Margaret Mead

Margaret Mead ( à Philadelphie à New York) est une anthropologue américaine.

Pour les articles homonymes, voir Mead.

Margaret Mead
Margaret Mead en 1948.
Biographie
Naissance
Philadelphie
Décès
New York
Nationalité Américaine
Père Prof. Edward Sherwood Mead (d)
Mère Emily Fogg (d)
Conjoint Gregory Bateson (-), Luther Sheeleigh Cressman (en) (-) et Reo Fortune (-)
Enfants Mary Catherine Bateson
Thématique
Formation Barnard College, université Columbia (jusqu'en ), université DePauw et Solebury School (en)
Profession Conservateur, anthropologue (en), écrivain et réalisateur
Employeur Université Columbia, université de Rhode Island et musée américain d'histoire naturelle
Distinctions Médaille présidentielle de la Liberté, prix Kalinga (), prix William-Procter (en) (), National Women's Hall of Fame () et membre de l'Académie américaine des arts et des sciences (d)
Membre de Société américaine de philosophie, Académie américaine des arts et des sciences, Académie américaine des arts et des lettres, Association américaine pour l'avancement des sciences et Académie américaine des sciences (depuis )
Données clés

Formée à l'université Columbia par Franz Boas, Margaret Mead a contribué à populariser les apports de l'anthropologie culturelle aux États-Unis et dans le monde occidental[1]. Figure centrale de la deuxième vague féministe, ses travaux portent notamment sur le rapport à la sexualité dans les cultures traditionnelles de l'Océanie et du sud-est asiatique et sur la division sexuelle du travail[2].

Son travail sur la sexualité des Samoans a suscité la controverse[3].

Dans le contexte de la révolution sexuelle des années 1960, Mead était en faveur d'une ouverture des mœurs sexuelles au sein de la vie traditionnelle religieuse occidentale.

Biographie

Une étude d'anthropologie sociale de la France en 1954 avec Rhoda Metraux.

Margaret Mead est la fille aînée des cinq enfants d'un professeur d'économie et d'une enseignante qui a quitté son métier au moment de son mariage (Geertz 1989, p. 330). Margaret entre d'abord à l'université DePauw, qu'elle quitte au bout d'un an pour étudier la psychologie pendant deux ans à l'université Barnard. Elle entre en 1923 à l'Université Columbia dans le département d'anthropologie dirigé par Franz Boas et Ruth Benedict. En 1929, elle obtient son doctorat à l'université Columbia[réf. souhaitée]. Son mémoire de thèse est une recherche sur la stabilité de la culture en Polynésie, basée sur les publications disponibles.

Elle épouse en 1923 son premier mari, Luther Cressman, étudiant en théologie. Elle divorce en 1928 pour épouser l'anthropologue néo-zélandais Reo Fortune qui l'accompagne dans ses voyages jusqu'à leur divorce en 1935. En 1936, elle épouse l'anthropologue Gregory Bateson rencontré chez les Chambulis. En 1939, naît la fille de Mead et Bateson, Mary Catherine Bateson Kassarjian.

Sur le terrain

Dès 1925, elle part à Samoa (sur Ta‘ū), seule, à 23 ans, malgré les craintes de ses amis et de Boas, qui lui conseillaient d'effectuer sa première enquête de terrain en Amérique[4]. Elle y reste entre 5 et 9 mois[5],[6]. En 1926, elle rejoint l'American Museum of Natural History de New York[7]. Elle retourne en 1928—1929 à Manus dans les Îles de l'Amirauté pendant huit mois, dont elle tirera un livre populaire Growing Up in New Guinea (1930) et une étude technique Kinship in the Admiralty Islands (1934)[4].

En 1928, elle produit le livre controversé Adolescence à Samoa et la monographie technique The Social Organization of Manu'a (1930)[8]. En 1930 elle fait une saison d'été chez les Indiens Omaha ; l'étude qui en sort en 1932 aura peu d'impact[4] ; elle part pour la Nouvelle-Guinée où elle s'intéresse à trois groupes, les Chambuli, les Mundugumor et les Arapesh, avec un point de vue comparatiste. Arrivée en , elle rentre aux États-Unis au printemps 1933, et produit le livre Sex and Temperament in Three Primitive Societies (1935), ainsi que The Mountain Arapesh publié en quatre parties de 1938 à 1949. Selon Clifford Geertz, le premier est un livre « pour le grand public, militant et controversé », tandis que le second est « destiné aux anthropologues, structuré et peu remarqué[4] ».

De à , plus six semaines en 1939, elle travaille à Bali, dont elle produit, avec son mari l'anthropologue Gregory Bateson, son ouvrage le plus remarqué[7], Balinese Character: a Photographic Analysis (1942), ainsi qu'un film, Transe and Dance in Bali. En 1953, elle retourne pour six mois à Manus, et écrit New Lives for Old : Cultural Transformation — Manus 1928—1953 (1956).

