Marcomans

Les Marcomans (latin m. marcomani) sont un peuple germanique occidental, connu notamment grâce à l'historien romain Tacite qui les situe entre Naristes et Quades, dans l'actuelle Moravie. Installés là en -9 av. J.-C., sous l'égide du roi Maroboduus, ils se confrontent régulièrement à l'Empire romain avant de disparaître aux IIIe – IVe siècles.

Marcomans

Chaudron de la sépulture princière de Mušov.

Ethnie Germains
Langue(s) Suèves
Région actuelle Bohême
Rois/monarques Maroboduus et Ballomarus
Répartition des peuples germaniques au Ier siècle ap. J.-C.

Territoire

Le territoire originel des Marcomans

Le territoire d'origine des Marcomans n'est pas connu avec certitude. Pour cette époque, on les place généralement sur le cours du Main, entre le Rhin et le Danube. Les oppida du Schwanberg, de Finsterlohr et du Staffelberg pourraient en conséquence leur être attribués, sans certitudes. Leur nom d'origine germanique proviendrait de leur localisation géographique marka « frontière », manni « homme ».

Le royaume de Maroboduus

Le royaume fondé par Maroboduus est situé à l'ouest de la Morava[1] et au nord du Danube. Strabon indique qu'il fait partie de la forêt Hercynienne, dans la partie orientale de celle-ci. Il donne à ce royaume, en l'écorchant, le nom de Boiohaemum[2]. C'est pourquoi on situe le nouveau territoire du peuple marcomans en Bohême, sur la Vltava et la Berounka, jusqu'au Danube.

Les nouveaux arrivants semblent cependant ne pas avoir réinvesti les oppida boïennes comme l'oppidum "de Závist" à Dolní Břežany , Stradonice ou Hrazany qui sont abandonnées après la Tène D2[3].

Le royaume fondé par les Marcomans est encadré à l'est, de la Moravie au Danube, par les Quades. À l'ouest, les frontières marcomanes sont gardées par les Naristes et les Hermondures. Ce nouveau territoire se trouve au débouché romain de la route de l'ambre. Les Marcomans et leurs alliés s'emparent donc d'une position commerciale forte.

Histoire

Limes danubien de Norique.

Les limes danubien (en), limes de Pannonie (en) et limes de Mésie (en) précisent les zones d'influence des différents peuples en présence.

Arioviste et l'aventure gauloise

La première mention historique mentionnant les Marcomans nous vient de César[4]. Il évoque un contingent de Marcomans lors de l'énumération des peuples composant en 58 av. J.-C. l'armée du Suève Arioviste. Ils sont cités en compagnie des Harudes, Triboques, Vangions, Némètes et Sédusiens. Il est possible de supposer que ces peuples soient les peuples-clients d'Arioviste. À la suite de la défaite de ce dernier face à Jules César, les survivants repassent le Rhin et retournent sur leurs territoires d'origine.

Cette mention de Jules César implique que des contingents marcomans accompagnent Arioviste lors de son aventure en Gaule, peut-être dès le début, en 72 av. J.-C., sinon plus tard, à la suite de l'invitation faite par Arioviste aux peuples germains de s'installer sur le territoire Sequane. En conséquence, la participation de Marcomans à la bataille de Magetobriga, si elle n'est pas prouvée, est possible.

Après la bataille de l'Ochsenfeld, le retour outre-Rhin des peuples Suèves placés sous la férule d'Arioviste paraît avoir été source de troubles en Germanie[5]. Ces troubles, en provoquant une tentative de migration des peuples Tenctère et Usipète[6], oblige Jules César à intervenir par deux fois en Germanie et à y affronter, outre les Sicambres, des peuples Suèves. Le détail des peuples Suèves que le général romain affronte à ces occasions n'est pas donné, on ne sait donc pas si les Marcomans étaient du nombre[7].

La migration en Bohême

En -9 av. J.-C., Drusus I mène en Germanie, une violente offensive[8]. Les Marcomans sont vaincus à la suite des Usipètes, des Tencthères et des Cattes. Drusus dresse un tertre surmonté d'un trophée constitué de leurs armes[9]. Il est probable que se soient ces événements qui incitèrent les Marcomans à migrer en Bohème et à conquérir un territoire largement abandonné par les Boïens en -52 av. J.-C.[10]. Cette migration s'est faite à l'instigation et sous le commandement du roi Maroboduus.

Les Marcomans cependant, n'ont pas été seuls à se déplacer en Bohème. Strabon donne la liste d'autres peuples associés à cette migration. Il mentionne les Lugiens, notamment les Lugi manes et les Didunes, les Butons, les Sudins et les Semmons, ces derniers explicitement qualifiés de tribu Suève[2]. Tous ces peuples sont vraisemblablement, à cette date, clients des Marcomans.

