Mouche tsé-tsé

Les mouches tsé-tsé (aussi orthographié tsétsé[1]) ou glossines sont un genre de mouches hématophages africaines qui peuvent être vectrices de trypanosomiases humaines (THA ou maladie du sommeil) ou animales (nagana). Ces maladies peuvent être mortelles. Le mot « tsé-tsé » vient de la langue tswana, parlée dans plusieurs pays d'Afrique australe et signifie « mouche qui tue le bétail[2] ».

Glossina

Pour les articles homonymes, voir Mouche et Goma Tsé-Tsé.

Trypanosomoses

Mouche tsé-tsé (Glossina morsitans)

Les trypanosomoses infectent également le bétail, le rendant anémique, moins fertile et réduisant la production de viande et de lait.

Historique

Le premier piège à glossines a été mis au point et utilisé dans les plantations de l'île de Sao Tomé-et-Principe en 1910, il s'agissait de blouses noires enduites de glu (Da Costa et al., 1916). Pendant la première moitié du XXe siècle, les méthodes utilisées par les colonisateurs consistèrent surtout à réaliser des opérations de débroussaillage et d'abattage des animaux sauvages. Néanmoins, la lutte contre la maladie du sommeil, notamment pendant la grande pandémie qui a ravagé l'Afrique centrale et de l'Ouest entre 1920 à 1950, est d'abord passée par le dépistage et le traitement aux moyens d'équipes mobiles. C'est à cette époque que les chercheurs s'intéresseront vraiment aux pièges à glossines (Harris, 1930 ; Chorley, 1933 ; Morris, 1949). C'est avec l'apparition du DDT dans les années 1940 que les insecticides vont être utilisés massivement jusque dans les années 1960, période des indépendances pour de nombreux États africains.

Les pulvérisations aériennes ont été largement utilisées en Afrique australe, notamment au Zimbabwe (Rhodésie à l'époque), mais les problèmes posés par le rapport coût / efficacité de la méthode ainsi que son impact sur la faune non ciblée ont amené des chercheurs à mettre au point de nouveaux procédés. De plus, le fait que les glossines enterrent leurs larves rendait l'éradication quasi impossible et nécessitait des pulvérisations répétées. C'est ainsi que les pièges à glossines vont faire un retour en force à la fin des années 1960 jusque vers les années 2000. Le piège de référence en matière de lutte contre les glossines est le piège biconique (Challier et Laveissière, 1973), conçu pour attirer les glossines des groupes palpalis et fusca. Plusieurs déclinaisons de ce piège seront mises au point dans les années 1980, améliorant l'efficacité et réduisant les coûts de fabrication : le piège pyramidal (Lancien, 1981 ; Gouteux et Lancien, 1986), le piège monoconique « vavoua » (Laveissière et Grébaut, 1990).

En 1978, la conférence internationale d'Alma-Alta reconnaît aux communautés le droit de s'impliquer dans leur propre système de santé. Plusieurs campagnes massives de lutte contre les tsé-tsé sont alors lancées, notamment en Afrique francophone. Ces campagnes démontrent l'efficacité de la méthode. Un tel succès est dû pour l'essentiel à l'implication d'équipes spécialisées, capables d'appliquer à la lettre les procédures de mise en place des dispositifs. Malheureusement, dans les pays qui s'essaient ensuite à des campagnes de grande envergure, le non-respect de ces procédures provoque des échecs qui relèguent au second plan la prophylaxie par piégeage du vecteur.

Concernant la protection du bétail, d'autres techniques que le piégeage sont préconisées, qui passent par l'utilisation d'insecticide directement sur l'animal (pour-on, imprégnation des membres inférieurs). En effet, si l'on fait abstraction de la pulvérisation aérienne, le défi majeur de la protection du bétail réside dans l'immensité des surfaces à protéger. La mise en œuvre d'une protection directement sur l'animal présente dès lors tout son intérêt.