Carrière aux États-Unis

Mead à l'Académie des sciences de New York, 1968.

En dehors de courtes visites à ses sites d'enquête, Mead aura passé presque six ans de recherches sur le terrain dans six cultures néolithiques, et une technologiquement plus avancée, Bali, situées dans le Pacifique Sud (à l'exception des Omaha). En parallèle, elle poursuit sa carrière au musée d'histoire naturelle de New York, d'assistante-conservateur en 1926 à conservatrice en 1964 et conservatrice émérite en 1969[7].

Au musée, elle réunit des objets, organise des expositions et des films, recueille des fonds (et en donne), et crée la salle des Peuples du Pacifique, ouverte en 1971. Dans les années 1930, elle travaille avec le psychiatre et psychanalyste Harry Stack Sullivan[réf. souhaitée]. Avant de devenir professeur-adjoint à Columbia en 1954, elle a enseigné dans de nombreuses universités[9], tout en participant comme chercheur associé au département d'anthropologie de Columbia. Elle y a parfois remplacé Ruth Benedict, avec une influence notoire, et parfois tumultueuse[réf. nécessaire], sur les carrières de femmes plus jeunes qui arrivaient dans le département, comme Zora Neale Hurston ou Ruth Landes[réf. nécessaire]. Pendant la Seconde Guerre mondiale, elle dirige un programme d'étude anthropologiques, basé sur des entretiens avec des expatriés, sur les cultures européennes. Elle développe une notion de caractère national d'où sortiront Soviet Attitudes Towards Authority (1951) et Themes in French Culture, écrit avec Rhoda Métraux (1954).

Engagement

Mead fut aussi une conférencière et une organisatrice inlassable, dans une foule d'organisations. Elle fut en particulier présidente de la Société américaine pour l'Anthropologie Appliquée (1949), de l'American Anthropological Association (1960), et de l'American Association for the Advancement of Science (1975).

Ingénierie sociale

De 1942 à 1949, elle participa aux rencontres interdisciplinaires connues sous le nom de conférences Macy qui réunit ingénieurs, biologistes, psychologues et anthropologues pour examiner les « mécanismes de contre-réaction et causalité circulaire dans les systèmes biologiques et sociaux[10] ».

Christianisme

De religion anglicane[11], membre de l'église épiscopalienne des États-Unis[12], elle participe à la rédaction du nouveau livre de prières édité en 1979.

En 1949, elle déclare à l'appartement de Clemens Heller rue Vaneau à Paris : « Un petit groupe de citoyens engagés et réfléchis est capable de changer le monde. D'ailleurs rien d'autre n'y est jamais parvenu[13] ». Cette citation, éditée en affiche, devient un élément marquant de la personnalité publique de Mead[14].

Bisexualité

Dès les années 1950, elle est adoptée par les communautés LGBT américaines pour ses travaux, car ses études sur la variété et la fluidité des expériences sexuelles dans d'autres cultures donnaient un fondement scientifique à leurs critiques de la société puritaine et hétérocentrée[15]. Dans un article de 1975, Mead écrit que « le temps est venu, je crois, où nous devons reconnaître la bisexualité comme une forme normale de comportement humain[16]. » Elle prend également parti pour l'hypothèse de la bisexualité innée, notant qu'« un grand nombre d'êtres humains - probablement la majorité - sont bisexuels en ce qui concerne leur capacité à éprouver des sentiments amoureux[17]. » Margaret Mead est elle-même bisexuelle[18], mais cet aspect de sa personnalité ne sera dévoilé qu'en 1984, par sa fille[19].

Réchauffement climatique

Après avoir assisté en 1974 à Bucarest à la conférence de l'ONU sur la surpopulation, dont elle rend compte la même année dans un article publié dans le magazine Science[20], Margaret Mead organise du 26 au en Caroline du Nord avec le parrainage de deux agences du U.S. National Institutes of Health[21] et avec la participation de Stephen Schneider, George Woodwell, James Lovelock, George Holdren, William Kellogg, une conférence intitulée « L’Atmosphère : menacée et menaçante » , dans laquelle elle alerte l'opinion mondiale sur le fait que les émissions anthropiques de gaz carbonique augmentent massivement en raison de la surpopulation humaine et que cela provoque un réchauffement global de la Terre[22], ce qui fait d'elle une des premières militantes contre le réchauffement climatique.

Hommages

Margaret Mead meurt des suites d'un cancer, le . Elle fait alors la une du New York Times[9].

Contribution à l'anthropologie

Mead, ca. 1950.

