Négritos

« Négritos » est une appellation désignant des populations humaines qui vivent dans trois zones géographiques du sud-est asiatique : les îles Andaman, la péninsule Malaise (qui est partagée entre la Malaisie, la Thaïlande, et la Birmanie) et les Philippines. Ce terme est celui employé par les Espagnols du XVIIe siècle, et signifie « petits noirs ». La désignation est reprise dans les récits de voyages, et par les officiers coloniaux de l'Asie du Sud-Est[1].

Ces populations descendent des premiers humains modernes arrivés dans la région voilà plus de 50 000 à 70 000 ans. Vivant initialement de la chasse et de la cueillette, elles se sont mêlées à des populations bengalies[2], môn-khmer ou austronésiennes arrivées plus tardivement dans la région ; certaines populations négritos sont alors devenues agricultrices et ont adopté les langues des nouveaux arrivants.

En dépit des ressemblances physiques entre les différents groupes désignés comme Négritos, ces communautés ne sont apparentées d'un point de vue génétique que de façon très vague et ancienne, indice probable de vagues de migrations distinctes[3].

Populations

Négritos des Philippines, vers 1899.

Les populations référencées sont :

Mode de vie

Encore au milieu du XXe siècle, les Négritos étaient généralement des nomades chasseurs-cueilleurs. Cependant, certains sont devenus des agriculteurs sous l'influence des populations qui les ont progressivement entourés, en particulier les austronésiens pour les deux zones des Philippines et de la péninsule Malaise. Les Semang de Malaisie se fabriquaient alors des vêtements à partir d'écorce d'arbres abattus et vivaient aussi bien dans des grottes que sous des abris de feuillage.

Les Andamanais, bien que connaissant le feu, ne savaient pas le produire avant l'arrivée de populations allochtones[5].

Au début du XXIe siècle, la plupart des Négritos sont sédentarisés, intégrés dans le processus de mondialisation et vivent de travail et d'échanges, comme les populations environnantes, même si les anciens connaissent encore, et parfois transmettent, les connaissances permettant la survie en milieu naturel hostile.

Langues

Seuls les indigènes des îles Andaman (Andamanais) ont conservé leurs langues d'origine, qui leur sont propres. Cela peut s'expliquer par le caractère assez récent de leur contact avec d'autres populations : il remonte pour l'essentiel au XIXe siècle.

Les Négritos des Philippines et de la péninsule Malaise ont généralement été acculturés par leur environnement de façon beaucoup plus ancienne, et parlent aujourd'hui des langues austronésiennes (Aeta et Ati des Philippines), ou des langues môn-khmer (Semang et Senoï de Malaisie). On trouve cependant dans ces langues certains termes sans étymologie austroasiatique ni austronésienne connue. Ils sont l'indice d'un substrat linguistique antérieur aux langues actuellement parlées[6].

Certaines langues de ces populations sont en danger. Aux Philippines où les Négritos ne sont plus que 15 000 (contre 35 000 au début du XXe siècle) quatre de leurs langues sont éteintes (sur un total d'une trentaine) et les autres sont menacées[4].

Menaces

Les populations de Négritos sont aujourd'hui extrêmement menacées par l'acculturation, les maladies et l'invasion de leurs terres traditionnelles par les populations avoisinantes.

Description physique

Jeune femme ati des Philippines

Le phénotype des Négritos des Philippines a évolué en se spécialisant avec une petite taille, très probablement par adaptation à la forêt humide tropicale et peut-être aussi, dans les îles, par nanisme insulaire[7]. Comme les Pygmées, les Négritos sont parmi les peuples les plus petits de l'humanité, en nombre comme en taille, et les moins connus.

Origines et génétique

Les Négritos sont très probablement les premiers habitants indigènes Homo sapiens[8]de l'Asie du Sud-Est. L'installation de ces groupes dans la région remonte en effet au moins à 50 000 ans, voire 60 000 ou 70 000 ans, et leur diversité génétique implique des migrations distinctes de divers groupes en provenance d'une région plus occidentale (probablement le pourtour de l'océan Indien) à des moments différents de la préhistoire[3].

