Marie-France Tristan

Marie-France Tristan, née le , est agrégée d'italien, docteur d'État ès-lettres (1999), maître de conférence à Paris IV-Sorbonne (1971-2002), spécialiste de l’époque baroque, et plus particulièrement du poète italien Giambattista Marino, dit le Cavalier Marin (1569-1625), dont elle a contribué à réhabiliter l’image[1],[2],[3]

Elle est mariée avec l'écrivain Frédérick Tristan (prix Goncourt 1983).

Parcours scientifique

Les travaux de Marie-France Tristan sur le Cavalier Marin s’inscrivent dans le cadre du renouveau d’intérêt pour le baroque littéraire et artistique qui s’est manifesté dans la seconde moitié du XXe siècle.

Ces recherches ont débuté sous l’égide du médiéviste Paul Renucci, et se sont poursuivies dans le sillage des spécialistes du XVIIe siècle italien et européen, tant sur le plan littéraire que sur les plans scientifique, philosophique ou religieux (révolution scientifique de Galilée, tradition de l’Hexaméron, Cabale chrétienne, Cabale hébraïque d’Isaac Louria, etc.).

Ces mêmes travaux ont été plus récemment confortés par le projet de republication complète des œuvres de Marino aux Editions La Finestra (Trento).

Promotion d’une image : Marino poète philosophe

À travers un essai de plus de 700 pages, Marie-France Tristan a renouvelé en profondeur l’interprétation de l’œuvre marinienne en l'orientant dans une direction nettement philosophique[4]. Elle se propose de sortir le Cavalier Marin de l’ornière où l’ont enfoncé trois siècles de classicisme[5], pour lui rendre sa véritable dimension de « poète philosophe ».

Il s’agissait de démontrer que, loin d’être seulement le chantre d’une poésie de l’affectation, de la meraviglia gratuite, et d’une rhétorique échevelée, ce découvreur et ami du peintre Nicolas Poussin, hôte d’honneur du roi Louis XIII à Paris (1615-1623), mérite à bien des égards d’être rapproché, notamment en matière de théogonie et de cosmogonie, de philosophes tels que Francesco Giorgi (Georges de Venise, auteur de l’Harmonia mundi), Giordano Bruno, ou Tommaso Campanella, et annonce certains aspects majeurs de la pensée de Leibniz[6].

Elle a mis en évidence le fait que le traité marinien des Dicerie sacre (1614) apporte un précieux éclairage à l'articulation entre fable mythologique et symbolisme judéo-chrétien. Dans l'ensemble de l'œuvre marinienne, le vaste réseau des mythes gréco-latins s'avère en effet être d'une très grande richesse et originalité au niveau des propositions exégétiques qu’il suggère.

Textes à énigme

Marino a été mis à l’Index en 1627 pour son libertinisme trop affiché, pour son mélange jugé sacrilège du sacré et du profane, et plus globalement en raison du caractère hétérodoxe de sa philosophie, largement teintée d’hermétisme et de cabale, et marquée par les courants scientifiques les plus récents et les plus controversés. C’est la raison pour laquelle Marie-France Tristan a explicitement rangé l’œuvre marinienne dans la catégorie des textes à énigme, ou textes masqués impliquant une stratification des niveaux de langage. Ce type de texte requiert une méthode d’approche critique spécifique s’apparentant à la lecture d’une anamorphose (en l’occurrence non pas picturale, mais poétique)[7], et exigeant le passage d’une lecture purement littérale à une lecture symbolique et allégorique, voire anagogique.

C’est cette méthode qu’a adoptée Marie-France Tristan. S’appuyant sur l’idée que la véritable rhétorique est d’ordre philosophique[8], elle s’inspire plus particulièrement de certaines propositions de Paul Ricœur, de Julia Kristeva (distinction entre génotexte et phénotexte), et de Jacques Derrida (fait d’ériger le « non dit » et l’indicibilité en constituants essentiels et foyers vivants de l’acte d’écrire).

Marie-France Tristan a montré que le texte anamorphique, tendu entre les extrêmes de l’unicité du dire et de la multiplicité du parler, en d’autres termes du sens et du signe, en relation avec la doctrine du « tout est en tout », s’inscrit dans le jeu indéfini des interférences sémantiques et des réseaux métaphoriques tel qu’il fut notamment explicité sur le plan théorique, au XVIIe siècle, par le rhétoricien Emanuele Tesauro, et mis en pratique par le Cavalier Marin.

Traduction en cours

Adone / Adonis, de Giambattista Marino (1623) : immense poème mythologique (près de 41 000 vers hendécasyllabes), qui a connu 7 rééditions complètes depuis le milieu des années 1970. Le premier tome est paru, avec une introduction de Marc Fumaroli, aux éditions Les Belles Lettres en (collection « Bibliothèque italienne »). Les tomes II à V sont à paraître.

