Nouvelle société

La nouvelle société est le nom donné au projet politique préconisé par Jacques Chaban-Delmas, Premier ministre de Georges Pompidou, lors de son discours d'investiture en 1969. D'inspiration centriste, il pense répondre à la crise de Mai 68 par un progressisme contractuel qui laisse une large place au dialogue social, à une plus grande liberté d'expression et à une ouverture politique (par exemple à des syndicalistes chrétiens comme Jacques Delors).

L'idée d'une France symbolisée par le Concorde, le France, et une ORTF innovante et politiquement plus ouverte séduit une partie centriste de l'opinion mais elle exaspère Pompidou, ses conseillers (Marie-France Garaud et Pierre Juillet), ainsi que ses alliés libéraux comme Valéry Giscard d'Estaing qui y voient un jeu personnel et politiquement irresponsable.

Genèse

Nommé Premier ministre par Georges Pompidou à la suite de son élection à la présidence de la République, Chaban-Delmas prépare avec son équipe son discours de politique générale. Bien qu'assuré de recueillir une majorité à l'Assemblée nationale, le discours est préparé par Matignon en coordination avec le cabinet du président[1].

Le discours doit permettre à Chaban-Delmas de fixer une ligne politique pour le septennat de Georges Pompidou[2]. Il s'inspire de son expérience en tant que maire de Bordeaux[3]. Toutefois, peu satisfait de la teneur du discours, il est réécrit jusqu'au jour où il est prononcé, notamment par Yves Cannac et Simon Nora[4]. La version finale n'est pas présentée à Pompidou[1].

Contenu

Dans son discours de politique générale, tenu à l'Assemblée nationale le , Jacques Chaban-Delmas appelle de ses vœux une société « prospère, jeune, généreuse et libérée ».

Le constat de départ de Chaban-Delmas est que la France présente un certain retard par rapport à d'autres pays davantage développés sur le plan de l'industrie. Les deux principales raisons invoquées sont un poids trop important que la société a donné à l'État dans le domaine de l'économie depuis la Libération, et un archaïsme des structures sociales (Chaban parle de « société de castes »), qui empêcheraient la France de suivre le rythme des mutations internationales (développement exponentiel de l'industrie dans les pays riches) mais aussi nationales (boom démographique).

Il se propose d'y remédier en assouplissant et modernisant le rôle de l'État, tout en le rendant plus efficace. Concrètement, il souhaite donner une plus grande autonomie aux services publics : plus d’autonomie pour l'ORTF, constituée de deux chaînes concurrentes, ainsi que pour les universités ; restructuration du corps fiscal (qui selon Chaban est le reflet de la lourdeur et du manque d'efficacité de l'État). Le projet d'assouplissement de l'État a ainsi pour fil directeur la décentralisation[5],[6].

Les mesures visent également à favoriser l'émancipation et l'épanouissement de l'individu dans la société en réhabilitant largement les métiers techniques et manuels, ce qui doit également contribuer, dans une certaine mesure, au dynamisme économique du pays.

Enfin, il accorde une certaine importance à la justice et au dialogue social par la participation des salariés à la vie de l'entreprise, par des négociations entre patrons et syndicats favorisées par le gouvernement. En effet, selon lui, la France ne peut miser sur son développement économique sans se soucier des « ambitions humaines »[4].

Conséquences

Tensions entre Chaban-Delmas et Pompidou

Le discours crée une tension entre Chaban-Delmas et le président Pompidou[7].

La première raison est que le discours n'a pas été présentée au président avant d'être prononcée, contrairement à la volonté de Pompidou. Ensuite, le discours final n'a pas fait l'objet d'une concertation : l'idée de nouvelle société, que Chaban-Delmas avait soufflée à Pompidou durant l'élection présidentielle, avait été rejetée par ce dernier, qui la considérait comme une « fausse bonne idée »[7].

Ainsi, bien que le discours aille sur de nombreux points dans le sens des mesures de modernisation que Georges Pompidou souhaitait entreprendre, il est mal reçu par l'équipe présidentielle. Juillet, Garaud et Pompidou sont irrités par ce qu'il considère comme un crime de lèse-majesté présidentiel. Jacques Fauvet écrit d'ailleurs dans Le Monde que « le Premier ministre ayant fait la semaine dernière devant l'Assemblée nationale un discours de président de la République, le chef de l’État s'est trouvé condamné à faire une déclaration de chef de gouvernement devant la presse ».

D'un point de vue idéologique, ils considèrent que le discours remet en question la légitimité d'un appareil d'État fort[8].

Postérité

La démission contrainte de Jacques Chaban-Delmas en 1972 et l'échec de la nouvelle société achèvent le basculement du néo-gaullisme à droite. Les gaullistes de gauche se détachent définitivement de la majorité UDR.

La nouvelle société inspire dans une certaine mesure la culture de gouvernement de la deuxième gauche.

Notes et références

  1. Olivier Faye, La Conseillère, Paris, Fayard, , 256 p. (ISBN 978-2213700908)
  2. Le Point, (lire en ligne)
  3. Association "Chaban aujourd'hui.", La "Nouvelle société" de Jacques Chaban-Delmas: colloque du 16 septembre 2009 à l'Assemblée nationale, Economica, (ISBN 978-2-7178-5848-8, lire en ligne)
  4. Jean-François Sirinelli, Gilles le Béguec et Bernard Lachaise, Jacques Chaban-Delmas en politique, Presses Universitaires de France, (ISBN 978-2-13-080657-8, lire en ligne)
  5. Michel Phlipponneau, Décentralisation et régionalisation : la grande affaire, Calmann-Lévy (réédition numérique FeniXX), (ISBN 978-2-7021-7539-2, lire en ligne)
  6. Alain Delcamp, Le Sénat et la décentralisation, Economica, (ISBN 978-2-7178-2007-2, lire en ligne)
  7. Jean Garrigues, Les grands discours parlementaires: De Mirabeau à nos jours, Armand Colin, (ISBN 978-2-200-62068-4, lire en ligne)
  8. Alain Peyrefitte, Le Mal français, Paris, Plon, , 524 p. (ISBN 2-259-00204-8)

Lien externe

  • Portail des années 1960
  • Portail de la politique française
Cet article est issu de Wikipedia. Le texte est sous licence Creative Commons - Attribution - Partage dans les Mêmes. Des conditions supplémentaires peuvent s'appliquer aux fichiers multimédias.