Nouveau Roman

Le Nouveau Roman est un mouvement littéraire du XXe siècle[1], regroupant quelques écrivains appartenant principalement aux Éditions de Minuit[2]. Le terme est employé la première fois par Bernard Dort en [3], puis repris deux ans plus tard, avec un sens négatif, par l'Académicien Émile Henriot dans un article du journal Le Monde le , pour critiquer le roman La Jalousie d'Alain Robbe-Grillet et Tropismes de Nathalie Sarraute[4].

Le terme est exploité à la fois par des revues littéraires désireuses de créer de l'événement ainsi que par Alain Robbe-Grillet qui souhaite promouvoir les auteurs qu'il réunit autour de lui, aux Éditions de Minuit, où il est conseiller éditorial. Il précède de peu le mouvement de la Nouvelle Vague qui apparaît dans le cinéma français en octobre de la même année.

Définition

Dans Pour un nouveau roman, édité en 1963, Alain Robbe-Grillet réunit les essais sur la nature et le futur du roman. Il y rejette l'idée, dépassée pour lui, d'intrigue, de portrait psychologique et même de la nécessité des personnages.

Repoussant les conventions du roman traditionnel, tel qu'il s'était imposé depuis le XIXe siècle et épanoui avec des auteurs comme Honoré de Balzac ou Émile Zola, le Nouveau Roman se veut un art conscient de lui-même. La position du narrateur y est notamment interrogée : quelle est sa place dans l'intrigue, pourquoi raconte-t-il ou écrit-il ? L'intrigue et le personnage, qui étaient vus auparavant comme la base de toute fiction, s'estompent au second plan, avec des orientations différentes pour chaque auteur, voire pour chaque livre.

Bien avant l'ouvrage théorique de Robbe-Grillet, dès 1939, Nathalie Sarraute avait commencé à révolutionner le récit dans Tropismes. Dans son roman Martereau, publié en 1953, les personnages apparaissent, à la lecture, comme disloqués, et bien qu’il y ait une intrigue, ce n’est pas elle qui conduit la lecture, mais les flux de pensée qui animent les différentes consciences à l’intérieur desquelles il est donné au lecteur de rentrer. Sarraute théorisera ses innovations dans L'Ère du soupçon en 1956.

L'association Oulipo, avec des armes différentes, tente également, à partir de 1960, de renouveler l'acte de l'écriture. Les Choses (1965), de Georges Perec, peut se lire comme une mise en œuvre du programme du Nouveau Roman où les objets de consommation courante deviennent, plus que les protagonistes, le véritable héros du roman.

Le Nouveau Roman veut renouveler le genre romanesque qui date de l'Antiquité. Le sentiment premier qui guide les nouveaux romanciers est donc le renouveau. Ils font passer l'intrigue au second plan, rendent les personnages subsidiaires, et s'ils sont présents ils sont nommés par des initiales (c'est en cela que l'on voit l'influence de Franz Kafka, notamment avec Le Procès).

Tous ces changements supposent donc une lecture active, une réflexion approfondie et même la maîtrise d'une certaine culture utilisée par les auteurs et qui permet au livre d'exister en tant que tel.

Pourquoi alors ce changement, si brusque car suivant l'apogée romanesque du XIXe siècle, vient-il se placer dans le XXe ? Comme souvent, il faut lier littérature et histoire. Le XXe est marqué par les deux guerres mondiales et l'esprit des hommes est « encré » (d'après l'expression consacrée de Nathalie Sarraute), dans ce sentiment de vivre dans L'Ère du soupçon. Une révolution romanesque (car cela est sans appel) permet donc de traduire cette sensation de malaise et d'insécurité, mais aussi de casser la triste régularité d'une continuité littéraire jusque-là jamais remise en cause.

Les critiques, quant à eux, jouent un rôle fondamental dans la constitution et l'institutionnalisation du mouvement, tentant de figer l'image du Nouveau roman en lui collant des étiquettes comme « l'école du regard », « l'école du refus », « anti-roman »[5].

