Noosphère

La noosphère, selon la pensée de Vladimir Vernadsky[1] et Pierre Teilhard de Chardin, désigne la « sphère de la pensée humaine[2] ».

Ne doit pas être confondu avec NooSFere.

Le mot est dérivé des mots grecs νοῦς / Noûs, « l'esprit » et σφαῖρα (sphaira, « sphère »), par analogie lexicale avec « atmosphère » et « biosphère[3] ». Ce néologisme a été introduit en 1922[4] par Teilhard de Chardin dans sa « cosmogénèse »[5].

Une autre possibilité est la première utilisation du terme par Édouard Le Roy qui était, avec Teilhard, auditeur des conférences de Vladimir Vernadsky à la Sorbonne. En 1936, Vernadsky accepte l'idée de noosphère dans une lettre à Boris Leonidovich Lichkov (cependant, il affirme que le concept dérive de Le Roy).

Dans la théorie originelle de Vernadsky, la noosphère est la troisième d'une succession de phases de développement de la Terre, après la géosphère (matière inanimée) et la biosphère (la vie biologique). Tout comme l'émergence de la vie a fondamentalement transformé la géosphère, l'émergence de la cognition humaine transforme fondamentalement la biosphère.

Le concept

Notions préliminaires

Ernest Renan imagine dès son époque que l'union structurée de plusieurs organismes ou individus crée des sortes de consciences imbriquées et le mentionne dans ses Dialogues philosophiques (1848).[6]

Développement

Le mot, développé par Pierre Teilhard de Chardin dans Le Phénomène humain[7], a été inventé par Vladimir Vernadski[8]. C'est la représentation d'une couche de faible épaisseur entourant la Terre (qu'on comparerait presque aujourd'hui à un biofilm) qui matérialiserait à la fois toutes les consciences de l'humanité et toute la capacité de cette dernière à penser.

Vernadsky a formé ce néologisme sur le modèle du mot « biosphère » (couche du vivant, bios, entourant la Terre), en y substituant la racine grecque noos (« intelligence, esprit, pensée »). Ce néologisme est en lui-même une proposition cosmologique, exprimant cette idée qu’une couche de pensée et de conscience, une « nappe pensante », envelopperait la surface de la Terre de la même façon que la biosphère.

« [C]’est vraiment une nappe nouvelle, la « nappe pensante », qui, après avoir germé au Tertiaire finissant, s’étale depuis lors par-dessus le monde des Plantes et des Animaux : hors et au-dessus de la Biosphère, une Noosphère[9]. »

Teilhard de Chardin a développé sa vision d’une humanité en voie de « planétisation[10] » (ce qui se rapproche du terme contemporain de « mondialisation », avec une connotation plus spirituelle). C'est la vision d'une humanité dont l’imaginaire, les pensées, les idées, les découvertes, en d'autres termes le psychisme ou la conscience tissent progressivement une « noosphère » de plus en plus serrée et dense, génératrice de toujours plus de conscience, et d’une conscience de plus en plus solidaire, de plus en plus planétaire. Par « noosphère », Teilhard désigne le milieu, ou la dimension, de pensée et de conscience qui, depuis le début de la vie sur Terre a progressivement évolué pour finir par envelopper et imprégner toute la biosphère, à la manière d’une autre atmosphère, faite cette fois non pas d’oxygène, mais de psychisme. Parce que l’humanité se multiplie et se répand sans cesse à la surface d’une terre limitée géographiquement, Teilhard voit les humains se resserrer les uns sur les autres, et cette densification de l’humanité équivaut pour lui à une densification de la noosphère, donc une intensification de la conscience. Cette densification progressive amène à un retournement sur elle-même de la conscience, phénomène que Teilhard appelle « le Réfléchi[11] ». Il voyait l’humanité prendre progressivement conscience d’elle-même et de ses possibilités sur une terre rendue de plus en plus petite sous l’effet de la croissance d’une population humaine toujours plus serrée sur elle-même, donc plus « échauffée » psychiquement, donc plus consciente d’elle-même : vision prophétique de la mondialisation, qu’il appelle « planétisation ».

La noosphère se juxtapose à la lithosphère (la masse inerte), à la biosphère (la masse vivante) et à la sociosphère (ensemble des relations humaines et/ou écologiques) et elle englobe l'ensemble de l'activité intellectuelle de la Terre : il s'agit d'une sorte de « conscience collective de l'humanité » qui regroupe toutes les activités cérébrales et mécaniques de mémorisation et de traitement de l'information[12].