Bibliographie

Essais

Articles (sélection)

  • L'art des devises au XVIe siècle en Italie : une théorie du symbole, in Emblèmes et devises au temps de la Renaissance, Paris, J. Touzot, 1981, p. 47-63.
  • « Contre-Réforme et Époque baroque » in Précis de littérature italienne, Paris, PUF, 1982, p. 175-214, rééd. 1995.
  • « La mythologie comme système de représentation du monde et de la condition humaine dans l'"Adone" de G.B. Marino », colloque Turin 1983, in Manierismo e letteratura, A. Meynier, 1986, p.407-424.
  • « Marino » in Patrimoine littéraire européen, Bruxelles, De Boeck, 1996 (vol 8).
  • « L'œil et l'orbite dans l'œuvre de G.B. Marino » in L'Œil fertile, univ. Grenoble-III, IRIS, 1997, p. 67-75.
  • « Le miroir et le sceau dans l'œuvre de G.B. Marino » in Représentations et figurations baroques, Colloque Oslo 1995, Conseil norvégien de la recherche scient., 1997, p. 47-57.
  • « Marino et Du Bartas : deux poètes de la création », colloque international Marino en France, CIRRI, 1998.
  • « Psyché et Actéon, deux figures antithétiques du voyeurisme chez G.B. Marino » in Caractères et passions au XVIIe siècle, dir. Didier Soulier, université de Dijon, 1998.
  • « Fiction et réalité dans l'œuvre de G.B. Marino » in Réalisme et réalité en question au XVIIe siècle, Colloque Dijon 2000, dir. D. Soulier, Centre de recherches "Cultures et civilisations du XVIIe siècle", p. 85-95, Dijon, 2002.
  • « La poésie scientifique du Cavalier Marin », colloque Mulhouse 2000 in La Naissance de la science dans l'Italie antique et moderne, Peter Lang, 2004, pp. 229-250.
  • « Anamorphose(s) » in revue Sigila n° 17, Paris, Gris-France, 2006, p. 21-36.
  • « Le “Palais de l’Art” dans l’“Adone” de G.B. Marino » (Chant X, 116-182 et svtes), in Maître et passeur. Per Marziano Guglielminetti, Alessandria, éd. dell’Orso, 2008, p. 237-264.

Références

  1. Marzio Pieri, Introd. à l’Adone de G. B. Marino, Trento, la Finestra, 2004 (p. XLIV- XLV) : « En matière marinienne, la nouvelle proposition, à la fois la plus fondée et, par sa vertu propre, la plus retentissante – comme une véritable explosion – nous est venue de France (...). C’est dans l’histoire littéraire que s’inscrit le monument que Marie-France Tristan, pour conclure un travail de vingt ans, a consacré à Marino poète philosophe. Disons-le haut et fort : c’est l’œuvre la plus importante qui ait jamais été écrite sur Marino ».
  2. Ruggero Guarini (Corriere del Mezzogiorno, 17 juin 2006) : « La Scène de l’écriture de Marie-France Tristan est peut-être l’hommage critique le plus grandiose qui ait jamais été consacré à la figure et à l’œuvre de notre immense poète ».
  3. Giuseppe Alonzo, Periferia continua e senza punto. Per una lettura continuista della poesia secentesca, Pisa, Edizioni ETS, 2010, p. 11 : (La Scène de l’écriture est) « l’étude la plus importante menée à bien ces dernières années sur l’œuvre marinienne », et « un point de référence incontournable pour n’importe quelle nouvelle lecture qui voudrait s’orienter vers une prospection philosophique de la production poétique du XVIIe siècle ».
  4. Jean-François Maillard, Compte rendu de la Scène de l’écriture, revue A.R.I.E.S., vol. 4, 2004, n° 2, p. 239-242 : « Cet essai thématique de type mythocritique s'attache moins à préciser les sources effectivement utilisées par Marino qu'à présenter une synthèse de sa philosophie et de sa cosmologie, puis à déployer les grandes figures mythologiques présentes dans son poème sacré, dont Adonis constitue bien évidemment le cœur. L'ouvrage de Marie-France Tristan [est] l'un des rares en langue française sur le sujet ».
  5. Yves Hersant, dans sa Préface à la Scène de l’écriture : « Marie-France Tristan n’a pas seulement mené à bien un grand travail d’érudition : elle a revivifié des pages mortes, ou qu’on s’était hâté de dire telles ».
  6. Voir à ce sujet Gilles Deleuze, Le pli (Leibniz et le baroque), 1988.
  7. Voir Jurgis Baltrušaitis, Anamorphoses ou perspectives curieuses, Paris, O. Perrin, 1955; éd.augmentée Anamorphoses ou Magie artificielle des effets merveilleux, Paris, O.Perrin, 1969, et Flammarion, 1984.
  8. Voir Chaïm Perelman et Ernesto Grassi.

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