Mutations du breton

Comme toutes les langues celtiques modernes, le breton connaît certains phénomènes d'altération orale, les mutations consonantiques et les adoucissements de liaisons, qui en font une langue très liée (par opposition par exemple au chinois, qui est une langue très « hachée »).

Ainsi, le mot tad « père » devient ma zad « mon père », da dad « ton père ». De même, le mot penn « tête » devient ma fenn « ma tête », da benn « ta tête ».

Les mutations du breton ont plusieurs fonctions :

  • les mutations de liaison; elles se produisent systématiquement après certains mots, appelés mutateurs (il en existe une centaine en breton)
  • les mutations distinctives du genre; elles se produisent :
  • les mutations de reconnaissance : elles permettent d'identifier correctement les mots homonymes et sont indispensables à la compréhension de la phrase.
Mutations consonantiques

Ces mutations se répartissent en quatre grandes catégories, selon les transformations phonétiques qu'elles entraînent :

  • les mutations adoucissantes (également appelées affaiblissement ou lénition),
  • les mutations durcissantes (également appelées renforcement ou provection),
  • les mutations spirantes (également appelées spirantisation)
  • les mutations mixtes (qui comprennent trois adoucissantes et une durcissante ; également appelées léniprovection),


Notons que les mutations ne sont pas des sandhis, parce qu’elles ont une valeur syntaxique, tandis que les sandhis sont des phénomènes purement phonétiques[réf. nécessaire].

Le breton connaît également des sandhis, à savoir:

  • les liaisons adoucissantes en fin de mot
  • les consonnes durcies en finale absolue (fin de phrase, ...)
  • les sandhis de durcissement (p. ex. : dek gwech « dix fois » se prononce fréquemment /deːkweʃ/, tud 'zo « il y a des gens » /tyːtso/).

Les sandhis du breton ne sont pas écrits, contrairement aux mutations.

Les types de mutations

Les mutations consonantiques du breton peuvent se répartir en plusieurs types selon les phénomènes phonétiques qu'elles induisent.

Ce classement correspond aux mutations listées par les grammaires et qui sont régulièrement écrites. Il en existe d'autres, qui ne sont pas écrites (voir les mutations non écrites).

Ces mutations sont résumés dans le tableau ci-dessous :

Consonne non mutée Mutation adoucissante Mutation spirante Mutation durcissante Mutation mixte
p b /b̥/ f /v̥/
t d /d̥/ z /h/
k g /ɡ̊/ c'h /x/
b v p /p̎/ v
d z t /t͈/ t /t͈/
g c'h /ɣ/ k /k͈/ c'h /ɣ/
gw w kw w
m v v

Les mutations adoucissantes

Elles se nomment kemmadurioù dre vlotaat en breton et consistent en un adoucissement de consonnes dures en consonnes douces. Elle concerne huit consonnes :

  • trois plosives non voisées (qui se voisent) : P/B, T/D et K/G
  • trois plosives voisées (qui deviennent des fricatives) : B/V, D/Z et G/C'H (cas particulier : Gw/W)
  • une nasale : M/V

Les mutations adoucissantes sont de loin les plus fréquentes en breton : elles se produisent dans les mutations distinctives du genre ainsi que dans la très grande majorité des mutations de liaison.

Exemple : bihan « petit » devient re vihan eo « il est trop petit ».

Ces mutations se produisent après :

  • les mutateurs de liaison, au nombre d'une centaine, (holl, l'adverbe re, ...)
  • l'article (sous conditions)
  • les prépositions da, dre, a, war, dindan, eme, en ur, ...
  • le pronom interrogatif pe
  • les possessifs da, e,
  • les particules verbales a, ne, na
  • les numéraux daou et div
  • la conjonction pa
  • la forme réfléchie en em
  • les pronoms hini et re pour les substantifs féminins,
  • les pronoms nominaux

Les mutations durcissantes

Elles se nomment kemmadurioù dre galetaat en breton et consistent en un durcissement de consonnes douces en consonnes dures : B/P, D/T et G/K. Cela correspond à un dévoisement de ces consonnes.

Exemples :

  • daouarn « mains » devient ho taouarn « vos mains »,
  • breur « frère » devient ho preur « votre frère »,
  • bag « bateau » devient ez pag « dans ton bateau »

Ces mutations se produisent après :

  • les possessifs ho, ez, da'z, az

Les mutations spirantes

Les mutations spirantes (kemmadurioù dre c'hwezañ en breton) transforment trois consonnes plosives non voisées en fricatives : P/F, T/Z et K/C'H.