Cette diversité génétique se retrouve même chez des groupes géographiquement proches. Ainsi, dans un échantillon de plus de 1 000 personnes choisies parmi les Aetas de Luçon, les Mamanwas de Mindanao et 4 autres groupes de Négritos des Philippines, on a trouvé que si cinq des six groupes étudiés peuvent être considérés comme formant un même groupe génétique, ce n'est pas le cas des Mamanwas, nettement différents. L'absence chez les Aetas (et chez les groupes apparentés) de marqueurs génétiques présents chez les Mamanwas suggère que ces deux groupes, bien que classés « Négritos », proviennent de migrations différentes[9].

Selon une étude publiée en 2015[10], la population actuelle de l'Inde pourrait être en grande partie issue d'un mélange assez récent, datant de quelques millénaires seulement, entre une ancienne population autochtone de l'Inde qui était relativement proche génétiquement des Onges des Iles Andaman, et d'une population eurasienne de l'ouest originaire des environs du Caucase arrivée plus tardivement par le nord-ouest de l'Inde. Dans le mélange les populations du sud de l'Inde sont restées un peu plus proches des Andamanais tandis que les populations du nord de l'Inde sont un peu plus proches des eurasiens de l'ouest.

Certains anthropologues rangent les Négritos dans un ensemble plus vaste qu'ils appellent « veddoïde », une hypothèse aujourd'hui assez contestée. Ce qui est unanimement admis, c'est que le phénotype « à peau noire, nez épaté, lèvres charnues et cheveux crépus » était, il y a 50 000 à 70 000 ans, présent de l'Afrique à l'Australie tout autour de l'Océan Indien, et, au vu des études génétiques, que les Asiatiques modernes descendent au moins en partie de ces populations anciennes, le changement de type physique intervenant au fur et à mesure que la fin de la glaciation de Würm ouvrait aux humains de nouveaux territoires au nord de la chaîne de l'Himalaya.

Si les communautés de négritos diffèrent génétiquement les unes des autres, chaque groupe de négritos possède un ensemble génétique très homogène d'ADN mitochondrial (mtDNA), indice d'un isolement de longue date. Leur ADN mitochondrial sert donc de base pour l'étude des dérives génétiques[11].

Cas des Andamanais

Deux Andamanais en 1875

Les Andamanais semblent être la population humaine, résiduelle, la plus occidentale et la plus isolée génétiquement de toutes les autres vivant actuellement : elle est possiblement issue d'une vague de migration antérieure à celle des autres Négritos.

« Des études récentes de l'ADN mitochondrial [...] donnent à penser que les Andamanais sont plus étroitement liés à d'autres [populations] asiatiques qu'aux Africains modernes »[12]. Cela pourrait s'expliquer par un changement de type physique chez les anciens Asiatiques, dont le phénotype initial, proche des Africains, aurait évolué par mutation et mélanges vers les types physiques asiatiques actuels : si c'est bien le cas, le type physique « négrito » est un caractère ancestral conservé (plésiomorphie) qui n'exprime pas d'apparentement récent aux populations africaines modernes. L'ADN maternel des Andamanais porte des caractères génétiques dérivés (apomorphie) qui montrent aussi qu'ils dérivent, comme les asiatiques modernes, non d'une parenté récente avec les Africains, mais d'une très ancienne vague d'immigrants Homo sapiens africains.