À partir du milieu du XXe siècle, les géographes commencent à considérer les éléments culturels et immatériels en plus des réalités matérielles. Pierre Deffontaines écrit ainsi que « le plus grand événement dans l’histoire géographique de la Terre, ce n’est pas tel plissement de montagne, tel déplacement de mer, telle modification de climat, c’est l’apparition avec l’humain d’une sorte de sphère spéciale, plus extraordinaire que la pyrosphère, l’hydrosphère, l’atmosphère ou même la biosphère ; ce qu’on pourrait appeler la sphère pensante, que le R. P. Teilhard de Chardin a appelé la « noosphère », enveloppe immatérielle sans doute, qui cependant s’inscrit matériellement dans le paysage[13] »

Les vulgarisateurs scientifiques Jack Cohen et Ian Stewart s'approchent de ce concept avec un nom plus médiatique d’extelligence. Le cerveau des humains fait partie de l'extelligence, mais aussi toutes les infrastructures créées par lui qui participent au traitement comme au stockage de l'information : villes, bibliothèques, infrastructure politique, culture, réseaux de communication.

En revanche, la noosphère est née grâce à la montée de conscience des individus au fur et à mesure de leur maturation, depuis l'apparition du vivant jusqu'à nos jours. Sa manifestation la plus probante est la naissance d'organisations « humanisantes » telles que les lois, les notions d'éthique, la politique, la culture, les organisations humanitaires, et aussi comme le dit Werber, la multiplication dans l'histoire, d'inventions faites aux mêmes moments, mais à différents endroits.

La notion d’unité d'un organisme

Le cerveau des primates supérieurs se compose de deux hémisphères. Plusieurs revues de vulgarisation[14] les ont présentés comme relativement spécialisés :

  • un hémisphère gauche où auraient lieu la plupart des activités analytiques et rationnelles ;
  • un hémisphère droit où se dérouleraient plus spécialement les phénomènes de perception globale et intuitive.

Cette vision des choses très schématique a par la suite fait l'objet d'un recadrage[15].

L'hémisphère gauche était censé traiter grosso modo la logique et le raisonnement, le droit plutôt les émotions et pulsions[réf. nécessaire][16]. Les deux communiquent entre eux, bien que l'on ait constaté qu'un individu pouvait encore vivre quand n'existaient plus de communications entre les deux hémisphères. Si la netteté de cette distinction schématique entre cerveau gauche et cerveau droit est remise en cause à l'heure actuelle[15], nul ne conteste en revanche que le cerveau soit bien composé de neurones interconnectés, et que ceux-ci soient disposés en sortes de feuillets[17].

Le processus de convergence

Teilhard prédit donc une unification croissante des activités intellectuelles (voire « spirituelles ») de la planète, de même que les activités humaines se sont unifiées dans les cadres des sociétés et des civilisations, ou celle des cellules dans les organismes. Non pas, ici, relié à un théisme, comme pour Henri Laborit, dans Dieu ne joue pas aux dés, mais, de façon purement technique, parce que les gains d'efficacité y conduisent, aussi sûrement que, par exemple, des questions de potentiel conduisent une réaction chimique à se produire, ou des atomes de deutérium à fusionner, si la température s'y prête. Sigmund Freud, avec son idée de sentiment océanique reprise de Romain Rolland, Henri Laborit avec la sienne d'organisme étendu et Richard Buckminster Fuller dans son ouvrage No more secondhand God trouvent un même point de convergence en la noosphère. La notion du Dieu de Baruch Spinoza[18] n'est pas loin.

Le développement des médias classiques engendrait une certaine agitation intellectuelle en ce sens (évoquée en son temps par Marshall McLuhan). Eric Raymond en signale la montée en régime particulière depuis le développement d'Internet dans un article[19].

Critique

Bien que la définition soit correcte, aucune preuve ne vient montrer les effets d'un tel concept, généralisation de l'inconscient collectif.

Historique

Depuis l'origine de la philosophie, dans l'antiquité (notion d'être), au Moyen Âge, lors de la découverte de la rotondité de la Terre, le concept de « conscience collective globale », était ressenti. C'est ce que Teilhard de Chardin a nommé noosphère à l'époque contemporaine.[réf. nécessaire]

Les premiers projets collaboratifs planétaires

L'histoire de l'Internet n'étant pas l'objet de cet article, la présente liste ne mentionne que quelques jalons significatifs.