En -2 av. J.-C., lors de son mandat en Germanie, Lucius D. Ahenobarbus s'allie aux Hermondures, alors en quête d'un territoire : il les établit aux confins occidentaux du nouveau royaume marcoman[11], à proximité du peuple des Naristes[12].

Conflits

Répartition des peuples germaniques selon Pline et Tacite.

L'établissement à ses frontières d'un royaume puissant et avec lequel elle n'a pas de liens de clientèle constitue un danger pour Rome. En conséquence, Tibère est envoyé, à la tête d'une douzaine de légions, soumettre le royaume marcoman en 6 ap. J.-C.[13].

Adoptant une stratégie de tenaille, une armée est envoyée de Mogontiacum sous les ordres du légat Gaius Sentius Saturninus pour attaquer les Marcomans par l’ouest via le territoire des Chattes, le cours du Main puis le royaume des Hermundures. Dans le même temps une seconde armée, commandée par Tibère, part de Carnuntum, vers le Nord, la Morava et le territoire des Quades. Une révolte éclate alors en Pannonie, qui interrompt les opérations. Marobod négocie alors avec Tibère un traité de paix entérinant le statu quo ante[13].

Puis Maroboduus entre en conflit avec les Chérusques, l’autre grande puissance germanique du moment. Après la Bataille de Teutoburg, à laquelle les Marcomans et leurs clients ne prennent pas part, Arminius envoie la tête de Varus au roi des Marcomans, dans le but de leur faire rejoindre la rébellion. Maroboduus renverra la tête à Rome sans prendre le parti des Chérusques. Les relations entre les deux principales entités germaniques se dégradent alors. Les Semnones et les Langobardii en profitent pour quitter la clientèle des Marcomans et rejoignent le parti Chérusque. En 17 ap. J.-C. les armées des deux royaumes s'affrontent et Maroboduus est vaincu. À la suite de cette défaite, il réclame l'assistance de Rome et le fils de Tibère, Drusus II, est envoyé comme médiateur entre les deux puissances barbares[14].

Succession de Maroboduus

Le règne de Maroboduus s'achève en 18 ap. J.-C. lorsqu'il est renversé par Catualda (en), dans un coup d'état dont Tacite attribue l'initiative à Drusus II[15]. Catualda est un noble marcoman exilé chez les Gothons par Maroboduus. Il revient en Marcomanie à la faveur des difficultés rencontrée par le vieux roi face aux Chérusques. Le contingent de Gothons qui accompagne Catualda, l'aide à prendre le pouvoir. Maroboduus, à son tour, prend le chemin de l'exil. Il est alors recueilli par Tibère et placé en résidence à Ravenne. Il y mourra dix-huit ans plus tard[15].

Catualda ne profite pas longtemps de sa nouvelle position : il est bientôt renversé par un parti de Hermundures avec à sa tête un certain Vibilius, et il est lui aussi recueilli par Tibère et placé en résidence à Forum Julii, en Gaule. C'est un certain Vannius (en), roi des Quades, qui succède à Catualda[15]. Réputé pour ses opinions pro-romaines, il règne jusqu'en 50 ap. J.-C. et est chassé, à son tour, par une coalition de Suèves, de Luges et d’Hermundures toujours menés par Vibilius. Les neveux de Vannius, Vangion et Sidon (en), lui succèdent et poursuivent sa politique pro-romaine. Vannius, pour sa part se réfugie au sein de l'Empire romain, sous la tutelle de Claude, qui lui accorde l'asile[16].

Lors de la Guerre civile qui oppose Vitellius à Vespasien, Tacite mentionne, à la veille de la seconde bataille de Bedriacum, un chef suève du nom de Sido. Il est donc possible que le règne du frère de Vangion se soit poursuivi au moins jusqu'à l'avènement de Vespasien, en 69 ap. J.-C.[17].

Les guerres de Pannonie

Les Marcomans (et Rhétie-Norique) sur la Table de Peutinger.

Les rapports des Marcomans avec les Romains se dégradent alors. Domitien adopte, en effet, une politique extérieure extrêmement agressive, principalement en Occident, le long du limes. La guerre finit par éclater en raison d'événements qui se sont déroulés en marge des guerres daciques. En effet, les Quades et les Marcomans n'ont pas respecté les obligations liées à leur fœdus, et n'ont pas fourni à l'armée romaine l'aide attendue.

