Mihna

La mihna (en arabe : محنة خلق القرآن , Miḥnat Ḵẖalaq al-Qurʾān « épreuve [concernant] la création du Coran ») est un terme arabe pour désigner une période de persécutions religieuses mises en place par le calife abbasside Al-Ma'mūn à partir de 833, au cours de laquelle les ouléma sont emprisonnés ou tués à moins d'être conformes au mutazilisme, c'est-à-dire d'enseigner l'idée d'un Coran d'origine humaine en opposition au Coran incréé. Cette politique menée par al-Ma'mun dure quinze années entre 833 à 848 et se poursuit sous ses successeurs immédiats : al-Mu'tasim et al-Wathiq jusqu'à ce qu'al-Mutawakkil l'abandonne en 848[1]. Cet abandon est riche en signification puisqu'il met fin aux prétentions des califes abbassides de définir les dogmes de l'islam[2].

Les origines de la mihna

Carte de la mihna et des événements qui lui sont associés

En 827, al-Ma'mun proclame que le Coran fut créé par Dieu. Six ans plus tard et quatre mois avant sa mort, il institue la mihna chargée d'exterminer toute opposition à cette idée[3]. Ses successeurs, al-Mu'tasim et al-Wathiq, le maintiennent avant qu'al-Mutawakkil ne la supprime entre 848 et 851.

L'idée d'un Coran divin est issue et inspirée de l'école mutazilite. Cette école pensait que le bien et le mal ne sont pas toujours déterminés par les révélations ou l'interprétation des Écritures, mais par des catégories rationnelles qui pouvaient être établies par la raison. Les motivations d'al-Ma'mun pour imposer son dogme peuvent être attribuées à ses sympathies envers les mutazilites et les chiites, ou encore à sa volonté de consolider son autorité religieuse dans une époque où les ouléma et les qadi commencent à être considérés comme les véritables gardiens du savoir religieux et de la sunna.

Des chercheurs attribuent la mihna à l'association étroite de al-Ma'mun avec les grands mutazilites de l'époque[4]. Parmi eux : Ahmed ibn Abi Du'ad est nommé par le calife comme grand cadi[5]. Il était connu comme un grand ouléma maîtrisant parfaitement la kalâm et étant en faveur de la mihna par ses plaidoyers sous les deux califes suivants. Ces mêmes chercheurs concluent que son influence amène al-Ma'mun à mettre en œuvre la mihna durant les derniers mois de sa vie. Cependant, il n'est pas clair si la nomination d'Ibn Abi Du'ad est une cause ou un reflet des plans d'Al-Ma'mun d'instituer cette politique.

Plus que les autres califes, al-Ma'mun démontre une proximité avec les membres de la famille alide et de certaines de leurs doctrines. Le calife était connu pour être un érudit. Ses lettres adressées à ses préfets pour lancer l'inquisition affichaient un haut degré intellectuel dans le domaine de la religion[6]. Cette connaissance s'assimile à la croyance chiite selon laquelle l'imam seul détenait la connaissance ésotérique du Coran et des questions de foi. En plus d'adopter le titre d'imam, al-Ma'mun étend des gestes de conciliations envers la famille alide, comme en témoigne la désignation de l'imam Ali al-Rida comme son héritier. Le chiisme, tout comme le mu'tazilisme, embrasse l'idée de la création du Coran. Cependant, cette idée peut être trompeuse. Bien qu'il y ait un chevauchement entre ces deux mouvances, le mu'tazilisme et le chiisme n'étaient pas les seuls courants théologiques à souscrire à cette croyance. Il n'y a donc pas nécessairement un lien entre l'idée et la mihna. En outre, il n'est pas concluant de dire que le chiisme au cours de cette période ait pleinement embrassé la notion de création du Coran, mais qu'il s'agit d'une vision postérieure à l'époque où les sunnites et les chiites développent leurs dogmes. Alors que certains érudits soutiennent que parmi les ouléma chiites à cette époque suivaient les enseignements de Ja'far as-Sadiq qui croyait en la non-création du Coran, d'autres sources contestent que cet imam partageait une telle opinion.

Al-Ma'mun aurait sans doute imposé la mihna pour conforter son autorité califale sur les questions religieuses. Dans une série de lettres à ses gouverneurs, al-Ma'mun explique le rôle du calife en tant que gardien de la religion et des lois de Dieu. Il semblait s'appuyer sur la notion chiite que le calife-imam à lui seul possédait les connaissances ésotériques et s'en servait pour souligner son rôle d'éducateur afin de sortir le peuple de l'ignorance en matière religieuse. Cet effort visait à lutter contre l'autorité religieuse des ouléma notamment des traditionnistes tel qu'Ahmed ibn Hanbal dont l'autorité d'interpréter la religion était enracinée dans leur expertise des traditions du Prophète. Cependant, dans la tendance plus longue de l'histoire islamique pré-moderne, l'autorité religieuse deviendrait la compétence exclusive des théologiens, tandis que le calife était réduit à une simple autorité politique, puis symbolique.