Exemples :

  • paotr «gars » devient ma faotr « mon gars »
  • tad « père » devient he zad « son père » (à elle)
  • ki « chien » devient o c'hi «leurs chien »

Ces mutations se produisent également, selon les dialectes, après :

  • les numéraux tri/teir, pevar/peder, nav
  • les possessifs hon (en trégorrois uniquement), ma, em, he et o
  • le jour Sul pour Pâques (Sul Fask, « le dimanche de Pâques »)

Les mutations mixtes

Les mutations mixtes (kemmadurioù kemmesket en breton) rassemblent trois mutations adoucissantes et une mutation durcissante : B/V, D/T, G/C'H (Gw/W) et M/V.

Exemple : mont « aller » devient emaon o vont da Vrest « Je suis en train d'aller à Brest »

Ces mutations se produisent après :

  • les particules verbales e et o
  • la conjonction ma

Les fonctions des mutations

Les mutations consonantiques jouent un rôle dans la syntaxe et la grammaire du breton. Elles remplissent plusieurs fonctions.

Les mutations de liaison

Elles se produisent systématiquement après certains mots, appelés mutateurs (il en existe une centaine en breton). Ce sont toujours des mutations adoucissantes.

Exemples :

  • baraerien « boulangers » devient ar gwir varaerien « les vrais boulangers »
  • tad (papa) devient da dad « ton père »
  • mamm (maman) devient da vamm « ta mère »

Les mutations distinctives du genre

Elles se produisent après l'article en fonction du genre et de la pluralité du substantif ainsi que dans l'adjectif après le nom (sous certaines conditions). Ce sont toujours des mutations adoucissantes.

Un nom féminin singulier mute systématiquement. Au pluriel, seuls les noms masculins de personnes mutent (sauf les rares en -où comme tadoù). Derrière un substantif mutable, l'adjectif épithète mute (sauf pour p, t et k si le substantif se termine par l, m, n, r ou une voyelle).

Tous les autres substantifs ne font que la seule mutation K/C'H (e.g : ki, « chien », devient ur c'hi), ce qui distingue le breton du gallois.

Exemples:

  • paotr garçon, homme », masculin) : ur paotr brav « un beau gars » mais ar baotred vrav « les beaux gars »
  • bro pays », féminin) : ar vro vihan « le petit pays » mais ar broioù bihan « les petits pays »
  • tad et mamm : an tad kozh « le grand-père » et ar vamm gozh « la grand-mère »

Il existe des exceptions, ainsi plac'h, bien que féminin, ne mute pas, mais entraîne la mutation de l'épithète : ur plac'h vrav « une belle fille » mais ur verc'h vrav.

Les mutations de reconnaissance

Elles permettent d'identifier correctement les mots homonymes et sont indispensables à la compréhension de la phrase orale.

Ce sont généralement des mutations durcissantes, spirantes ou mixtes.

Exemples :

  • e vreur « son frère (à lui) » mais he breur « son frère (à elle) »
  • ho ti « votre maison »)= mais o zi « leur maison »

Les mutations et l'écrit

Les mutations écrites

En vieux-breton et en moyen-breton, il était extrêmement rare d'écrire les mutations consonantiques.

Mais lorsque les jésuites lancèrent de vastes campagne au XVIIe siècle; ils se virent dans l'obligation d'apprendre le breton. Ils étudièrent la langue et rédigèrent des grammaires. À cette occasion, ils introduisirent une innovation, l'écriture des mutations. Sont donc aujourd'hui écrits tad (père), ma zad (mon père), da dad (ton père), ...

Parfois (généralement pour les noms propres), on écrit la lettre mutée devant la lettre non mutée afin de faciliter la lecture. Exemple : Itron vMaria la vierge Marie ») se prononce /intron varia/.

Les mutations non écrites

Cependant, certaines mutations ne sont pas écrites: CH/J, F/V, S/Z, C'H dur en C'H doux, ... Souvent les locuteurs ne se rendent d'ailleurs même pas compte de ces mutations...

On remarquera que ce sont principalement les mutations de fricatives en d'autre fricatives qui ne sont pas écrites.

Il s'agit en fait des mutations (relativement) nouvelles, ce qui explique pourquoi elles ne sont pas historiquement écrites. De plus, elles ne sont généralement pas employées en vannetais. Enfin, elles n'ont pas de caractère distinctif du genre et sont (relativement) automatiques pour les mots qu'elles affectent. En ce sens, elles peuvent être appelés sandhi plutôt que mutations. Elles ne sont pas systématiques en ce sens qu'elles n'affectent pas tous les mots commençant par f, s, ...