La technique du lâcher d'insectes stériles ou SIT, mise au point dans les années 1960 et utilisée avec succès dans les grandes plantations industrielles du Sud des États-Unis et d'Amérique centrale, a été testée dans les années 1980 au Burkina Faso (Politzar et Cuisance, 1984). Cette technique consiste à produire une grande quantité de mâles et à les stériliser en les soumettant à des radiations. Ces insectes sont ensuite relâchés dans la nature et vont s'accoupler avec les femelles sauvages. Si le nombre de mâles stériles est au moins dix fois plus élevé que celui des mâles sauvages et si la population de glossines visée est géographiquement isolée, l'espèce est rapidement éradiquée.

Cette technique a été utilisée sur l'île de Zanzibar de 1994 à 1998 où, en quatre ans, plus aucune mouche tsé-tsé n'a été repérée[3]. Le programme d'éradication, mené en coopération entre la FAO et l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA) a consisté dans un premier temps à réduire drastiquement la population de mouches tsé-tsé à l'aide d'insecticide[4], pour permettre à la technique de l'insecte stérile d'être efficace, ce n'est qu'après, que les mouches mâles stériles ont été relâchées. Un rapport de 50 pour 1 a été utilisé sur Zanzibar, de manière à s'assurer du succès de l'opération.

Depuis le succès de Zanzibar, l'Union africaine désire étendre l'utilisation de cette technique à d'autres pays africains.

Les opposants à ce projet soutiennent que la suppression totale de cette espèce risque de déséquilibrer l'écosystème, dans lequel la mouche tsé-tsé a sans doute sa place[5]. Un programme important d'éradication de la mouche tsé-tsé a déjà été appliqué dans les années 1970-1980 dans la région de Ngaoundéré. Une continuité de ce programme au début des années 1990 consistait à utiliser des pièges à insectes de façon à constituer un barrage naturel à l'expansion de l'insecte dans la zone considérée comme éradiquée. Cette initiative aura permis une amorce du développement de la production laitière entraînant avec elle un ralentissement des transhumances du bétail et un début de la culture fourragère sur le plateau de l'Adamaoua.

Un point faible du SIT est constitué par sa lourdeur et son coût. La production des mâles stériles sur un mode industriel est délicate, onéreuse et nécessite un équipement spécialisé pour la stérilisation (bombe au cobalt). De plus, la réussite de cette technique, qui se traduit par l'éradication d'une population de glossines, passe par l'identification de populations de tsé-tsé isolées en s'appuyant sur de longues et coûteuses études de génétique.

La région de Dafinso, Burkina Faso a fait l'objet d'une campagne d'éradication de ces vecteurs en 1993 et 1994, la maladie ayant affecté des ânes notamment en 1992[6].

PATTEC

À la conférence de l'Organisation de l'unité africaine (OUA) de 2000 à Lomé (Togo), les chefs d'États africains ont décidé de faire un effort significatif en matière de lutte contre les glossines et ont lancé la Pan-African Tsetse and Trypanosomosis Eradication Campaign (PATTEC). Cette campagne, initiée à l'échelle continentale, vise à soutenir les États désireux de se débarrasser du problème trypanosomien. La FAO, l'OMS et l'IAEA sont les principaux partenaires de ce projet et le SIT son fer de lance. Il s'agit pour les États concernés de définir et de mettre en œuvre une politique visant l'éradication des tsétsés, qui passe par la formation de personnels, la mise en œuvre de moyens spécifiques (fabrications de pièges, production de mâles stériles, inventaire des populations de glossines génétiquement isolées, etc.) et de coordinations au niveau des sous-régions. Malheureusement, dix ans après l'initiation de cette campagne, le bilan reste très mitigé même si 13 États africains ont mis en œuvre des programmes dans le cadre de la PATTEC.

Le piégeage

Piège à mouche tsé-tsé.

Le principe de fonctionnement des pièges à glossines est fondé sur son attractivité visuelle. Si le bleu est la couleur la plus attractive pour les glossines, le bleu retenu pour la réalisation des pièges n'est pas le plus attirant. En effet, une des contraintes étant constituée par l'utilisation du tissu comme support à l'insecticide, une des qualités recherchée est la rémanence maximale du produit sur le support. Le bleu « roi » ou bleu « électrique » est le bleu de référence pour les pièges à glossines. Les pyréthrénoïdes (Deltamethrine, alphacypermethrine) sont les insecticides les plus performants, à condition que les tissus utilisés pour les pièges soient en coton/polyester, polyester ou polyamide. Le coton seul favorise le lessivage rapide du produit et est donc déconseillé. Si les moyens le permettent, l'attractivité peut être renforcée par l'adjonction d'un attractif olfactif ; les plus performants étant le CO2, l'acétone et certains phénols.