Philippines

Des conclusions similaires existent pour les Négritos philippins, cependant génétiquement plus proches des autres populations d'Asie du Sud-Est que des Aborigènes d'Australie et des habitants de la Nouvelle-Guinée, ceci étant probablement dû aux mélanges partiels plus récents avec d'autres populations asiatiques ou austronésiennes. Pour Sabino G. Padilla Jr du Département des sciences du comportement de l'université des Philippines (Manille) ; « Le terme "negrito" et son utilisation ont été critiqués pour leur manque de sensibilité culturelle et leur attachement aux catégories raciales [du passé colonial des Phillipines]. »[4]

Annexes

Bibliographie

  • Bernard Dupaigne, « Negritos des îles : le peuple le plus énigmatique de la planète », in Mondes et Cultures, vol. 66, no 1, 2006, p. 214-232
  • (en) Kirk M. Endicott, Batek negrito religion : the world-view and rituals of a hunting and gathering people of peninsular Malaysia, Clarendon Press, Oxford, New York, Toronto, 1979, 234 p. (ISBN 0-19-823197-0)
  • (de) Walter Nippold, Individuum und Gemeinschaft bei den Pygmäen, Buschmännern und Negrito-Völkern Südost-Asiens : ein Betrag zur Frage der individuellen Differenzierung primitiver Gemeinschaften, A. Limbach, Braunschweig, 1960, 244 p.
  • (en) Reg Zell, Negritos of the Philippines : the people of the bamboo age, a socio-ecological model, R. Zell, Bures-sur-Yvette, 2010, 148 p. (ISBN 978-2-9535229-0-7)

Articles connexes

Liens externes

Références

  1. Sandra Khor Manickam, « Africans in Asia: The Discourse of ‘Negritos’ in Early Nineteenth-century Southeast Asia », Responding to the West. Essays on Colonial Domination and Asian, (ed) Hans Hägerdal, Amsterdam University, lire en ligne
  2. Aux îles Andaman
  3. « Phylogeography and Ethnogenesis of Aboriginal Southeast Asians », article publié en 2006 dans Molecular Biology and Evolution, par Catherine Hill, Pedro Soares, Maru Mormina, Vincent Macaulay, William Meehan, James Blackburn, Douglas Clarke, Joseph Maripa Raja, Patimah Ismail, David Bulbeck, Stephen Oppenheimer, Martin Richards.
  4. (en) Sabino G. Padilla Jr, « Anthropology and GIS: Temporal and Spatial Distribution of the Philippine Negrito Groups », Human Biology, vol. 85, , p. 210 (lire en ligne) ; « The term negrito and its usage have been criticized for lack of cultural sensitivity and for clinging to racial categories of our colonial past. ».
  5. (en)George Weber, The Andamanese, chap.17. Pottery, Tools and Technology
  6. Concernant les Négritos philippins, voir par exemple « Possible non-Austronesian lexical elements in Philippine Negrito languages », par L A Reid, article paru dans Oceanic linguistics (ISSN 0029-8115) en 1994. Volume 33, no1, p. 37-72.
  7. Omoto, K., "The Negritos: genetic origins and microevolution" in Acta Anthropogenet, 1984, 8(1-2):137-47.
  8. Soit l'homme moderne, car l’Homo erectus, dont par exemple l'homme de Java, a atteint l'Asie du Sud-Est antérieurement.
  9. Omoto, K., S. Ueda, K. Goriki, N. Takahashi, S. Misawa et I. G. Pagaran, "Population genetic studies of the Philippine Negritos. III. Identification of the carbonic anhydrase-1 variant with CA1 Guam" in American Journal of Human Genetics, Janvier 1981, 33(1): 105–111
  10. Jones et al., Upper Palaeolithic genomes reveal deep roots of modern Eurasians, 2015, http://www.nature.com/ncomms/2015/151116/ncomms9912/abs/ncomms9912.html
  11. "DNA Study Yields Clues on Early Human's First Migration" New York Times, 13 mai 2005 p. A7
  12. « Molecular Relatedness of The Aboriginal Groups of Andaman and Nicobar Islands with Similar Ethnic Populations », International journal of human genetics, mars 2003, volume 3, par V. K. Kashyap, T. Sitalaximi, B. N. Sarkar et R. Trivedi.
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