Domitien lance en 89 une expédition punitive qui est un échec, puisqu'elle provoque l'entrée en guerre des Sarmates Iazyges contre Rome, et oblige l'empereur à bâcler une paix de compromis avec Décébale. Une fois la paix signée avec les Daces, Domitien tente, par voie diplomatique, d’attaquer par l’arrière les Marcomans et les Quades. Ceux-ci répliquent en renouvelant leur alliance avec les Iazyges et en pénétrant dans l’Empire en 92. Après qu’ils ont anéanti la Legio XXI Rapax, Domitien se rend personnellement sur le front afin de stabiliser la situation. Il parvient à vaincre les Iazyges, mais ses batailles contre les Quades et les Marcomans ne sont pas décisives et aboutissent à un cessez-le-feu. La situation ne se stabilise qu'en 97, avec l'action de Trajan, alors gouverneur de Germanie supérieure.

Quelques heurts ont encore lieu entre les Romains et les Marcomans sous Hadrien en 136-137.

Ballomar et les guerres marcomanes

Marc-Aurèle fait grâce à des chefs Marcomans – croquis du bas-relief d'un arc de triomphe mal identifié.

Au IIe siècle de l'ère chrétienne, les Marcomans, établis sur le bas-Danube, font peser, avec les Quades, une menace constante sur le limes danubien, probablement en raison de la pression des Germains orientaux, Goths et des Gépides.

En 166-167, une incursion sur le territoire romain effectuée par des contingents Lombards et Osii, provoque les premiers heurts. Au terme d'un échange diplomatique, le roi des Marcomans, Ballomar, agissant comme porte-parole d'une coalition de peuples de la région comprenant outre les Marcomans, les Lombards, les Osii, les Vandales Victuales, les Quades, les Narisques et les Cotins, obtient un traité de paix. Toutefois, la situation reste instable et, l'année suivante, des incidents sporadiques éclatent le long de la frontière, entraînant de nouveaux échanges diplomatiques et de nouveaux traités de paix.

En 170, alors que l'armée romaine est aux prises avec les Sarmates Iazyges, une coalition de peuples menés par le roi des Marcomans, Ballomar, franchit le Danube en Pannonie (Hongrie actuelle) et réussit à s'avancer jusqu'en Italie du Nord où elle assiège la ville d'Aquilée. La contre-attaque romaine est dirigée par Claudius Pompeianus qui réussit à libérer la ville. Puis les troupes romaines parviennent à expulser, au prix de violents combats, les Germains des provinces de Rhétie, Norique et Pannonie. Enfin, en 174, les Marcomans, les Quades et leurs alliés se soumettent, avec des conditions de paix particulièrement dures. L’Histoire Auguste nous apprend que Marc-Aurèle envisage de faire de la Marcomanie, une nouvelle province.

Les Marcomans, soumis pendant un temps, se révoltent à nouveau avec leurs alliés en 177. Marc-Aurèle intervient alors et finit par mater les Marcomans en 178. La mort de l'empereur, en 180, interrompt le projet de réduire la Marcomanie en province. Le nouvel empereur Commode signe un traité de paix avec les peuples vaincus (Marcomans, Naristes et Quades), au terme duquel ils doivent fournir céréales, armes et recrues pour les troupes auxiliaires de l'armée romaine[18], les assujettissant ainsi en peuple client de l'empire. Un régiment permanent sera finalement constitué, selon Dion Cassius, de Quades et de Marcomans.

De nouveaux troubles éclatent dans cette zone en 186-188, mais ceux-ci sont rapidement réprimés par l'armée romaine.

Fédérés romains

Sous le règne de Gallien, les Marcomans, accompagnés des Quades, des Sarmates et peut-être d'autres peuples germaniques, effectuent à nouveau des incursions en Pannonie romaine. L'empereur conclut un traité avec leur roi, nommé Attale par les historiens latin. Ce traité accorde aux Marcomans un foedus en Pannonie, à charge pour les Marcomans de défendre la région contre les incursions des autres peuples germains[19]. Ce traité est garanti par l'union - de peu de valeur au yeux des romains - de Gallien et de Pipa, ou Pipara[20], la fille du roi Attale[21] .

Quelques décennies plus tard, sous le règne de Dioclétien, l'auteur Aurélius Victor signale que les Marcomans subissent une forte défaite militaire, sans que la succession d'évenements soit indiquée de manière claire[22]. Ils sont, à cette occasion, mentionnée avec les Carpes, sans que l'on sache si ils étaient alors alliés ou ennemis.