  • Janvier 1984 : naissance du projet GNU (et plus tard sa variante GNU/Linux).
  • Le projet Y2K, projet mondial qui coûta entre 300 et 600 milliards de dollars pour le passage informatique à l'an 2000, répartis à parts égales essentiellement entre l'Amérique, l'Europe, et l'Asie.
  •  : premier Wiki. La communication avec certains sites web devient totalement bidirectionnelle. Le Wiki possède son propre système d'autorégulation lui aussi.
  • Septembre 1997 : apparition de Slashdot : la communauté Internet - et non plus les seuls développeurs - commence à son tour à se percevoir comme une masse de contributeurs potentiels et non de simples consommateurs d'information. Naissance des concepts d'autorégulation électronique avec la modération, la métamodération et le devoir de jury de Slashdot (voir cet article).
  • 1998 : démarrage du projet collaboratif SETI@home (recherche de signaux stellaires par des centaines de milliers d'ordinateurs simultanés dans le monde). D'autres projets suivront, comme le Généthon.
  •  : apparition de Wikipédia, premier projet collaboratif planétaire grand public.
  • 2002 : apparition, après divers essais plus ou moins heureux en ce sens, de BitTorrent, qui permet aux sites échangeant de l'information de s'autoorganiser, puis de s'autoréguler de façon efficace.
[réf. nécessaire]

Influence culturelle

Pierre Teilhard de Chardin est considéré, avec Richard Buckminster Fuller et Paul Otlet, comme un des penseurs d'Internet. En effet, la toile est parfois considérée comme le nouveau système nerveux de la noosphère : une grande quantité d'informations accessible à l'humanité tout entière et qui peut être partagée à double sens (depuis le Web 2.0) par tous.

Dans son introduction à La place de l'Homme dans la nature de Pierre Teilhard de Chardin, Jean Piveteau écrit que : « L’avènement de l’Homme marque un palier entièrement original, d’une importance égale à ce que fut l’apparition de la vie, et que l’on peut définir comme l’établissement sur la planète, d’une sphère pensante, surimposée à la biosphère, la noosphère. En elle, l’immense effort de cérébralisation qui commença sur la terre juvénile va s’achever, en direction de l’organisation collective ou socialisation… »[20]

Emprunté à Vladimir Ivanovich Vernadsky et développé par Teilhard de Chardin, le concept de noosphère doit également beaucoup aux travaux d'Édouard Le Roy.

Henri Laborit a également travaillé sur cette notion, et l'a présentée dans son film Mon oncle d'Amérique.

Le système politique et social qui résulterait de la noosphère a été désigné sous le nom de noocratie (en (en))

L'idée de noosphère peut également être attachée à celle d'annales akashiques qui représente la mémoire du temps, mais qui s'étend plus largement à toute chose de l'univers.

Plus récemment (2011), l'idée d'empathie planétaire a été développée par Jeremy Rifkin[21].

En littérature

La noosphère, fait l'objet d'un premier roman en 2013 : Noos le premier héros du temps planétaire de Philippe Bodino, Les éditions de l'onde.

Dans la série de light novels « Log Horizon » de Mamare Touno, le MMORPG Elder Tale passe à la version « Les Pionniers de la Noosphère ». Des dizaines de milliers de joueurs se retrouvent alors soudainement piégés dans ce monde virtuel devenu un monde parallèle, ce qui marque le début de l'action du roman[22].

Noosphère est le titre du roman de science fiction de l'autrice française indépendante Audrey Pleynet[23]. Publié en 2017, le récit se déroule dans un futur proche où l'humanité a développé une faculté de « noosphère », permettant à chaque individu d'avoir un accès immédiat à l'intégralité des connaissances humaines.

Dans les jeux vidéo

Dans le jeu vidéo Stalker, Shadow Of Chernobyl, la noosphère est mentionnée comme étant le sujet de recherches des laboratoires situés à Tchernobyl, Prypiat et dans leurs environs. Dans le jeu, le résultat de ces recherches est la mise en service de la conscience-C, qui est un organisme constitué de plusieurs consciences humaines branchées en série, et qui parvient à modifier la noosphère.

Dans le jeu vidéo Warhammer 40000: Mechanicus, la noosphère est une technologie qui permet au Technoprêtre Dominus de se connecter sur un réseau fermé constituer des consciences des personnes connectées a ce dernier lui permettant de transmettre ses ordres aux Technoprêtre et aux skitarii déployés dans les catacombes nécrons du monde de Silva-Ténébris, "Noosphere" est aussi le titre d'une musique provenant de la bande-son du jeu.

