Perspectivisme

Le perspectivisme désigne les doctrines philosophiques qui défendent l'idée que la réalité se compose de la somme des perspectives que nous avons sur elle. Autrement dit, ce sont les différents points de vue que nous avons sur elle qui la constituent. On trouve des développements significatifs de cette idée chez Montaigne, Leibniz, Nietzsche, Ortega y Gasset, entre autres. On en perçoit quelques traces chez Pascal également.

Le perspectivisme rejette l'idée que l'homme puisse avoir accès à une réalité objective, indépendamment d'une situation, d'un contexte culturel ou d'une appréciation subjective. Il n'y a pas de faits objectifs ou en soi, pas plus qu'il n'y a de connaissance d'une chose sans la perspective d'un sujet connaissant. Par conséquent, il n'y a pas d'absolu métaphysique, épistémologique ou moral.

En philosophie

Montaigne accepte la variation des points de vue dans l'espace ou dans le temps, et l'applique à l'étude de soi : "Je donne à mon ame tantost un visage, tantost un autre, selon le costé où je la couche. Si je parle diversement de moy, c'est que je me regarde diversement."[1]

Blaise Pascal, dans son Essay pour les coniques (1640), montre que le même cône, selon la position du plan où on le projette, donne des figures géométriques bien différentes. "Par le mot section de cône nous entendons la circonférence du cercle, l'ellipse, l'hyperbole, la parabole et l'angle rectiligne, d'autant qu'un cône coupé parallèlement à sa base ou par son sommet ou des trois autres sens qui engendrent l'ellipse, l'hyperbole et la parabole engendre dans la superficie conique ou la circonférence d'un cercle ou un angle ou l'ellipse ou l'hyperbole ou la parabole." . Passant à la philosophie stricte, Pascal pose son perspectivisme : "Les choses sont vraies ou fausses selon la face par où on les regarde" (Pensées , no 99 éd. Brunschvicg).

L'univers de Leibniz est composé de substances qui sont autant de points de vue individuels différents. "Toute substance est comme un monde entier et comme un miroir de Dieu ou bien de tout l’univers, qu’elle exprime chacune à sa façon, à peu près comme une même ville est représentée diversement selon les différentes situations de celui qui regarde. Ainsi l’univers est en quelque façon multiplié autant de fois qu’il y a de substances, et la gloire de Dieu est redoublée de même par autant de représentations toutes différentes de son ouvrage"[2]. La notion de perspectivisme est utilisée par la critique pour désigner "la multiplication des points de vue individuels"[3] sur la réalité.

Selon Ortega y Gasset, le perspectivisme apparaît comme une solution philosophique équilibrée entre le rationalisme et le relativisme. Entre la vérité du rationalisme, qui est une vérité universelle mais sans vie, et la vérité du relativisme, qui est une vérité singulière mais qui ne vaut que pour l'individu, le perspectivisme pose que la vérité dépend d'une perspective déterminée, valide depuis un point de vue particulier, mais complémentaire des autres points de vue. C'est sur cette base philosophique que le philosophe espagnol peut affirmer que "chaque génération a une vocation historique"[4]. Une perspective n'est pas une fiction, mais une dimension de la réalité, son "organisation" même [5].

En ethnologie

L'anthropologue brésilien Eduardo Viveiros de Castro théorise sous le nom de "perspectivisme" le fait que certains peuples ne pensent pas seulement que les animaux se comportent comme des humains mais que, réciproquement, les animaux perçoivent les humains comme des animaux, comme si le point de vue d'une espèce sur les autres dépendait toujours du corps où elle réside[6]. Philippe Descola a lié cette conception à l'animisme[7].

Bibliographie

  • Friedrich Kaulbach: Philosophie des Perspektivismus: Wahrheit und Perspektive bei Kant, Hegel und Nietzsche. Mohr Siebeck, Tübingen 1990, (ISBN 978-3-16-145641-1)
  • Ortega y Gasset: El tema de nuestro tiempo, 1923.
  • Benoît Timmermans (éd.) Philosophie de la perspective, Paris, Vrin, 2006.
  • Eduardo Viveiros de Castro, "Perspectivisme et multinaturalisme en Amérique indigène", trad. de l'an., Journal des anthropologues, no 138-139, 2016, p. 161-181.
  • Emmanuel Alloa, Partages de la perspective, Paris, Fayard, 2020 (ISBN 978-2-21-371663-3).

Articles connexes

Références et notes

  1. Montaigne, Les Essais, livre I, "De l'inconstance de nos actions", éd. P. Villey, Paris, Puf, 1924, p. 335
  2. Leibniz, Discours de Métaphysique, 1686, art. IX.
  3. Martine de Gaudemar, Relativisme et perspectivisme chez Leibniz", Dix-septième siècle2005/1 (n° 226), pp. 111-134 : « À titre indicatif, j’appelle perspectivisme chez Leibniz sa multiplication des points de vue individuels, et méthode perspective son appel à varier ces points de vue. J’appelle en revanche relativisme la conséquence erronée qui pourrait en être tirée selon laquelle tous ces points de vue seraient équivalents, auraient même valeur ».
  4. Ortega y Gasset, Cada generación tiene vocación histórica dans El tema de nuestro tiempo, Obras Completas. Revista de Occidente, Madrid, 1955, p. 151
  5. La perspectiva es uno de los componentes de la realidad. Lejos de ser su deformación, es su organización (ibid.).
  6. Eduardo Viveiros de Castro, "Perspectivisme et multinaturalisme en Amérique indigène", trad. de l'an., Journal des anthropologues, no 138-139, 2016, p. 161-181. . François Héran, "Vers une sociologie des relations avec la nature", Revue française de sociologie, vol. 48, 2007.
  7. Philippe Descola, Par-delà nature et culture, Gallimard, 2005.
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