Les Marcomans pourraient avoir été christianisés, vers 396, sous le règne de leur reine Fritigil, cette dernière ayant entretenu une correspondance avec saint Ambroise de Milan[23]. Ce dernier lui recommande, par cet échange épistolaire de pousser son mari à faire alliance avec l'Empire romain. Ce conseil pourrait avoir porté ses fruits, puisqu'une troupe romaine désignée comme la gens marcomannorum, et vraisemblablement commandée par l'époux de Fritigil en tant que tribun, fait à cette époque son apparition dans les documents administratifs de l'empire[24]. d'autres régiments d'origine marcomannes font leur apparitions par la suite.

L'irruption des Huns en Europe centrale

À la fin du IVe siècle, les Marcomans affrontent une nouvelle menace avec l'arrivée des Huns en Europe : dans le sillage de ces derniers, certains peuples germaniques quittent leurs terres et se dirigent vers la Gaule. Jérôme de Stridon les mentionne dans une de ses Correspondance parmi les peuples envahissant l'empire, aux côtés des Quades[25]. Cette lettre date de 396 et évoque des incursions barbares en Thrace, Grèce, Dalmatie et Pannonie. Une autre lettre de 410, mentionne elle, des "Pannoniens ennemis", là encore aux côtés de Quades[26]. Iaroslav Lebedynski rapproche ces "Pannoniens" de troupes fédérées Vandales et Alains[27]. D'autres auteurs antiques mentionnent pour ces événements, des Suèves, sans précision.

Absorption par les Suèves

Subjugués par les Suèves, les derniers Marcomans forment une partie de l'armée qui fonde le royaume suève, localisé actuellement en Galice et au nord du Portugal.

Notes

  1. Pline, Histoire naturelle, Livre IV, 28
  2. Strabon, Géographie, Livre VII, Chap I, 3.
  3. oppida.org, Site de référence sur les oppida européennes.
  4. Jules César, Commentaires sur la Guerre des Gaules, I, 51
  5. Jules César, Commentaires sur la Guerre des Gaules, IV, 4
  6. Dion Cassius, Histoire Romaine, Livre 39, 47
  7. Jules César, Commentaires sur la Guerre des Gaules, IV, 19
  8. Dion Cassius, Histoire Romaine, Livre LV, 1.
  9. Florus, Abrégé d'Histoire Romaine, Livre IV, 12.
  10. Jules César, Commentaires sur la guerre des Gaules, Livre I, .
  11. Dion Cassius, Histoire Romaine, Livre LV, 10.
  12. Tacite, La Germanie, XLII
  13. Velleius Paterculus, Histoire romaine, Livre II, CIX
  14. Tacite, Annales, Livre II, 44-47
  15. Tacite, Annales, Livre II, 62-63
  16. Tacite, Annales, Livre XII, 29-30
  17. Tacite, Histoires, Livre III, 5
  18. Alessandro Barbero, Barbares. Immigrés, réfugiés et déportés dans l'Empire romain (éd. Tallandier, 2009 et 2011 pour la version française, p. 57)
  19. Léon Homo, L'empereur Gallien et la crise de l'empire romain au IIIe siècle, Revue Historique, t. 113, Fasc. 1, p. 1-22, 1913.
  20. Trebellius Pollion, Histoire Auguste, Vies des deux Gallien, Saloninus Gallien, III.
  21. Pseudo-Aurelius Victor, Épitomé de Caesaribus, XXXII,
  22. Aurelius Victor, Livre des Césars, 39, Valerius Dioclétien
  23. Charles Le Beau, Histoire du Bas-empire, tome 6, 1762.
  24. Ferdinand Lot, La « Notitia dignitatum utriusque imperii » ses tares, sa date de composition, sa valeur, Revue des Études Anciennes, volume 38-3, p.299, 1936.
  25. Jérôme de Stridon, Epistola LX. Ad Heliodorum. 18
  26. Jérôme de Stridon, Epistola CXXIII. ad Geruchiam.
  27. Iaroslav Lebeynski, La grande invasion des Gaules, Lemme Edit 2012.

Voir aussi

Bibliographie

  • (en) Ronald Syme, « The End of the Marcomanni », Bonner HAC 1977/1978, Bonn, 1980, p. 255-sq. désormais dans Historia Augusta Papers, Oxford, 1983, p. 146-155.
  • (en) Malcolm Todd, The early Germans, Malden, Blackwell Publishing, coll. « Peoples of Europe », , 2e éd., 266 p. (ISBN 978-1-4051-1714-2)

Articles connexes

Liens externes

  • Portail de la Rome antique
  • Portail des langues germaniques
Cet article est issu de Wikipedia. Le texte est sous licence Creative Commons - Attribution - Partage dans les Mêmes. Des conditions supplémentaires peuvent s'appliquer aux fichiers multimédias.