Le camouflage

Dans les années 1970, des recherches ont pointé le fait que la mouche tsé-tsé est attirée par la vue de larges zones monochromes : les rayures du zèbre permettraient ainsi de se protéger du parasite auquel les équidés sont plus sensibles que d'autres animaux sauvages. Il est à ce sujet significatif de constater que les zones de répartition des zèbres et des glossines coïncident exactement et que les rayures s'estompent chez les populations moins exposées au parasitisme par les trypanosomes[7],[8].

Espèces de Glossines

Le genre des mouches tsé-tsé est généralement divisé en trois principaux groupes basé sur la combinaison de la distribution, l'habitat et des caractères morphologiques. Le genre inclut [9],[10]:

Les mouches des savanes : (Sous-genre Glossina, groupe Morsitans) :

  • Glossina austeni (Newstead, 1912)
  • Glossina longipalpis (Wiedemann, 1830)
  • Glossina morsitans centralis (Machado, 1970)
  • Glossina morsitans morsitans (Wiedemann, 1850)
  • Glossina morsitans submorsitans (Newstead, 1911)
  • Glossina pallidipes (Austen, 1903)
  • Glossina swynnertoni (Austen, 1923)
  • Glossina lefevroni (Rouen, 2010)
  • Glossina josephussdelbentazie (Tahaircity, 1938)

Les mouches des forêts : (Sous-genre Austenina, groupe Fusca) :

  • Glossina brevipalpis (Newstead, 1911)
  • Glossina fusca congolensis (Newstead and Evans, 1921)
  • Glossina fusca fusca (Walker, 1849)
  • Glossina fuscipleuris (Austen, 1911)
  • Glossina frezili Gouteux, 1988[11]
  • Glossina haningtoni (Newstead and Evans, 1922)
  • Glossina longipennis (Corti, 1895)
  • Glossina medicorum (Austen, 1911)
  • Glossina nashi (Potts, 1955)
  • Glossina nigrofusca hopkinsi (Van Emden, 1944)
  • Glossina nigrofusca nigrofusca (Newstead, 1911)
  • Glossina severini (Newstead, 1913)
  • Glossina schwetzi (Newstead and Evans, 1921)
  • Glossina tabaniformis (Westwood, 1850)
  • Glossina vanhoofi (Henrard, 1952)

Les mouches de rivières : (Sous-genre Nemorhina, groupe Palpalis) :

  • Glossina caliginea (Austen, 1911)
  • Glossina fuscipes fuscipes (Newstead, 1911)
  • Glossina fuscipes martinii (Zumpt, 1935)
  • Glossina fuscipes quanzensis (Pires, 1948)
  • Glossina pallicera pallicera (Bigot, 1891)
  • Glossina pallicera newsteadi (Austen, 1929)
  • Glossina palpalis palpalis (Robineau-Desvoidy, 1830)
  • Glossina palpalis gambiensis (Vanderplank, 1911)
  • Glossina tachinoides (Westwood, 1850)


Histoire

L'entomologiste Ernest Edward Austen (1867-1936) a fait partie des grands spécialistes de la mouche tsé-tsé à son époque ainsi que Jacques Itard et Dominique Cuisance.

Impact sur les sociétés africaines

Dans les régions où la mouche Tsé-tsé est très présente, l'élevage de gros herbivores, notamment les bovins et les chevaux, devient improductif, ou même impossible, en raison de la mortalité des bêtes par trypanosomiases. Selon certains auteurs, cette donnée a considérablement ralenti le développement de l'Afrique tropicale[12].