Connue pour être très engagée, elle a participé activement à définir le concept de « cultural patterns » (modèles culturels) et à promouvoir la dimension humaniste de l'anthropologie[réf. nécessaire].

Dans Trois Sociétés primitives de Nouvelle-Guinée (1935), qui s'inscrit dans le courant culturaliste, elle montre comment les civilisations modifient les caractères et la psychologie humaines, affirmant que toutes sont égales. Elle se situe dès lors à rebours de la pensée politique traditionnelle en ne plaçant pas la civilisation occidentale au sommet de l'humanité (ce qui permettait de justifier la colonisation) ou encore en déconstruisant la prétendue supériorité masculine, en remettant en cause les caractères masculins et féminins jusque là considérés comme naturels. Dans ses travaux, l'éducation est vue comme la base de toute société. Sa pensée nourrira les mouvements féministes, de libération sexuelle et anticoloniaux[9].

La production de Margaret Mead, extrêmement fournie, est inégale. Dans la biographie qu'il rédige en 1989 pour l'Académie américaine des sciences, Clifford Geertz écrit : « Une partie est évidemment hâtive, mal pensée, négligemment argumentée, et même irresponsable. Une partie est routinière, banale, dans le meilleur des cas conjoncturelle, dans le pire pur remplissage. Une partie était professionnelle, soigneuse, une contribution modeste, mais véritable au savoir. Et une partie était extraordinairement bonne, révolutionnaire au moment où elle fut écrite et encore aujourd'hui[23]. » Cette inégalité explique sans doute les réactions extrêmement contrastées qu'elle a suscitées.

La contribution de Mead se divise en quatre grands secteurs :

  • l'anthropologie psychologique ;
  • l'anthropologie appliquée ;
  • la méthode ethnographique ;
  • les études sur la famille, l'éducation, et les rôles sexués, qu'on appellerait aujourd'hui les études de genre.

Anthropologie psychologique

Son travail se répartit en trois phases qui se succèdent progressivement :

  1. une attaque sur les vérités admises sur les étapes de l'éducation et du développement des enfants et adolescents ;
  2. les études sur la culture et la personnalité, où elle cherche à relier des traits culturels, comme la moquerie, à des tendances psychologiques, comme la réserve ;
  3. les études sur le caractère national, où elle caractérise en termes psychologiques des sociétés entières.

Dans la première, elle souffre d'une propension à pousser exagérément une thèse, dans la seconde, d'une conception plutôt mécanique de la relation entre socialisation enfantine et le caractère de l'adulte, et dans la troisième un certain excès d'ambition[24]. Ces trois phases réunies ont cependant formé, pour Geertz, les fondations de pratiquement tous les travaux ultérieurs sur les Manus, les Balinais, et les Américains[25].

Anthropologie appliquée

Mead se montre déterminée à faire de l'anthropologie une science utile à la satisfaction de besoins humains. Elle s'engage dans de nombreuses activités politiques, comme le secrétariat exécutif du Comité sur les habitudes alimentaires du Conseil national de la recherche pendant la Seconde Guerre mondiale. La réponse aux problèmes américains de l'heure imprègne tout son travail et en détermine la réponse fondamentale[26].

Elle intervient sur presque tous les sujets, où elle a souvent quelque chose de brillamment provoquant à dire, et ses déclarations font d'elle l'anthropologue la plus notoire de son siècle.

Méthode ethnographique

Margaret Mead (1972).

La hardiesse des formulations de Mead et son option fondamentale de mélanger les approches psychologiques et anthropologiques, attirent rapidement les critiques. Elle est caractérisée comme impressionniste, intuitive, subjective, et non-scientifique. Cependant, déterminée à faire de l'anthropologie une science comme les autres, elle entreprend d'exposer et de justifier ses procédures d'investigation, et rend, à sa mort, publics tous ses dossiers déposés à la Bibliothèque du Congrès. Ces documents montrent une variété de méthodes, dont certaines, comme l'usage de la photographie et du film, sont relativement nouvelles dans sa spécialité, sans forcément convaincre. [27].

Questions de genre

Plus encore que ses autres domaines d'intervention, les questions concernant l'éducation, les droits des femmes, la sexualité engagent personnellement Mead, ses propres expériences familiales et affectives, particulièrement sa relation intime avec l'anthropologue Ruth Benedict. Son engagement personnel dans ces questions teinte ses investigations de la sexualité des jeunes filles de Samoa, de la dominance maritale des femmes Chambuli ou de l'inconsistance émotionnelle des mères balinaises[28].

