aucun fondement physique. L'expérience de pensée contemporaine la plus connue à ce sujet est celle de Frank Cameron Jackson, sur la connaissance des couleurs[réf. nécessaire].

Frank Jackson a cependant depuis rejeté l'argument de la connaissance[réf. nécessaire], ainsi que d'autres arguments contre le physicalisme. Frank Jackson fait valoir que les arguments entraînés par l'intuition contre le physicalisme (tels que l'argument de la connaissance et l'argument zombie) sont finalement trompeurs.

Dans son ouvrage Le Code de la conscience, Stanislas Dehaene rappelle, pour pouvoir les critiquer ensuite[6] :

  • Ned Block, philosophe de l'université de New-York, estime[7] que les avancées neuroscientifiques sur la conscience sont incapables d'élucider ce qu'est un « qualia en tant que quantum d'expérience subjective, un état d'âme à l'état brut, ou autrement dit, "ce que cela fait" de ressentir une rage de dents ou la beauté d'un coucher de soleil ».
  • David Chalmers, philosophe de l'université d'Arizona, juge[8] que même si la théorie de l'espace de travail neuronal global « parvenait à rendre compte des opérations conscientes et inconscientes, jamais elle n'expliquerait l'énigme de la subjectivité : le ressenti intime [éprouvé] au plus profond du "Moi" ».

Arguments défavorables

Dans La Conscience expliquée, Daniel Dennett a tenté de montrer que ce que nous concevons des qualia est pris en défaut quand nous tentons d'en faire l'application. En effet, dans l'expérience du spectre inversé, il serait en réalité impossible de faire la différence entre un changement physique de nos perceptions et un changement de notre connaissance des qualia.

Dans son ouvrage Le Code de la conscience[6], Stanislas Dehaene, 2009, critique « les intuitions imprécises » des philosophes des sciences cognitives et prédit que « dans quelques décennies, la notion même de qualia, ces quanta d'expérience pure, dépourvus de tout rôle dans le traitement de l'information, sera considérée comme une idée étrange de l'ère préscientifique. Ce débat aura la même issue que celui du vitalisme – l'idée erronée du XIXe siècle selon laquelle, quelle que soit la quantité de détails accumulés sur la biochimie des organismes, nous ne rendrons jamais compte de ce qu'est le vivant. [...] De la même manière, la science de la conscience va grignoter, petit à petit, chacun des aspects du problème difficile de la conscience [car] elle rend déjà compte d'une fraction importante des expériences subjectives [...]. Une fois revisité à l'aune des neurosciences cognitives et de l'informatique, le problème difficile de Chalmers s'évaporera sans laisser de traces. Ce ne sera pas la première fois que la science remettra en cause [les] intuitions les plus sûres (lever de soleil qui est une rotation de la Terre dans le sens opposé) ».

Quelques questions à propos des qualia

  • Les qualia existent-ils ?
  • Quels états mentaux ont des qualia ?
  • Les animaux ont-ils des qualia ?
  • Quelles relations entre les qualia et le rôle causal de l'état mental ?
  • Quelles relations entre les qualia et le cerveau ?

Qualia et conscience artificielle

Si l'on programmait un réseau de neurones semblable au cerveau humain sur un support informatique, le traitement informationnel et le comportement résultant générés par l'ordinateur s'apparenteraient en tout point à celui effectué par l'homme, auraient-ils alors les mêmes qualia que l'homme ? Si oui le traitement informationnel en lui-même générerait la conscience indépendamment du support. Si non la génération de conscience dépendrait du support et il est possible que la conscience avec qualia résulte de phénomènes physiques se déroulant dans notre cerveau[réf. nécessaire].

Dans son ouvrage Le Code de la conscience, Stanislas Dehaene[9] argumente (à partir de faits réels comme la Google Car) et justifie que « ni la notion de qualia, ni celle de libre arbitre ne constituent un obstacle philosophique sérieux à l'idée d'une machine consciente. »

Notes et références

  1. Félix Gaffiot, Dictionnaire latin-français (éd. de poche), Hachette, 2001 (ISBN 2011679400)
  2. Charles S. Peirce: Collected Papers. Belknap Press of Harvard University Press, Cambridge [1866] 1958–1966 (Nachdr.), § 223.
  3. Clarence Irving Lewis: Mind and the World Order. Outline of a Theory of Knowledge. Charles Scribner's sons, New York 1929, S. 121; Dover, New York 1991 (Nachdr.). (ISBN 0-486-26564-1).
  4. (en) Lauri Nummenmaa, Riitta Hari, Jari K. Hietanen et Enrico Glerean, « Maps of subjective feelings », Proceedings of the National Academy of Sciences, vol. 115, no 37, , p. 9198–9203 (ISSN 0027-8424 et 1091-6490, PMID 30154159, PMCID PMC6140475, DOI 10.1073/pnas.1807390115, lire en ligne, consulté le )
  5. (en) Dennett, Daniel C., « Quining Qualia. In: Marcel, A. & Bisiach, E. (eds.) Consciousness in Modern Science », Oxford University Press,
  6. Dehaene 2013, p. 355 et 356
  7. Ned Block, Paradox and cross purposes in recent work on consciousness, 2001, Cognition, 79 (1-2), 197 - 219 ; Ned Block, Consciousness, accessibility, and the mesh between psychology and neuroscience, 2007, Behavioral and brain Sciences, 30 (5-6), 481 - 499 + 499 - 548
  8. David Chalmers, The Conscious Mind, 1996, New York, Oxford University Press,
  9. Dehaene 2013, p. 360

Voir aussi

Bibliographie

Articles connexes

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