En effet, la rareté ou l'absence de ces animaux a affecté les sociétés des régions touchées de plusieurs façons :

Au cours du XIXe siècle, la déforestation a conduit à une extension spectaculaire des régions touchées par la mouche tsé-tsé. Ainsi, les premiers colons installés dans le futur Liberia avaient amené des chevaux et en faisaient le même usage qu'aux États-Unis. L'arrivée de la mouche tsé-tsé a causé l'effondrement des élevages équins de la colonie, ravageant son économie[13].

Le Royaume d'Oyo, pays précolonial dans l'actuel Nigeria, entretenait une force de cavalerie. Si cette arme lui conférait un atout considérable sur ses voisins, elle avait un coût très important : la mortalité des chevaux était trop élevée pour permettre au royaume d'être autosuffisant, des animaux étaient donc en permanence importés du Sahel, région qui n'est pas infectée[14].

Bibliographie

  • Gary Sheffield, La première Guerre mondiale en 100 objets : Ces objets qui ont écrit l'histoire de la grande guerre, Paris, Elcy éditions, , 256 p. (ISBN 978 2 753 20832 2), p. 126-127

Références

  1. le Rapport de 1990 sur les rectifications orthographiques recommande cette écriture (Liste C).
  2. (fr) « Programme Against African Trypanosomiasis (PAAT) - Transmission », Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture (consulté le ).
  3. (fr) La mouche tsé-tsé éradiquée dans l'île de Zanzibar, sur le site de la FAO.
  4. ce programme de réduction de la population par insecticide a été mené par la FAO et le FAO et le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD).
  5. (fr) Éliminer la mouche tsé-tsé en Afrique, du magazine Afrique Relance (actuellement Afrique Renouveau) de mai 2003.
  6. Burkhard Bauer, Idrissa Kabore et Sandrine Amsler-Delafosse, « Lutte contre les vecteurs de la trypanosomose animale africaine au Burkina Faso », Cahiers Agricultures, vol. 4, no 6, , p. 440–443 (1) (ISSN 1777-5949, lire en ligne, consulté le )
  7. Bernard Vray, Le parasitisme : le plus vieux métier du monde ? ou les progrès de la paléo-parasitologie, pages 6-7.
  8. (en) A. Egri, M. Blaho, G. Kriska, R. Farkas, M. Gyurkovszky, S. Akesson et G. Horvath, « Polarotactic tabanids find striped patterns with brightness and/or polarization modulation least attractive: An advantage of zebra stripes », Journal of Experimental Biology, vol. 215, no 5, , p. 736–745 (PMID 22323196, DOI 10.1242/jeb.065540)
  9. (en) J. A. van Vesten, The Tsetse Fly Glossina fuscipes fuscipes Newstead, 1911, in East Africa: some aspects of its biology and its role in the epidemiology of human and animal trypanosomiasis, Doctoral Thesis, University of Amsterdam, 1971.
  10. (en) A. M. Jordan, R. P. Lane (éditeur) et R. W. Crosskey (éditeur), Medical Insects and Arachnids, Chapman and Hall, , « Tsetse-flies (Glossinidae) ».
  11. (fr) J. P. Gouteux, « Une nouvelle glossine du Congo: Glossina (Austenina) frezili sp. nov. (Diptera: Glossinidae) », Tropical Medicine and Parasitology, Deutsche Tropenmedizinische Gesellschaft, vol. 38, no 2, , p. 97–100 (PMID 3629143, S2CID 91006636)
  12. (en) Marcella Alsan, « The Effect of the TseTse Fly on African Development », American Economic Review, vol. 105, no 1, , p. 382–410 (ISSN 0002-8282, DOI 10.1257/aer.20130604, lire en ligne, consulté le )
  13. D. C. Dorward et A. I. Payne, « Deforestation, the Decline of the Horse, and the Spread of the Tsetse Fly and Trypanosomiasis (nagana) in Nineteenth Century Sierra Leone », The Journal of African History, vol. 16, no 2, , p. 239–256 (ISSN 0021-8537, lire en ligne, consulté le )
  14. Robin Law, « A West African Cavalry State: The Kingdom of Oyo », The Journal of African History, vol. 16, no 1, , p. 1–15 (ISSN 0021-8537, lire en ligne, consulté le )

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