Le mouvement féministe américain renaissant après la seconde guerre mondiale la considéra de diverses manières. La plupart des questions qu'elle aborde, en effet, ne font pas l'accord dans le mouvement. Elle insiste davantage sur la différence des genres que sur leur égalité, et sur l'accomplissement personnel, plutôt que sur la revendication professionnelle[29]. Selon plusieurs commentateurs, elle assume, dans sa vie académique, le rôle d'un homme, « exigeant la dépendance et le contrôle »[30].

La controverse autour de Mœurs et sexualité en Océanie

Jeune fille de Samoa, c. 1896.

Margaret Mead publie en 1928 Adolescence à Samoa, qui devient un véritable best-seller vendu à plusieurs millions d'exemplaires dans le monde entier, et publié en édition de poche dans les années 1960[31].

Elle expose sa thèse dans les premières pages de son livre, traduit dans la deuxième partie de Mœurs et sexualité en Océanie[32]. « Raisonnant d'après ses observations du comportement de l'homme adulte chez d'autres civilisations, l'anthropologue parvient souvent aux mêmes conclusions que le « behavioriste », qui étudie le tout jeune enfant, non encore façonné par son milieu. Se penchant, lui aussi, sur le problème de l'adolescence, il lui apparut que certains comportements de l'adolescent dépendaient du milieu social — révolte contre l'autorité, doutes religieux, idéalisme, luttes et conflits — cependant qu'on voudrait en faire une caractéristique d'un certain stade de développement physique[33] ». La description des adolescentes Samoanes qui suit les décrit détachées des contraintes sociales, désinvoltes[34] ; elles ignorent les malheurs de l'adolescent américain, elles vivent dans une société de tolérance, sans conflit, où « l'activité sexuelle est une chose naturelle et agréable[35] » à laquelle les adolescentes, en particulier, s'adonnent librement. Cette vision de l'amour sous les palmiers fit l'effet d'une bombe dans l'Amérique puritaine des années 1920.

Des objections s'élèvent dès l'après-guerre. Comment peut-on décrire ainsi une société où, comme le dit d'ailleurs Mead en passant dans son propre livre, la virginité des jeunes mariées est requise, où les jeunes filles sont soumises à leurs frères, et où aucune option ne leur est ouverte ? Des ethnologues ayant travaillé à Samoa ou Samoans critiquent Adolescence à Samoa, sans se faire entendre[36].

En 1983, cinq ans après la mort de Margaret Mead, l'anthropologue néo-zélandais Derek Freeman, qui connaît particulièrement les Samoa et en parle la langue, publie Margaret Mead and Samoa: The Making and Unmaking of an Anthropological Myth, livre dans lequel il réfute les principales conclusions de Mead à propos de la sexualité au sein de la société samoane, estimant que ses informateurs l'ont induite en erreur, tout en appuyant son analyse de la société samoane sur une vision éthologique se référant à Karl Popper, qui semble d'un autre âge[37].

L'Association Anthropologique Américaine, qu'elle a présidée en 1960, vote en 1983 une motion considérant l'ouvrage critique de Freeman comme « mal écrit, pas scientifique, irresponsable et trompeur[38]. » La dispute Mead-Freeman devient une controverse universitaire majeure, nombre d'universitaires prenant parti pour l'un ou l'autre[39]. Les défenseurs de Margaret Mead attaquent l'orientation du travail de Freeman, sans réfuter les erreurs qu'il relève dans Adolescence à Samoa[40]. Hors du milieu anthropologique universitaire, l'ouvrage de Margaret Mead est défendu par les partisans du libéralisme sexuel ou du freudo-marxisme, qui appuient leurs thèses sur ses écrits[réf. souhaitée]. Après avoir présenté le débat, Daniel de Coppet, directeur d'études à l'École des hautes études en sciences sociales de Paris prend dans l'Encyclopædia Universalis la défense de Margaret Mead, concluant qu'« en anthropologie, Margaret Mead reste plus sensible et plus subtile que son plus acharné détracteur[41] ». En Amérique, plusieurs anthropologues, cependant, remettent en cause à la fois les affirmations de Mead sur Samoa, la « défense passionnée de tous ses travaux », et ses procédés autoritaires à la tête des institutions universitaires[42].

Martin Orans, prenant un point de vue positiviste, ne « trouve rien de scientifique » dans le rapport que Margaret Mead fait des Samoans, qu'on pourrait juger par cette formule tranchante : « même pas faux[43] ». Ayant étudié les sources de terrain de Margaret Mead et de Derek Freeman, Orans conclut que ses informateurs ne l'ont nullement induite en erreur, mais qu'elle est arrivée à Samoa avec un schéma préconçu, qui aura orienté les réponses[44] par les questions qu'elle demande à son interprète de poser, et interprété les faits qu'elle recueille en faveur de ce schéma. En effet, Margaret Mead a vécu pendant 5 mois dans un poste américain sans jamais participer longuement à la vie quotidienne et cérémonielle du village, car elle conduisait des entretiens par interprète, avec 50 jeunes filles[45].