Pour l'historien des idées Emmanuel Legeard, « S'il y a un point commun aux écrivains issus du Nouveau Roman, c'est qu'ils ne visent tous qu'à la subjectivité totale. »[6]

Les principes du Nouveau Roman

Le Nouveau Roman se définit par une série de rejets[7] :

Rejet du personnage

La notion de « personnage » est l'une de celles qui entrent en premier dans « l'ère du soupçon », pour reprendre le titre d'un essai de Nathalie Sarraute. Que le roman puisse prétendre créer et faire connaître un « personnage » cohérent, dans toutes ses dimensions, de sa naissance à sa mort, paraît aberrant aux Nouveaux Romanciers.

Influencés par l'Ulysse de Joyce ou les œuvres de Faulkner, ils préfèrent la notion de « flux de conscience » de narrateurs multiples et parfois indiscernables.

Rejet du point de vue omniscient

Le point de vue « surplombant » d'un narrateur tout-puissant et omniscient est énergiquement rejeté ; le narrateur, souvent multiple, parfois indécidable, ne peut donner qu'un point de vue partiel, et partial.

Rejet de la notion d'intrigue

S'il y a encore écrit, celui-ci est diffracté entre plusieurs narrateurs, plusieurs points de vue, sans que le lecteur puisse atteindre une certitude quelconque quant à la vérité de ce qu'il croit comprendre ; la linéarité d'une intrigue menée de bout en bout par un auteur omniscient est inenvisageable.

Rejet du réalisme moderne

Les auteurs s'accordent à rejeter une forme sclérosée de réalisme héritée de la grande forme romanesque réaliste que le roman du XIXe siècle a popularisée. Cependant, si, pour eux comme pour les surréalistes, la phrase « La marquise sortit à cinq heures » est une imposture, leur entente s'arrête là. Leurs divergences de discours sur Balzac sont très éclairantes à cet égard.

Pour les plus dogmatiques d'entre eux (Robbe-Grillet et Ricardou notamment), sont proscrits toute référence au réel ou aux états d’âme comme tout aspect autobiographique : le Nouveau Roman ne donne pas à connaître un monde, un état de la société ; il ne saurait « faire concurrence à l'État-civil » (selon la formule de Balzac). Il n'a aucunement la prétention de reproduire le réel, ni même de l'évoquer. Il utilisera la description pour détruire les « effets de réel » typiques du réalisme.

Cette position radicale et résolument anti-idéaliste éloignera progressivement des auteurs comme Claude Simon, pour qui la mémoire est un matériau essentiel, ou encore Samuel Beckett et Nathalie Sarraute. Ces derniers, poursuivant leurs expérimentations formelles parfois aussi poussées que celles de l'Oulipo, continueront à chercher à dire l'homme et le monde — ce qui correspond précisément à « l'idéologie de l'expression-représentation » que Ricardou pourfend systématiquement dans ses essais.

L'aventure d'une écriture

La conséquence de cette série de rejets, c'est l'attention quasi exclusive accordée non à ce qui est écrit, mais à l'écriture elle-même en train de se faire ; l'œuvre acquiert une sorte d'autonomie par rapport à son auteur ; elle se construit par sa propre logique, indépendamment d'un projet pré-établi.

Une nouveauté relative

Les « nouveaux romanciers » mettent en pratique des solutions littéraires déjà testées par leurs prédécesseurs : Joris-Karl Huysmans avait en 1884, 70 ans auparavant, prouvé dans À rebours que l'intrigue n'est pas nécessaire dans le roman, Franz Kafka que la méthode classique de caractérisation du personnage est accessoire, James Joyce s'était débarrassé du fil conducteur du récit, ce que les auteurs du théâtre de l'absurde avaient fait du réalisme.

