Platonisme mathématique

Le platonisme mathématique ou « réalisme en mathématiques » est une théorie épistémologique qui fonde l'objectivité scientifique sur l'existence d'entités mathématiques, nombres, grandeurs, figures géométriques ou structures, comme des êtres autonomes qui ne sont pas des artefacts de l'esprit humain. Ce ne sont pas des abstractions tirées du monde sensible, connues par les sens, ni de pures conventions, ni de simples instruments, mais des êtres jouissant d'une existence propre, comme les Idées de Platon, voire d'une dynamique propre, comme des entités biologiques ou les « effluves » de Plotin.

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L'enseignement oral de Platon

Platon dans son enseignement oral (vers 350 av. J.-C. ?) :

« Outre l'existence des choses sensibles et des Idées, Platon admet celle des Choses mathématiques [Nombres, Lignes, Surfaces, Solides], qui sont des réalités intermédiaires (Metaxu ), différentes, d'une part, des Choses sensibles, en ce qu'elles sont éternelles et immobiles, et, d'autre part, des Idées, en ce qu'elles sont une pluralité d'exemplaires semblables, tandis que l'Idée est en elle-même une réalité une, individuelle et singulière. »

 Aristote, Métaphysique, A, 6 ; B 1 ; K, 1 ; M, 1)

L'argument d'indispensabilité pour le réalisme mathématique

Cet argument associé avec Willard Van Orman Quine et Hilary Putnam (aussi appelé l'argument d'indispensabilité de Quine-Putnam) soutient l'existence d'objets mathématiques abstraits, comme les nombres ou les ensembles[1].

L'argument est le suivant:

  • (P1) Nous devons nous engager sur l'existence de toutes les entités qui sont indispensables à nos meilleures théories scientifiques.
  • (P2) Les entités mathématiques sont indispensables à nos meilleures théories scientifiques.
  • (C) Donc, nous devons nous engager sur l'existence des entités mathématiques.

Un des points de débat est de trouver des exemples en science soutenant la deuxième prémisse (P2). En biologie le comportement périodique des cigales a été proposé comme exemple soutenant cette prémisse[2].

Positions paradigmatiques de mathématiciens modernes

« Je vous ferais bondir, si j'osais vous avouer que je n'admets aucune solution de continuité, aucune coupure entre les mathématiques et la physique, et que les nombres entiers me semblent exister en dehors de nous et en s'imposant avec la même nécessité, la même fatalité que le sodium, le potassium, etc. »

 Correspondance avec Stieltjes, janv. 1889, Paris, éd. Gauthier-Villars, 1905, t. I, p. 332

« La structure d’une chose n’est nullement une chose que nous puissions « inventer ». Nous pouvons seulement la mettre à jour patiemment, humblement en faire connaissance, la « découvrir ». S’il y a inventivité dans ce travail, et s’il nous arrive de faire œuvre de forgeron ou d’infatigable bâtisseur, ce n’est nullement pour « façonner », ou pour « bâtir », des « structures ». Celles-ci ne nous ont nullement attendues pour être, et pour être exactement ce qu’elles sont ! Mais c’est pour exprimer, le plus fidèlement que nous le pouvons, ces choses que nous sommes en train de découvrir et de sonder, et cette structure réticente à se livrer, que nous essayons à tâtons, et par un langage encore balbutiant peut-être, à cerner. »

 A. Grothendieck, Récoltes et semailles, p. P27, Université des sciences et technologies du Languedoc, Montpellier, 1985.

Analyses d'épistémologues contemporains

« La réalité inhérente aux théories mathématiques leur vient de ce qu'elles participent à une réalité idéale qui est dominatrice par rapport à la mathématique, mais qui n'est connaissable qu'à travers elle. »

 Albert Lautman, Communication au IXe Congrès international de philosophie, Paris, 1937, in Actualités, n° 535, VI, p. 143, 1937