Jusqu'en 1997 pour le moins, et « dans tout le monde anglophone et même ailleurs, ce livre de Mead fut l’étude la plus citée, sans interruption depuis 1928, dans les encyclopédies, les ouvrages de vulgarisation et les débats de toute sorte, dès qu’il s’agissait de parler d’éducation, de sexualité et d’adolescence. Le livre faisait partie du savoir universel, celui qu’on n’a plus à examiner, mais que l’on doit citer[45] ». Son succès s'explique parce qu'il a « projeté des idéaux de l'Amérique bohème sur d'autres contextes culturels[46] ».

L'ethnologue français Serge Tcherkézoff retracera l'historique et les enjeux de cette polémique dans un ouvrage publié en 2001 sous le titre : Le mythe occidental de la sexualité polynésienne. Il conclut que « la renommée acquise par le livre de Mead découle d'un malentendu inauguré un siècle et demi auparavant » et que le « mythe occidental sur la Polynésie[47] », illustré dès les Supplément au voyage de Cook et Supplément au Voyage de Bougainville était la cause profonde de l'erreur de Mead aussi bien que de son succès, et que cela expliquait la vigueur avec laquelle de nombreux collègues l'ont défendue après sa mort.

Ce mythe a pris naissance en conséquence d'un malentendu catastrophique survenu à l'arrivée des premiers occidentaux au XVIIIe siècle. Terrorisés par les ravages faits par les canons du premier navire européen, qu'ils ont tenté de repousser, les Tahitiens envoyèrent aux navires suivants des jeunes filles afin d'amadouer leurs occupants. Les arrivants décrivirent ce sacrifice, à leur retour en Europe, comme une preuve de l'innocence des Polynésiens ; tandis que leur nudité ordinaire évoquera pour les chrétiens la description biblique du Paradis.

De cet équivoque historique naîtra le mythe de la Polynésie qui se développe dans l'imaginaire européen à la faveur de la contradiction entre les conceptions individualistes et la répression de la sexualité[48]. Finalement, la liberté sexuelle des habitants des îles de Samoa tel que la décrivait l'ouvrage de Margaret Mead correspondait « à ce qu'on sait [ou plutôt à ce que l'Occident croyait savoir] de la Polynésie[49] », bien que les faits fussent à peu près entièrement réfutés.

Œuvres

Années 1920

Années 1930

  • 1930(a) : (en) « Social organization of the Manu'a » Bernice P. Bishop museum bulletin, n° 76, réédité 1974 Kraus reprint.
  • 1930(b) : Growing up in New Guinea
  • 1932 : (en) The changing culture of an indian tribe (ed. facsim. New York : AMS press, 1969)
  • 1934(a) : (en) « Tamberans and Tumbuans in New-Guinea », Natural History, vol. XXXIV, n° 3, Mai- pp. 234-246.
  • 1934(b) : (en) Kinship in the Admiralty Islands, Anthropological papers of the American Museum of Natural History ; v. 34, pt. 2.
  • 1935 : (en) Sex and temperament in three primitive societies William Morrow and co. Réédition: perennial, 2001, (ISBN 0-06-093495-6)
  • 1938-1947 : (en) The mountain Arapesh. Part I, An importing culture, 1938, Part II, Supernaturalism, 1940, Part III, Socio-economic life, Part IV, Diary of events in Alitoa, 1947 Anthropological papers of the American museum of natural history.

Années 1940

  • 1942  : (en) And Keep Your Powder Dry : An Anthropologist Looks At America.
  • 1949 : (en) Male and Female. A Study of Sexes in a Changing World.

Années 1950

  • 1951(a) : (en) The School in American Culture.
  • 1951(b) : (en) Soviet attitudes toward authority : an interdisciplinary approach to problems of Soviet character, Greenwood press
  • 1972 : (en) Cultural Patterns and technical change. A manual prepared by the Word federation for mental health, publié par Margaret Mead, United Nations (UNESCO), 1953
  • 1954 : avec Rhoda Métraux (en) Themes in French culture : a preface to a study of French community, Stanford : Hoover Institute and Library on war, revolution and peace : Stanford University Press, 1954.
  • 1956 : (en) New lives for old : cultural transformation — Manus, 1928-1953.

