Marthe Gautier

Marthe Gautier, née le à Montenils, est une femme médecin française, pédiatre, directrice de recherche honoraire à l'INSERM, spécialisée en cardiopédiatrie qui a joué un rôle majeur dans la découverte, en 1959, du chromosome surnuméraire responsable de la trisomie 21 (ou syndrome de Down), en collaboration avec Jérôme Lejeune et Raymond Turpin, chef de laboratoire[1],[2].

Pour les articles homonymes, voir Gautier.

Marthe Gautier a contesté l'ordre des trois signatures de l'article fondateur de la découverte de la trisomie 21 paru dans le compte-rendu de l'Académie des sciences du . Elle reproche en effet à Jérôme Lejeune, premier signataire de l'article, de s'en être attribué l'entière paternité, sans préciser que le travail de laboratoire était le sien.

Biographie

Naissance

Marthe Gautier est née le à Montenils (Seine-et-Marne)[3], cinquième de sept enfants[4], dans une famille d'agriculteurs[réf. souhaitée][5]

Éducation Internat à Paris

Sa mère voulait que ses filles fassent des études. Elle se découvre très tôt une vocation pour la pédiatrie. En 1942, elle rejoint sa sœur Paulette qui termine ses études de médecine à Paris, avec comme objectif le concours pour devenir pédiatre. Le décès de sa sœur en août 1944, lors des affrontements d'une France en pleine Libération, la prive de son plus grand mentor[6] mais elle poursuit ses études.

Elle réussit le concours de l'internat des Hôpitaux de Paris et passe quatre années en apprentissage clinique en pédiatrie. En 1955, elle soutient sa thèse en cardiologie pédiatrique sous la direction de Robert Debré. Sa thèse porte sur l'étude clinique et anatomopathologique des formes mortelles de la maladie de Bouillaud ou rhumatisme articulaire aigu (RAA) dû à l'expression du streptocoque.

Robert Debré est à l'époque responsable de la pédiatrie en France et propose à Marthe Gautier une bourse d'études d'un an à Harvard dans le but d'acquérir des connaissances en cardiologie pédiatrique avec deux objectifs. Le premier est d'éradiquer la maladie de Bouillaud par la pénicilline, et de traiter des cardites parfois mortelles par la cortisone. Le second est de créer un département pour le diagnostic et la chirurgie des cardiopathies congénitales du nouveau-né et du nourrisson.

Une année à Boston

En , Marthe Gautier part pour Boston, accompagnée de Jean Alcardi et Jacques Couvreur (eux-mêmes boursiers Fullbright). Ce sont les premiers internes des Hôpitaux de Paris à avoir obtenu une bourse d'étude pour les États-Unis. À Harvard, Marthe Gautier poursuit sa formation sur les cardiopathies congénitales auprès du Pr Alexander Nadas. En marge, elle s'initie à la culture cellulaire en travaillant sur des fibroblastes, tâche prévue dans son contrat mais dont elle n'avait pas l'expérience. Elle prend un poste à mi-temps de technicienne dans un laboratoire de culture cellulaire, afin d'y obtenir, à partir de fragments d'aortes, des cultures in vitro de fibroblastes[7], pour des études comparatives des taux de cholestérol d’enfants et d’adultes.

Retour à Paris

Après l'année passée à Boston, elle comptait obtenir un poste dans le service de cardiologie infantile à l'hôpital Bicêtre à Paris. Celui-ci ayant été attribué, en son absence, à un collègue, elle est obligée de trouver une autre solution. En , elle découvre l'hôpital Trousseau, et le service de Raymond Turpin, qu'elle ne connaît pas mais au sein duquel un poste est disponible dans une autre spécialité[7].

Le professeur Turpin étudie avec Jérôme Lejeune, arrivé à Trousseau en 1952 et chargé de la consultation sur le « mongolisme », les syndromes polymalformatifs, dont le plus fréquent est la trisomie, caractérisé par un retard mental et des anomalies morphologiques. À l'époque, Raymond Turpin est partisan de l'hypothèse d'une origine chromosomique de la trisomie[8], mais aucun laboratoire ne pratique de culture cellulaire en France, et le nombre de chromosomes de l'espèce humaine est lui-même estimé à 48, mais sans grande certitude.

Le laboratoire de culture cellulaire

Joe Hin Tjio, chercheur à l'institut de génétique de l'université de Lund en Suède découvre le et publie en , avec Albert Levan, chef de laboratoire, comme coauteur[9], que l'espèce humaine a exactement 46 chromosomes[10], et non 48 comme précédemment supposé. En rentrant du premier Congrès international de génétique humaine de Copenhague en , Raymond Turpin confirme la découverte à ses équipes et émet alors l'idée d'effectuer des cultures cellulaires pour compter le nombre de chromosomes chez les trisomiques. Grâce à l'expérience acquise aux États-Unis, Marthe Gautier propose « d'en faire [son] affaire, si l'on [lui] donne un local »[11]. Raymond Turpin ayant accepté, elle constitue en France le premier laboratoire de culture cellulaire in vitro[12].