Une analyse critique de Jacques Bouveresse souligne qu'on observe « un « flottement terminologique » autour de ce terme, dont il ne s’agit certes pas de reconstituer l’histoire mais dont il est utile de distinguer les différents sens. Le sens généralement accepté est celui d’une option philosophique qui consiste à considérer – avec Platon – les objets mathématiques comme indépendants de notre activité de pensée et de connaissance. Avant Bernays, des penseurs comme Fraenkel et Heinrich Scholz ont réfléchi à ce platonisme mathématique, mais c’est surtout Poincaré qui a initié ce débat, en opposant les Cantoriens et les Pragmatistes (les premiers seraient platoniciens, ce que considère aussi Paul Bernays). Un des problèmes fondamentaux, qui est tout à fait mis en évidence dans l’article de Bernays, est la tendance actuelle à considérer comme un synonyme l’expression « réalisme mathématique ». Pour Bouveresse donc, platonisme signifie un sens fort de réalisme, il affirme « l’indépendance des êtres mathématiques non seulement par rapport aux formes a priori de la sensibilité et a fortiori par rapport aux données de la connaissance sensible en général, mais également par rapport à l’intellect, y compris, pour ceux qui veulent être tout à fait cohérents, par rapport à un intellect divin ».Ce que fait ainsi ressortir Bouveresse, c’est l’exigence qu’une telle position philosophique recèle. De plus, il désigne deux types de problèmes que Bernays aborde tous deux et qui nous donneront une piste pour analyser sa position : un problème de type métaphysique, et plus précisément ontologique, concernant le mode d’existence des objets mathématiques (les objets mathématiques ont-ils oui ou non une existence qui est indépendante des opérations mentales par lesquelles nous réussissons à les atteindre ?) ; et un problème de type épistémologique, concernant le statut que la mathématique, dans sa pratique, donne à ses objets (de quels moyens disposons-nous réellement pour réussir à identifier les objets mathématiques et quels sont les objets mathématiques que nous pouvons espérer atteindre par ces moyens ?)[3]. »

Annexes

Bibliographie

  • Paul Bernays (avec David Hilbert), Grundlagen der Mathematik, I-II, Berlin, 1934/1939.
  • Albert Lautman, Essai sur les notions de structure et d'existence en mathématiques, 1938. Actualités, no 591, 1938.
  • J. Hadamard, trad. de l'anglais Jacqueline Hadamard, Essai sur la psychologie de l'invention dans le domaine mathématique, Librairie scientifique Albert Blanchard, Paris, 1959.
  • Marie-Dominique Richard, L'enseignement oral de Platon, Cerf, 1986.
  • J. Petitot, « Mathématique et Ontologie », in F. Minazzi & L. Zanzi, La scienza tra Filosofia e Storia in Italia nel Novecento, p. 191-211, Istituto poligrafico et zecca dello stato, Rome, 1987.
  • J. Petitot, « Pour un platonisme transcendantal », in J. Petitot & J. M. Salanskis, L'objectivité mathématique, p. 147-178, Masson, Paris, 1995.
  • J. M. Salanskis, « Platonisme et philosophie des mathématiques », in J. Petitot & J. M. Salanskis, L'objectivité mathématique, p. 179-212, Masson, Paris, 1995.
  • J. Merker, « L’ontologie explicite des théorèmes d’existence en mathématiques », in Séminaire de philosophie et mathématiques, no 6, p. 1-67, E.N.S., Paris, 18 décembre 1996.
  • Franck Fischer, "Encore la question des intermédiaires mathématiques en «République» VI!", in Revue Philosophique de Louvain (2004, 102-1 pp. 1-34).
  • Hamdi Mlika, Quine et l'antiplatonisme , coll. Épistémologie philo sciences, L'Harmattan, Paris, mars 2007 (ISBN 978-2-296-03033-6), 262 p.
  • Marco Panza et Andrea Serini, Introduction à la philosophie des mathématiques, Le problème de Platon, Champs essais, Flammarion, septembre 2013 (ISBN 978-2-0812-7083-1).
Exposé des débats autour du platonisme mathématique, essentiellement de Frege à Quine et centré sur un dilemme de Benacerraf ainsi que sur « l'argument d'indispensabilité ».

Sources

  1. Colyvan, Mark, Indispensability Arguments in the Philosophy of Mathematics, The Stanford Encyclopedia of Philosophy (édition automne 2014), Edward N. Zalta (ed.).
  2. Baker, Alan. "Are there genuine mathematical explanations of physical phenomena?." Mind 114.454 (2005): 223-238.
  3. Bouveresse J., Sur le sens du mot « platonisme », Conférence du 19 novembre 1998 à l’Université de Genève

Articles connexes

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