Années 1960

  • 1965 : avec Ken Heyman, (en)Family, The Macmillan Company, New York.
  • 1968(a) : avec Paul Byers (en) The small conference : an innovation in communication, Paris : Mouton.
  • 1968(b) : (en) Continuities in cultural evolution, New Haven : Yale university press,

Années 1970

  • 1971 : (en) A rap on race, dialogue with James Baldwin ; Michael Joseph.
  • 1970: (en) Culture and Commitment : the new relationships between the generations in the 1970, Doubleday for the American museum of natural history; Columbia U.P. 1978
  • 1972(a) : (en) Blackberry Winter : My Earlier Years.
  • 1972(b) : (en) Twentieth century faith : hope and survival, New York ; San Francisco ; London : Harper and Row
  • 1974 : (en) Ruth Benedict, Columbia UP
  • 1975 : (en) « Sex differences : innate, learned, or situational ? » Quart. Congr. XXXII/4. 1975. 261-267
  • 1977 : (en) Letters from the field, 925-1975, Harper and Row

Années 2000

  • 2004 : (en) Studying contemporary Western society : method and theory, Oxford : Berghahn.

Traductions françaises

  • 1957 : avec Rhoda Métraux, Thèmes de « culture » de la France, traduit de Themes in French culture par Yvonne-Delphée Miroglio. Suivi de réactions critiques de André Siegfried, etc. Charles Baudoin, etc. [etc.], Institut havrais de sociologie économique et de psychologie des peuples.
  • Margaret Mead (trad. Georges Chevassus), Mœurs et sexualité en Océanie, Paris, Terre Humaine, (ISBN 2-266-11230-9). Traduction de Sex and temperament in three primitive societies et Coming of Age in Samoa, complété par des notes méthodologiques.
  • 1963 : Mœurs et sexualité en Océanie, Plon, Terre humaine, 1963
  • 1966 : L'un et l'autre sexe. Les rôles d'homme et de femme dans la société, Paris, Denoël-Gonthier. trad. de Male and Female par Claudia Ancelot et Henriette Etienne.
  • 1968 : avec Muriel Brown La Société engagée / Margaret Mead et ; traduit de The Wagon and the star : a study of American community initiative par Claire Bostsarron, Paris : Nouveaux horizons, 1968.
  • 1971 : L'Anthropologie comme science humaine, Payot, traduit de Anthropology, a human science par Élisabeth Le Quéré.
  • 1971 : Le Fossé des générations, traduit de l'américain par Jean Clairevoye, Paris, Denoël-Gonthier. 2.e ed. augm. 1979.
  • 1971 : Le racisme en question, Préface de Roger Bastide, Paris, Calman-Lévy. traduction de A rap on race.
  • 1972 : Adolescence à Samoa, Paris, Plon. Réédition d'une version de 1928.
  • 1973 : Une éducation en Nouvelle-Guinée. Paris, Payot. Traduction par Alain Gazio de Growing Up in New Guinea.
  • 1977 : Du givre sur les ronces, traduction de Blackberry Winter.
  • 1980 : Écrits sur le vif. Lettres 1925-1975, Paris, Denoël-Gonthier, trad de Letters from the field.
  • 1982 : avec Rhoda Métraux, Aspects du présent ; traduit de Aspects of the present par Jeanne Faure-Cousin, Paris : Denoël-Gonthier,

