Point de vue du Gras

Le Point de vue du Gras est la première photographie (ou héliographie : littéralement « écriture par le soleil » ou « gravure par la lumière ») permanente réussie et connue de l'histoire de la photographie, prise par l'inventeur français Nicéphore Niépce (1765-1833) en 1827 dans sa maison de Saint-Loup-de-Varennes près de Chalon-sur-Saône en Saône-et-Loire.

Description

Niépce réalise cette photographie à l'aide d'une chambre noire et d'une plaque d'étain polie recouverte de bitume de Judée de 16,2 × 20,2 centimètres[1] ou 16,7 × 20,3 × 0,15 centimètres[2] selon les sources. Le fait que le soleil illuminât tous les bâtiments des deux côtés a longtemps fait considérer comme évident que le temps de pose avait été d'une journée entière[3], mais après avoir reconstitué le procédé dans les années 1990 et en s'appuyant sur les témoignages d'époque[4], Marignier a démontré que le temps de pose avait dû être de plusieurs jours[5],[6].

Historique

À partir de 1816, Nicéphore Niépce entreprend dans sa maison de Saint-Loup-de-Varennes de multiples recherches sur la photosensibilité des matériaux pour tenter de fixer sur un support l'image du fond d'une chambre noire. En 1824, une tentative est faite en utilisant une pierre lithographique, mais l'image est à peine visible, c'est en tout cas ce que Niépce écrit à son frère Claude en septembre de la même année[7]. Il parvient finalement à un résultat à l'été 1827 au moyen d'une plaque d'étain recouverte de bitume de Judée (goudron naturel connu depuis l'Antiquité) rincée dans un bain d'essence de lavande. Il réalise depuis la fenêtre du premier étage de l'atelier de son domicile baptisé « Le Gras », la première héliographie / photographie de l'histoire de la photographie baptisée « point de vue du Gras » avec un niveau de netteté surprenant.

En 1828, Niépce améliore sa technique et obtient des images d’une qualité supérieure avec des demi-teintes sur un support à base d'argent poli et en faisant agir des vapeurs d'iode sur l'image au bitume. La précision des images est étonnante.

En 1829, il s'associe avec son confrère inventeur Louis Daguerre (1787-1851) pour concevoir à deux un second procédé photographique amélioré baptisé physautotype, précurseur du daguerréotype.

Après un voyage d'affaires infructueux au Royaume-Uni afin d'intéresser la Royal Society à son procédé, Niépce donne la photographie au botaniste Franz Bauer. Elle est exposée au public pour la dernière fois en 1898 et tombe dans l'oubli par la suite. Helmut Gernsheim, un historien de l'art, la refait connaître en 1952[8], et la compagnie Kodak en réalise une copie.

En 1963, l'université du Texas à Austin achète la photographie à Helmut Gernsheim. Elle est actuellement exposée au Harry Ransom Center (en)[2] et présentée dans un conteneur sous hélium, un gaz rare qui la protège de toute corrosion et noircissement.

La maison de Nicéphore Niépce, transformée en musée, a mis en ligne en temps réel sur son site web les images d'une webcam installée à la fenêtre depuis laquelle le cliché historique fut pris. Cette retransmission, aujourd'hui interrompue, a débuté le , à l'occasion du congrès At First Light consacré à Niépce et organisé au Harry Ransom Center[9].

Galerie

Postérité

En 2003, le magazine Life a listé le Point de vue du Gras parmi les « 100 photographies qui ont changé le monde »[10].

Entre 1995 et 1998, l'artiste Andreas Müller-Pohle s'est inspiré du Point de vue du Gras pour créer Digital Scores[11].

En 2005, Joan Fontcuberta a créé Googlegram: Nièpce, une photomosaïque reconstituant le Point de vue du gras à partir de 10 000 images numériques trouvées sur Google Images avec les mots-clés « photo » et « foto »[12].

Estimations de la date de prise de vue

La date généralement admise pour la prise de vue a été dans un premier temps 1826, jusqu'à ce qu'elle soit remise en cause en 1967 par Harmant et Marillier[13] qui, s'appuyant sur des lettres de Niépce, avancèrent qu'elle date de 1827, entre le et le .