Mais c'est peut être chez André Gide, notamment dans Les Faux-monnayeurs, qu'on retrouvera le plus d'affinités, bien qu'il n'ait jamais été cité comme un précurseur par les représentants du nouveau roman. Dans cet ouvrage, Gide propose d'entrer dans un processus de réflexion de l'écriture grâce à Edouard, lui-même écrivain dans le roman. Cette mise en abyme, qui pose la question de la possibilité d'assimilation autobiographique entre Edouard et l'auteur, est l'un des processus implicite à la mise en place d'une écriture nouvelle. Il expose explicitement sa démarche et la théorise dans son ouvrage qui accompagne son roman : le Journal des Faux-Monnayeurs. Les points communs avec le nouveau roman sont très nombreux :
  • Le refus du réalisme qui est intimement lié à l'exercice d'écriture qu'il développe comme un "buisson"
  • Le récit discursif et le point de vue omniscient (souvent rapproché à la figure du diable qui parsème le roman, qui s'oppose à l'ange et qui est aussi chez les auteurs russes comme chez Dostoïevsky)
  • La place accordée au lecteur et la dénonciation du mensonge et de l'illusion romanesque grâce à l'utilisation de personnages types tels que Vincent, Lady Griffith ou encore Robert de Passavant. Ce dernier est rattaché à l'idée de "faux-monnayeur et corrupteur"
  • Les divers types de "mises en abyme" comme par exemple l'écriture d'un "roman dans le roman" grâce au journal que tient Édouard, le personnage principal, à l'intérieur du roman de Gide.
[réf. nécessaire]

[8],[9],[10]

Si les « néoromanciers » ne constituent donc pas, à proprement parler, une avant-garde littéraire, ils poussent sciemment et systématiquement la déconstruction romanesque entamée par leurs aînés. Chacun de leurs livres se veut novateur et devient le lieu d'une expérimentation inédite sur l'écriture.

Des styles et des projets très divers, au prétexte qu'ils remettaient en question les fondements traditionnels du roman, reçoivent ainsi l'étiquette « Nouveau Roman », suscitant d'importants débats au sein de la « nouvelle critique » contre la critique traditionnelle dans les journaux et les revues littéraires. Le jeu, ou « l'aventure d'une écriture » (Jean Ricardou)[11] consiste à faire éclater les codes, notamment en s'imposant des contraintes motivées (et non pas gratuites).

La reconnaissance critique est au rendez-vous : Nathalie Sarraute reçoit le Prix international de littérature pour Les Fruits d'or en 1963. En 1967, Claude Simon obtient le prix Médicis pour l'un de ses romans les plus connus : Histoire, un collage de souvenirs mêlant l'Histoire et l'histoire personnelle de l'auteur, dont la ponctuation ignore volontairement les règles orthotypographiques. En 1969, reconnaissance internationale suprême, Samuel Beckett reçoit le prix Nobel de littérature[12].

En 1973, Michel Jeury fait le lien entre le Nouveau Roman et la science-fiction avec Le Temps incertain, publié par Gérard Klein dans la prestigieuse collection « Ailleurs et Demain » sans qu'il ait corrigé le manuscrit ni rencontré l'auteur, marquant ainsi une entrée remarquée de Michel Jeury dans la science-fiction française dont il est considéré comme un des maîtres. Le livre obtiendra le premier Grand prix de la science-fiction remis lors de la première convention de SF à Clermont-Ferrand, lieu où l'éditeur et l'auteur se rencontreront pour la première fois.

Théorie du Nouveau Roman

Principaux travaux dirigés par Jean Ricardou[14] :

  • Nouveau roman : hier, aujourd'hui, Cerisy-la-Salle, 1971[15].
  • Claude Simon : analyse, théorie, Cerisy-la-Salle, 1974[16].
  • Robbe-Grillet : analyse, théorie, Cerisy-la-Salle, 1975[17].
  • Pour une théorie matérialiste du texte, Cerisy-la-Salle, 1980[18],[19].