Voir aussi

Essais

Fiction

  • Idée, Zosj Aabram (théâtre, 2010)[24]
  • Noosphère, Audrey Pleynet (roman, 2017)
  • Le Sixième Sommeil, Bernard Werber (roman, 2017)

Œuvres poétiques

Articles connexes

Notes et références

  1. Georgy S. Levit: Biogeochemistry, Biosphere, Noosphere: The Growth of the Theoretical System of Vladimir Ivanovich Vernadsky (1863-1945) (ISBN 3-86135-351-2)
  2. Georgy S. Levit: The Biosphere and the Noosphere Theories of V. I. Vernadsky and P. Teilhard de Chardin: A Methodological Essay, International Archives on the History of Science/Archives internationales d'histoire des sciences, 50 (144), 2000, p. 160-176, sur le site uni-jena.de.
  3. « [...] il définit la noosphère comme « la strate pensante de la biosphère » ainsi que « l'unité consciente des âmes » », David H. Lane, 1996, The Phenomenon of Teilhard : Prophet for a New Age, p. 4, sur Googlebooks.
  4. En 1922, Teilhard de Chardin écrit, dans un essai intitulé Hominisation : « Et ceci nous conduit à imaginer, d'une façon ou d'une autre, au-delà de la biosphère animale une sphère humaine, une sphère de la réflexion, de l'invention consciente, des âmes conscientes (la noosphère, si vous voulez). » (1966, p. 63) ; voir Hominization (1923), The Vision of the Past, pages 71, 230, 261 sur Googlebooks.
  5. (ru) Sur le site de Tambov State Technical University, « The Prominent Russian Scientist V.I.Vernadsky », en russe.
  6. « La conscience est de même une résultante de millions d'autres consciences concordant à un même but. La cellule est déjà une petite concentration personnelle ; plusieurs cellules consonant ensemble forment une conscience au second degré (homme ou animal). Les consciences au second degré, en se groupant, forment les consciences au troisième degré, consciences de ville, consciences d'Église, consciences de nation, produites par des millions d'individus vivant d'une même idée, ayant des sentiments communs », Dialogues philosophiques, page 46.
  7. Le Phénomène humain. Paris : Seuil, 1955.
  8. Vladimir I. Vernadsky, « The Biosphere and the Noosphere », American Scientist, (janvier) 1945, 33(1), p. 1-12.
  9. Pierre Teilhard de Chardin, Le phénomène humain. Paris : Seuil, 1955. p. 179.
  10. Pierre Teilhard de Chardin, L’Avenir de l’homme, Paris : Seuil, 1959. p. 157.
  11. L’avenir de l’homme, p. 359.
  12. Daniel S. Larangé, L'Esprit de la Lettre. Pour une sémiotique des représentations du spirituel dans la littérature française des XXe et XXe siècles, Paris: L'Harmattan, 2009, p. 370-375.
  13. Deffontaines, Géographie des religions, Paris, Gallimard, 1948 cité in Georges Benko, Ulf Strohmayer (dir.), Horizons géographiques, Bréal, 2004, p. 260.
  14. Anne-Laure Gannac, « Etes-vous plutôt cerveau gauche ou cerveau droit ? », sur psychologies.com, (consulté le ).
  15. « La fin du mythe des personnes à cerveau « droit » ou « gauche » », sur Futura (consulté le ).
  16. Agnès Roux Futura, « La fin du mythe des personnes à cerveau « droit » ou « gauche » », sur Futura (consulté le ).
  17. Marc Jeannerod, Le Cerveau intime, , 224 p. (ISBN 978-2-7381-8679-9, lire en ligne), p. 23.
  18. Œuvres complètes, éd. R. Caillois, M. Francès et R. Misrahi, Paris, Gallimard, 1967.
  19. « À la conquête de la noosphère de Eric S. Raymond, lecture en ligne », sur http://www.linux-france.org/ (consulté le ).
  20. Pierre Teilhard de Chardin, La place de l'homme dans la nature : le groupe zoologique humain, Paris, Union générale d'Éditions,
  21. « Jeremy Rifkin ou la civilisation de l'empathie - Livre - Putsch », sur Putsch (consulté le ).
  22. Mamare Touno (trad. du japonais), Log Horizon, France, Ofelbe, , 473 p. (ISBN 978-2-37302-008-3)
  23. Pleynet, Audrey, 1984-...., Noosphère, Luçon, Audrey Pleynet, dl 2017, 338 p. (ISBN 978-1-5218-8441-6 et 1521884412, OCLC 1027768960, lire en ligne)
  24. Aabram, Zosj, 1974- ..., Idée : une certaine ode à la vie, Z. Aabram, impr. 2010, 204 p. (ISBN 978-2-9537931-0-9 et 2953793100, OCLC 762692384, lire en ligne)

Liens externes

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