Ainsi Helmut Gernsheim, qui a d'abord retenu la date de 1826 (dans un article de 1977 par exemple[14]), admit ensuite celle de 1827 (dans un ouvrage de 1982 par exemple[15]).

Grâce à une reconstitution virtuelle permettant de calculer les ombres en fonction de la date, Jean-Louis Marignier a d'abord estimé, en 2008, que la période de prise de vue la plus probable était la deuxième quinzaine de [6], avant de recentrer son estimation autour du solstice d'été[16], fin juin.

Analyses scientifiques

La photographie a été analysée par des scientifiques du Getty Conservation Institute (en) en 2002-2003[17]. Les résultats en ont été dévoilés le lors du congrès At First Light[18].

Références

  1. « Catalogue des œuvres de Niépce », sur photo-museum.org, Maison de Nicéphore Niépce.
  2. (en) « The Niépce Heliograph », Harry Ransom Center (en).
  3. Vidéo du musée.
  4. « Procédé de M. Daguerre », Le Constitutionnel, no 232, , p. 2 (lire en ligne).
  5. Jean-Louis Marignier, Niépce : L'invention de la photographie, Paris, Belin, coll. « Un savant, une époque », , 592 p. (ISBN 2-7011-2433-6), p. 536.
  6. Jean-Louis Marignier, « Aux origines de la photographie : Nicéphore Niépce », Communications, Académie des beaux-arts, , p. 80 [53–84] (lire en ligne).
  7. Jean de Loisy et Sandra Adam-Couralet, « "Point de vue du Gras" de Nicéphore Niépce », Les Regardeurs, France Culture, (consulté le ).
  8. Irène Gernsheim, « Helmut Gernsheim redécouvre Nicéphore Niépce », dans Nicéphore Niépce : une nouvelle image (actes du colloque, 15-16 janvier 1998, Chalon-sur-Saône), Chalon-sur-Saône, Société des amis du musée Nicéphore Niépce, , 219 p. (ISBN 2-907284-19-3).
  9. (en) « Live web broadcast » (version du 4 décembre 2003 sur l'Internet Archive), Maison de Nicéphore Niépce, sur niepce.com. Version enregistrée par Internet Archive le 4 décembre 2003.
  10. (en) Robert Sullivan (dir.), 100 Photographs that Changed the World, New York, Life, , 176 p. (ISBN 1-931933-84-7), « Pigeon House and Barn 1827 », p. 13, reproduit dans (en) « Pigeon House and Barn 1827 », The Digital Journalist (en), no 71, (lire en ligne).
  11. (en) « Digital Scores (after Nicéphore Niépce). 1995–1998 », sur le site d'Andreas Müller-Pohle.
  12. (en) Kaja Silverman (en), The Miracle of Analogy : Or The History of Photography, vol. 1, Stanford University Press, , 239 p. (ISBN 978-0-8047-9327-8 et 978-0-8047-9399-5), p. 60–65.
  13. (en) Pierre-Georges Harmant et Paul Marillier, « Some Thoughts on the World's First Photograph », The Photographic Journal (en), vol. 107, no 4, , p. 130–140 (lire en ligne), trad. « À propos de la plus ancienne photographie du monde », Photo-Ciné-Revue, , p. 231–237.
  14. (en) Helmut Gernsheim, « The 150th Anniversary of Photography », History of Photography, vol. 1, no 1, , p. 3–8 (DOI 10.1080/03087298.1977.10442876, lire en ligne), trad. Irène Gernsheim, « La première photographie au monde », Études photographiques, no 3 « Frontières de l'image / Le territoire et le document », (lire en ligne).
  15. (en) Helmut Gernsheim, The Origins of Photography, Londres et New York, Thames & Hudson, , 280 p. (ISBN 0-500-54080-2), p. 34.
  16. Jean-Louis Marignier, « Histoire de la redécouverte des procédés de l'invention de la photographie par Nicéphore Niépce », Histoire de la recherche contemporaine, vol. 1, no 2, , p. 145-156 (DOI 10.4000/hrc.171).
  17. (en) « Photographic Processes Research », sur getty.edu, Getty Conservation Institute (en).
  18. (en) « Results of Scientific Study on the First Photograph Unveiled during "At First Light, Niépce and the Dawn of Photography" », communiqué de presse, Harry Ransom Center, .

Voir aussi

Articles connexes

Liens externes

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