Notes et références

  1. John Horgan, « Margaret Mead’s bashers owe her an apology », Scientific America.
  2. Marylène Patou-Mathis, L'homme préhistorique est aussi une femme, Allary Éditions, , p. 47
  3. Geertz 1989, p. 329.
  4. Geertz 1989, p. 331.
  5. (en) John Shaw, « Derek Freeman, Who Challenged Margaret Mead on Samoa, Dies at 84 », The New York Times, (lire en ligne, consulté le ).
  6. Mead 1963, p. 372 ; accepté par Geertz 1989, p. 331.
  7. Geertz 1989, p. 332.
  8. Geertz 1989, p. 331 ; opinion partagée par Peter Worsley dans Foerstel et Gilliam 1992, p. xi et Dillon 2000, p. 6.
  9. Julien Clément, « Trois Sociétés primitives de Nouvelle-Guinée de Margaret Mead », Le Point Références - « Comprendre l'autre - Les textes fondamentaux », n°33, mai-juin 2011, p. 62.
  10. « Feedback Mechanisms and Circular Causal Systems in Biological and Social Systems », (en)The Macy Conference Attendees ; Summary.
  11. Jane Howard, Margaret Mead: A Life, New York: Simon and Schuster, p. 347–348.
  12. (en) www.notablebiographies.com ; « www.myfaithmylife.org »(ArchiveWikiwixArchive.isGoogle • Que faire ?) (consulté le ).
  13. Clemens Heller.
  14. « Never doubt that a small group of thoughtful, committed citizens can change the world » (Lutkehaus 2008).
  15. (Lutkehaus 2008, p. 79-80).
  16. Bowman-Kruhm 2003, p. 115.
  17. (en) Linda Rapp, « Mead, Margaret », glbtq.com: An Encyclopaedia of Gay, Lesbian, Bisexual, Transgender and Queer Culture, 2004 (lire en ligne).
  18. (en) « Views of a culture heroine », The New York Times, 26 août 1984 (lire en ligne).
  19. (Lutkehaus 2008, p. 79).
  20. Elle écrit : « A Bucarest, il fut affirmé qu’en restant incontrôlée, la croissance démographique pouvait nuire aux développement socio-économiques, et mettre l’environnement en péril [...] Les idées antérieures radicales, selon lesquelles une justice sociale et économique pourrait seule, en quelque sorte, compenser la croissance démographique, et que la simple mise à disposition de contraceptifs pourrait réduire la population, furent rejetées. » « World Population : World Responsibility » éditorial, Science, vol. 185, n° 4157, 27 septembre 1974.
  21. Le John E. Forgaty International Center for Advanced Study in the Health Sciences et le National Institute of Environmental Health Sciences.
  22. Elle déclare : « J’ai demandé à un groupe d’experts sur l’atmosphère de se réunir ici pour réfléchir sur comment annoncer avec crédibilité et persuasion les vraies menaces pesant sur l’humanité et la vie sur la planète, avant que la société des nations commence à légiférer sur l’air, et à programmer des "déclarations internationales sur l’impact environnemental.[...] À moins que les peuples du monde ne saisissent les conséquences immenses et durables de ce qui paraît être de petits choix immédiats — forer un puits, bâtir une route, construire un gros-porteur, mener un essai nucléaire, installer un surgénérateur à liquide, libérer des produits chimiques dans l’atmosphère ou rejeter des déchets en quantité concentrée dans la mer — la planète entière court un grand danger.[...] A cette conférence, nous proposons, avant que l’on tente de mettre au point une "loi de l’air", que les scientifiques conseillent les Nations unies (ainsi que chaque puissante nation et regroupement de nations plus faibles) et donnent une vision d’ensemble de ce que nous connaissons sur les catastrophes atmosphériques dues à l’intervention de l’homme, et comment la connaissance scientifique conjuguée avec une politique intelligente peut protéger les populations du monde entier contre des interférences dangereuses et évitables dans l’atmosphère dont dépend toute vie.[...] Nous attendons des scientifiques des estimations présentées avec suffisamment de prudence et de crédibilité mais en même temps avec le moins de polémique possible, pour que les politiques puissent les exploiter, et que nous lancions la construction d’un système d’alertes, artificielles mais efficaces, des alertes semblables à l’instinct des animaux qui fuient avant l’a tempête, constituent des réserves de graines avant l’arrivée d’un hiver rigoureux, ou des chenilles, qui à l’approche d’un changement de climat épaississent leur carapace.[...]
    Ce que nous avons besoin d’inventer – en tant que responsables scientifiques – ce sont des moyens par lesquels la clairvoyance pourra devenir une habitude citoyenne des populations à travers le monde. Ceci, bien sûr, pose des problèmes techniques aux sciences sociales, mais sans une expression clairement exprimée et hautement responsable des positions des naturalistes, elles sont impuissantes.
    C’est seulement lorsque les sciences naturelles peuvent développer des moyens de faire des déclarations sur l’état actuel du danger qui soit crédible aux yeux des uns et aux autres, que l’on peut espérer les rendre vraisemblables (et compréhensibles) aux spécialistes des sciences sociales, politiques, et aux citoyens. »
  23. « Some of it was clearly hasty, ill-considered, and casually argued, even irresponsible. Some of it was routine, banal, momentarily useful at best, page-filling at worst. Some of it was professional, careful, a modest but genuine addition to knowledge. And some of it was extraordinarily fine, revolutionary when written and revolutionary still ». (Geertz 1989, p. 335).
  24. « the first of these suffered from a tendency toward thesis driving, the second from a rather mechanical conception of the relation between child socialization and adult character, and the third from a certain over-ambitiousness »(Geertz 1989, p. 336).
  25. Geertz 1989, p. 336.
  26. Geertz 1989, p. 337.
  27. Geertz 1989, p. 337-338.
  28. Geertz 1989, p. 339.
  29. Male and Female, 1949.
  30. Raymond Firth interview (Cole 2003, p. 235) ; un rôle de « mâle honoraire » pour (en) Nancy Parezo (ed.), Hidden Scholars : Women Anthropologists and the Native American Southwest, U. of New Mexico Press, (Cole 2003, p. 54) ; Geertz 1989, p. 340.
  31. Tcherkézoff 2001, p. 7 ; Shaw 2001.
  32. Mead 1963, p. 359-564 ; complété par des notes méthodologiques.
  33. Mead 1963, p. 368, Introduction.
  34. Mead 1963, p. 521.
  35. Mead 1963, p. 524.
  36. Entre autres (en) Peter Worsley, « Margaret Mead: Science or Science Fiction », Science and Society, vol. 21, no 2, , p. 122-134, cité par Worsley, « Foreword », dans Foerstel et Gilliam 1992, p. xvii.
  37. Tcherkézoff 2001 ; (en) Marilyn Strathern, « The punishment of Margaret Mead », London Review of Books, vol. 5, no 8, (lire en ligne).
  38. « poorly written, unscientific, irresponsible and misleading », Shaw 2001.
  39. (en) James E. Côté, Adolescent Storm and Stress : An Evaluation of the Mead-Freeman Controversy, , p. 29-30.
  40. Worsley dans Foerstel et Gilliam 1992, p. xii ; Tcherkézoff 2001, p. 14.
  41. Daniel de Coppet (1933—2002), directeur d'études à l'École des hautes études en sciences sociales de Paris, « MEAD, MARGARET — (1901-1978) », Encyclopædia Universalis (éd. de 1996 ; lire en ligne).
  42. Peter Worsley dans Foerstel et Gilliam 1992, p. ix.
  43. Orans, Martin, 1996 Not Even Wrong: Margaret Mead, Derek Freeman, and the Samoans.
  44. Tcherkézoff 2001, p. 15.
  45. Tcherkézoff 1997.
  46. « projected American bohemian ideals onto other cultural contexts »(en) Micaela Di Leonardo, Exotics at home : Anthropologies, Others, and American Modernity, Chicago U.P, , citée par (en) Sally Cole, Ruth Landes : A life in Anthropology, U. of Nebraska Press, , p. 14.
  47. Tcherkézoff 2001, p. 64-82.
  48. Tcherkézoff 2001, p. 94-101.
  49. Tcherkézoff 2001, p. 21.