Principaux travaux de ou dirigés par Roger-Michel Allemand :

  • Le « Nouveau Roman » en questions, Paris, Lettres modernes Minard, 5 vol., 1992-2004[20].
  • Le Nouveau Roman, Paris, Ellipses, 1996 et 2016[21].
  • Alain Robbe-Grillet. Balises pour le XXIe siècle, Paris, Presses Sorbonne Nouvelle, 2010[22].

Quelques « nouveaux romanciers »

Bien qu'il soit difficile d'apparenter l'un ou l'autre auteur avec un mouvement hétérogène et déstructuré à l'image de son contenu même, voici une liste d'auteurs qui s'apparentent clairement au Nouveau Roman dans une partie de leur œuvre.

Œuvres

Dans son ouvrage La littérature française du XXe siècle, l'universitaire Henri Mitterand liste un certain nombre de romans que l'on pourrait rassembler sous l'étiquette du « Nouveau Roman »[23] :

Notes et références

  1. Théorie du nouveau roman : 1967-1980.
  2. Éditions de Minuit.
  3. John Marcus, Nouveau roman : l'origine d'une expression, 2013.
  4. « A chaud ! 70 ans de critique littéraire », Le Monde.fr, (lire en ligne, consulté le )
  5. Galia Yanoshevsky, Les Discours du Nouveau Roman: Essais, entretiens, débats, Presses universitaires du Septentrion, , p. 306.
  6. Emmanuel Legeard, Entretiens Inactuels, Paris, Mallard, , 177 p. (ISBN 0244484791), p. 52
  7. « Le roman au 20ème siècle », sur philo-lettres.fr (consulté le )
  8. Jean-Michel Wittmann, « Jean-Michel Wittmann », sur Jstor, (consulté le )
  9. Didier Sevreau, Journal des faux-monnayeurs, Paris, Gallimard(maison d'édition)L'imaginaire n°331(collection), , 140 p. (ISBN 9782070741168)
  10. Mizuno Asaka, Thèse : Journal et fictions dans l'œuvre d'André Gide, Caen, (lire en ligne) :
    « Voir le résumé de la thèse en ligne »
  11. « Ainsi le roman est-il pour nous moins l'écriture d'une aventure que l'aventure d'une écriture » (Problèmes du Nouveau Roman, Le Seuil, 1967, p. 111).
  12. (en) « The Nobel Prize in Literature 1969 », sur NobelPrize.org (consulté le ).
  13. Henri Mitterand, La Littérature française du XXe siècle, Paris, Arman Colin, coll. "128 Tout le savoir", , 127 p. p. (ISBN 978-2-200-27012-4), p. 65 - 67
  14. Entre tradition et modernité.
  15. Cerisy-la-Salle, 1971.
  16. Cerisy-la-Salle, 1974.
  17. Cerisy-la-Salle, 1975.
  18. Pour une théorie matérialiste du texte, I, Cerisy-la-Salle, 1980.
  19. Cerisy-la-Salle, 1980.
  20. « An important series that, thanks to Allemand's efforts, has played a valuable role in the enhancement, in recent years, of the status of the nouveau roman. », Jean H. Duffy, The Romanic Review 1er novembre 2007, p. 535.
  21. « Le recueil marque très nettement une étape nouvelle dans la critique du Nouveau Roman, étape ouverte par Roger-Michel Allemand lui-même dans son ouvrage Le Nouveau Roman publié chez Ellipses en 1996, et auquel il est fait souvent référence par les différents auteurs. », Nicolas Lombart, Kritikon Litterarum, vol. 28, brochure 3, septembre 2001, p. 109.
  22. Équipe de recherche Fabula, « Alain Robbe-Grillet : Balises pour le XXIe siècle », sur www.fabula.org (consulté le )
  23. Henri Mitterand, La littérature française du XXe siècle, Paris, Armand Colin, coll. "128 Tout le savoir", , 127 p. p. (ISBN 978-2-200-27012-4), p. 65 - 67

Voir aussi

Articles connexes

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