Par exemple, les mots ou verbes sellout, chom, ... sont affectés par ces sandhis chez la plupart des locuteurs.

Le lecteur pourra consulter la thèse de François Falc'hun, « Le système consonantique du breton » pour plus d'informations.

CH/J

Par exemple, Emaon o chom se prononce /(e)ˈmaɔ̃n(o)ʒɔmː/. Notons le phénomène inverse, qui n'est pas une mutation de l'initiale mais un sandhi final de liaison : Ne blij ket din se prononce /(ne)bliʃ‿keː(t)‿din/.

De même, <ch> est régulièrement prononcé /ʒ/ après da.

F/V

La mutation F/V se rencontre surtout en léonard, qui par ailleurs, connaît globalement plus de mutations que les autres dialectes.

Il est cependant assez courant de prononcer da fri /davri/ (« ton nez »)

S/Z

En liaison, s se voise fréquemment (surtout en Léon) en z : da sell(out) se prononce /dazél(oute)/.

Par contre, dans une grande partie du Trégor, et dans la moitié Est de la Cornouaille, le s initial de la plupart des mots se prononcent /z/ en situation normale. Un /z/ qui subit une mutation durcissante en /s/ (voir plus bas).

Mutations durcissantes non écrites

La mutation durcissante peut concerner également :

  • le « s » prononcé /z/, le « f » prononcé /v/, qui mutent respectivement en /s/ et /f/ (« saout » /'zowt/ donnant « ho saout » /o'sowt/) ;
  • « j » qui mute en « ch » (« ar journal » donnant « ho chournal ») ;
  • les voyelles et « y » ;
  • les lettres liquides « l », « m », « n » et « r » en /lh/, /mh/, /nh/ et /x/ (dans la moitié Sud-Est de la Cornouaille) ;

Ces mutations sont parfois écrites en rajoutant « -c'h » au mot provoquant la mutation (bien qu'écrire un simple « h » serait plus juste) :

  • « hoc'h levr » /o'lhewr/,
  • « hoc'h mamm » (/o'mhãm/),
  • « hoc'h rastell » (/o'xastəl/).

Elles concerne « ho » (votre) et quelquefois « he » (son, à elle).

Renforcement de mutations mixtes

On a un phénomène similaire après la particule « o » (ou « é »). En fait, ces mots ne se prononcent que par la mutation qu'ils provoquent. Le renforcement se fait après « l », « n », « r »... ou après le résultat d'une mutation mixte : « v » provenant de « b » ou de « m », et « c'h » doux provenant de « g ».

  • « bale » : « o vale » /fa:lə/
  • « mont » : « o vont » /fõn/ (devenant souvent /hõn/)
  • « nijal » : « o nijal » /nhi:ʒəl/

Les anciennes mutations nasalisantes

Le moyen-breton connaissait les mutations nasalisantes comme le gallois. Cependant, elles sont devenues extrêmement rares en breton moderne, au point d'avoir quasiment disparu.

Il reste la notable et exceptionnelle mutation de dor porte ») en an nor la porte »), la seule à être écrite, selon les normes du moins. Mais localement, d'autres mots vont voir la consonne d se nasaliser après l'article : den personne ») dans an nen on »). Ceci est dû au fait que la nasalisation de d était l'une des plus fréquentes en moyen-breton.

La nasalisation de b se constate aussi pour « bennak(et) » (« quelque ») entendu /menak(ət)/.

Elle se retouve également dans le nom de la commune Saint Brandan en gallo qui a conservé la prononciation bretonne. Saint Mnan au lieu de saint Bedan.

Mutations et dialectes

Dans certains dialectes du breton, en particulier en trégorrois ou en cornouaillais, certaines mutations ont changé. Ainsi, certaines mutations spirantes disparaissent et sont remplacées par des mutations adoucissantes. Il ne s'agit pas d'erreurs, mais bien d'une évolution de la langue bretonne au niveau local. On pourra ainsi entendre :

  • ma dad mon père »), au lieu de ma zad
  • ma benn ma tête »), au lieu de ma fenn

Il est difficile d'expliquer l'origine de ces changements. Les mutations adoucissantes étant de loin les plus fréquentes en breton, il est possible qu'elles prennent le pas sur les autres, plus complexes, notamment lorsque la compréhension n'en est pas directement impactée.

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