Voir aussi

Bibliographie

  • (en) Bateson, Mary, With a daughters eye: a memoir Margaret Mead and Gregory Bateson, New-York, 1984, traduit en français sous le titre (fr) Regard sur mes parents. Une évocation de Margaret Mead et de Grégory Bateson, Paris, Seuil, 1989.
  • (en) Mary Bowman-Kruhm, Margaret Mead: a Biography, Greenwood press, , 170 p..
  • William S. Dillon, « Margaret Mead (1901—1978 », Perspectives : revue trimestrielle d’éducation comparée, Paris, UNESCO, vol. 31, no 3, (www.ibe.unesco.org/publications/ThinkersPdf/meadf.pdf).
  • (en) Lenora Foerstel, Angela Gilliam et al., Confronting Margaret Mead: Scholarship, Empire, and the South Pacific, Temple U.P., . Contributions de Eleonor Leacock, Warilea Iamo, Susanna Ounei, Glenn Alcalay, Simione Durutalo, John D. Waiko.
  • (en) Freeman, D. 1983. Margaret Mead and Samoa : the making and unmaking of an anthropological myth. Traduit sous le titre (fr) Margaret Mead et Samoa : comment s’est fait et s’est défait un mythe anthropologique.
  • (en) Freeman, D. 1999. The fateful hoaxing of Margaret Mead. Traduit sous le titre (fr) La mystification prophétique de Margaret Mead.
  • (en) Gordan, J. (dir. publ.). 1976. Margaret Mead : the complete bibliography 1925-1975. Traduction sous le titre (fr) Margaret Mead : bibliographie complète 1925-1975, La Haye, Mouton.
  • (en) Clifford Geertz, Margaret Mead (1901—1978) : A Biographical Memoir, National Academy of Sciences, (lire en ligne)
  • (en) Grinager, P. 1999. Uncommon lives : my lifelong friendship with Margaret Mead. Traduction sous le titre (fr) Vies hors du commun : mon amitié d’une vie avec Margaret Mead.
  • (fr) Lévi-Strauss, Claude 1979. Hommage à Margaret Mead. Courrier de l’UNESCO (Paris), vol. 32.
  • (en) Nancy Lutkehaus, Margaret Mead: The Making of an American Icon, Princeton U.P., , 378 p..
  • Serge Tcherkézoff, Le mythe occidental de la sexualité polynésienne : 1928-1999: Margaret Mead, Derek Freeman et Samoa, Paris, Presses universitaires de France, coll. « Ethnologies », .
    • Serge Tcherkézoff, « Margaret Mead et la sexualité à Samoa », Enquête, no 5, , p. 141-160 (lire en ligne, consulté le ).
  • (en) Toulmin, S. 1984. The Evolution of Margaret Mead. Traduit sous le tire (fr) L’Évolution de Margaret Mead.

Articles connexes

Liens externes

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