Sous al-Mu'tasim

Al-Ma'mun décède en 833, mais sa politique se poursuit sous al-Mu'tasim. Son règne débute par un procès célèbre. L'ouléma Ahmad ibn Hanbal subit un interrogatoire de la mihna auquel il répond que le Coran n'est pas de création divine. Al-Mu'tasim le démet de sa fonction, l'emprisonne et le fait fouetter jusqu'à ce qu'il soit inconscient. Cependant, la population de Bagdad s'agite à la nouvelle de l'arrestation et al-Mu'tassim est forcé de le libérer[7]. Le calife se préoccupe ensuite de la construction de sa nouvelle capitale à Samarra et de ses campagnes militaires, mais peu de la mihna[8].

Conséquences

Dans l'islam classique, les particuliers et non pas le calife entreprenaient la mission de développer les différentes sciences islamiques dont le fiqh. La loi, contrairement aux États-nations modernes, n'était pas l'apanage exclusif de l'État. Les ouléma développaient la loi en opposition consciente à l'État (Jackson, 2002). Dès le début, le religieux était distinct du politique. L'autonomie des ouléma entraîne l'émergence de différentes écoles de jurisprudence diamétralement opposées, mais toutes considérées comme islamiquement valides et authentiques. Dans ce contexte, la mihna reflète la frustration du calife face à cette culture juridique puissante et influente. Elle dura quinze années, après quoi l'autorité des ouléma s'est mieux définie. Cela ne signifie pas que la confrontation était la marque de la relation entre l'État et les juristes. La relation était plus nuancée et impliquait non seulement la confrontation mais aussi la collaboration. D'une manière générale, les juristes servent de tampon entre le calife et le peuple.

Notes et références

  1. Muhammad Qasim Zaman, Religion and Politics Under the Early ?Abbasids : The Emergence of the Proto-Sunni Elite, BRILL, , 106–112 p. (ISBN 978-90-04-10678-9, lire en ligne)
  2. E.J., ed. Brill, The Encyclopedia of Islam, vol. 7, 1965–1986, 2–4 p.
  3. Nawas, « A Reexamination of Three Current Explanations for al-Maʾmun's Introduction of the Mihna », International Journal of Middle East Studies, vol. 26, , p. 615 (DOI 10.1017/s0020743800061134, JSTOR 163805)
  4. Nawas, « A Reexamination of Three Current Explanations for al-Mamun's Introduction of the Mihna », International Journal of Middle East Studies, vol. 26, no 4, , p. 616 (DOI 10.1017/s0020743800061134, JSTOR 163805)
  5. Walter Melville Patton, Aḥmed ibn Hạnbal and the Miḥna : A biography of the imâm including an account of the Moḥammedan inquisition called the Miḥna, 218-234 A.H., E.J. Brill, , 54–55 p. (lire en ligne)
  6. Jalaluddin Al-Suyuti, History of the Caliphs, Calcutta, J.W. Thomas, Baptist Mission Press, , p. 322
  7. E.J., ed. Brill, The Encyclopedia of Islam, vol. 7, 1965–1986, 3 p.
  8. E.J., ed. Brill, The Encyclopedia of Islam, vol. 7, 1965–1986, 4 p.
Bibliographie
  • Cooperson, Michael, Al-Ma'mun (Makers of the Muslim World), Oxford, England, Oneworld Publications, (ISBN 978-1-85168-386-4)
  • Ess, J. V., The Flowering of Muslim Theology, USA, Harvard University Press, , 220 p. (ISBN 978-0-674-02208-9, lire en ligne)
  • Hurvitz, N., « Mihna as Self-Defense », Studia Islamica, vol. 92, , p. 93–111 (DOI 10.2307/1596192)
  • Jackson, S. A., « Jihad and the Modern World », Journal of Islamic Law and Culture, vol. 7, no 1, , p. 1–26
  • Nawas, J. A., « A Rexamination of Three Current Explanations for al-Ma'mun's Introduction of the Mihna », International Journal of Middle East Studies, vol. 26, no 4, , p. 615–629 (DOI 10.1017/S0020743800061134)
  • Nawas, J. A., « The Mihna of 218 A.H./833 A. D. Revisited: An Empirical Study », Journal of the American Oriental Society, Journal of the American Oriental Society, Vol. 116, No. 4, vol. 116, no 4, , p. 698–708 (DOI 10.2307/605440, JSTOR 605440)
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