Pour parvenir à faire le décompte des chromosomes, Marthe Gautier travaille sur des fibroblastes issus de tissu conjonctif, plus faciles à obtenir sous anesthésie locale. Le principe des cultures cellulaires étant simple, elle obtient rapidement la confirmation que son protocole est au point.

Le service de chirurgie voisin lui procure du tissu conjonctif prélevé au cours d'interventions prévues chez des enfants. Elle le cultive et, avec l'aide de deux techniciennes, elle parvient à faire pousser les fragments et proliférer les cellules. Elle utilise le « choc hypotonique »[13], suivi du séchage de la lame après fixation, afin de bien disperser les chromosomes des cellules en division et de rendre leur comptage plus facile.

Avec ce protocole, les cellules des enfants non atteints de trisomie 21 ont 46 chromosomes. Dans les cellules d'un garçon trisomique, Marthe Gautier déclare avoir observé un chromosome de plus[14]. Selon elle, il s'agit en de la première mise en évidence d'une anomalie chromosomique chez les individus atteints du syndrome de Down[14].

Annonce des résultats

Le laboratoire de l'hôpital Trousseau ne disposant pas à l'époque de microscope capable de capturer les images des lames, Marthe Gautier confie ses lames à Jérôme Lejeune, chercheur au CNRS, qui lui propose de faire les clichés dans un autre laboratoire, mieux équipé. Au mois d', les photographies permettent d'identifier un chromosome surnuméraire chez le patient trisomique[15].

Jérôme Lejeune annonce la découverte de la trisomie 21 et du syndrome de Down à un séminaire de génétique de l'université McGill, Canada, en [16], à la suite du congrès international de génétique de Montréal qui s'est tenu durant l'été[17]. En , grâce à l'étude de nouveaux cas[15] et pour devancer les Anglo-Saxons, notamment Patricia Jacobs, qui travaillent sur des recherches similaires[18], le laboratoire publie les résultats de l'analyse des lames dans les Comptes rendus de l'Académie des sciences, dans un article mentionnant comme auteurs, dans l'ordre, Jérôme Lejeune, Marie Gauthier (le nom est mal orthographié[19]) et Raymond Turpin, chef de laboratoire[1].

L'équipe de Raymond Turpin identifie la première translocation et la première délétion chromosomique, qui donne lieu à des publications que Marthe Gautier co-signe[20].

Attribution de la découverte

À Denver, en , la maladie sera dénommée trisomie 21, et la mise en évidence de l'anomalie chromosomique attribuée à Jérôme Lejeune. Marthe Gautier écrira : « Je suis blessée et soupçonne des manipulations, j'ai le sentiment d'être la « découvreuse oubliée » »[18]. Convaincue d'avoir été trahie, Marthe Gautier décide d'abandonner la trisomie 21 pour retourner vers les soins de l'enfant atteint de cardiopathie. Elle sera la fondatrice et la directrice du département d’anatomopathologie des maladies hépatiques de l’enfant à la demande de Daniel Alagille, directeur de l’unité de recherche INSERM 56 « Hépatologie infantile », à l’hôpital du Kremlin-Bicêtre (1966)[21]. Elle sera ensuite maître de recherche (1967), puis directrice de recherche à l’INSERM, et membre de la commission scientifique spécialisée (CSS) de l’INSERM "Métabolismes inorganiques, physiologie et pathologie hépatiques et digestives".

En 2009, Marthe Gautier explique[6] qu'à l'époque où elle travaillait à l'hôpital Trousseau, elle a été mise à l'écart par le professeur Turpin, chef du service où elle travaillait, et par Jérôme Lejeune, qui se serait arrogé les honneurs de la découverte[14],[20],[5],[22],[15]. En effet, alors qu'elle estime que l'ensemble de l'article reposait sur des travaux qu'elle avait initiés et réalisés techniquement, elle n'est apparue qu'en deuxième place dans l'ordre des co-signataires de la publication de 1959[14].

Honneurs

Le , Marthe Gautier devait prononcer une conférence intitulée « Découverte de la trisomie 21 » lors des Assises de la génétique médicale et humaine de Bordeaux[23], et recevoir pour ses travaux le grand prix de la Société française de génétique humaine. La Fondation et la famille de Jérôme Lejeune, afin de disposer objectivement des propos qui seraient tenus, ont obtenu l'autorisation du Président du tribunal de grande instance de Bordeaux de faire enregistrer par voie d’huissier l’intervention de Mme Gautier. Informés de cette démarche, et après avoir pris connaissance du contenu de l’intervention projetée par Marthe Gautier, les organisateurs des Assises de la génétique médicale et humaine ont choisi d’annuler sa prise de parole[4]. Son prix – une médaille frappée de trois épis – lui est remis au cours d'une cérémonie séparée sans que l'intervention projetée ait lieu[24].

Le Comité d'éthique de l'INSERM a émis un avis en rappelant le rôle décisif de Marthe Gautier et prenant appui sur cet exemple pour rappeler les règles internationales actuellement admises pour les publications scientifiques et la position des auteurs. L'avis précise que « l’histoire des découvertes n’est pas identique à l’histoire des sciences, et les processus de validation des connaissances restent très différents. L’approche technique est une condition nécessaire à la découverte - rôle clé de Marthe Gautier ; mais bien souvent il faut la prolonger pour en faire émerger la reconnaissance - contribution première de Raymond Turpin et par la suite de Jérôme Lejeune. La découverte de la trisomie n’ayant pu être faite sans les contributions essentielles de Raymond Turpin et Marthe Gautier il est regrettable que leurs noms n’aient pas été systématiquement associés à cette découverte tant dans la communication que dans l’attribution de divers honneurs »[25].

Retraite

À sa retraite, elle se tourne vers la peinture et la botanique[4].

Décorations

Marthe Gautier a été élevée directement au grade d'officière dans l'ordre de la Légion d'honneur et a été décorée le par Claudine Hermann, professeure honoraire de physique à l’École polytechnique et membre fondatrice de l'association Femmes & Sciences[26]. Après avoir refusé deux fois cette distinction, elle l'accepte finalement, selon ses termes, « par indignation à l'égard de l'impudence de la Fondation Lejeune »[27]. En , une plaque est dévoilée en son honneur dans son village natal de Montenils[28].

Bibliographie

Notes et références

  1. M. Jérôme Lejeune, Mlle Marthe Gautier et M. Raymond R. Turpin, « Les chromosomes humains en culture de tissus » », C. R. Acad. Sciences, vol. 248, (lire en ligne).
  2. Lejeune J, Turpin R, Gautier M, « [Mongolism; a chromosomal disease (trisomy)] », Bull Acad Natl Med, vol. 143, nos 11-12, , p. 256-65 (PMID 13662687)
  3. « Montenils : Marthe Gautier à l'honneur. », sur Cercle généalogique de la Brie (consulté le )
  4. Sultan.
  5. (en) « Randy Engel interview with Dr. Marthe Gautier, discoverer of trisomy 21 », sur www.renewamerica.com,
  6. Gautier 2009, p. 311
  7. Gautier 2009, p. 312
  8. (en) Joe Hin Tjio et Levan, « The chromosome number of man », Heriditas, vol. 42, , p. 1-6
  9. (en) Pearce Wright, « Obituary: Joe Hin Tjio », sur the Guardian, (consulté le )
  10. Gautier 2009, p. 313
  11. (en) Harrison CJ, Rowley JD, Van den Berghe H, Bernheim A, Martineau M, Gautier M, Le Coniat-Busson M, Romana S, Dastugue N, Hagemeijer A, Jonveaux P, Nguyen-Khac F, Bernard OA., « No chromosome arm unturned: in memory of Roland Berger 1934-2012. », Leukemia, , p. 28(2):464-9 (lire en ligne)
  12. J.-H. Tjio et A. Levan, Hereditas, 42, 1, 1956.
  13. Gautier 2009, p. 311-6
  14. Site des Archives de France
  15. (en) H. Kalter, Issues and Reviews in Teratology, Springer Science & Business Media, (ISBN 978-1-4613-0521-7, lire en ligne)
  16. (en) Leeming, William, « The early history of medical genetics in Canada », Social History of Medicine, vol. 17 (3), , p. 481-500 (ISSN 0951-631X, lire en ligne)
  17. Gautier 2009, p. 314
  18. (en) « After More Than 50 Years, a Dispute Over Down Syndrome Discovery », Science | AAAS, (lire en ligne, consulté le )
  19. La Recherche 2009, p. 57
  20. Histoire, « Marthe Gautier / Histoire de l'Inserm », sur histoire.inserm.fr (consulté le )
  21. Site de la fondation Lejeune
  22. « Trisomie 21, polémique autour de la découverte de Jérôme Lejeune », La Croix, (ISSN 0242-6056, lire en ligne, consulté le )
  23. « La vieille dame et les huissiers de la Fondation Lejeune », Le Monde, (lire en ligne)
  24. Avis de l'INSERM
  25. « JORF n°0094 du 20 avril 2014 page 6951 », sur legifrance.gouv.fr/, (consulté le ).
  26. Nicolas Chevassus-Au-Louis, « Trisomie 21 : le chromosome de la discorde », Le Monde « Science et médecine », 19 novembre 2014, p. 7.
  27. « Montenils Dimanche se tient le Festival », sur Le Pays briard (consulté le ).
  28. Décret du 15 novembre 2018 portant promotion et nomination
  29. « La chercheuse oubliée », sur LExpress.fr,
  30. « Corinne Royer, "Ce qui nous revient" - Radio », sur Play RTS,

Annexes

Articles connexes

Liens externes

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